CJCE, 1re ch., 6 décembre 2007, n° C-298/05
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Columbus Container Services BVBA & Co.
Défendeur :
Finanzamt Bielefeld-Innenstadt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jann
Avocat général :
M. Mengozzi
Juges :
MM. Lenaerts, Cunha Rodrigues, Ileic, Levits
Avocats :
Mes Cordewener, Schönfeld, Ward
LA COUR (première chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 43 CE et 56 CE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Columbus Container Services BVBA & Co. (ci-après "Columbus") au Finanzamt Bielefeld-Innenstadt (ci-après le "Finanzamt") au sujet de l'imposition des bénéfices réalisés par Columbus au cours de l'année 1996.
Le cadre juridique
La réglementation allemande
3 Selon l'article 1er, paragraphe 1, de la loi relative à l'impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, BGBl. 1990 I, p. 1902, ci-après l'"EStG"), tout résident allemand est intégralement assujetti à l'impôt sur le revenu en Allemagne et soumis au principe dit "du revenu mondial". En vertu de ce principe, valable pour tous les types de revenus, y compris les résultats d'exploitation (article 2, paragraphe 1, point 2, de l'EStG) et les revenus de capitaux (article 2, paragraphe 1, point 5, de l'EStG), les revenus sont uniformément calculés et imposés, qu'ils aient été réalisés en Allemagne ou à l'étranger.
4 Selon le même article 1er de l'EStG ainsi que l'article 1er de la loi sur l'impôt des sociétés (Körperschaftssteuergesetz, BGBl 1991 I, p. 637), une société qualifiée de société de personnes par le droit allemand n'est pas assujettie à l'impôt en tant que telle. Le bénéfice réalisé par une telle société, soit en Allemagne, soit à l'étranger, est imputé au prorata aux associés qui résident en Allemagne et imposé dans le chef de ces derniers (article 15, paragraphe 1, point 2, première phrase, de l'EStG) en vertu du principe de transparence fiscale des sociétés de personnes.
5 Cette imputation des bénéfices d'une société de personnes aux associés de celle-ci vaut même si cette société est, en tant que telle, assujettie à l'impôt sur les sociétés à l'étranger, dans l'État où elle a son siège.
6 En vue de prévenir la double imposition des revenus réalisés à l'étranger par des résidents allemands, la République fédérale d'Allemagne a conclu des conventions bilatérales, au nombre desquelles figure la convention en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Bruxelles, le 11 avril 1967, entre le Royaume de Belgique et la République fédérale d'Allemagne (BGBl 1969 II, p. 18, ci-après la "convention fiscale bilatérale").
7 En vertu de l'article 7, paragraphe l, de la convention fiscale bilatérale, les bénéfices d'une entreprise allemande qui exerce son activité par l'intermédiaire d'un établissement stable situé sur le territoire du Royaume de Belgique, tel qu'une société en commandite, sont imposés dans cet État membre dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable. Selon l'ordonnance de renvoi, dès lors que la législation fiscale belge soumet la société en commandite à l'impôt sur les sociétés, la convention fiscale bilatérale assimile des distributions de bénéfices à des dividendes au sens de l'article 10 de cette convention.
8 Selon l'article 23, paragraphe 1, point 1, de ladite convention, les revenus d'une personne résidant en Allemagne qui proviennent de la Belgique et qui sont imposables dans ce dernier État membre en vertu de cette convention sont exemptés d'impôts en Allemagne. Il est constant que les revenus provenant de capitaux investis dans une société en commandite belge relèvent du régime d'exemption prévu au point 1 dudit article 23, paragraphe 1.
9 Contrairement à ce qui est prévu dans la convention fiscale bilatérale, la loi fiscale concernant les relations avec l'étranger [Gesetz über die Besteuerung bei Auslandsbeziehungen (Außensteuergesetz)], dans sa version issue de la loi relative à 1'harmonisation fiscale et à la lutte contre la fraude (Missbrauchsbekämpfungs- und Steuerbereinigungsgesetz), du 21 décembre 1993 (BGBl 1993 I, p. 2310, ci-après l'"AStG"), en vigueur à la date des faits au principal, dispose à son article 20, paragraphes 2 et 3:
"2. Si les revenus ayant la nature de capitaux placés au sens de l'article l0, paragraphe 6, deuxième phrase, sont recueillis par l'établissement étranger d'un assujetti illimité à l'impôt en Allemagne et s'ils auraient été soumis à l'impôt en tant que revenus intermédiaires si cet établissement avait été une société étrangère, la double imposition doit être évitée non par la voie de l'exonération, mais par voie de l'imputation des impôts prélevés à l'étranger sur ces revenus.
3. En ce qui concerne les avoirs qui donnent lieu à des revenus ayant la nature de capitaux placés au sens de l'article 10, paragraphe 6, deuxième phrase, à l'exception des revenus ayant la nature de capitaux placés au sens de l'article 10, paragraphe 6, troisième phrase, dans les cas visés au paragraphe 2, la double imposition ne doit pas être évitée par la voie de l'exonération, mais par la voie de l'imputation des impôts prélevés à l'étranger sur ces avoirs. [...]"
10 L'article 10, paragraphe 6, deuxième phrase, de l'AStG prévoit:
"Les revenus intermédiaires ayant la nature de capitaux placés sont des revenus de la société intermédiaire étrangère qui proviennent de la détention, de la gestion, du maintien ou de l'augmentation de la valeur de moyens de paiement, de créances, de titres, de participations ou d'éléments de patrimoine analogues [...]"
11 L'article 8, paragraphes 1 et 3, de l'AStG est libellé comme suit:
"1. Une société étrangère est une société intermédiaire pour des revenus qui sont soumis à un taux bas d'imposition [...]
[...]
3. Le taux d'imposition est bas au sens du paragraphe 1 lorsque les revenus ne sont pas imposés au titre de l'impôt sur les bénéfices à 30 % ou plus dans l'État de la direction des affaires ni dans l'État du siège de la société étrangère sans que cela ne résulte d'un ajustement avec des revenus d'autres sources ou lorsque l'impôt à prendre ainsi en considération est diminué selon la législation de l'État en question des impôts que la société d'où proviennent les revenus doit supporter [...]"
La réglementation belge
12 Selon le droit belge, les entreprises qualifiées de "centres de coordination" relèvent du régime fiscal instauré par l'arrêté royal n° 187, du 30 décembre 1982 (Moniteur belge du 13 janvier 1983). En vertu de cet arrêté royal, l'assiette d'imposition des bénéfices réalisés en Belgique par un centre de coordination est déterminée forfaitairement selon la méthode dite "cost plus".
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13 Columbus est une société en commandite de droit belge qui, à l'époque des faits au principal, avait son siège à Anvers (Belgique). Elle constitue un centre de coordination au sens de l'arrêté royal n° 187.
14 Les parts sociales de Columbus sont détenues, d'une part, par huit membres d'une même famille résidant en Allemagne, chaque membre ayant une participation de 10 %, et, d'autre part, s'agissant des 20 % restants, par une société de personnes allemande dont les parts sont également la propriété des membres de ladite famille. Lors de l'assemblée générale de Columbus, tous les détenteurs de parts sociales sont représentés par la même personne.
15 Columbus fait partie d'un groupe économique important au niveau international. Son objet social consiste à coordonner les activités de ce groupe. Il englobe notamment la centralisation des transactions financières et de la comptabilité, le financement de la trésorerie des filiales ou des succursales, la gestion électronique des données ainsi que des activités de publicité et de marketing.
16 L'activité économique de Columbus est principalement consacrée à la gestion de capitaux placés au sens de l'article 10, paragraphe 6, deuxième phrase, de l'AStG. Cette activité de gestion a procuré à Columbus, au cours de l'année 1996, des bénéfices issus de "résultats d'exploitation" d'un montant de 8 044 619 DEM (4 113 148 euro) et des "revenus divers" à hauteur de 53 477 DEM (27 342 euro).
17 Pour l'année 1996, Columbus a été imposée par l'administration fiscale belge au taux applicable aux centres de coordination, cette imposition s'étant élevée, en l'occurrence, à moins de 30 % du bénéfice effectivement réalisé.
18 Selon le droit allemand, Columbus est une société de personnes.
19 En application du droit fiscal allemand et, notamment, de l'article 20, paragraphe 2, de l'AStG, le Finanzamt a, par un avis d'imposition du 8 juin 1998, exempté, dans le chef des associés, les revenus divers de Columbus tout en les incluant dans la réserve de progressivité. En revanche, les associés ont été imposés sur les bénéfices issus des "résultats d'exploitation" de Columbus, le Finanzamt ayant toutefois imputé l'impôt qui avait été prélevé en Belgique sur ces mêmes bénéfices.
20 Par avis du 16 juin 1998, le Finanzamt a en outre fixé, conformément à l'article 20, paragraphe 3, de l'AStG, la valeur de référence des avoirs de Columbus au 1er janvier 1996 aux fins du calcul de l'impôt sur la fortune des associés.
21 Columbus a présenté une réclamation devant le Finanzamt contre lesdits avis, à l'exception de celui visant les revenus divers, et, à la suite du rejet de cette réclamation, elle a introduit un recours devant le Finanzgericht Münster.
22 Devant cette juridiction, Columbus invoque notamment l'incompatibilité de l'article 20, paragraphes 2 et 3, de l'AStG avec les dispositions de l'article 43 CE. Selon cette société, le fait de substituer à la méthode de l'exonération, prévue à l'article 23, paragraphe 1, point 1, de la convention fiscale bilatérale, celle de l'imputation, prévue à l'article 20, paragraphes 2 et 3, de l'AStG, a pour effet de rendre les établissements transfrontaliers visés moins attractifs. Une telle suppression de l'avantage fiscal dont bénéficiaient ces derniers violerait de manière non justifiée la liberté d'établissement garantie par le traité CE.
23 Columbus fait valoir en outre que, en ce qui concerne la convention fiscale bilatérale, toute justification du non respect de ses dispositions fait défaut.
24 Le Finanzgericht Münster n'exclut pas que les règles énoncées à l'article 20, paragraphes 2 et 3, de l'AStG enfreignent la liberté d'établissement. Il nourrit de surcroît des doutes quant à la compatibilité desdites règles avec la libre circulation des capitaux. En effet, l'imposition additionnelle à laquelle ces dispositions soumettent les revenus étrangers serait propre à dissuader les résidents allemands d'investir dans un État membre autre que la République fédérale d'Allemagne sans que cette restriction aux mouvements de capitaux puisse être justifiée.
25 Dans ces conditions, le Finanzgericht Münster a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
"Les règles prévues à l'article 20, paragraphes 2 et 3, de [l'AStG], qui exemptent de la double imposition les revenus ayant la nature de capitaux placés dans l'établissement étranger d'un assujetti illimité à l'impôt en Allemagne, qui auraient été soumis à l'impôt en tant que revenus intermédiaires si l'établissement avait été une société étrangère, en dépit de la convention [fiscale bilatérale], non pas en exonérant les revenus de l'impôt allemand, mais en imputant l'impôt prélevé à l'étranger sur les bénéfices, sont-elles contraires aux dispositions de l'article 52 du traité CE, devenu article 43 CE, et des articles 73 B à 73 D du traité CE, devenus articles 56 à 58 CE?"
Sur la question préjudicielle
26 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 43 CE et 56 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation fiscale d'un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les revenus d'un résident national, issus de capitaux placés dans un établissement ayant son siège dans un autre État membre, sont, nonobstant l'existence d'une convention en vue d'éviter les doubles impositions conclue avec l'État membre du siège de cet établissement, non pas exonérés de l'impôt sur le revenu national, mais soumis à l'imposition nationale sur laquelle est imputé l'impôt prélevé dans l'autre État membre.
27 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation communautaire, les États membres demeurent compétents pour déterminer les critères d'imposition des revenus et de la fortune en vue d'éliminer, le cas échéant par voie conventionnelle, les doubles impositions (voir, notamment, arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307-97, Rec. p. I-6161, point 57; du 3 octobre 2006, FKP Scorpio Konzertproduktionen, C-290-04, Rec. p. I-9461, point 54, et du 12 décembre 2006, Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, C-374-04, Rec. p. I-11673, point 52).
28 Toutefois, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (voir arrêts du 19 janvier 2006, Bouanich, C-265-04, Rec. p. I-923, point 28, et Test Claimants in Class IV of the ACT Group Litigation, précité, point 36).
Sur l'existence d'une restriction à la liberté d'établissement
29 Conformément à une jurisprudence constante, relèvent du champ d'application des dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement les dispositions nationales qui trouvent à s'appliquer à la détention par un ressortissant de l'État membre concerné, dans le capital d'une société établie dans un autre État membre, d'une participation lui permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d'en déterminer les activités (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Oy AA, C-231-05, non encore publié au Recueil, point 20, et du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C-112-05, non encore publié au Recueil, point 13).
30 Ainsi, selon cette jurisprudence, l'acquisition par une ou plusieurs personnes physiques résidant dans un État membre de la totalité des parts d'une société ayant son siège statutaire dans un autre État membre, conférant à ces personnes une influence certaine sur les décisions de la société et leur permettant d'en déterminer les activités, relève des dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement (voir arrêts du du 13 avril 2000, Baars, C-251-98, Rec. p. I-2787, points 21 et 22, ainsi que du 5 novembre 2002, Überseering, C-208-00, Rec. p. I-9919, point 77).
31 En l'espèce, il ressort du point 14 du présent arrêt que toutes les parts de Columbus sont détenues, de manière directe ou indirecte, par les membres d'une même famille. Ces derniers poursuivent les mêmes intérêts, prennent d'un commun accord, par l'intermédiaire d'un même représentant à l'assemblée générale de cette société, les décisions relatives à celle-ci et en déterminent les activités.
32 Il découle de ce qui précède que les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement sont applicables à une situation telle que celle du litige au principal.
33 L'article 43 CE impose la suppression des restrictions à la liberté d'établissement. Dès lors, même si, selon leur libellé, les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l'État membre d'accueil, elles s'opposent également à ce que l'État membre d'origine entrave l'établissement dans un autre État membre de l'un de ses ressortissants ou d'une société constituée en conformité avec sa législation (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 1998, ICI, C-264-96, Rec. p. I-4695, point 21, ainsi que du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-36-02, Rec. p. I-9609, point 42).
34 Il est également de jurisprudence constante que doivent être considérées comme de telles restrictions toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de cette liberté (voir arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55-94, Rec. p. I-4165, point 37, et du 5 octobre 2004, CaixaBank France, C-442-02, Rec. p. I- 8961, point 11).
35 Ainsi qu'il a été indiqué au point 7 du présent arrêt, les revenus provenant de bénéfices d'une société allemande par l'intermédiaire d'une société en commandite belge sont, aux termes de la convention fiscale bilatérale, exonérés dans le chef des assujettis résidents en Allemagne. Toutefois, lorsque, comme dans l'affaire au principal, une telle société est imposée, selon la législation fiscale belge, à moins de 30 % au titre de l'impôt sur les bénéfices réalisés en Belgique, les dispositions de l'AStG en cause au principal prévoient que, nonobstant l'existence de cette convention, ces revenus ne sont plus exonérés de l'impôt sur le revenu dans le chef des assujettis résidents en Allemagne, mais sont soumis au régime d'imposition allemand, l'impôt prélevé en Belgique étant imputé sur le montant de l'imposition due en Allemagne.
36 En effet, en vertu de l'article 20, paragraphes 2 et 3, de l'AStG, les revenus provenant d'une société soumise à l'étranger à un taux d'imposition que l'article 8, paragraphes 1 et 3, de l'AStG qualifie de "bas" ne bénéficient pas de l'exonération prévue à la convention fiscale bilatérale, mais relèvent du champ d'application de la méthode d'imputation prévue à l'article 20, paragraphes 2 et 3, de l'AStG.
37 Selon les informations fournies par Columbus lors de l'audience, au titre de l'exercice 1996, la substitution de la méthode de l'imputation à celle de l'exonération aurait augmenté de 53 % la charge fiscale des associés de cette société.
38 Toutefois, il convient de relever que, même si l'application, dans le cadre de l'imposition des associés de Columbus, de la méthode de l'imputation prévue par les dispositions de l'article 20, paragraphes 2 et 3, de l'AStG en cause au principal a pour effet de rendre l'exercice des activités de cette société plus onéreux que si cette imposition avait été effectuée selon la méthode de l'exonération prévue par la convention fiscale bilatérale, une telle constatation n'implique pas nécessairement que lesdites dispositions constituent une restriction à la liberté d'établissement au sens des dispositions de l'article 43 CE.
39 En effet, la liberté d'établissement interdisant toute discrimination fondée sur le lieu du siège des sociétés (voir, en ce sens, arrêts Saint-Gobain ZN, précité, point 35, et du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446-04, Rec. p. I-11753, point 40), il est constant que la législation fiscale allemande en cause au principal, comparable à cet égard à la législation fiscale belge applicable dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 14 novembre 2006, Kerckhaert et Morres (C-513-04, Rec. p. I-10967, point 17), ne procède à aucune distinction en ce qui concerne la taxation des revenus provenant de bénéfices de sociétés de personnes établies en Allemagne et celle des revenus provenant de bénéfices de sociétés de personnes établies dans un autre État membre qui soumet les bénéfices réalisés par ces sociétés dans cet État à une taxation en deçà de 30 %. En appliquant à ces sociétés étrangères la méthode de l'imputation, cette législation ne fait que soumettre, en Allemagne, les bénéfices réalisés par de telles sociétés au même taux d'imposition que ceux réalisés par des sociétés de personnes établies en Allemagne.
40 Les sociétés telles que Columbus ne subissant pas de désavantage fiscal par rapport aux sociétés de personnes établies en Allemagne, il n'y a pas lieu de conclure à une discrimination résultant d'une différence de traitement entre ces deux catégories de sociétés.
41 Il est vrai que, selon une jurisprudence bien établie, une discrimination peut également résulter de l'application de la même règle à des situations différentes (voir arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279-93, Rec. p. I-225, point 30, et du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311-97, Rec. p. I-2651, point 26).
42 Toutefois, à l'égard de la législation fiscale de l'État de résidence, la position d'un associé percevant des bénéfices ne devient pas nécessairement différente du seul fait qu'il perçoit ceux-ci d'une société établie dans un autre État membre qui, dans l'exercice de sa compétence fiscale, soumet ces bénéfices à une imposition inférieure à 30 % des bénéfices effectivement réalisés (voir, en ce sens, arrêt Kerckhaert et Morres, précité, point 19).
43 Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, les conséquences défavorables que pourrait entraîner l'application d'un système d'imposition des bénéfices tel que celui mis en œuvre par l'AStG découlent de l'exercice parallèle par deux États membres de leur compétence fiscale (voir arrêt Kerckhaert et Morres, précité, point 20).
44 Il convient de rappeler, à cet égard, que les conventions en vue d'éviter les doubles impositions, telles que prévues à l'article 293 CE, servent à éliminer ou à atténuer les effets négatifs pour le fonctionnement du marché intérieur découlant de la coexistence de systèmes fiscaux nationaux évoquée au point précédent (arrêt Kerckhaert et Morres, précité, point 21).
45 Or, le droit communautaire, dans son état actuel et dans une situation telle que celle au principal, ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les États membres s'agissant de l'élimination des doubles impositions à l'intérieur de la Communauté européenne. Ainsi, abstraction faite de la directive 90-435-CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents (JO L 225, p. 6), de la convention du 23 juillet 1990, relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées (JO L 225, p. 10), et de la directive 2003-48-CE du Conseil, du 3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (JO L 157, p. 38), aucune mesure d'unification ou d'harmonisation visant à éliminer les situations de double imposition n'a été adoptée, à ce jour, dans le cadre du droit communautaire (voir arrêt Kerckhaert et Morres, précité, point 22).
46 Si, dans le cadre de leurs compétences rappelées au point 27 du présent arrêt, les États membres ont conclu de nombreuses conventions bilatérales servant à éliminer ou à atténuer lesdits effets négatifs, il n'en demeure pas moins que la Cour n'est pas compétente, dans le cadre de l'article 234 CE, pour se prononcer sur la violation éventuelle des dispositions de telles conventions par un État membre contractant.
47 En effet, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 46 de ses conclusions, la Cour ne saurait examiner le rapport entre une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, et les dispositions d'une convention en vue d'éviter les doubles impositions, telle que la convention fiscale bilatérale, cette question ne relevant pas de l'interprétation du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2000, AMID, C-141-99, Rec. p. I-11619, point 18).
48 Contrairement à ce que prétend la requérante au principal, il ne ressort pas non plus des points 43 et 44 de l'arrêt du 26 octobre 1999, Eurowings Luftverkehr (C-294-97, Rec. p. I-7447), que les libertés de circulation garanties par le traité s'opposent à l'application d'une législation nationale telle que celle en cause au principal.
49 En effet, si la Cour, dans l'arrêt Eurowings Luftverkehr, précité, a jugé qu'un État membre ne saurait justifier l'application d'un prélèvement fiscal dans le chef de destinataires de services en raison de la fiscalité peu élevée à laquelle les prestataires de services étaient soumis dans un autre État membre, il s'agissait, dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, d'une législation nationale qui soumettait les prestataires de services établis dans l'État membre concerné à un traitement fiscal moins favorable que ceux établis dans d'autres États membres. Toutefois, dans l'affaire au principal, les sociétés telles que Columbus et les sociétés de personnes établies en Allemagne sont soumises, dans le chef de leurs associés, à un traitement fiscal qui ne repose pas sur une telle différence de traitement.
50 Columbus fait valoir en outre que les dispositions de l'AStG en cause au principal impliquent une distorsion du choix concernant l'établissement des sociétés dans différents État membres.
51 Comme il a été constaté au point 44 du présent arrêt, les États membres bénéficient, en l'état actuel de l'harmonisation du droit fiscal communautaire, d'une certaine autonomie. Il découle de cette compétence fiscale que la liberté des sociétés de choisir entre les différents États membres d'établissement n'implique nullement que ces derniers seraient obligés d'adapter leur propre système fiscal aux différents systèmes de taxation des autres États membres afin de garantir qu'une société ayant choisi de s'établir dans un État membre donné soit taxée, au niveau national, de la même manière qu'une société ayant choisi de s'établir dans un autre État membre .
52 Columbus fait valoir, par ailleurs, que les dispositions de l'AStG en cause au principal impliquent une distorsion du choix entre les différentes formes d'établissement. Ainsi, elle aurait échappé à l'application desdites dispositions si elle avait choisi de déployer ses activités en Belgique au moyen d'une filiale qui soit une société de capitaux, et non pas par l'intermédiaire d'un établissement tel que celui en cause au principal.
53 À cet égard, il y lieu de rappeler que l'autonomie fiscale, à laquelle il est fait référence aux points 44 et 51 du présent arrêt, implique également que les États membres sont libres de déterminer les conditions et le niveau d'imposition des différentes formes d'établissements des sociétés nationales opérant à l'étranger, sous réserve de leur accorder un traitement qui ne soit pas discriminatoire par rapport aux établissements nationaux comparables.
54 Au regard de l'ensemble de ces considérations et du principe de l'égalité de traitement fiscal entre les sociétés telles que Columbus, d'une part, et les sociétés de personnes établies en Allemagne, d'autre part, tel que rappelé au point 40 du présent arrêt, il y a lieu de conclure que les dispositions de l'AStG ne sont pas susceptibles d'être qualifiées de restriction à la liberté d'établissement au sens de l'article 43 CE.
Sur l'existence d'une restriction à la libre circulation des capitaux
55 Dans sa question, la juridiction de renvoi demande également si l'article 56 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal.
56 À cet égard, il suffit de rappeler que, ainsi qu'il ressort des considérations qui précèdent, une législation telle que celle en cause au principal ne comporte pas de discrimination à l'encontre d'assujettis d'un État membre auxquels sont imputés les bénéfices réalisés par des sociétés de personnes établies dans un autre État membre. Dès lors, la conclusion tirée au point 54 du présent arrêt vaut également à propos des dispositions relatives à la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 60).
57 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 43 CE et 56 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation fiscale d'un État membre en vertu de laquelle les revenus d'un résident national, issus de capitaux placés dans un établissement ayant son siège dans un autre État membre, sont, nonobstant l'existence d'une convention en vue d'éviter les doubles impositions conclue avec l'État membre du siège de cet établissement, non pas exonérés de l'impôt sur le revenu national, mais soumis à l'imposition nationale sur laquelle est imputé l'impôt prélevé dans l'autre État membre.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:
Les articles 43 CE et 56 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation fiscale d'un État membre en vertu de laquelle les revenus d'un résident national, issus de capitaux placés dans un établissement ayant son siège dans un autre État membre, sont, nonobstant l'existence d'une convention en vue d'éviter les doubles impositions conclue avec l'État membre du siège de cet établissement, non pas exonérés de l'impôt sur le revenu national, mais soumis à l'imposition nationale sur laquelle est imputé l'impôt prélevé dans l'autre État membre.