Livv
Décisions

Conseil Conc., 28 novembre 2007, n° 07-D-41

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques s'opposant à la liberté des prix des services proposés aux établissements de santé à l'occasion d'appels d'offres en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Berkani par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, Mme Béhar-Touchais ainsi que MM. Flichy, Piot, membres.

Conseil Conc. n° 07-D-41

28 novembre 2007

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 16 décembre 2003, sous le numéro 03/0090 F, par laquelle les docteurs X, Y et Z et la société Nordpathologie ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques visant à s'opposer à la liberté des prix des services proposés aux établissements publics de santé à l'occasion d'appels d'offres pour des examens anatomo-cyto-pathologiques ; Vu la décision du président du Conseil de la concurrence du 21 juin 2007, disposant que l'affaire fera l'objet d'une décision du Conseil sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français, par le Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins, par la société Centre de pathologie Liberté et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, les représentants de la société Nordpathologie, du Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français, du Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins et de la société Centre de pathologie Liberté entendus lors de la séance du 23 octobre 2007 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par leur lettre du 16 décembre 2003, les docteurs X, Y et Z, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de gérants de la société Nordpathologie (ci-après " Nordpathologie "), dénoncent les pressions exercées à l'occasion de marchés publics hospitaliers pour des prestations d'examens anatomo-cyto-pathologiques (ci-après les " examens ACP ") à l'encontre de la présentation d'offres tarifaires inférieures aux tarifs des prestations pris en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie. Dans leur saisine, ils dénoncent plus précisément deux actions concertées.

2. Ils dénoncent tout d'abord une entente révélée par les poursuites disciplinaires dont ils ont fait l'objet, engagées auprès du Conseil régional Nord Pas-de-Calais de l'Ordre des médecins (ci-après, le cas échéant, le " Conseil régional de l'Ordre ") par le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes (ci-après le " Syndicat national "), auquel se sont joints le Conseil départemental du Nord de l'Ordre des médecins (ci-après, le cas échéant, le " Conseil départemental de l'Ordre ") et la société Centre de pathologie Liberté (ci-après le " Centre de pathologie Liberté "). Ces poursuites auraient eu pour objet de s'opposer à leur politique tarifaire et donc de s'opposer à la libre fixation des prix en la matière. Elles illustreraient les pratiques anticoncurrentielles des demandeurs de ces actions disciplinaires et de leurs soutiens. En leur infligeant un blâme, le Conseil régional de l'Ordre aurait lui-même participé à une entente anticoncurrentielle en sortant de son champ de compétence.

3. Ils dénoncent ensuite la déclaration d'irrecevabilité par le Conseil départemental de l'Ordre du contrat de collaboration conclu entre leur société et le centre hospitalier de Seclin, au motif qu'il comporte une offre chiffrée avec diminution par rapport à la valeur de lettre clé " P " des actes de nomenclature, décision qui procèderait du même processus d'entente anticoncurrentielle.

B. LE SECTEUR

1. LA PRESTATION CONCERNÉE : LES EXAMENS ANATOMO-CYTO-PATHOLOGIQUES

a) Définition générale

4. L'anatomo-cyto-pathologie (ci-après l'" ACP ") est une spécialité médicale qui étudie les lésions et modifications morphologiques des organes au cours des processus pathologiques. Un examen ACP est une interprétation humaine d'un prélèvement cellulaire (étude cytologique) ou tissulaire (étude histologique) par diverses méthodes, basées sur l'analyse sémiologique, effectuée exclusivement par des médecins spécialistes de cette discipline, à l'œil nu ou au microscope. Les examens réalisés sont variés (étude de grains de beauté, frottis du col utérin, ponction du sein, biopsie, étude de pièces opératoires chirurgicales, autopsie...) et peuvent devoir être réalisés dans un court délai (examens extemporanés).

5. Les examens ACP contribuent à l'élaboration des diagnostics et des traitements, à l'évaluation des effets thérapeutiques (en permettant de juger de l'évolution des lésions) ; ils sont utiles dans le cadre de maladies rares et de greffes mais surtout pour le dépistage de différents cancers.

b) Évolution de la spécialité

6. L'ACP relevait initialement du régime des analyses de biologie médicale et s'en est distinguée progressivement. Elle est devenue une spécialité médicale depuis que la loi n° 95-116 du 4 février 1995 a modifié l'article L. 6211-8 du Code de la santé publique, qui exclut depuis les actes ACP de la qualification d'analyse de biologie médicale. Les actes ACP sont désormais des actes médicaux à part entière. La spécialité peut cependant toujours être exercée en laboratoire. Les anatomo-cyto-pathologistes sont toujours des médecins spécialistes de cette discipline, titulaires d'un doctorat en médecine ainsi que d'un diplôme d'études spécialisées (DES) d'anatomie pathologique humaine (diplôme obtenu en internat, après spécialisation). Jusqu'en 1986, il était possible à tout médecin de passer, à tout moment de sa carrière, un certificat d'études spécialisées (CES) d'anatomie pathologique. En novembre 2004, il existait environ 1 500 spécialistes d'ACP.

2. LA DEMANDE EN EXAMENS ANATOMO-CYTO-PATHOLOGIQUES

a) La demande privée

7. Les prélèvements et analyses ACP peuvent être prescrits dans le cadre de la médecine de ville par un médecin généraliste ou spécialiste (dermatologue, gynécologue, urologue...) quand il n'a pas lui-même la qualification d'anatomo-cyto-pathologiste. L'acte est alors payé par le patient au médecin ACP. Les médecins ACP exercent également dans le cadre de conventions avec des cliniques privées. Dans ce cas, les honoraires sont recouvrés au nom et pour le compte du médecin ACP par la clinique qui encaisse les honoraires et les reverse au médecin ACP qui paye ensuite une rétrocession.

b) La demande de centres hospitaliers publics (ci-après, les " centres hospitaliers ")

8. Les centres hospitaliers recourant aux services de médecins extérieurs pour les examens ACP sont de petites et moyennes structures arbitrant, notamment en fonction du nombre et de la régularité des examens ACP dans leur activité, entre créer un service interne en rémunérant un ou plusieurs spécialistes ou externaliser cette prestation. Les besoins exprimés et les sommes engagées ne sont pas toujours importants et les différents centres hospitaliers recourent selon les cas à des conventions négociées ou à des appels d'offres. A cette demande répondent des médecins, exerçant seuls ou à plusieurs, des laboratoires d'analyses ainsi que des centres hospitaliers disposant d'un service spécialisé.

3. LES RÈGLES DÉONTOLOGIQUES APPLICABLES AUX EXAMENS ANATOMO-CYTO- PATHOLOGIQUES

9. Le Code de la sécurité sociale et le Code de la santé publique contiennent un certain nombre de principes déontologiques que les médecins sont tenus de respecter.

10. L'article L. 162-2 du Code de la sécurité sociale dispose ainsi : " Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d'installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971 ".

11. Par ailleurs, l'article L. 4113-5 du Code de la santé publique énonce qu'" '[i]l est interdit à toute personne ne remplissant pas les conditions requises pour l'exercice de la profession de recevoir, en vertu d'une convention, la totalité ou une quote-part des honoraires ou des bénéfices provenant de l'activité professionnelle d'un membre de l'une des professions régies par le présent titre ".

12. Enfin, l'article L. 4127-1 du Code de la santé publique prévoit qu'" [u]n Code de déontologie, propre à chacune des professions de médecin, chirurgien-dentiste et sage- femme, préparé par le Conseil national de l'ordre intéressé, est édicté sous la forme d'un décret en Conseil d'Etat ".

13. Le décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale a été codifié aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112 du Code de la santé publique. Les articles suivants du Code de déontologie médicale ont été évoqués lors des débats et contentieux examinés dans la présente affaire :

Article 19 : " La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ".

Article 22 : " Tout partage d'honoraires entre médecins est interdit (...) "

Article 23 : " Tout compérage entre médecins, entre médecins et pharmaciens, auxiliaires médicaux et toutes autres personnes physiques ou morales est interdit. "

Article 24 : " Sont interdits au médecin :

- tout acte de nature à procurer au patient un avantage matériel injustifié ou illicite ;

- toute ristourne en argent ou en nature, toute commission à quelque personne que ce soit ;

- en dehors des conditions fixées par l'Article L. 4113-6 du Code de la santé publique, la sollicitation ou l'acceptation d'un avantage en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, pour une prescription ou un acte médical quelconque. "

Article 53 : " Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières "

Article 67 : " Sont interdites au médecin toutes pratiques tendant à abaisser, dans un but de concurrence, le montant de ses honoraires. Il est libre de donner gratuitement ses soins. "

C. LES ENTREPRISES ET ORGANISMES CONCERNÉS

1. LE SYNDICAT NATIONAL DES MÉDECINS ANATOMO-CYTO-PATHOLOGISTES FRANÇAIS

14. Le Syndicat national est un syndicat professionnel affilié à la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Il a été créé il y a plus de 30 ans, et est, selon lui, le syndicat représentatif unique de la profession. En 2004, il comptait environ 950 adhérents, dont la moitié exerce en secteur privé et l'autre moitié en secteur hospitalier, sur environ 1 450 médecins ACP.

15. D'après ses statuts, le Syndicat national a pour objet d'étudier toutes les questions professionnelles se rapportant à la spécialité, de défendre les intérêts professionnels, moraux et matériels de ses membres et de leur assurer aide et protection dans l'exercice de leur profession, entre eux et dans leurs rapports avec les particuliers et les collectivités publiques ou privées.

2. L'ORDRE NATIONAL DES MÉDECINS

16. L'article L. 4121-1 du Code de la santé publique dispose : " L'Ordre national des médecins (...) group[e] obligatoirement tous les médecins (...) habilités à exercer ".

17. Selon l'article L. 4121-2 du même Code, il a pour fonction de " veille[r] au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine (...) et à l'observation par tous [ses] membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le Code de déontologie prévu à l'article L. 4127-1 ", " d'assure[r] la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession médicale ". Ce même article précise enfin que l'Ordre national " accompl[it] [sa] mission par l'intermédiaire des Conseils départementaux, des Conseils régionaux ou interrégionaux et du Conseil national de l'Ordre ".

18. L'organisation de l'Ordre présentée ci-après était celle existante au moment des faits.

a) Le Conseil national

19. Le Conseil national de l'Ordre est composé de plusieurs sections, dont deux sont concernées par la présente affaire.

20. La section " exercice professionnel " a, entre autres, pour attribution d'émettre des avis, Conseils ou informations d'ordre juridique et déontologique aux Conseils départementaux et aux médecins, notamment sur les modalités d'exercice de la médecine et la réglementation.

21. La section disciplinaire est la juridiction d'appel des décisions des Conseils régionaux de l'Ordre qui sont les instances disciplinaires de première instance. Cette section est présidée par un membre du Conseil d'État. Elle peut confirmer, réformer ou annuler les décisions des Conseils régionaux de l'Ordre.

b) Le Conseil régional Nord Pas-de-Calais de l'Ordre

22. Le Conseil régional de l'Ordre a pour mission principale de se prononcer en première instance en matière disciplinaire à la suite de plaintes. Il assure également les fonctions de représentation de la profession dans la région et de coordination des Conseils départementaux.

23. Il peut être saisi notamment par le Conseil national, par les Conseils départementaux ou par les syndicats médicaux, agissant de leur propre initiative ou à la suite de plaintes. Il ne peut pas s'auto-saisir. Il peut prendre des mesures disciplinaires à l'encontre de médecins, telles qu'un blâme, sanction qui a pour conséquence de priver du droit de faire partie des instances ordinales pendant une durée allant jusqu'à trois ans.

c) Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre

24. Le Conseil départemental de l'Ordre exerce, sous le contrôle du Conseil national de l'Ordre, les attributions définies à l'article L. 4121-2 du Code de la santé publique. Dans ce cadre, il a notamment pour attribution d'assurer le respect des lois et règlements qui régissent l'Ordre et l'exercice de la profession. En matière disciplinaire, le Conseil départemental n'a pas de pouvoir de décision mais est habilité à saisir le Conseil régional de l'Ordre, de sa propre initiative ou à la suite d'une plainte.

25. Le Conseil départemental établit et tient à jour un tableau où sont inscrits tous les médecins exerçant dans le département. Cette inscription est obligatoire à l'exercice d'une activité médicale. Les médecins doivent communiquer au Conseil départemental les contrats et avenants ayant pour objet l'exercice de leur profession, obligatoirement passés par écrit, dans le mois suivant leur conclusion. Le défaut de rédaction ou de communication de ces contrats constitue une faute susceptible d'entraîner une sanction disciplinaire ou de motiver un refus d'inscription au tableau de l'Ordre. Le Conseil départemental examine les contrats communiqués et peut refuser leur inscription au tableau s'ils sont incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver le médecin de son indépendance.

3. LA SELARL NORDPATHOLOGIE

26. La société Nordpathologie est une société d'exercice libéral à responsabilité limitée de médecins spécialisés en anatomo-cyto-pathologie immatriculée le 14 janvier 2000. Elle était composée en 2004 de neuf médecins associés, tous spécialisés en anatomo-cyto- pathologie, dont les docteurs X, Y et Z. Nordpathologie a notamment repris l'activité d'anatomo-cyto-pathologie de la SCP Lelarge et associés, laboratoire de biologie médicale qui était une structure mixte exerçant à la fois une activité médicale et une activité biologique. Son activité est essentiellement régionale (Nord Pas-de-Calais). Son chiffre d'affaires s'est élevé à 5 790 902 euro au 31 décembre 2005.

4. LE CENTRE DE PATHOLOGIE LIBERTÉ

27. La société Centre de pathologie Liberté est une société d'exercice libéral à responsabilité limitée de médecins immatriculée le 1er janvier 1998. Elle est composée de quatre médecins et de vingt-deux salariés et dispose de deux sites d'exploitation, l'un à Lille et l'autre à Arras. Elle exerce dans l'ensemble de la région Nord Pas-de-Calais. Le Centre de pathologie Liberté est adhérent du Syndicat national depuis sa création en 1998. Son chiffre d'affaires s'élève à 2 763 897 euro en 2006.

D. LES FAITS CONSTATÉS

1. LE COMPORTEMENT DU SYNDICAT NATIONAL

28. Le 3 juillet 1996, le Syndicat national a établi et diffusé un document intitulé " Relations entre anatomo et cytopathologistes libéraux et hôpitaux " (côte 235) ainsi rédigé : " L'article L. 760 du Code de la santé publique prévoit la possibilité de passer des accords ou conventions notamment avec les établissements hospitaliers publics pour les personnes, sociétés et organismes qui exploitent un laboratoire d'analyses de biologie médicale.

En dehors de ces cas, ils ne peuvent consentir de ristournes pour les analyses dont ils sont chargés.

Les médecins spécialistes en anatomie et cytologie pathologiques exerçant en cabinet, en raison de l'article L. 761-11, 7°, sont exclus du champ d'application de l'article L. 760 et ne peuvent donc en bénéficier.

Pour cette raison et conformément au Code de déontologie (article 24), ils ne peuvent consentir de ristournes.

La loi n° 95-116 du 4 février 1995 (article 29) en modifiant l'article L. 753 du Code de la santé publique a exclu définitivement les actes d'anatomie et de cytologie pathologiques de la définition des analyses et examens biologiques.

C'est pourquoi les médecins spécialistes en anatomie et cytologie pathologiques exerçant en laboratoire, n'effectuant plus des analyses prestations de services mais des actes médicaux, ne peuvent plus, conformément au Code de déontologie, consentir de ristournes.

Les deux modes d'exercice de l'anatomie et cytologie pathologiques sont désormais à égalité de droits et devoirs dans ce domaine.

Tous les médecins spécialistes en anatomie et cytologie pathologiques peuvent présenter des propositions en réponse de l'appel d'offres ouvert d'un centre hospitalier, dans le cadre de conventions, qui comme pour les cliniques privées, prévoient un remboursement des frais réels engagés par l'établissement et dont il doit justifier, pour l'exercice du médecin anatomo-cyto-pathologiste ; il est admis que ces frais puissent être exprimés sous forme de pourcentage d'honoraires et qu'ils n'excèdent généralement pas 5% (mais ces frais peuvent évidemment varier en fonction des services fournis par l'hôpital : mise à disposition de locaux, personnel, matériel, fournitures, etc.).

Les conventions doivent être soumises à l'Ordre Départemental des Médecins. "

29. Le 12 novembre 1996, le Syndicat national a adressé au directeur du centre hospitalier de Cahors un courrier (côte 1318) reprenant presque à l'identique les termes du document précédent et précisant en outre : " La procédure de l'appel d'offres doit être remplacée par une convention entre le centre hospitalier et le médecin anatomo-cyto-pathologiste libéral (cabinet ou laboratoire) ; ce dernier ne devra consentir aucune " ristourne " mais uniquement un remboursement des frais réels engagés par l'hôpital (et dont il doit justifier) pour l'exercice du médecin anatomo-cyto-pathologiste ; il est admis que ces frais puissent être exprimés sous forme de pourcentage d'honoraires et qu'ils n'excèdent généralement pas 5 % (mais ces frais peuvent évidemment varier en fonction des services fournis par l'hôpital : mise à disposition de locaux, personnel, matériel, fournitures, etc...).

Les conventions doivent être soumises à l'Ordre Départemental des Médecins.

J'avise ce jour les Docteurs (...) de se mettre rapidement en conformité avec la loi dans leurs relations avec votre hôpital. "

30. Le 23 avril 1997, le Syndicat national a établi et diffusé un document intitulé " Relations entre anatomo et cytopathologistes libéraux et hôpitaux " (côte 227) rédigé de manière identique à celui du 3 juillet 1996, présenté au paragraphe précédent.

31. Dans un compte-rendu de réunion du Conseil d'administration du Syndicat national (côte 236), il est fait mention des éléments suivants : " b) Appels d'offres : Le Syndicat National des Médecins ACP a été également avisé par les docteurs [X et Y], médecins spécialistes en ACP exerçant à (...), de la décision de la Commission d'Appels d'Offre du centre hospitalier de (...) d'attribuer une partie des lots relatifs aux examens anatomo-cyto-pathologiques au laboratoire parisien (...).

Il est formellement rappelé que la loi n° 95-116 du 4 février 1995, en modifiant l'article L. 753 du Code de la santé publique a exclu définitivement les actes d'ACP de la définition des analyses de biologie médicale.

Compte-tenu des modifications de l'article L. 761-11, 7° (pour les médecins exerçant en cabinet) et de l'article L. 753 (pour les médecins exerçant en laboratoire) et compte-tenu du Code de déontologie, les ACP ne peuvent plus, de ce fait, consentir aucune ristourne et répondre à des appels d'offres.

J.P. A rappelle les recommandations du Syndicat de remplacer ces procédures par des conventions (visées par l'Ordre Départemental des Médecins) entre les centres hospitaliers et les médecins libéraux prévoyant un remboursement de frais réels, sur justificatifs, par les centres hospitaliers.

Le Conseil d'Administration, devant cette situation, décide de soutenir l'action engagée par les Docteurs [X et Y] et demande au Président d'intervenir auprès du Préfet du département.

Il est également décidé de saisir un avocat. Une consultation écrite sera sollicitée auprès de Maître (...). "

32. Le 27 juillet 1998, le Syndicat national a diffusé un document (côtes 237 à 240) intitulé : " LES MEDECINS ANATOMO-CYTO-PATHOLOGISTES ET LES APPELS D'OFFRES DES HOPITAUX ET DES ORGANISMES D'ASSURANCE MALADIE ", composé de quatre pages ainsi rédigées :

Page 1 :

" AVERTISSEMENT

Devant la multiplication des affaires et contestations concernant la procédure d'appel d'offres, le Syndicat a sollicité l'avis d'un éminent juriste, le Professeur (...).

Vous trouverez dans la " conduite à tenir " ci-après, la position officielle du Syndicat National des Médecins Anatomo-Cyto-Pathologistes.

Vous devrez donc désormais tenir compte de ces recommandations pour l'établissement de tout nouveau contrat ou pour la modification éventuelle de contrats en cours.

Si l'ensemble des médecins anatomo-cyto-pathologistes respecte ces recommandations, on peut espérer revenir à des pratiques plus conformes aux exigences de la qualité des soins et de la maîtrise des dépenses.

En cas de plainte motivée d'un anatomo-cyto-pathologiste contre le non-respect de ces recommandations, le Syndicat s'associera aux actions juridiques entreprises par le plaignant. "

Page 2 :

" Conduite à tenir

.. ETAT DES LIEUX

- Les hôpitaux : Les marchés des hôpitaux portant sur des actes médicaux, dont font partie les actes d'anatomie et de cytologie pathologiques (ACP), sont soumis aux règles du Code des marchés publics. En principe, la procédure d'appel d'offres n'est obligatoire que pour les marchés d'un montant supérieur à 700 000 MF, mais, en pratique, elle est fréquemment utilisée même lorsque le montant est inférieur.

- Les médecins anatomo-cyto-pathologistes :

Anatomo-cyto-pathologistes en cabinet

ils sont exclus du champ d'application de l'article L. 760 alinéa 1er du Code de santé publique qui ne vise que les laboratoires,

ils ne peuvent accorder des ristournes sur les tarifs de la nomenclature,

ils ne peuvent déroger par convention à la nomenclature des actes de biologie médicale qui a un caractère obligatoire et qui s'impose à toutes les professions médicales,

les ristournes leur sont interdites par le Code de déontologie (articles 19, 23, 24, 57),

pour ces motifs, il est donc formellement déconseillé aux anatomo-cyto-pathologistes en cabinet de répondre aux appels d'offres lancés par les hôpitaux.

En cas de non-respect des dispositions précitées du Code de déontologie, le médecin s'expose, notamment, à des poursuites disciplinaires devant la section des assurances sociales des Conseils de discipline de l'Ordre. "

Page 3 :

" Anatomo-cyto-pathologistes en laboratoire

Les laboratoires qui pratiquent des actes d'ACP (comme unique activité ou dans le cadre d'une activité polyvalente) relèvent du champ d'application de l'article L. 760 alinéa 1° du Code de la santé publique ; ils peuvent donc théoriquement passer des marchés avec des établissements hospitaliers ou des organismes d'assurance maladie et consentir des ristournes, mais comme tous les médecins, les médecins ACP qui exercent en laboratoire et qui ne pratiquent plus d'analyses (loi du 04/02/1995) sont tenus au respect des dispositions du Code de déontologie, qui sont d'ordre public.

La possibilité d'accorder des ristournes prévues à l'article L. 760 alinéa 1er du Code de santé publique doit donc être conciliée avec le respect des principes posés par le Code de déontologie qui interdit la pratique de la médecine comme un commerce (article 19), le compérage (article 23), l'octroi de toute ristourne (article 24) et le détournement de clientèle (article 57).

La sanction du non-respect de ces dispositions est l'engagement de poursuites disciplinaires et une éventuelle annulation du marché par le juge administratif pour illégalité du critère de choix et du contrat.

D'où les recommandations ci-dessous.

.. LES RECOMMANDATIONS DU SYNDICAT NATIONAL DES MEDECINS ANATOMO-CYTO-PATHOLOGISTES FRANÇAIS

Les médecins ACP, quelque soit leur mode d'exercice, ne doivent pas répondre à l'appel d'offres, pour qu'il soit ainsi déclaré "infructueux" ; mais ils peuvent ensuite présenter des contre-propositions sous forme d'une convention, qui, comme pour les cliniques privées, prévoit via remboursement des frais réels engagés par l'établissement pour l'exercice du médecin ACP ; il est admis que ces frais puissent être exprimés sous forme d'un pourcentage d'honoraires et qu'ils n'excèdent généralement pas 5 % ; mais ces frais peuvent évidemment varier en fonction des services fournis par l'établissement et dont il doit justifier. "

Page 4 :

" La Convention devra donc préciser ce que les parties entendent par " frais réels " ainsi que le mode de calcul du % et les circonstances dans lesquelles ce % peut être amené à varier.

Il convient également de rappeler dans le texte les principes d'indépendance et de dignité du médecin.

Il est nécessaire de soumettre à l'Ordre des Médecins tout projet de contrat susceptible d'être passé avec un hôpital ou une clinique.

Il est obligatoire de communiquer à l'Ordre des Médecins la convention après signature. "

33. Cet avertissement a fait l'objet d'un rectificatif du 16 novembre 1998 intitulé " informations professionnelles " (côte 226) :

" .. RECTIFICATIF IMPORTANT CONCERNANT LES APPELS D'OFFRES DES HOPITAUX

Contrairement à ce qui a été dit dans l'avertissement du 27 juillet 1998, compte tenu du fait que les recommandations syndicales ne sont pas forcément respectées (...) par tous, et pour ne pas faire courir le risque d'être évincé d'un " marché " pour défaut de candidature, il est conseillé

* de répondre aux appels d'offres des hôpitaux en remplissant les documents régis par le Code des marchés publics,

* de présenter une offre conforme, mais respectant le Code de déontologie (rétrocession d'honoraires uniquement pour services fournis par l'hôpital). "

34. La circulaire n° 69-01/04 du Syndicat national du 25 avril 2001 (côte 2988) rend compte d'un jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 12 mars 1998 (côtes 2972 à 2992) dans les termes suivants : " Il est rappelé que dans les réponses aux appels d'offres, les médecins peuvent proposer des reversements d'honoraires, pour des services réellement rendus par l'Etablissement au bénéfice du praticien, dont il doit justifier et qui peuvent être exprimés sous forme d'un pourcentage. Tout ACP évincé d'un marché irrégulièrement attribué sur des critères de ristournes, peut attaquer la décision devant le tribunal administratif (le Syndicat à l'Avocat qualifié pour cette procédure!) et le Syndicat pourra attaquer l'attributaire du marché devant le Conseil régional de l'Ordre des Médecins ".

35. Le 25 avril 2001 sont apportées des modifications (côtes 2473 à 2477) aux pages 3 et 4 de l'avertissement du 27 juillet 1998 présenté ci-avant. On lit en page 3, in fine : " il est admis que ces frais puissent être exprimés sous forme d'un pourcentage d'honoraires ; ces frais peuvent évidemment varier en fonction des services fournis par l'établissement et dont il doit justifier " et en page 4 : " La Convention devra donc préciser ce que les parties entendent par "frais réels " ainsi que le mode de calcul du % et les circonstances dans lesquelles ce % peut être amené à varier. Concernant les frais, vous trouverez en annexe un document établi par le Syndicat des Médecins de l'Hospitalisation Privée (SYMHOP- CSMF). Il convient également de rappeler dans le texte les principes d'indépendance et de dignité du médecin. Il est nécessaire de soumettre à l'Ordre des Médecins tout projet de contrat susceptible d'être passé avec un hôpital ou une clinique. Il est obligatoire de communiquer à l'Ordre des Médecins la convention après signature ". Le document SYMHOP-CSMF communiqué par le Syndicat national auquel il est fait référence est un document intitulé " remboursement des frais engagés par l'établissement pour le compte des praticiens dans les établissements d'hospitalisation privée ou " redevances " qui indique, soit des fourchettes exprimées en pourcentage d'honoraires pour certaines prestations, soit des types de prestations qui doivent être facturées en fonction de leur coût.

36. Le 15 mars 2002, le Syndicat national a envoyé le courrier suivant au secrétaire général du Conseil départemental de l'Ordre (côte 3017) : " Ayant été sollicité par un confrère évincé d'un marché public (Hôpital d'Arras), le Syndicat National des Médecins Anatomo-Cyto-Pathologiste souhaiterait savoir si le Conseil de l'Ordre des Médecins du Nord a bien été destinataire du contrat liant l'Hôpital d'Arras et l'attributaire du marché, le Laboratoire Nordpathologie (...) de Lille. Dans l'affirmative, votre Conseil pourrait-il nous préciser si les conditions du marché ont bien été réalisées en conformité avec le Code de déontologie (ristourne ? pourcentage?). Dans le cas contraire, le Syndicat envisagerait une action auprès du Conseil régional de l'Ordre. "

37. Le 21 juin 2002, le Conseil d'administration du Syndicat national a accédé à la demande du Centre de pathologie Liberté de déposer plainte auprès du Conseil régional de l'Ordre à l'encontre des médecins de Nordpathologie en raison de l'acte d'engagement et de l'offre chiffrée consentis à l'hôpital d'Arras lors de la passation d'un marché public. Le Syndicat national a effectivement porté plainte le 5 juillet 2002.

38. Dans des comptes rendus de réunions du Conseil d'administration du Syndicat national des 13 décembre 2002 et 23 mai 2003, quasiment identiques, il est fait référence à un arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille du 18 juin 2002 et à des discussions avec la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes en ces termes (côtes 2318 à 2323) : " Un jugement rendu par le Tribunal de Marseille et faisant jurisprudence, confirme la Liberté des prix dans le secteur public et de ce fait la légalité des ristournes dans le cadre des marchés publics. Désormais les recours du Syndicat ou de l'Ordre des Médecins n'ont aucune chance d'aboutir ". La circulaire syndicale n° 81-02/12 datée du 20 décembre 2002 (côte 2391) expose : " La nouvelle jurisprudence rend parfaitement licite la procédure de l'appel d'offres pour les marchés publics de l'ACP et permet donc les ristournes puisque les prix sont libres à l'Hôpital (ce qui n'est pas le cas en ville). Désormais, ni l'Ordre des Médecins ni les Syndicats ne peuvent s'opposer juridiquement à cette pratique. "

39. La question a encore été débattue lors des réunions du Conseil d'administration des 26 juin, 10 juillet et 12 décembre 2003 et du 7 mai 2004. Le 6 janvier 2004, à la suite de la décision du Conseil régional de l'Ordre infligeant un blâme aux médecins de Nordpathologie, puis du recours en annulation exercé contre cette décision par ceux-ci devant la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre, le Syndicat national a déposé des observations devant cette section et a été présent à l'audience du 14 janvier 2004.

40. Un responsable du Syndicat national a déclaré aux services d'enquête (côtes 2282 à 2286) le 26 février 2006 : " Le syndicat n'a pas pris de mesure particulière d'information des adhérents consécutivement à la décision de la Cour administrative d'appel de Marseille en date du 18 juin 2002. Le syndicat préconise à ses adhérents de répondre aux appels d'offres et de majorer de 5 % les actes au titre des frais engagés, voire plus si ces frais peuvent être justifiés. Le syndicat n'émet aucune recommandation en ce qui concerne la facturation sur la base de la lettre P. Le Code de déontologie interdit la pratique de rabais ou ristournes sur les actes médicaux. Seule la rétrocession d'honoraires est possible si l'hôpital fournit un service, ce qui n'est jamais ou pratiquement jamais le cas. (...) Dans certaines régions, les médecins ne suivent pas les consignes syndicales. Dans ce cas, ça se passe mal, les confrères s'entendent mal entre eux (...) ".

2. LE COMPORTEMENT DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DU NORD DE L'ORDRE DES MÉDECINS

41. Le 25 juin 2001, le Conseil départemental de l'Ordre a transmis au Centre de pathologie Liberté une note d'un cabinet d'avocat exposant que l'activité médicale exclut par nature le recours à la technique du marché et aux pratiques de remise accompagnée d'une annexe ainsi rédigée (côtes 2805 à 2808) :

" CODES DE DEONTOLOGIE MEDICALE ET DE LA SANTE PUBLIQUE

(Extraits concernant les Remises sur les Actes Médicaux)

* Code de déontologie Médicale :

- Article 19 : La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce.

- Article 23 : Tout compérage entre Médecins, entre Médecins et Pharmaciens, Auxiliaires Médicaux et toutes autres personnes physiques ou morales est interdit.

- Article 24 : Sont interdits au Médecin :...

....- Toute Ristourne en argent ou en nature, toute commission à quelque personne que ce soit :

- En dehors des conditions fixées par l'Article L. 365-1 du Code de la santé publique, la sollicitation ou l'acceptation d'un avantage en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, pour une Prescription ou un Acte Médical quelconque.

- Article 67 : sont interdites au médecin toutes pratiques tendant à abaisser, dans un but de concurrence, le montant de ses honoraires.

Il est libre de donner gratuitement ses soins.

* Code de la santé publique:

- L. 365 : Il est interdit à toute personne ne remplissant pas les conditions requises pour l'exercice de la Profession de recevoir, en vertu d'une Convention, la totalité ou une quote-part des honoraires ou des bénéfices provenant de l'Activité Professionnelle d'un membre de l'une des Professions régies par le présent titre, Médecin, Chirurgien Dentiste ou Sage-femme.

* La loi est donc précise pour tout Médecin inscrit à l'Ordre, il est interdit de proposer des Remises. "

42. Ces documents ont été envoyés aux centres hospitaliers de Seclin et d'Arras par le Centre de pathologie Liberté.

43. Le 4 janvier 2002, le Conseil départemental de l'Ordre a adressé au Centre de pathologie Liberté le courrier suivant (côte 2809) : " vous nous interrogiez sur la légalité de la passation d'un marché public qui porterait sur des actes médicaux.

La réponse mérite d'être nuancée : l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et de la concurrence est applicable aux actes médicaux. Un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 avril 1992, statuant sur l'appel d'une décision du Conseil de la concurrence, est sans ambiguïté sur ce point. Il apparaît donc difficile d'exclure, d'emblée et sans discussion, les actes médicaux du champ d'application du Code des marchés publics alors que celui-ci s'applique à tous les services sans exception. Une jurisprudence, maintenant bien établie, fait figurer les actes médicaux dans la catégorie des services.

Il n'est pas moins vrai que la passation de marchés publics portant sur des actes médicaux s'avère incompatible avec le principe du libre choix et l'interdiction de partage des honoraires entre médecins et non-médecins (art. L. 4113-5 du Code de santé publique). Elle est également peu adaptée à l'intuitu personae qui gouverne l'exercice médical.

En tout état de cause, tout marché public doit être notifié au Conseil départemental de l'Ordre des médecins en vertu de l'article L. 4113-9 et 10 du Code de la santé publique et 84 du Code de déontologie médicale.

Il appartiendra alors au Conseil départemental de s'assurer que les conditions de marché ne portent pas atteinte à l'indépendance professionnelle du médecin et au libre choix du patient. Du point de vue tarifaire, il va de soi que le médecin ne peut accepter des prix inférieurs à ceux résultant de la nomenclature générale des actes professionnels et de la valeur des lettres clés.

Ceci le mettrait en contradiction avec les articles 19, 24, 57 et 67 du Code de déontologie médicale. Ainsi en a d'ailleurs jugé un tribunal administratif qui a annulé un marché public pour violation du Code de déontologie médicale (ci-joint l'extrait du jugement) ".

44. Par ailleurs, le Conseil départemental de l'Ordre a publié dans son bulletin des développements sur les bonnes pratiques médicales, notamment consacrés au partage des honoraires des médecins (côtes 2813 à 2815) : " D'instauration plus récente, la passation de marchés par les hôpitaux publics auprès des médecins paraît légitime dans la mesure où les actes médicaux sont assimilables à des services rendus par les médecins à l'hôpital, et que ce dernier est habilité par le Code des Marchés Publics à passer des marchés pour la fourniture de tous services sans exception. Cependant toute passation de marché doit respecter les Codes de santé publique et de déontologie médicale qui prohibent le partage des honoraires médicaux. L'acceptation de toute ristourne est donc interdite : un médecin ne peut accepter des prix inférieurs à ceux résultant de la Nomenclature Générale des Actes Professionnels et de la valeur des lettres-clés. Un arrêt d'un tribunal administratif a d'ailleurs annulé récemment un marché public pour violation du Code de déontologie Médicale car un médecin avait promis un rabais sur ses prestations ".

45. Par décision du 24 octobre 2002, le Conseil départemental de l'Ordre s'est associé à la procédure disciplinaire initiée par le Syndicat national devant le Conseil régional de l'Ordre à l'encontre de Nordpathologie pour violation des articles 19 et 24 du Code de déontologie médicale.

46. Le 16 octobre 2003, la commission des contrats du Conseil départemental de l'Ordre a fait savoir à Nordpathologie qu'elle estimait le contrat de collaboration de celle-ci avec le centre hospitalier de Seclin " irrecevable ", au motif que l'offre chiffrée comprenait une diminution de 15 % par rapport à la valeur de la clé P des actes de nomenclature (côte 45).

47. Le 6 janvier 2004, à la suite de la décision du Conseil régional de l'Ordre infligeant un blâme à Nordpathologie, puis du recours exercé par celle-ci contre cette décision devant la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre, le Conseil départemental a déposé des observations devant cette section disciplinaire.

3. LE COMPORTEMENT DU CONSEIL RÉGIONAL NORD PAS-DE-CALAIS DE L'ORDRE DES MÉDECINS

48. Le 14 juin 2003, à la suite de la plainte du Syndicat national, à laquelle se sont associés le Centre de pathologie Liberté et le Conseil départemental de l'Ordre, le Conseil régional de l'Ordre a infligé un blâme à l'encontre de chacun des gérants de Nordpathologie en relevant : " (...) [i]l s'agit incontestablement d'un acte médical. Il ne peut cependant être fait grief à la SELARL Nordpathologie d'avoir concédé une rétrocession d'honoraires, pratique qui n'est pas contraire à la déontologie médicale. Il ressort des pièces versées aux débats, qu'en la matière, la rétrocession d'honoraires est de l'ordre de 5 %. La SELARL Nordpathologie ne justifie pas que "les services rendus" équivalent à une rétrocession d'honoraires de l'ordre de 15 % ; la détermination d'un tel pourcentage, sans que la réalité et la portée du service rendu puissent être déterminées, s'apparente à des pratiques commerciales et constitue dès lors un manquement à l'article 19 du Code de déontologie " (côtes 25 à 31).

4. LE COMPORTEMENT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS

49. N'est relatée ici que l'action non disciplinaire du Conseil national de l'Ordre. Le secrétaire général du Conseil national de l'Ordre a envoyé au Conseil départemental du Nord de l'Ordre, le 2 juillet 1998, un courrier (côte 2800) dans lequel il est indiqué :

" Par courrier du 29 mai 1998, vous nous interrogez sur la légalité de la passation d'un marché public qui porterait sur des contrats médicaux (examens nucléaires).

(...) il apparaît difficile d'exclure, d'emblée et sans discussion, les actes médicaux du champ d'application du Code des marchés publics alors que celui-ci s'applique à tous les services sans exception. Une jurisprudence, aujourd'hui bien établie, fait en effet figurer les actes médicaux dans la catégorie des services.

Cependant, comme vous l'avez vous-même relevé, la passation des marchés publics portant sur les actes médicaux peut s'avérer incompatible avec le principe du libre choix et l'interdiction de partage des honoraires entre médecins et non-médecins. Elle est également peu adaptée à l'intuitu personae qui gouverne l'exercice médical.

Le marché public doit, en tout état de cause (et comme cela a été fait), être notifié au Conseil départemental de l'Ordre des médecins en vertu des articles L. 462 du Code de la santé publique et 84 du Code de déontologie médicale. Il appartient alors au Conseil départemental de s'assurer que les conditions de marché ne portent pas atteinte à son indépendance professionnelle ni au libre choix du patient.

Du point de vue tarifaire, il va de soi que le médecin ne peut accepter des prix inférieurs à ceux résultant de la nomenclature générale des actes professionnels et de la valeur des lettres clés. Ceci le mettrait en contradiction avec les articles 19, 24, 57 et 67 du Code de déontologie médicale. "

50. Le 26 février 2002, un courrier similaire (côtes 3051 et 3052), co-signé par le président adjoint de la section d'exercice professionnel, a été adressé au Conseil départemental du Pas-de-Calais de l'Ordre, lui-même sollicité par le Centre de pathologie Liberté.

51. La section d'exercice professionnel du Conseil national de l'Ordre a également envoyé au Conseil départemental du Nord de l'Ordre, le 4 juillet 2002, un courrier comportant les éléments qui suivent (côtes 127 et 128) : " Si nous continuons comme par le passé à affirmer le caractère anti-déontologique de marchés publics obtenus par des médecins au prix de ristournes qui peuvent dans certains cas être particulièrement importantes, nous sommes aujourd'hui troublés par une décision de la Section disciplinaire qui a relaxé des médecins anatomo-cyto-pathologistes poursuivis pour avoir conclu de tels marchés.

Certes, cette décision dont vous trouverez ci-joint, copie peut apparaître spécifique à la discipline de l'anatomo-cyto-pathologie, il n'en demeure pas moins qu'elle est en contradiction avec notre position dans ce domaine, position qui avait d'ailleurs été confortée par un jugement du tribunal administratif d'Amiens en date du 12 mars 1998.

Nous avons suggéré au Conseil départemental au tableau duquel les médecins anatomo-cyto pathologistes sont inscrits de saisir le Conseil d'Etat par la voie de la Cassation afin que la Haute juridiction tranche cette question de façon nette.

Pour répondre plus facilement à vos questions, il nous semble que vous pourriez déférer devant le Conseil régional la SELARL de médecins anatomo-cyto-pathologistes pour pratique anti-déontologique sur le fondement des articles 19, 24, 57 et 67 du Code de déontologie médicale.

On ne peut en effet considérer que la décision précitée de la section disciplinaire, qui est isolée, puisse faire jurisprudence. De la même manière et là encore, nous pouvons être catégoriques, il appartient aux médecins de communiquer les marchés publics qu'ils passeraient à leur Conseil départemental en application de l'article 4113-9 du Code de la santé publique ".

5. LE COMPORTEMENT DU CENTRE DE PATHOLOGIE LIBERTÉ

52. Le Centre de pathologie Liberté a participé aux deux appels d'offres organisés par le centre hospitalier d'Arras en 2001 (lot unique) et 2003 (réponse sur la totalité des lots). Il a à chaque fois fait une proposition tarifaire comportant une remise tarifaire de 5 % par rapport à la lettre clé P.

53. Avant sa soumission à l'appel d'offres d'octobre 2001, il a sollicité l'avis du Conseil régional de l'Ordre ainsi que celui du Conseil départemental du Nord de l'Ordre. Le Conseil départemental a répondu le 25 juin 2001 de la façon décrite au paragraphe 41. Le Centre de pathologie Liberté a par la suite communiqué au centre hospitalier de Seclin la réponse du Conseil départemental.

54. Il a adressé, à l'occasion de l'appel d'offres de 2001 au centre hospitalier d'Arras, un courrier (côte 13) ainsi formulé : " Comme vous le savez, suite aux dernières interventions du Conseil de l'Ordre des Médecins et du syndicat des médecins anatomopathologistes (lettres ci-jointes), la rétrocession d'honoraires n'est autorisée, pour des médecins, qu'en fonction des services fournis par l'établissement ; ces frais peuvent, néanmoins, être exprimés sous forme d'un pourcentage d'honoraires. Nous vous proposons donc le taux maximum autorisé, qui est de 5 % ".

55. A la suite de cet appel d'offres, le Centre de pathologie Liberté a adressé un certain nombre de courriers au centre hospitalier d'Arras afin de connaître les motifs du rejet de son offre et les caractéristiques de celle retenue.

56. A la même période, le 10 janvier 2002, il a consulté le Conseil départemental du Pas-de-Calais de l'Ordre sur la légalité de la passation d'un marché public qui porterait sur des actes médicaux, les remises qu'il est possible de faire et sur le montant proposé par Nordpathologie dans le cadre de l'appel d'offres d'Arras (côte 3047) :

" (...) nous désirerions en effet connaître le taux de réversion qui a été réalisé par le Cabinet Médical auquel est échu le marché concernant l'Appel d'Offre pour les actes d'Anatomie Pathologique.

Notre cabinet a également participé à cet appel d'offres, après avis du Conseil de l'Ordre du Nord et du Syndicat des Médecins Anatomopathologistes qui nous ont recommandé de ne pas dépasser le taux maximum autorisé ; nous savons par certains médecins du centre hospitalier d'Arras que ce taux a été nettement dépassé et que c'est la seule raison pour laquelle l'appel d'offre aurait été accordé à l'autre cabinet médical (Nord Pathologie). Vu les multiples et graves problèmes en cours avec cette structure, nous avons décidé d'entamer une procédure auprès du Conseil de l'Ordre et d'un point de vue judiciaire. Il nous est néanmoins nécessaire pour cela de connaître avec certitude le taux de remise accordé. "

57. Le 8 février 2002, le Centre de pathologie Liberté a déposé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Lille au motif d'une méconnaissance du Code des marchés publics et de la déontologie médicale, à l'encontre de la décision du centre hospitalier d'Arras rejetant son offre, ainsi qu'à l'encontre de la lettre du 11 janvier 2002 par laquelle celui-ci l'informait du résultat de la consultation. Le 17 décembre 2003, le Centre de pathologie Liberté s'est désisté de ce recours.

58. Auparavant, il avait tenu informé le Syndicat national des évolutions de son litige avec Nordpathologie et de sa volonté de connaître le taux de réduction proposé par celui-ci par rapport à la " lettre P ". Le 16 avril 2002 il a envoyé un courrier exprimant le souhait qu'un contentieux disciplinaire soit engagé (côte 3025) : " Suite à mon appel téléphonique, je vous adresse comme promis photocopies du mémoire en défense du centre hospitalier d'Arras dans lequel il est indiqué en page 11 le taux de remise de 15 % réalisé par la structure Nord-pathologie.

Après en avoir discuté avec mes associés, nous souhaitons vivement que le Syndicat puisse engager une action au niveau du Conseil régional de l'Ordre des médecins afin de faire cesser ce type de pratique qui pénalise chacun.

Ce taux de 15 % est effectivement plus bas que ceux qu'ils ont pratiqués jusqu'ici mais pour la seule raison qu'ils ont progressivement acquis tous les marchés hospitaliers et qu'ils peuvent maintenant se permettre de réduire progressivement les taux.

Si rien n'était entrepris, il est évident que les appels d'offre ultérieurs donneraient lieu à des ascensions progressives des taux par une politique "d'escalier".

Nous sommes certains, que seule une politique ferme du Syndicat et du Conseil de l'Ordre nous permettra de rétablir des conditions de travail correctes, nos confrères de Nord pathologie en seront, d'ailleurs, également bénéficiaires puisque cela leur évitera de travailler avec d'aussi faibles marges bénéficiaires.

Vous serait-il par ailleurs possible de demander au Docteur (...) le taux réalisé au niveau des autres structures hospitalières de la région ? Ces taux étant plus élevés. "

59. Le 16 juillet 2002, le Centre de pathologie Liberté s'est associé à la procédure disciplinaire initiée par le Syndicat national devant le Conseil régional de l'Ordre à l'encontre de Nordpathologie. Le courrier de saisine (côtes 2862 et 2863) fait état de ce que le Centre de pathologie Liberté a, avant de soumissionner, pris soin de consulter les instances ordinales et syndicales et a soumissionné en respectant strictement les critères tolérés par elles. Le Centre de pathologie Liberté a complété cette saisine par des observations en date du 1er avril 2003, faisant notamment état du contenu du bulletin du Conseil départemental du Nord de l'Ordre évoqué au paragraphe 44.

60. Le 17 novembre 2003 et le 12 janvier 2004, à la suite de la décision du Conseil régional de l'Ordre infligeant un blâme aux médecins de Nordpathologie, le Centre de pathologie Liberté a déposé des observations devant la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre.

61. A l'occasion de l'appel d'offres de 2003, le Centre de pathologie Liberté a adressé au centre hospitalier d'Arras un courrier rédigé dans des termes globalement identiques à ceux du courrier de 2001 (côte 462), comprenant notamment le passage suivant : " Comme vous le savez, la rétrocession d'honoraires n'est autorisée, pour des médecins, qu'en fonction des services fournis par l'établissement ; ces frais peuvent, néanmoins, être exprimés sous forme d'un pourcentage d'honoraires. Nous vous proposons donc le taux maximum autorisé, qui est de 5 % ".

6. LE COMPORTEMENT TARIFAIRE OBSERVÉ DES MÉDECINS ANTOMO-CYTO- PATHOLOGISTES

a) Résultats observés lors des appels d'offres lancés par les centres hospitaliers

62. Des soumissions aux appels d'offres lancés par des centres hospitaliers recensés par l'enquête administrative, il ressort les niveaux de remise suivants :

<emplacement tableau>

b) Niveau des prix observé dans les conventions passées par les centres hospitaliers

63. Des conventions ou relations assimilées existant (les lignes en italiques sont celles où des relations suivies existent sans convention au dossier) entre un centre hospitalier et un médecin ou laboratoire examinées à l'occasion de l'enquête administrative, il ressort les niveaux de remise suivants (sur la base de la lettre clé P, sauf mention contraire):

<emplacement tableau>

64. Des conventions (les lignes en italiques sont celles où des relations suivies existent sans convention au dossier) entre deux organismes hospitaliers examinées à l'occasion de l'enquête administrative, il ressort les niveaux de remise suivants (sur la base de la lettre clé P, sauf mention contraire) :

<emplacement tableau>

c) L'écho des consignes syndicales dans la profession

65. Les éléments du dossier illustrent les consignes réelles, bien que relatives, des consignes syndicales. Sur les 84 offres relatives aux 43 lots d'appels d'offres des hôpitaux, 26, soit environ 30 % correspondent à des offres présentant un taux de remise par rapport à la lettre de référence inférieur ou égal à 5 %. Cette proportion se retrouve pour les conventions signées par les centres hospitaliers avec d'autres centres hospitaliers ou avec des médecins ou cabinets indépendants.

66. Des médecins ont justifié le taux de 5 % qu'ils proposaient dans le cadre d'un appel d'offres par un renvoi aux consignes syndicales et à un " taux maximum autorisé " : c'est le cas du Centre de pathologie Liberté à l'occasion des appels d'offres lancés par le centre hospitalier d'Arras, évoqués précédemment, ainsi que des médecins ayant répondu à un appel d'offres lancé par le centre hospitalier de Beauvais en 2003, qui ont soumissionné en proposant une remise de 5 % sur la lettre clé P. Ils ont joint à leur proposition un courrier (côte 1630), dans lequel on peut notamment lire : " Les [soumissionnaires] ne peuvent consentir de remise sur un acte médical d'ACP sans être en contradiction avec l'article XXIV du Code de déontologie (qui interdit toute notion de remise ou de ristourne). Par contre les [soumissionnaires] peuvent consentir une rétrocession d'honoraires pour services rendus (...). Cette rétrocession prendra la forme d'un forfait technique pour indemnisation des services rendus par l'hôpital au Cabinet des [soumissionnaires]. Le montant de ce forfait a été fixé par le syndicat des médecins ACP français à 5 % ".

67. Même des médecins n'ayant pas appliqué le montant de remise préconisé par le Syndicat national font référence à ses consignes. Ainsi, un médecin a remis, en accompagnement de sa proposition dans le cadre d'un appel d'offres lancé en 2004 par le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer (offre tarifaire avec 15 % de remise) un courrier (côte 505), dans lequel on peut notamment lire : " Comme vous pouvez le lire dans les documents annexés à ce courrier, notre Syndicat National des Médecins Anatomo-Cyto-Pathologistes français nous conseillait soit de réaliser des conventions à la place des appels d'offres (document du 27 juillet 1998), soit de proposer dans le cadre de la réponse à un appel d'offres un remboursement des frais réels engagés par l'établissement pour l'exercice du médecin anatomo-cytopathologiste. On admettait que ces frais puissent s'exprimer sous forme d'un pourcentage d'honoraires et qu'ils ne devaient pas excéder 5 %. Depuis l'affaire du (...) au centre hospitalier d'Abbeville (décision du tribunal administratif du 12 mars 1998), il est conseillé à tout cabinet évincé d'un marché irrégulièrement attribué sur des critères de ristourne d'attaquer cette décision devant le tribunal administratif avec alors le soutien du syndicat. En 2003, une procédure a été engagée concernant l'attribution du marché du centre hospitalier d'Arras en raison d'une ristourne excessive attribuée par un cabinet d'anatomie pathologique de la région lilloise. Tenant compte des services rendus par l'Hôpital, une rétrocession de 15 % a été tolérée ".

68. De même, l'offre tarifaire soumise dans l'acte d'engagement remis par un médecin à l'occasion d'un appel d'offres lancé par le centre hospitalier d'Hyères en 2002 est ainsi exprimée : " La remise consentie sur la lettre clé P est de 10 (dix) % (conformément aux recommandations du syndicat des médecins anatomo-cyto-pathologistes) ".

69. Les consignes syndicales ont également pu influencer des centres hospitaliers dans leur choix ou dans leur procédure. Ainsi, si le centre hospitalier de Cahors a signé une convention de prestation de services le 31 décembre 1996 comportant une remise de 25 % malgré le courrier présenté au paragraphe 29 de la présente décision, le directeur adjoint du centre hospitalier a, lors de la communication de cette convention aux services d'enquête, indiqué : " Je vous remets en copie la convention précitée (...). Je souhaite émettre une réserve quant à l'utilisation de ces informations. En effet, à ma connaissance, il s'agit d'actes médicaux non soumis aux règles de concurrence. La situation décrite serait susceptible d'entraîner un recours devant la juridiction administrative de la part de l'organisation professionnelle concernée. Je vous remets en copie un courrier du 12/11/1996 du syndicat de cette spécialité " (côtes 1314 et 1315).

70. Dans le cadre de l'appel d'offres lancé par le centre hospitalier de Villefranche-sur-Saône en 1999, le rapport de présentation fait état des éléments suivants, pour le lot concernant les actes d'anatomo-cyto-pathologie : " Après le lancement de l'Appel d'Offres, le centre hospitalier a été alerté car la consultation concernant les examens d'anatomopathologie semblait être en contradiction avec le Code de déontologie médicale, qui interdit notamment la pratique de rabais sur les actes médicaux dans un but concurrentiel. En ce sens, une lettre de recommandations émanant du Syndicat des médecins anatomo-cyto-pathologistes fixe la conduite à tenir par les médecins concernés. Afin de respecter ces recommandations, le Centre de Cytologie du Parc a décidé de retirer sa candidature. En conséquence, la proposition du Centre de pathologie des Dr (...) n'a pas pu être retenue et le lot est déclaré infructueux. Seuls les frais réels engagés par l'établissement pour l'exercice d'un médecin anatomo-cyto-pathologiste peuvent faire l'objet d'une remise exprimée en pourcentage des honoraires. Une nouvelle consultation sera lancée en marché négocié, pour respecter et concilier les principes du Code de déontologie et du Code de la santé publique " (côte 2240).

71. Un certain nombre de centres hospitaliers ont enfin mentionné dans la rédaction de leurs appels d'offres que les diminutions éventuellement consenties par les médecins l'étaient compte tenu des frais engagés par l'hôpital.

72. Enfin, dans la décision par laquelle le Conseil régional du Nord Pas-de-Calais de l'Ordre inflige un blâme à des médecins de Nordpathologie, il est fait référence à la valeur de 5 % dans les termes suivants : " en la matière, la rétrocession d'honoraires est de l'ordre de 5 %. La SELARL Nordpathologie ne justifie pas que les services rendus équivalent à une rétrocession d'honoraires de l'ordre de 15 % ".

d) Les contentieux engagés

73. Le dossier révèle l'existence de deux actions disciplinaires. Outre, celle engagée à l'encontre des praticiens de Nordpathologie, existe celle portée devant le Conseil régional de Bretagne de l'Ordre qui a sanctionné par un mois de suspension d'activité le 7 octobre 2000 les médecins d'un regroupement de trois petites structures pour répondre à un appel d'offres de l'hôpital de Saint-Malo, notamment pour avoir octroyé une remise de 25 %, décision que la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre a réformée, ainsi qu'il ressort du paragraphe 51 de la présente décision. Dans une décision du 29 mai 2002, la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre a en effet annulé les sanctions en jugeant qu'" eu égard aux règles qui s'appliquent en matière de marchés publics, les médecins poursuivis, en proposant de réaliser les prestations de service, objets du marché, avec une remise de 25 % par rapport à la lettre clé P n'ont, compte tenu des dispositions de l'article L. 760 du Code dont ils pouvaient légitimement penser qu'elles s'appliquaient au marché, pas méconnu, les dispositions précitées du Code de déontologie ".

74. Le dossier révèle aussi l'existence de deux contentieux administratifs différents de celui introduit par le Centre de pathologie Liberté. Le 12 mars 1998, le Tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision de la commission d'appel d'offres de l'hôpital d'Abbeville du 28 juillet 1997 ayant attribué des lots moyennant une ristourne de 12 % sur la valeur de la lettre clé P au motif d'une méconnaissance des dispositions du Code de déontologie médicale (côtes 2980 à 2985).

75. Le 18 juin 2002, la Cour administrative d'appel de Marseille a en revanche, dans un sens différent, confirmé un jugement du Tribunal administratif de Nice du 19 mars 1999 et a considéré que le Code de déontologie médicale ne s'opposait ni à la soumission de marchés publics en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques ni à la diminution des honoraires versés aux médecins anatomo-cyto-pathologistes du montant d'un forfait technique convenu par les parties en indemnisation des services et fournitures mis à disposition du médecin spécialiste par l'établissement hospitalier :

" ni les dispositions précitées de l'article L. 753 du Code de la santé publique, ni le Code de déontologie médicale n'édictent de règles incompatibles avec la soumission à la réglementation des marchés publics de la catégorie de services que représente l'exécution des analyses biologiques ; qu'en particulier les dispositions de l'article L. 365 du Code de la santé publique, devenu l'article L. 4113-5 et les dispositions du décret du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale qui interdisent à toute personne ne remplissant pas les conditions requises pour l'exercice de la profession de recevoir tout ou partie des honoraires ou bénéfices provenant de l'activité professionnelle d'un médecin, d'un chirurgien dentiste ou d'un directeur de laboratoire, ainsi que le partage d'honoraires, ont pour but de garantir l'indépendance de ces praticiens, ainsi que l'exercice personnel de leur activité, mais n'ont ni pour objet, ni pour effet d'interdire, dans le cadre de l'application des règles limitant, dans l'intérêt du service public hospitalier les honoraires perçus au titre de l'activité libérale, par les biologistes et les anatomo-cyto-pathologistes, que les honoraires versés aux médecins anatomo-cyto-pathologistes en rémunération de leurs prestations de service au centre hospitalier soient diminués du montant d'un forfait technique convenu par les parties en indemnisation des services et fournitures mis à disposition du médecin spécialiste par l'établissement hospitalier " (côtes 2527 à 2536).

7. LES INTERVENTIONS DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA RÉPRESSION DES FRAUDES ET DE LA DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES AFFAIRES SANITAIRES ET SOCIALES

76. A la suite de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille du 18 juin 2002, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a, le 2 septembre 2002, largement diffusé un courrier initialement adressé au président du Conseil national de l'Ordre rappelant l'état du droit et précisant le caractère anticoncurrentiel de toute pression visant à limiter l'autonomie commerciale des médecins.

77. De même, la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes d'Ille-et-Vilaine a écrit le 14 octobre 2002 à un médecin, qui avait été sanctionné par le Conseil régional de Bretagne de l'Ordre, pour l'informer de la clarification de la situation juridique en matière d'appel d'offres suite à l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille. Le 17 octobre 2002, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales de la Somme a fait écho à ce courrier auprès des établissements de santé du département.

E. LES GRIEFS NOTIFIÉS

78. Compte tenu des faits relevés, les griefs suivants ont été notifiés par le rapporteur le 20 juin 2007 :

"Grief n° 1 : Il est reproché au Syndicat National des Médecins Anatomo-Cyto-Pathologistes Français d'avoir incité, de manière continue de 1996 à 2002, d'une part, ses adhérents à ne pas octroyer de remises sur la valeur de la lettre-clé de remboursement, lors des réponses aux appels d'offres des centres hospitaliers, ou à en limiter le montant, en accompagnant cette démarche par la voie disciplinaire, et, d'autre part, les centres hospitaliers à ne pas accepter de remises. Cela avait pour objet et a pu avoir pour effet de limiter la liberté tarifaire des médecins anatomo-cyto-pathologistes et, de manière générale, de réduire la concurrence sur les marchés des examens anatomo-cyto-pathologiques à destination des centres hospitaliers. Cette pratique relève d'une entente anticoncurrentielle prohibée en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Grief n° 2 : Il est reproché au Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins d'avoir, en prenant position entre 2001 et 2002 à l'égard de médecins dans le sens d'une restriction de la liberté tarifaire dans les relations entre médecins et hôpitaux publics, hors du cadre de ses prérogatives de puissance publique, faussé le jeu de la concurrence. Cela avait notamment pour objet et a pu avoir pour effet de limiter la liberté tarifaire des médecins anatomo-cyto-pathologistes et, de manière générale, de réduire la concurrence sur les marchés des examens anatomo-cyto-pathologiques à destination des centres hospitaliers. Cette pratique relève d'une entente anticoncurrentielle prohibée en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Grief n° 3 : Il est reproché à la SELARL Centre de pathologie Liberté d'avoir participé à la pratique du Syndicat national entre 2001 et 2002 en appliquant les consignes syndicales, dans le sens d'une restriction de sa propre liberté tarifaire ainsi que dans celui du suivi du comportement des autres médecins. Cela avait pour objet et a pu avoir pour effet de réduire la concurrence sur les marchés des examens anatomo-cyto-pathologiques à destination des centres hospitaliers. Cette pratique relève d'une entente anticoncurrentielle prohibée en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce. "

II. Discussion

A. SUR LA COMPÉTENCE

79. Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre avance qu'en l'espèce il ne s'est pas adressé à des opérateurs sur un marché, mais à des praticiens inscrits au tableau de l'Ordre (premier point). Il soutient de même qu'il n'a pas donné de consignes tarifaires applicables lors des appels d'offres, mais que ses courriers et le bulletin publié l'ont été dans le cadre de l'article L. 4121-2 du Code de la santé publique aux termes duquel l'Ordre des médecins veille à l'observation par tous ses membres des devoirs professionnels ainsi que des règles édictées par le Code de déontologie médicale (second point).

80. Mais, sur le premier point, ainsi qu'il ressort de nombreuses décisions du Conseil de la concurrence, notamment de la décision n° 91-D-43 du 22 octobre 1991 relative aux honoraires des chirurgiens exerçant dans les cliniques privées du département de Lot-et-Garonne, confirmée par la Cour d'appel de Paris, l'activité professionnelle de soins médicaux constitue une activité de services au sens de l'article L. 410-1 du Code de commerce et, dès lors, les membres du corps médical, pour ce qui est de leur comportement d'acteurs sur le marché de soins, sont soumis aux règles de concurrence.

81. Sur le second point, les Conseils de l'Ordre sont des organismes investis d'une mission de service public, celle d'assurer le respect des devoirs professionnels et la défense de l'honneur de la profession. Cependant, ainsi qu'il est exposé dans la décision n° 98-D-73 du 25 novembre 1998 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentées par l'Union nationale patronale des prothésistes dentaires, si "il n'appartient pas au Conseil de la concurrence de se prononcer sur la légalité de leurs décisions dès lors qu'elles sont de nature administrative, cette dernière notion implique non seulement que la décision en cause ait été prise dans l'accomplissement de la mission de service public de l'organisme privé dont elle émane, mais, en outre, qu'elle comporte l'exercice d'une prérogative de puissance publique ; (...) la publication (...) d'une " mise en garde " qui se borne à commenter les conditions d'application d'une réglementation ne relève pas de l'exercice d'une prérogative de puissance publique ; [elle ne constitue donc pas un acte administratif et relève du champ de compétence du Conseil] ".

82. Dans l'arrêt du 16 mai 2000, relatif à une procédure engagée à l'encontre du Conseil central de l'Ordre national des pharmaciens, ayant donné lieu à la décision n° 97-D-18 du 18 mars 1997 du Conseil de la concurrence concernant des pratiques relevées dans le secteur du portage de médicaments à domicile, la Cour de cassation a jugé que " la cour d'appel a pu décider que la diffusion [d'un communiqué] dans lequel le Conseil central diffusait une interprétation inexacte du Code de la santé publique sur laquelle il se fondait pour manifester son opposition à l'activité de portage de médicaments à domicile, ne manifestait pas l'exercice d'une prérogative de puissance publique, sortait de la mission de service public qui lui est conférée en tant qu'ordre professionnel, et constituait une intervention sur le marché (...) dont le Conseil de la concurrence pouvait connaître ".

83. Plus récemment, dans la décision n° 05-D-43 du 20 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, le Conseil de la concurrence a rappelé " [i]l est de jurisprudence constante (cf. notamment les décisions du Conseil n° 97-D-26 du 22 avril 1997 et n° 02-D-14 du 28 février 2002, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 novembre 2002 " Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts " et l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2000) que lorsqu'un Ordre professionnel, sortant de la mission de service public qui lui est conférée en tant qu'Ordre professionnel, adresse à des tiers un courrier ou une note dans lequel il se livre à une interprétation de la législation applicable à son activité, il intervient dans une activité de services entrant dans le champ d'application de l'article L. 410-1 du Code de commerce ".

84. En l'espèce, le Conseil départemental de l'Ordre, en publiant dans son bulletin et en envoyant à des opérateurs du secteur, en 2001 et 2002, des indications relatives aux marchés de services médicaux externalisés des centres hospitaliers concernant les comportements qui, selon son interprétation des textes en vigueur, devaient être considérés comme interdits et ceux qui devaient être suivis, est intervenu dans une activité de services.

85. A l'inverse, le refus d'inscrire au tableau le contrat de collaboration entre le centre hospitalier de Seclin et Nordpathologie est une décision prise dans le cadre des missions de service public et des prérogatives du Conseil départemental. Il n'appartient pas au Conseil de la concurrence d'apprécier la légalité d'une telle décision.

86. Tel est également le cas de la décision du Conseil régional de l'Ordre du 14 juin 2003 auquel d'ailleurs aucun grief n'a été notifié. Le pouvoir disciplinaire est l'une des prérogatives à la disposition de l'Ordre pour assurer sa mission de service public. Saisi d'une plainte, le Conseil régional de l'Ordre est tenu de se prononcer, dans le cadre d'une procédure prévoyant un recours devant la section disciplinaire du Conseil national. En l'espèce, le Conseil régional est resté dans les limites de sa mission, et il n'appartient pas au Conseil de la concurrence de contrôler la légalité de sa décision. Un recours a d'ailleurs été exercé contre celle-ci.

87. Enfin, même si des griefs ne lui ont pas non plus été notifiés, il peut être souligné que si le Conseil national de l'Ordre a envoyé, en 1998 et 2002, des courriers au Conseil départemental du Nord, ainsi qu'au Conseil départemental du Pas-de-Calais, en réponse à des questions de leur part, dans lesquels il émettait son avis sur la situation des appels d'offres concernant les examens ACP et suggérait de déférer des médecins ayant consenti des ristournes devant le Conseil régional de l'Ordre, ces avis, internes aux instances ordinales, n'ont pas été envoyés à des tiers ou diffusés à la profession. La situation est donc différente de celle ayant donné lieu à la décision n° 05-D-43 précitée dans laquelle le Conseil de la concurrence s'est estimé compétent pour sanctionner le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes qui avait envoyé un courrier à un Conseil départemental validant son interprétation des textes et approuvant sa décision de diffuser une lettre circulaire de nature anticoncurrentielle. En l'espèce, en donnant sa position aux Conseils départementaux et en les invitant le cas échéant à saisir l'instance ordinale disciplinaire, le Conseil national n'a conforté aucune action en elle-même anticoncurrentielle. En effet, la mise en œuvre d'une action disciplinaire par une instance professionnelle n'est pas susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle lorsqu'elle n'est pas exercée dans le cadre d'une action plus large à visée anticoncurrentielle.

B. SUR LA PRESCRIPTION

1. LE RAPPEL DES RÈGLES

88. Aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 : " le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de 3 ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ".

89. Dans sa rédaction postérieure à ladite entrée en vigueur, l'article L. 462-7 prévoit un délai de prescription de cinq ans.

90. Ainsi que l'a exposé le Conseil de la concurrence dans la décision n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault (paragraphes 38 et suivants) lorsque la prescription au titre du délai de trois ans n'est pas déjà acquise à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2004-1173, c'est le nouveau délai de cinq ans qui doit alors s'appliquer. Dans l'arrêt du 12 décembre 2006, Toffolutti (2006-02510) rendu sur recours contre la décision n° 05-D-71 du Conseil de la concurrence, la Cour d'appel de Paris a confirmé cette interprétation.

91. Pour apprécier l'éventuelle prescription d'une pratique, il convient, en premier lieu, d'examiner quel a été le point de départ du délai de prescription et, en second lieu, de rechercher si des actes ont pu valablement interrompre cette prescription une fois qu'il a commencé à courir.

92. En droit interne de la concurrence, comme en droit communautaire de la concurrence et en droit pénal, le principe retenu étant que le délai de prescription commence à courir dès que les faits constitutifs d'une pratique anticoncurrentielle sont consommés, la détermination du point de départ de la prescription dépend de la manière dont les faits se sont déroulés dans le temps. Il faut ainsi, comme l'expose une pratique décisionnelle constante, distinguer selon que les pratiques sont instantanées ou continues (voir à cet égard, notamment, la décision du Conseil n° 07-D-15 du 9 mai 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d'Ile-de-France, paragraphes 177 à 182).

93. Les pratiques anticoncurrentielles à caractère instantané sont des pratiques consommées en un trait de temps dès la commission des faits qui les constituent. Dans ce cas, le point de départ de la prescription se situe le lendemain du jour où l'acte a été accompli.

94. Les pratiques anticoncurrentielles revêtent le caractère de pratiques continues lorsque l'état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou la persistance de la volonté de l'auteur après l'acte initial. Il s'agit ainsi de pratiques caractérisées par la continuité de la volonté anticoncurrentielle sans qu'un acte matériel ait nécessairement à renouveler sa manifestation dans le temps, de telle sorte que le point de départ de la prescription ne commence à courir qu'à compter de la cessation des pratiques.

95. La continuité d'une pratique peut être établie notamment par l'existence d'actions manifestant son maintien, par la répétition de l'accord anticoncurrentiel ou compte tenu du fait qu'il est resté en vigueur et a conservé, de façon continue, son objet et ses effets, actuels et potentiels.

2. LE CAS D'ESPÈCE

96. En l'espèce, le premier acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits est l'acte de saisine du Conseil de la concurrence par Nordpathologie du 11 décembre 2003. Compte tenu des conditions d'application de l'article L. 462-7 du Code de commerce exposées précédemment, les faits antérieurs au 12 décembre 2000 ne peuvent être poursuivis, sauf s'ils participent à la mise en œuvre d'une pratique continue qui s'est poursuivie au moins jusqu'à cette date.

97. S'agissant des pratiques du Conseil départemental du Nord de l'Ordre et du Centre de pathologie Liberté, celles-ci datent de 2001 et 2002 et sont donc postérieures au 11 décembre 2000.

98. S'agissant des pratiques du Syndicat national, plusieurs éléments du dossier révèlent un comportement continu, débutant en 1996 et finissant au plus tôt en 2002.

99. Le Syndicat national a envoyé plusieurs documents dans lesquels il a donné des consignes quant au comportement à tenir pour les médecins anatomo-cyto-pathologistes dans leurs relations avec les hôpitaux et a opéré un suivi de ses consignes. Le premier document au dossier comportant ces consignes est le courrier intitulé " Relations entre anatomo et cytopathologistes libéraux et hôpitaux " du 3 juillet 1996, mentionné au paragraphe 28.

100. La continuité du comportement est caractérisée à la fois par la répétition des interventions, par leur valeur de recommandation générale, par l'existence d'actes postérieurs attestant du maintien de la position exprimée et par la persistance des effets de cette position.

101. Le document du 3 juillet 1996 a tout d'abord été confirmé par des courriers et documents des 12 novembre 1996, 23 avril 1997, 27 juillet 1998, 16 novembre 1998 (amendant l'avertissement du 27 juillet 1998) ainsi que, le 25 avril 2001, par une lettre circulaire et des modifications apportées à l'avertissement du 27 juillet 1998, ainsi qu'il est exposé aux paragraphes 29 et suivants.

102. Ces différents documents ne comportent pas d'indication de durée de validité et n'ont fait l'objet d'aucune " abrogation " avant le 20 décembre 2002 lorsque le Syndicat national, faisant état de la " nouvelle jurisprudence " dans la circulaire mentionnée au paragraphe 38, revient sur sa position, indique que les ristournes sont autorisées puisque les prix sont libres à l'hôpital et qu'aucun recours ne pourra désormais aboutir. Dans cet entre-temps, les documents cités exposaient la " position officielle " du syndicat et ont été transmis dans un objectif d'application constante et pour dicter une ligne de conduite, comme en témoignent les termes généraux et expressions employés, les indications de comportement concluant chaque développement, ainsi que le contexte des envois, à la fois aux médecins et aux hôpitaux, à titre général et dans des cas particuliers. Ces courriers et circulaires matérialisent ainsi " la diffusion [de] document[s], de travail ou autre, auquel les praticiens [ont] été amenés à se référer couramment dans l'exercice normal de leur activité " telle qu'identifiée dans la décision n° 03-D-52 du 18 novembre 2003 relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental de la Haute Savoie de l'Ordre des chirurgiens dentistes.

103. La persistance de l'action en cause est également caractérisée par la présence d'indications concernant le suivi des consignes, notamment l'assurance de l'appui du Syndicat national en cas de recours intenté à l'encontre des praticiens qui ne respectent pas les consignes, et par les éléments au dossier établissant le suivi effectif réalisé par le Syndicat à l'occasion de réunions ou par sa participation au contentieux engagé en 1997 dans le cadre de l'affaire du centre hospitalier d'Abbeville et à l'action disciplinaire engagée en 2002 à l'encontre de Nordpathologie dans le cadre de l'affaire du centre hospitalier d'Arras.

104. Enfin, la continuité de la pratique découle de la poursuite de ses effets, exposés aux paragraphes 62 à 72 de la présente décision, sur le comportement de la profession, au moins jusqu'en 2004.

105. Même en ne tenant pas compte de la persistance des effets et de la durée de l'instance disciplinaire dans le cadre de laquelle le Syndicat national a continué à défendre sa position, le délai de prescription n'a donc commencé à courir qu'au lendemain de la cessation de la pratique, établie au plus tôt au jour de la diffusion de la circulaire du 20 décembre 2002, soit à partir du 21 décembre 2002.

106. Par la suite, la saisine en date du 11 décembre 2003 et les différents actes d'instruction l'ayant suivi en 2004, 2005, 2006 et 2007 ont interrompu la prescription. Le Conseil de la concurrence peut donc valablement statuer sur le comportement du Syndicat national entre 1996 et 2002 ainsi que sur celui du Conseil départemental du Nord de l'Ordre et celui du Centre de pathologie Liberté, entre 2001 et 2002.

C. SUR LES MARCHÉS PERTINENTS

107. Plusieurs marchés concernant les examens anatomo-cyto-pathologiques doivent être distingués en fonction de demandes différentes, selon le mode de mise en relation, le mode de financement et, in fine, en fonction de la destination des examens en médecine de ville ou à l'hôpital. Les conditions de choix du médecin diffèrent en effet selon qu'il s'agit d'une demande de ville ou de demandes hospitalières. Dans le premier cas, le patient, sur prescription d'un médecin généraliste ou spécialiste, se met directement en relation avec le médecin choisi alors que les médecins travaillant pour des hôpitaux sont des prestataires de celui-ci et fournissent un service externalisé aux patients hospitalisés, dans le cadre du fonctionnement global du centre hospitalier. Dans le cadre de la médecine de ville, le tarif des examens ACP est fixé en fonction des normes réglementaires et conventionnelles. Le contenu et le prix des prestations dans le cadre de relations entre hôpitaux et médecins spécialistes sont fixés librement, sous forme de conventions simples ou à la suite de procédures d'appels d'offres. La présente affaire ne concerne que les examens ACP réalisés pour le compte des centres hospitaliers, à l'exclusion des relations entre médecins ACP et patients non hospitalisés et des relations avec des cliniques privées.

108. Sur le plan géographique, l'appréciation dépend vraisemblablement des situations, même si l'on peut supposer que l'étendue géographique des marchés est limitée par la nécessité, pour les médecins ACP, de se trouver à une distance raisonnable des hôpitaux pour pouvoir répondre aux demandes urgentes.

109. En tout état de cause, la délimitation précise des marchés pertinents n'est pas essentielle en l'espèce. De manière générale s'agissant de pratiques d'ententes, " Il n'est (...) pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques qui y ont été constatées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre. " (voir par exemple la décision n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc). De plus, l'article L. 464-6-1 du Code de commerce dont l'application peut nécessiter une définition précise des marchés et selon lequel " Le Conseil de la concurrence peut également décider, dans les conditions prévues à l'article L. 464-6, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure lorsque les pratiques mentionnées à l'article L. 420-1 ne visent pas des contrats passés en application du Code des marchés publics et que la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l'accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas soit : a) 10 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui sont des concurrents, existants ou potentiels, sur l'un des marchés en cause (...) ", n'est pas susceptible de s'appliquer.

D. LA QUALIFICATION DES PRATIQUES

1. LE CADRE JURIDIQUE

a) Sur les règles de concurrence

110. L'article L. 420-1 du Code de commerce énonce : " Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : 1°) Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; 2°) Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; 3°) Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; 4°) Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ".

111. Il ressort d'une jurisprudence constante, tant interne que communautaire, qu'une entente peut résulter de tout acte émanant des organes d'un groupement professionnel, tel qu'un règlement professionnel, un règlement intérieur, un barème ou une circulaire. Ainsi, l'élaboration et la diffusion, à l'initiative d'une organisation professionnelle, d'un document destiné à l'ensemble de ses adhérents constituent une action concertée. Conformément à cette jurisprudence, le Conseil de la concurrence précise que " (...) la défense de la profession par tout syndicat créé à cette fin ne l'autorise nullement à s'engager, ni à engager ses adhérents dans des actions collectives visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence ou susceptibles d'avoir de tels effets (...) ". Il en résulte que si un organisme professionnel peut diffuser des informations destinées à aider les membres dans l'exercice de leur activité, l'aide à la gestion qu'il leur apporte ainsi ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de détourner ses membres d'une appréhension directe de leur stratégie commerciale qui leur permette d'établir leurs prix de façon indépendante.

112. En particulier, la Cour d'appel de Paris a confirmé qu'un syndicat sort de sa mission lorsqu'il diffuse à ses membres "des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise " (arrêt du 17 octobre 2000 relatif au recours formé par le Syndicat national des ambulanciers de montagne contre la décision n° 99-D-70 du Conseil de la concurrence relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires de skieurs accidentés).

Le Conseil a ainsi été conduit à sanctionner non seulement des groupements professionnels pour avoir diffusé des taux d'honoraires indicatifs, mais aussi des entreprises présentes sur les marchés concernés pour avoir appliqué les consignes anticoncurrentielles (voir par exemple la décision n° 98-D-61 du 6 octobre 1998 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du traitement des ordures ménagères en Ile-de-France).

b) Sur la liberté tarifaire dans les relations entre médecins ACP et centres hospitaliers

113. Le Centre de pathologie Liberté conteste que les prix soient libres dans les relations entre médecins et centres hospitaliers. Il avance que la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) fixe les prix des prestations de services pris en charge par les régimes de sécurité sociale en application de l'article L. 162-38 du Code de la sécurité sociale et qu'elle ne distingue ni entre secteur public et secteur privé, ni en fonction des modalités de remboursement. Il précise notamment, tout comme le fait le Syndicat national, que le système de dotation globale applicable aux centres hospitaliers comporte parfois une référence à des tarifs fixés par les nomenclatures d'actes médicaux.

114. A l'époque des faits examinés, l'article L. 162-38 du Code de la sécurité sociale, issu de l'article 28 de la loi du 30 juillet 1987, instituant un régime nouveau de fixation des prix et des marges des produits et services pris en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie, disposait en effet : " Sans préjudice des dispositions du présent Code relatives aux conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie et les professions de santé, les ministres chargés de l'économie, de la santé et de la sécurité sociale peuvent fixer par arrêtés les prix et les marges des produits et les prix des prestations de services pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Cette fixation tient compte de l'évolution des charges, des revenus et du volume d'activité des praticiens ou entreprises concernés. Les dispositions du titre VI de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence sont applicables aux infractions prévues par ces arrêtés ".

115. L'article R. 162-52 du Code de la sécurité sociale prévoyait : " Les tarifs fixés en application des articles (...) sont établis d'après une nomenclature des actes professionnels fixés par arrêté du ministre chargé de la Sécurité sociale, du ministre chargé de la Santé et du ministre chargé de l'Agriculture. Cet arrêté détermine les modalités d'application de la nomenclature dans les rapports entre les praticiens et auxiliaires médicaux, d'une part, les organismes de sécurité sociale et les assurés, d'autre part ".

116. La NGAP a été établie par un arrêté interministériel du 27 mars 1972. Son article 1er précise que les "nomenclatures s'imposent aux praticiens et auxiliaires médicaux pour communiquer aux organismes d'assurance maladie, tout en respectant le secret professionnel, et dans l'intérêt du malade, le type et la valeur des actes techniques effectués en vue du calcul par les organismes de leur participation ". Une nomenclature des actes de biologie médicale a été établie par un arrêté interministériel du 27 avril 1985. Un arrêté interministériel du 2 juin 2000 a complété la NGAP par une nomenclature des actes ACP. Les lettres-clés retenues pour les actes ACP sont la lettre-clé P, la lettre-clé B ou la lettre-clé BP.

117. A cet égard, le Conseil de la concurrence a relevé, dans son avis n° 04-A-02 du 16 janvier 2004 relatif à une saisine de la Fédération de l'hospitalisation privée qu'" ainsi qu'en a jugé le Conseil d'État (CE, M. B et autres, 12 juin 1992, n° 103794, Rec. p. 230), ces dispositions se substituent, dans leur champ d'application, aux dispositions en matière de prix de l'ordonnance du 1er décembre 1986, aujourd'hui codifiée au livre IV du Code de commerce. Dans le cadre de ce dispositif, plusieurs arrêtés interministériels sont intervenus pour fixer les prix de divers produits et prestations. "

118. Il ressort de ces dispositions que les nomenclatures des actes permettent de définir des tarifs de remboursement pour une série d'actes ou de produits, dans le cadre des relations entre, d'une part, les praticiens et auxiliaires médicaux et, d'autre part, les organismes de sécurité sociale et les assurés. Ces tarifs ont valeur de prix obligatoires dans certaines circonstances. Ils sont en effet opposables aux médecins conventionnés de secteur I (les médecins de secteur II et non conventionnés bénéficiant d'une plus grande liberté tarifaire), compte tenu des conventions conclues en application de l'article L. 162-14-1 1° du Code de la sécurité sociale qui régissent les rapports entre l'assurance maladie et les professionnels de santé et qui définissent " les tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires dus aux professionnels de santé en dehors des cas de dépassement autorisés par la convention ". Les prestations en mode ambulatoire dans les hôpitaux répondent à des conditions similaires à celles de la médecine de ville. De même, selon l'article L. 174-4 du Code de la santé publique, le montant du forfait journalier dû par les assurés sociaux hospitalisés est fixé par arrêté. Dans tous ces cas, l'application de l'article L. 162-38 du Code de la sécurité sociale se substitue à celle de l'article L. 410-2 du Code de commerce et le régime des prix n'est pas libre.

119. Mais, les relations entre médecins prestataires de services extérieurs et centres hospitaliers ne relèvent pas de ce domaine. Le paiement des prestations externes de services médicaux, comme celui du personnel de l'hôpital est en effet assuré par le centre hospitalier et ne s'inscrit donc pas dans le cadre de relations médecin-patient ou médecin-sécurité sociale qui seul ressort des dispositifs précédemment évoqués. En particulier, la part de financement du service public hospitalier par la sécurité sociale est apportée par un mécanisme différent, celui de la dotation globale annuelle prévue à l'article L. 174-1 du Code de sécurité sociale, en partie forfaitaire, déterminée principalement en fonction de forfaits annuels de soins et de la différence entre charges et recettes d'exploitation, sans référence directe au prix des actes ou même aux sommes payées par les assurés sociaux.

120. Les prix des prestations de services qu'un médecin libéral apporte à un hôpital ne sont ainsi pas prédéfinis par les nomenclatures et tarifs relatifs au remboursement des assurés sociaux et relèvent du régime de droit commun de la liberté des prix prévu aujourd'hui à l'article L. 410-2, premier alinéa, du Code de commerce.

121. Le Conseil de la concurrence a déjà appréhendé une situation voisine dans la décision n° 07-D-05 du 21 février 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par l'Union française des orthoprothésistes (UFOP) sur le marché de la fourniture d'orthoprothèses. Il y précise que " la demande de grand appareillage s'exprime notamment dans le cadre de marchés publics des hôpitaux qui lancent des appels d'offres où les prix sont libres " et que "[l]e coût de ce dernier s'ajoute aux prestations d'hôpital et est intégré au budget global de l'hôpital lui-même financé par l'assurance maladie ".

122. Le ministre de l'Economie a exprimé cette position en février 2000 dans le cadre de sa requête en intervention volontaire devant la Cour administrative d'appel de Marseille, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt évoqué précédemment.

123. Le Syndicat national a d'ailleurs reconnu la liberté des prix dans ce contexte, après avoir pris connaissance dudit arrêt, dans sa circulaire du 20 décembre 2002 : " La nouvelle jurisprudence rend parfaitement licite la procédure de l'appel d'offres pour les marchés publics de l'ACP et permet donc les ristournes puisque les prix sont libres à l'Hôpital (ce qui n'est pas le cas en ville). Désormais, ni l'Ordre des Médecins ni les Syndicats ne peuvent s'opposer juridiquement à cette pratique. "

c) Sur l'application des règles de déontologie médicale dans le cadre des relations entre médecins ACP et centres hospitaliers

124. Le Syndicat national prétend néanmoins qu'il n'a fait que rappeler à ses adhérents le Code de déontologie médicale, notamment les dispositions interdisant les ristournes. De même, le Conseil départemental du Nord de l'Ordre avance que ses interventions ont été faites dans le cadre des règles de déontologie médicale et il conteste la logique selon laquelle ces règles pourraient fausser le jeu de la concurrence, alors qu'elles répondent à d'autres finalités.

125. Il y a tout d'abord lieu de relever que, le prix des prestations d'un médecin à un hôpital n'étant pas soumis aux tarifs des prestations apportées directement aux patients faisant l'objet de prise en charge de la sécurité sociale, l'écart entre le prix proposé par un médecin à un hôpital et ce tarif, même lorsque ce dernier est utilisé à titre de référentiel dans la présentation de l'offre, ne peut pas être considéré comme une " remise " au sens du Code de déontologie, bien que ce terme puisse servir par commodité de langage.

126. En tout état de cause, le Code de déontologie médicale ne saurait conduire à méconnaître des règles de niveau législatif, comme celles édictées à l'article L. 410-2, premier alinéa, du Code de commerce, consacrant le principe de la liberté des prix et à l'article L. 420-1 du même Code, prohibant les ententes anticoncurrentielles. Le Code de déontologie médicale est en effet un texte de niveau réglementaire, et compte tenu de la hiérarchie des normes, ses différentes dispositions ont nécessairement un champ d'application limité aux situations dans lesquelles elles ne se heurtent pas à des dispositions de rang supérieur. En particulier, une règle comme l'interdiction de diminuer ses honoraires dans un but de concurrence prévue à l'article 67 de ce Code ne s'applique pas à une situation pour laquelle le législateur n'a pas fait le choix de déroger au principe de la liberté des prix. Or, comme indiqué précédemment, tel est le cas en ce qui concerne les achats des hôpitaux publics, notamment en ce qui concerne les prestations médicales extérieures. C'est dans le but de tirer le meilleur profit, au bénéfice de la collectivité et des patients, dans cette situation, que sont mises en place des procédures d'appels d'offres dans le cadre desquelles il appartient à l'acheteur, au vu des offres qui lui sont faites, d'arbitrer notamment entre le prix et la qualité des offres reçues et, le cas échéant, à qualité égale, de préférer l'offre la moins-disante.

127. Ainsi, dans la mesure où les prix dans les relations entre les médecins anatomo-cyto- pathologistes et les hôpitaux sont, par la volonté même du législateur, libres et peuvent être fixés compte tenu des coûts et du positionnement des praticiens concernés, le Code de déontologie ne saurait être invoqué pour réduire la liberté tarifaire de ces derniers.

2. LES PRATIQUES DU SYNDICAT NATIONAL

128. Le Syndicat national soutient qu'il n'a procédé qu'à de simples recommandations relatives à l'interdiction, au regard des règles de la déontologie médicale, des ristournes (premier point), sans exclure une rétrocession d'honoraires, et que c'est par commodité de gestion qu'il a conseillé une remise maximale au prorata d'honoraires de 5 %, qui était éventuellement ajustable compte tenu de la réalité des frais engagés (deuxième point). Il ajoute qu'il est intervenu dans le cadre du transfert de l'ACP des actes de biologie médicale aux actes médicaux en 1995 et alors que des réponses contradictoires des juges du fond étaient apportées sur l'articulation des règles déontologiques médicales et de celles des marchés publics (troisième point).

129. Sur le premier point, le Conseil de la concurrence a sanctionné à plusieurs reprises des syndicats professionnels pour avoir adressé à leurs adhérents des directives les incitant à s'affranchir des règles de concurrence ou à ne pas déterminer de manière autonome leur stratégie commerciale. S'agissant d'indications tarifaires, il a qualifié d'infraction la pratique, même lorsqu'elle n'avait pas de caractère impératif (voir par exemple la décision n° 97-D-45 du 10 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil national de l'ordre des architectes). Ainsi qu'il ressort des affaires ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2000 concernant l'Ordre national des pharmaciens, mentionné paragraphe 82 de la présente décision ou à la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-43 concernant l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, mentionnée au paragraphe 83, le fait que ces consignes aient été motivées par une prétendue méconnaissance du Code de la santé publique ne leur enlève pas leur caractère anticoncurrentiel et n'empêche pas de les sanctionner.

130. Les éléments du dossier, notamment l'avertissement décrivant la "conduite à tenir " présenté comme la position officielle du Syndicat national, montrent que celui-ci a, de 1996 à 2002, adressé des incitations sur le mode de fixation des prix en diffusant des consignes sur le caractère anti-déontologique des remises, en prévoyant seulement la possibilité de prévoir une rétrocession de frais réels, dont l'hôpital devrait justifier, n'excédant normalement pas 5 %. Ses messages ont été également constants sur le fait que la sanction du non-respect des consignes syndicales était l'engagement de poursuites disciplinaires ou administratives.

131. Ces pratiques, en ce qu'elles ont visé à interdire, à limiter ou à prédéfinir un montant maximal de remises ou de rétrocessions, ont véhiculé l'idée erronée selon laquelle le prix des actes à l'égard des hôpitaux publics était réglementé et ont donné aux lettres-clé une valeur que le législateur ne leur a pas accordée. Elles incitaient à une limitation de la liberté tarifaire dans un domaine où les pouvoirs publics ont fait le choix de laisser jouer pleinement la concurrence et entravaient les baisses de prix recherchées pour le bénéfice de la collectivité, notamment par le recours au mécanisme d'appels d'offres.

132. Sur le deuxième point, s'agissant de la valeur de 5 % présentée comme un taux maximum de remise ou de rétrocession possible, présentée en substance par le Syndicat national comme un assouplissement de la consigne de base, il y a lieu de rappeler qu'une pratique visant à définir un seuil a priori, sans rapport avec la réalité économique de chaque situation, à partir duquel la remise ou rétrocession serait excessive et contraire à la déontologie, dépasse aussi le cadre des missions imparties à un syndicat et revêt un caractère anticoncurrentiel. Par ailleurs, même si certaines consignes admettent formellement l'hypothèse d'un dépassement du seuil préfixé, celui-ci est alors subordonné à une justification par les hôpitaux des services engagés alors que le principe de liberté tarifaire ne subordonne pas le niveau de prix proposé par le prestataire d'examens ACP à d'éventuels services que lui rend l'hôpital et à l'évaluation de leur propre valeur. Une telle hypothèse véhicule toujours une idée erronée du fonctionnement du marché.

133. Enfin, sur le troisième point, les actions du Syndicat national ont débuté en 1996, soit antérieurement au jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 12 mars 1998 retenant la même interprétation des textes que celle du syndicat et se sont poursuivies après l'arrêt du 18 juin 2002 de la Cour administrative d'appel de Marseille l'infirmant. Ce n'est qu'en décembre 2002 que le Syndicat national a " abrogé " ses consignes par circulaire. En tout état de cause, un état d'incertitude juridique ne peut pas retirer à une pratique son caractère anticoncurrentiel ; il ne peut le cas échéant jouer que pour l'appréciation de la gravité du comportement de l'auteur de cette pratique.

134. Les consignes du syndicat avaient donc pour objet de réduire l'autonomie de ses adhérents et de les détourner d'une appréhension individuelle de leur stratégie, notamment en fonction de leurs coûts et des services éventuellement rendus par l'hôpital. Le caractère anticoncurrentiel des consignes a été renforcé par le fait qu'elles étaient accompagnées d'un suivi du syndicat, notamment au sein de son Conseil d'administration, facilité par les " remontées d'informations " de certains adhérents. Le Syndicat national est en outre intervenu en envoyant, en sus des lettres de recommandation générales, des rappels à l'ordre ponctuels à des centres hospitaliers et à des médecins, en soutenant des actions engagées par ses adhérents et en engageant des contentieux disciplinaires.

135. Sur cette question, le Conseil de la concurrence a certes déjà considéré, notamment dans la décision n° 94-D-18 du 8 mars 1994 que " le fait d'agir en justice est l'expression d'un droit fondamental, spécialement reconnu par l'article L. 411-11 du Code du travail aux syndicats professionnels (...) ; que, dès lors, l'action en justice d'une organisation professionnelle ne peut être considérée comme constituant, en elle-même, une action concertée anticoncurrentielle ". Le Conseil souligne en outre souvent qu'il appartient aux instances professionnelles, plutôt que de faire pression sur l'ensemble de leurs adhérents, de saisir les instances juridictionnelles lorsqu'un comportement leur semble illicite (décision n° 05-D-43 précitée).

136. Cependant, en l'espèce, l'action disciplinaire, de même que le soutien à des saisines engagées par d'autres, n'est pas isolable du reste des incitations du syndicat et participe à l'ensemble de la pratique anticoncurrentielle. Elle apparaît comme un moyen de contrôle, de pression et de sanction à l'égard des médecins dérogeant aux consignes. On relèvera à cet égard que l'action engagée contre Nordpathologie en juillet 2002 a même été décidée peu de temps après l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Marseille du 18 juin 2002 clarifiant largement la situation des médecins ACP dans le cadre d'appels d'offres et après la décision du 25 mai 2002 de la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre, annulant une sanction prononcée à l'égard de médecins ayant fait une remise de 25 % lors d'un appel d'offres, décisions juridictionnelles qui auraient dû inciter à la prudence. A l'audience du 14 juin 2003 du Conseil régional Nord Pas-de-Calais de l'Ordre, consacrée aux poursuites contre Nordpathologie, le Syndicat national était représenté et n'a pas changé de position, pas plus qu'à l'occasion de l'audience du 14 janvier 2004 de la section disciplinaire du Conseil national de l'Ordre.

137. Il ressort de ce qui précède que le Syndicat national a adopté un comportement visant à réduire la concurrence entre médecins sur le marché des examens anatomo-cyto-pathologiques effectués pour le compte des centres hospitaliers publics. Cette pratique est contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce indépendamment de ses effets réels sur le jeu de la concurrence, la faiblesse éventuelle des effets réellement constatés n'étant qu'un éventuel facteur d'appréciation de la portée de la pratique pour le calcul de la sanction. En l'espèce, il ressort des éléments du dossier, détaillés aux points 62 à 72, que les consignes syndicales ont effectivement produit des effets à l'égard des médecins et des hôpitaux. Certains médecins ont en effet strictement appliqué le taux maximum proposé par le syndicat. Les consignes ont en outre contribué à limiter, dans certains cas, les remises proposées.

3. SUR LES PRATIQUES DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DU NORD DE L'ORDRE NATIONAL DES MÉDECINS

138. Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre souligne que les questions d'articulation des règles d'ordre public applicables aux professions réglementées avec le droit de la concurrence sont complexes et qu'il est difficile de lui reprocher d'avoir procédé à une interprétation erronée de ces règles (premier point). Il avance en outre qu'il a procédé à la saisine de l'instance disciplinaire compte tenu de ses prérogatives et sans se préoccuper de savoir si elle confortait la position du Syndicat national (deuxième point). Il soutient enfin que le bulletin mentionné au paragraphe 44 de la présente décision n'avait pour objet ni l'anatomo-cyto-pathologie, ni le dossier de Nordpathologie, mais plus largement le rappel des obligations déontologiques des médecins (troisième point).

139. Cependant, sur le premier point, comme le Syndicat national, le Conseil départemental du Nord de l'Ordre s'est clairement livré à une interprétation des textes législatifs et réglementaires qui restreignait la concurrence, dans ses courriers adressés au Centre de pathologie Liberté ainsi qu'à d'autres médecins, et dans le bulletin qu'il a édité, ainsi qu'il est exposé aux paragraphes 41 et suivants. En soutenant cette interprétation, le Conseil départemental est intervenu dans le fonctionnement des marchés dans un sens opposé au principe de liberté tarifaire voulu par le législateur. A l'instar de ce qui a été dit pour le Syndicat national, le fait que la situation juridique ait pu être incertaine ne retire pas à cette pratique son caractère anticoncurrentiel et ne peut, le cas échéant, être pris en compte qu'au titre de l'appréciation de la gravité du comportement. Toutefois, à cet égard, le Conseil départemental a clairement fait état de sanctions possibles en cas de non-respect de ses préconisations.

140. Sur le deuxième point, si la mise en œuvre d'actions disciplinaires fait partie des prérogatives du Conseil départemental et ne saurait en elle-même être considérée comme anticoncurrentielle, elle a néanmoins renforcé en l'espèce les effets des consignes diffusées et de l'action du Syndicat national. Elle apparaît dans ces conditions comme une composante des pratiques anticoncurrentielles. A cet égard, si un Conseil départemental doit effectivement, aux termes de l'article L. 4123-2 du Code de la santé publique, transmettre au Conseil régional de l'Ordre, avec un avis motivé, les plaintes qui sont portées devant lui, rien ne l'oblige à s'y associer. Or, le Conseil départemental du Nord de l'Ordre a décidé de s'associer et de soutenir la plainte du Syndicat national.

141. Sur le troisième point, l'observation faite par le Conseil départemental va dans le sens du renforcement de l'objet et des effets anticoncurrentiels de la pratique. Ses positions ont été diffusées dans le bulletin qu'il édite et ont donc été reçues par des spécialistes de l'anatomo-cyto-pathologie, mais aussi d'autres disciplines médicales opérant avec des centres hospitaliers. Elles ne se sont donc pas limitées à influencer le comportement du Centre de pathologie Liberté à l'occasion des appels d'offre lancés par le centre hospitalier d'Arras.

142. Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre a ainsi dépassé ses missions légales dans un sens anticoncurrentiel et a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

4. SUR LES PRATIQUES DU CENTRE DE PATHOLOGIE LIBERTÉ

143. Le Centre de pathologie Liberté soutient qu'une entente prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ne peut être caractérisée à son égard. Il soutient en premier lieu que les prix ne sont pas libres dans le cadre des relations entre les médecins ACP et les hôpitaux publics. Tel n'est toutefois pas le cas, ainsi qu'il est exposé aux paragraphes 113 à 123 de la présente décision. Le Centre de pathologie Liberté expose ensuite en substance deux arguments : il n'avait aucune intention anticoncurrentielle et il se serait à cet égard conformé aux réponses des organismes professionnels qu'il aurait sollicités pour savoir quelle conduite tenir. Son action n'aurait pas non plus eu d'effet sensible, avéré ou potentiel, puisque d'autres médecins ACP ont répondu aux appels d'offres à des conditions différentes et que lui-même n'a pas été retenu pour les deux auxquels il a soumissionné.

144. Cependant, ainsi que le Conseil de la concurrence l'a déjà rappelé, " l'absence d'intention anticoncurrentielle des entreprises parties à l'entente est sans portée sur la qualification même d'entente ", dès lors qu'une entente anticoncurrentielle peut être caractérisée soit par son objet, soit par ses effets (voir par exemple la décision n° 01-D-67 du 19 octobre 2001 relative à des pratiques relevées à l'occasion de la passation de marchés publics de travaux routiers dans le département des Bouches-du-Rhône). A cet égard, si la preuve de l'intention de porter atteinte à la concurrence n'est pas requise, l'accord de volontés pour se concerter doit, en revanche, être démontré, pour caractériser l'entente. En effet, la qualification d'une pratique d'entente anticoncurrentielle est subordonnée à la démonstration de la volonté des entreprises d'adhérer à l'action collective.

145. En l'espèce, le Centre de pathologie Liberté a remis, entre 2001 et 2003, lors d'appels d'offres de centres hospitaliers en matière d'examens ACP, des offres de prix établies avec une diminution de la valeur de la lettre clé P de 5 % en indiquant explicitement se conformer aux recommandations syndicales et ordinales et au taux maximum autorisé par le Syndicat national. Il a joué un rôle moteur dans le suivi des consignes tarifaires, en tenant le syndicat informé de leur non-respect, en sollicitant une action disciplinaire, à laquelle il s'est joint, et en engageant lui-même un recours administratif fondé notamment sur le manquement aux règles de déontologie. Il a en cela exprimé sans ambigüité son adhésion et sa participation à la pratique anticoncurrentielle. A cet égard les pratiques du Centre de pathologie Liberté se sont même poursuivies postérieurement à la circulaire du Syndicat national de décembre 2002 mettant fin à ses consignes, lorsqu'il a proposé à un centre hospitalier un taux de remise de 5 % en le présentant encore comme le taux maximum autorisé par le syndicat à l'occasion d'un appel d'offres en 2003. Il a continué à défendre cette position jusqu'en janvier 2004 devant les instances disciplinaires de l'Ordre dans le cadre des poursuites engagées contre Nordpathologie.

146. Par ailleurs, il ressort d'une jurisprudence constante et des termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce, qui vise les ententes ayant pour objet ou qui peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, qu'une entente est prohibée dès lors qu'elle a de tels effets potentiels, même en l'absence d'effets réels. Or, les consignes auxquelles a pleinement adhéré le Centre de pathologie Liberté avaient un effet potentiel de grande envergure, indépendamment de la manière dont elles ont été suivies par la profession.

147. Le Centre de pathologie Liberté ne peut donc se prévaloir de l'absence d'effet sensible de ses pratiques et a participé, au moins entre 2001 et 2002, à l'entente anticoncurrentielle initiée par le Syndicat national. Son comportement a été contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

E. SUR L'ABSENCE D'EXEMPTION DES PRATIQUES NOTIFIÉES

148. Le I de l'article L. 420-4 du Code de commerce énonce : " Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques :

1° Qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ;

2° Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. (...) ".

149. Les pratiques qualifiées ne peuvent tout d'abord, au regard du 1°, pas être considérées comme résultant d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application, en particulier s'agissant des articles du Code de déontologie médicale qui ont été invoqués. En effet, étant donné la liberté des prix applicable aux examens ACP effectués par des médecins extérieurs pour le compte des hôpitaux, ces articles, ainsi qu'il a été exposé précédemment, ne sauraient être invoqués dès lors qu'ils seraient contraires à des dispositions législatives. De plus, l'article L. 412-7 du Code de la santé publique se borne à prévoir l'existence des codes de déontologie des professions médicales " préparé[s] par le Conseil national de l'Ordre intéressé [et] édictés sous la forme d'un décret en Conseil d'Etat ", mais sans définir aucun principe dont les codes de déontologie devraient préciser les modalités d'application. Dans ces conditions, le Code de déontologie médicale ne saurait être considéré comme un texte réglementaire pris pour l'application d'un texte législatif, au sens de l'article L. 420-4 du Code de commerce.

150. Par ailleurs, au regard du 2°, dans la décision n° 07-D-05 précitée, le Conseil de la concurrence a considéré comme ne pouvant être justifiées par cette disposition des pratiques visant à inciter les orthoprothésistes à ne pas accorder de remises par rapport aux tarifs de remboursement de la sécurité sociale dans le cadre de leurs réponses aux appels d'offres des hôpitaux en relevant qu'une telle pratique " ne vise pas à limiter une hausse de prix qui s'exercerait au détriment de la collectivité et, le cas échéant, des patients pris individuellement, mais au contraire à empêcher des baisses de prix recherchées pour le bénéfice de la collectivité et des patients par le recours au mécanisme d'appels d'offres ". La situation est identique en l'espèce, les pratiques qualifiées ne produisant aucun progrès économique mais augmentant, au contraire, le coût des prestations pour les hôpitaux.

F. SUR LES SANCTIONS

151. Les pratiques en cause ont débuté antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, le 18 mai 2001, mais se sont poursuivies après. La saisine, du 16 décembre 2003, est également postérieure à cette date. Il en résulte que les dispositions du livre IV du Code de commerce applicables en l'espèce sont celles issues de la loi du 15 mai 2001, comme l'a déjà indiqué, pour une situation similaire, la décision du Conseil n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de l'abattage et de la commercialisation d'animaux de boucherie.

152. L'article L. 464-2 du Code de commerce dans la version en cause prévoit que si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire pouvant être infligée est de 3 millions d'euro et que, pour une entreprise, il est de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours de l'un des exercices clos depuis l'exercice précédent celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Cette disposition prévoit également que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre (...). " Par ailleurs, aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, lorsque le Conseil statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, c'est-à-dire sans établissement préalable d'un rapport, le plafond de la sanction encourue est de 750 000 euro.

153. L'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit aussi que le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise.

1. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES

154. Les ententes ou actions concertées visant les prix pratiqués par des concurrents à l'occasion de réponses à des appels d'offres sont considérées comme d'une particulière gravité. Elles le sont d'autant plus dans les cas où elles ont perduré dans le temps, ont été accompagnées de moyens de pression ou de sanction ou faites en connaissance de cause.

155. La pratique du Syndicat national a duré au moins six ans, de 1996 à 2002, et elle visait à mettre en échec la liberté tarifaire dans le cadre d'un dispositif, le mécanisme d'appel d'offres, choisi pour faire jouer pleinement la concurrence. Elle a été accompagnée d'un contrôle visant à en vérifier le respect. La pratique du Conseil départemental du Nord de l'Ordre des médecins est plus ciblée dans le temps, en 2001 et 2002, mais elle a bénéficié de l'autorité morale d'un ordre professionnel pour fausser le libre jeu de la concurrence. La pratique du Centre de pathologie Liberté couvre aussi les années 2001 et 2002 mais a été limitée à son propre champ d'intervention. Elle a de plus été encouragée par les Conseils et recommandations des instances professionnelles et ordinales, ce qui atténue la responsabilité de l'entreprise.

156. On relèvera par ailleurs à l'égard de toutes les parties mises en cause qu'un jugement du tribunal administratif a pu les conforter dans leur interprétation de la situation juridique.

2. SUR LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

157. Les montants des conventions et appels d'offres mentionnés au dossier sont en général peu élevés et de niveaux très hétérogènes. Les deux plus gros marchés représentent 400 000 euro pour le premier et 240 000 euro pour le second. Un certain nombre des autres marchés concernés n'atteignent pas, ou à peine, le seuil rendant obligatoire l'organisation d'un appel d'offres. Aucun élément du dossier ne permet de supposer que les pratiques qualifiées ont pu entraîner la sortie d'un opérateur du marché ou modifier la structure de celui-ci.

158. Cela étant, en ce qui concerne les appels d'offres et bien que les consignes syndicales et ordinales n'aient pas été suivies en grande partie, il est établi que les pratiques relevées, qui ont duré de 1996 à 2002 et dont des effets ont été relevés jusqu'en 2004, ont, au moins ponctuellement, privé certains centres hospitaliers de l'opportunité de bénéficier de prestations moins onéreuses. Les pratiques ont également privé certains médecins de l'opportunité de conquérir de nouveaux marchés.

159. Il résulte par ailleurs d'une jurisprudence constante concernant les ententes anticoncurrentielles en matière de marchés faisant appel à la concurrence que le dommage causé à l'économie par ces pratiques est indépendant du dommage souffert par le demandeur et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence, notamment au titre de la malheureuse valeur d'exemple qu'elles peuvent avoir (voir par exemple la décision du Conseil n° 07-D-02 du 23 janvier 2007 relative à des pratiques ayant affecté l'attribution de marchés publics et privés dans le secteur de l'élimination des déchets en Seine-Maritime). La problématique posée en matière d'appels d'offres pour des examens ACP se rencontre également s'agissant d'autres types de prestations de service médicales offertes aux centres hospitaliers (telles que la radiologie, les examens nucléaires, etc.) et les pratiques relevées en l'espèce ont également pu se répandre dans ces autres secteurs.

160. Il convient de relever que la participation au dommage à l'économie est différente s'agissant du Syndicat national, dont les pratiques avaient une dimension nationale, du Conseil départemental du Nord de l'Ordre, dont les pratiques n'ont causé de dommage direct que dans son ressort et dans les départements limitrophes où des médecins de son ressort opèrent et pour le Centre de pathologie Liberté, dont les pratiques prohibées participant à l'action du syndicat sont très limitées dans le temps et dans l'espace.

3. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION PÉCUNIAIRE

161. Le Syndicat national a indiqué que le montant des cotisations annuelles qu'il reçoit s'est élevé à 133 870 euro en 2001, 132 079 euro en 2002, 133 795 euro en 2002, 131 613 euro en 2004, 129 218 euro en 2005 et 128 077 euro en 2006. Il a indiqué un total de recettes pour 2006 de 133 621,93 euro.

162. Il y a lieu de rappeler qu'un organisme professionnel qui serait sanctionné, dans le respect des plafonds légaux, au-delà de ses ressources immédiatement disponibles a la possibilité de faire appel à ses membres pour lever les fonds nécessaires au paiement de la sanction pécuniaire qui lui est infligée. Lorsque l'infraction au droit de la concurrence d'un organisme professionnel porte sur les activités de ses membres, il convient en effet de prendre en compte les capacités économiques de ceux-ci. A défaut, des comportements anticoncurrentiels ayant un impact significatif sur le marché pourraient ne pas être sanctionnés à un niveau suffisamment dissuasif (voir la décision de la Commission européenne du 2 avril 2003, affaire viandes bovines françaises et l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 décembre 2006, FNCBV, FNSEA et autres/Commission, T-217-03 et T-245-03 et la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille).

163. En fonction des éléments liés à la gravité de l'infraction commise par le Syndicat national, du dommage à l'économie qui en est résulté et de la situation de cet organisme, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 20 000 euro.

164. Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre a indiqué que le montant de ses cotisations annuelles s'était élevé à 853 789 euro en 2002, 922 459 euro en 2003, 967 262 euro en 2004 et 1 016 298 euro en 2005. Il a indiqué que ses recettes s'élevaient à 1 316 342 euro en 2006. En fonction des éléments liés à la gravité de l'infraction commise par le Conseil départemental du Nord, du dommage à l'économie qui en est résulté et de la situation de cet organisme, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 12 000 euro.

165. Le Centre de pathologie Liberté a indiqué que son chiffre d'affaires s'élevait à 2 561 996 euro en 2005 et 2 763 897 euro en 2006. En fonction des éléments liés à la gravité de l'infraction commise par le Centre de pathologie Liberté, du dommage à l'économie qui en est résulté et de la situation de cette entreprise, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 12 000 euro.

4. SUR L'OBLIGATION DE DIFFUSION ET DE PUBLICATION

166. Afin d'informer de la présente décision les acteurs du secteur de la santé et de celui de la protection sociale et de les inciter à la vigilance à l'égard des pratiques condamnées, il y a lieu d'ordonner au Syndicat national de diffuser par circulaire le résumé de cette décision figurant au paragraphe suivant et au Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins de faire de même dans son bulletin, ainsi que d'ordonner conjointement au Syndicat national, au Conseil départemental de l'Ordre et au Centre de pathologie Liberté de faire publier ledit résumé dans le " Quotidien du médecin " et le " Moniteur hospitalier ", à leurs frais communs et au prorata du montant de leur sanction :

167. " Le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français a, de manière continue de 1996 à 2002, mis en œuvre une pratique anticoncurrentielle en incitant ses adhérents à ne pas offrir des prix inférieurs de plus de 5 % aux tarifs issus de la NGAP lors des réponses aux appels d'offres des hôpitaux en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques alors que sur ce marché les prix sont libres. Il a ainsi adressé des courriers et circulaires à ses adhérents et a engagé des actions disciplinaires à l'encontre de médecins qui ne suivaient pas ses consignes. L'envoi des circulaires litigieuses a eu l'effet anticoncurrentiel escompté dans le cadre de certains appels d'offres et a, d'une manière générale, incité des médecins à la prudence dans la détermination de leur offres tarifaires aux hôpitaux. Le Conseil de la concurrence a relevé la gravité du comportement du syndicat professionnel qui, pendant plusieurs années, a défendu une action concertée sur les prix dans un dispositif choisi pour faire jouer la concurrence, ainsi que le dommage à l'économie qui en est résulté en privant les budgets publics des hôpitaux concernés d'économies en portant entrave directe au libre jeu de la concurrence. Le Conseil de la concurrence a infligé au Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français une sanction pécuniaire de 20 000 euro. Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins, en prenant position entre 2001 et 2002, notamment dans son bulletin, dans le sens d'une restriction de la liberté tarifaire dans les relations entre les hôpitaux publics et les médecins apportant à ceux-ci des prestations médicales extérieures, a dépassé le cadre de ses missions en faussant le jeu de la concurrence. Cette attitude a eu des effets sur le comportement de médecins établis dans le ressort du Conseil départemental et a renforcé les effets de la pratique syndicale évoquée précédemment. Le Conseil de la concurrence a relevé que la gravité d'une telle pratique était renforcée par le fait qu'elle s'appuyait sur l'autorité morale propre aux ordres professionnels. Le Conseil a infligé au Conseil départemental du Nord une sanction de 12 000 euro.

Le texte intégral de la décision du Conseil de la concurrence est accessible sur le site www.Conseil-concurrence.fr "

DÉCISION

Article 1: Il est établi que le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français, le Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins et la société Centre de pathologie Liberté ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en ce qui concerne la fourniture de prestations d'anatomo-cyto-pathologie aux hôpitaux dans le cadre d'appels d'offres.

Article 2 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

* au Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français une sanction de 20 000 euro ;

* au Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins une sanction de 12 000 euro ;

* au Centre de pathologie Liberté une sanction de 12 000 euro.

Article 3 : Le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français, le Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins et le Centre de pathologie Liberté feront publier à leurs frais communs et au prorata du montant de leur sanction dans les trois mois suivant la notification de la présente décision le texte figurant au paragraphe 167 de celle-ci, en en respectant la mise en forme, dans " Le Quotidien du médecin " ainsi que dans " Le Moniteur hospitalier ". Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à 5 mm sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision n° 07-D-41 du 28 novembre 2007 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques s'opposant à la liberté des prix des services proposés aux établissements de santé à l'occasion d'appels d'offres en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques ". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. Le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français, le Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins et la société Centre de pathologie Liberté adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie de ces publications, dès leur parution.

Article 4 : Le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français diffusera à ses membres par circulaire dans un délai d'un mois suivant la notification de la présente décision le texte figurant au paragraphe 167 de celle-ci, dans les mêmes conditions de présentation que celles mentionnées à l'article 3. Le Syndicat national des médecins anatomo-cyto-pathologistes français adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie de cette circulaire dès sa diffusion.

Article 5 : Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins diffusera à ses membres dans son bulletin dans un délai d'un mois suivant la notification de la présente décision le texte figurant au paragraphe 167 de celle-ci, dans les mêmes conditions de présentation que celles mentionnées à l'article 3. Le Conseil départemental du Nord de l'Ordre national des médecins adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie de ce bulletin dès sa diffusion.