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Décisions

Conseil Conc., 10 décembre 2007, n° 07-D-43

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre par Electricité de France

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Genevaz, par M. Nasse, président, Mme Pinot, M. Bidaud, membres.

Conseil Conc. n° 07-D-43

10 décembre 2007

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 22 février 2007, sous les numéros 07/0019F et 07/0020M, par laquelle la société Direct Energie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Electricité de France et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu la décision n° 07-MC-04 du 28 juin 2007 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Direct Energie ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les engagements proposés par la société Electricité de France ; Vu les décisions de secret des affaires n° 07-DSA-219 et 07-DSA-220 du 19 octobre 2007, ainsi que 07-DSA-223 du 22 octobre 2007 ; Vu l'avis de la Commission de régulation de l'énergie du 2 mai 2007 complété par les observations en date du 20 septembre 2007 ; Vu les observations de l'Association nationale des opérateurs détaillants en électricité, des sociétés Atel Energie, Centrica, EBM Synergie, Electrabel France, Enalp, Endesa France, Enel, Energetic Source, Europe Energy, Gaz de France, GEG Source d'Energies, HEW energies, KalibraXE, Poweo, Proxelia, Rhodia, Sorégies, Vialis, de l'Union des industries chimiques et de l'Union des industries utilisatrices d'énergie ; Vu les observations présentées par les sociétés Direct Energie et Electricité de France, ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Direct Energie et Electricité de France, entendus lors de la séance du 24 octobre 2007 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL

1. Le 22 février 2007, la société Direct Energie a saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte relative à des pratiques mises en œuvre par la société Electricité de France (ci-après EDF) sur les marchés de la production et de la fourniture d'électricité, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires.

2. Dans sa décision n° 07-MC-04 du 28 juin 2007 le Conseil a estimé " à ce stade de l'instruction, (...) qu'EDF est susceptible d'avoir mis en œuvre une pratique de ciseau tarifaire, constitutif d'un abus de la position dominante occupée par EDF sur les marchés de la production et de la vente d'électricité en gros, ayant pour objet ou pour effet d'exclure un concurrent sur le marché aval de la vente d'électricité aux petits professionnels, prohibé par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE ".

3. Le Conseil, constatant que l'" effet de ciseau tarifaire entre le prix de l'offre de détail EDF Pro et le prix de vente de l'électricité à Direct Energie fixé dans le contrat du 27 décembre 2005 " créait une atteinte grave et immédiate à la situation de la saisissante et au secteur, a enjoint à EDF, à titre conservatoire, de lui transmettre " dans un délai qui ne pourra excéder deux mois à compter de la notification de la présente décision, une proposition de fourniture d'électricité en gros ou toute autre solution techniquement et économiquement équivalente permettant aux fournisseurs alternatifs de concurrencer effectivement, sans subir de ciseau tarifaire, les offres de détail faites par EDF aux consommateurs d'électricité sur le marché libre. Cette offre devra préciser les conditions objectives, transparentes et non discriminatoires qui lui sont associées ". Le Conseil a précisé, à cet égard, que " [d]ans l'hypothèse où EDF souhaiterait, comme elle l'a proposé en séance, répondre à cette injonction par un engagement d'offrir un produit à terme en énergie de base d'origine nucléaire à un prix conventionnel, cette proposition devra, tout en satisfaisant les conditions énoncées à l'alinéa précédent, répondre aux orientations suivantes :

- couvrir une durée et proposer des quantités suffisantes pour la mise en place effective d'une offre de détail viable par un opérateur aussi efficace ;

- proposer des conditions contractuelles non discriminatoires, applicables à tous les fournisseurs souhaitant servir les clients finals ".

B. LES ENTREPRISES

a) La société Direct Energie

4. La société Direct Energie est un fournisseur alternatif d'électricité, dont le capital est détenu majoritairement par le groupe Louis Dreyfus depuis juin 2006. Direct Energie est présente depuis 2004 sur le segment des ventes d'électricité aux petits professionnels. Le chiffre d'affaires de la société s'est élevé à environ 116,4 millions d'euro en 2006, pour un résultat net accusant une perte d'environ 9,5 millions d'euro.

b) Le groupe Electricité de France

5. Le groupe comprend la société anonyme Electricité de France et ses filiales. EDF est l'opérateur historique de l'électricité en France et est présent sur l'ensemble des métiers de l'électricité : la production, le transport (activité exercée à travers RTE, filiale d'EDF, gestionnaire du réseau de transport d'électricité français depuis le 1er septembre 2005), la distribution (également filialisée) et la fourniture. Le chiffre d'affaires du groupe s'est élevé à 58,9 milliards d'euro en 2006, pour un résultat net courant positif de 4,2 milliards d'euro.

C. LES MARCHES CONCERNES PAR LES PRATIQUES

6. Le Conseil a identifié trois marchés pertinents dans sa décision n° 07-MC-04. En amont, le marché de la production est défini comme comprenant l'électricité produite par les centrales et celle importée par le biais des interconnexions. Cette électricité est ensuite vendue en gros ou au détail, exportée ou encore affectée aux pertes des réseaux. Compte tenu des caractéristiques de l'offre et de la demande, ainsi que des différences dans les quantités d'électricité concernées, il y a ensuite lieu de distinguer deux marchés en aval de la chaîne : le marché de gros, au niveau intermédiaire, et le marché de détail, en aval.

7. Le marché de la vente d'électricité en gros est défini comme le marché sur lequel les producteurs nationaux et les importateurs vendent les quantités physiques, produites ou importées, aux revendeurs et aux consommateurs achetant directement sur le marché de gros. Ce marché se compose principalement, du côté de l'offre, de la production française que les producteurs ont décidé d'affecter au marché libre (y compris les virtual power plants, ou VPP), d'offres sur Powernext par des négociants et de l'électricité importée.

8. Du côté de la demande, le marché de gros comporte deux segments. Le premier est constitué d'intermédiaires qui font commerce de l'électricité : d'une part, les fournisseurs qui achètent en gros pour approvisionner les clients finals sur le marché libre et, d'autre part, des négociants et des acteurs financiers qui revendent à d'autres opérateurs.

9. Le second segment comprend les consommateurs les plus importants qui négocient sur le marché de gros des offres sur mesure pour leurs besoins propres. Il ne s'agit donc pas, dans ce cas, d'un marché intermédiaire mais d'un marché de consommation finale. Ce segment du marché de gros est en réalité un marché des grands comptes.

10. Les blocs offerts sur le marché de gros sont définis en fonction de leur durée et de leur période de livraison. Les blocs de pointe visent, par principe, à couvrir les besoins des consommateurs pendant les périodes où la puissance appelée en permanence (la base) est insuffisante. Ces produits sont donc imparfaitement substituables aux produits de base, et leur prix est plus élevé. Il est donc envisageable de séparer le marché de gros des produits de base de celui des produits de pointe. Cette question a néanmoins été laissée ouverte au stade de la décision de mesures conservatoires.

11. En aval, la vente au détail aux sites raccordés au réseau en basse tension présente certaines particularités qui en font un marché distinct. Les professionnels disposant de sites raccordés au réseau en basse tension et dont la puissance souscrite n'excède pas 36 kVA (ci-après les petits professionnels) ont la possibilité d'acheter leur électricité auprès du fournisseur de leur choix à un prix déterminé par le jeu de l'offre et de la demande depuis le 1er juillet 2004 (on parle d'" éligibilité "). Ces consommateurs sont des clients dits " profilés ", c'est-à-dire dont la consommation est évaluée par avance sur la base de profils types, à la différence des grands clients qui bénéficient d'offres sur mesure négociées de gré à gré. Les petits professionnels font l'objet d'offres spécifiques sur le marché libre et impliquent de la part du fournisseur une approche commerciale de masse. Tel est également le cas des clients résidentiels, devenus éligibles le 1er juillet 2007.

D. LA SITUATION DE LA CONCURRENCE SUR CES MARCHES

12. La libéralisation du secteur de l'électricité est le fruit d'un processus progressif qui a vu l'émergence de nouveaux opérateurs, dits " alternatifs ", qui concurrencent EDF pour les ventes aux consommateurs finals sur le marché français. Certains fournisseurs alternatifs disposent de moyens de production, d'autres en sont dépourvus. Néanmoins, l'ensemble des fournisseurs alternatifs recourt, au moins partiellement, à un approvisionnement sur le marché de gros afin de couvrir ses besoins pour la vente au détail.

a) La production d'électricité

13. Le parc de production comprend des moyens de production de technologies différentes, à savoir, principalement, l'hydroélectricité, le nucléaire, les centrales à énergies fossiles, et l'éolien. Ces moyens sont sollicités selon une logique d'" empilement " au fur et à mesure de l'augmentation de la demande. En effet, chaque type de centrale, relevant d'une certaine technologie production, possède une structure de coûts fixes et variables qui lui est propre.

14. Les moyens de production qui peuvent fonctionner en permanence avec des coûts variables faibles, typiquement l'hydroélectricité " au fil de l'eau " et le nucléaire, sont utilisés pour une production " en base ", c'est-à-dire une puissance appelée en permanence au cours d'une année. Lorsqu'un tel moyen de production à coût variable faible est également caractérisé par des coûts fixes importants - cas du nucléaire - son fonctionnement en base est plus rationnel encore puisque le prix de revient de ce mode de production s'accroît s'il n'est utilisé qu'une partie du temps.

15. Les autres moyens de production, dont les coûts fixes sont plus faibles et les coûts variables plus élevés, sont utilisés pour la production dite de " semi-base " et de " pointe ".

16. Les moyens du parc sont donc susceptibles de fonctionner simultanément selon les besoins, avec une grande hétérogénéité des structures de coût. En principe, la demande est satisfaite par " empilement " des moyens de production, par ordre de coût marginal croissant. A un instant donné, le coût marginal du parc de production correspond donc à celui des unités en fonctionnement dont le coût variable est le plus élevé, généralement les centrales thermiques.

17. La France a disposé, en 2006, d'une capacité installée de 116 GW. EDF dispose de 87 % de cette capacité (soit 101,2 GW). La même année, EDF a produit 485,2 TWh, soit 88 % de la production française totale. La production nucléaire, entièrement contrôlée par EDF, occupe une position prépondérante puisqu'elle représente plus de 54 % de la capacité installée totale (soit 63,1 GW) et 78 % de la production totale (soit 428,7 TWh).

18. L'importance de la part de la filière nucléaire dans la production totale en France en comparaison de sa proportion de la puissance installée s'explique par le fonctionnement du parc de production et les écarts d'efficacité entre les différents moyens de génération de l'électricité, ainsi que cela a été exposé précédemment. Il est avantageux de faire marcher les centrales nucléaires en permanence (hors maintenance) et de réserver le fonctionnement intermittent aux moyens de production de pointe qui représentent, par conséquent, une part de la production effective d'énergie inférieure à leur proportion de la puissance installée.

19. Les moyens de production nucléaire fournissent la majorité de la production de base en France. Ainsi, dès lors que le prix de marché de l'électricité égalise le coût marginal de sa production, le prix de l'électricité ne peut théoriquement refléter le coût marginal du parc nucléaire qu'en période de " marginalité " des centrales nucléaires, c'est-à-dire durant les périodes où la demande n'excède pas la production nucléaire. A l'inverse, les moyens de production nucléaire sont rémunérés au-delà de leurs seuls coûts variables lorsque la demande excède la capacité du parc nucléaire. Ceci permet de couvrir les coûts complets, somme des coûts variables et des coûts fixes, considérables, des moyens de production nucléaire. Il est possible de parler de " rente du nucléaire " lorsque le niveau de rémunération du parc nucléaire est supérieur à ce qui est nécessaire pour couvrir son coût complet.

20. Le parc nucléaire actuellement contrôlé par EDF est le résultat d'un programme mis en œuvre après le choc pétrolier de 1973, ce programme ayant entraîné la mise en service de centrales selon un rythme soutenu. Le parc nucléaire français est aujourd'hui constitué de 58 réacteurs à eau pressurisée (ci-après le parc REP). Sa composition sera néanmoins amenée à évoluer puisque les premiers déclassements de centrales pourraient intervenir aux alentours de 2017. En outre, EDF s'est engagée dans la construction d'une centrale de nouvelle génération, utilisant la technologie dite EPR (European Pressurized Reactor), dont la mise en service est prévue pour 2012.

21. Les opérateurs alternatifs ne sont pas présents dans la filière nucléaire en dehors d'accords d'échange de capacité ou de droits de tirage sur le parc d'EDF. Ceci s'explique notamment par l'existence de barrières à l'entrée dans la production nucléaire, relevées aux paragraphes 19 à 23 de la décision n° 07-MC-04. Les opérateurs alternatifs concurrencent en revanche marginalement EDF dans les filières de production de semi-base et de pointe, et représentent 6 % de la capacité installée en France (centrales hydrauliques, à charbon, de cogénération, à cycle combiné au gaz).

b) La vente d'électricité aux clients finals petits professionnels et résidentiels

22. La fourniture d'électricité au détail suppose, de la part du fournisseur, de couvrir les deux parties, différentes, de la consommation des clients finals, dites " ruban " et " forme ", qui correspondent à deux aspects de leur " profil " de consommation. La consommation en " ruban " est la part de consommation constante tout au long de l'année. La " forme " constitue la partie variable de la consommation (selon la saison, les heures de la journée, etc.).

23. En outre, le coût de l'énergie livrée ne constitue qu'environ 50 à 55 % du prix final facturé au consommateur, le reste de la facture étant composé du coût d'acheminement (transport et distribution) et des coûts commerciaux supportés par le fournisseur.

24. A cet égard, les clients dits " petits professionnels ", éligibles depuis le 1er juillet 2004, et les clients résidentiels, éligibles depuis le 1er juillet 2007, présentent des caractéristiques techniques et commerciales similaires. D'un point de vue technique il s'agit de consommateurs reliés au réseau en basse tension, souscrivant des puissances relativement faibles et n'excédant pas 36 kVA. D'un point de vue commercial, s'agissant de sites relativement nombreux au regard de leur consommation, ces clients font l'objet d'une approche commerciale de masse (on parle du " marché de masse "). Au contraire de plus gros clients, l'approvisionnement de ces consommateurs n'est donc pas déterminé sur la base d'une estimation fine de la consommation prévisionnelle individuelle de chaque consommateur, mais s'établit sur la base de profils de consommation types correspondant à des moyennes.

25. Il existe actuellement deux secteurs distincts pour la fourniture au détail d'électricité aux consommateurs professionnels : la fourniture à un tarif réglementé fixé par la puissance publique, assurée par EDF, et la fourniture à un prix librement déterminé, assuré par des opérateurs concurrents, parmi lesquels EDF. En effet, si tous les consommateurs sont aujourd'hui éligibles, l'exercice de l'éligibilité n'est pas une obligation pour les consommateurs, qui peuvent, sans avoir à effectuer une quelconque démarche, continuer de se fournir en électricité auprès d'EDF aux tarifs réglementés fixés par les pouvoirs publics. En revanche, à ce jour, le choix par un consommateur d'exercer son éligibilité est, en principe, irréversible.

26. Or, l'évolution des tarifs réglementés de l'électricité est déterminée en fonction d'un objectif de couverture des coûts de développement et n'est donc pas directement corrélée aux prix de vente constatés sur le marché de gros. Dans ce contexte, le développement du marché de détail libéralisé, c'est-à-dire sur lequel les clients finals choisissent librement le fournisseur de leur choix (on parle de " marché libre "), est resté modeste : 17 % environ des volumes consommés annuellement par les petits professionnels sont acquis sur le marché libre (soit environ 8 TWh).

27. A ce jour, EDF reste le principal fournisseur d'électricité aux clients finals petits professionnels et résidentiels ayant exercé leur éligibilité, avec environ 65 % des volumes livrés à ces consommateurs. Son premier concurrent est Gaz de France (ci-après GDF), dont les livraisons couvrent entre 17 et 20 % de la demande de masse libre ; viennent ensuite Poweo, Direct Energie et Electrabel France, avec une part estimée des quantités livrées au marché de masse libre s'élevant respectivement à environ 12,5 %, 11 % et 0,2 %.

28. L'offre initialement proposée par EDF aux petits professionnels exerçant leur éligibilité depuis 2004 est un contrat dénommé " EDF Pro ". Celui-ci comporte deux parties : une partie fixe que représente l'abonnement mensuel (en € HT), dont le niveau dépend du niveau de puissance souscrite (soit 9 tranches de puissance, de 3 à 36 kVA), et une partie qui varie en fonction du niveau de consommation, soit le prix de l'énergie (en €/kWh).

29. Le montant de la partie fixe de l'offre EDF Pro est identique à celle du tarif réglementé Bleu, applicable aux sites présentant les mêmes caractéristiques, auquel est ajoutée une " sur-prime " qui s'échelonne de 2 à 6 euro et rémunère des services supplémentaires par rapport à ceux du tarif Bleu, offerts par EDF aux opérateurs souscrivant l'offre de marché. Il existe trois niveaux de services, qui correspondent aux trois offres EDF Pro (dénommées " Essentiel Pro ", " Présence Pro " et " Souplesse Pro ").

30. La partie variable est également identique en niveau à celle des tarifs réglementés Bleu. Le prix de l'énergie au tarif réglementé comme au prix libre est ainsi proposé sous la forme de deux options : une fourniture en " base " c'est-à-dire le même niveau de prix à tout moment de la journée (ci-après l'option base) ; une fourniture dont le prix en heures creuses (8 heures par jour déterminées dans les plages 12h-17h et 20h-8h) et heures pleines est différencié (ci-après l'option HC).

31. EDF a suspendu son offre " EDF Pro " le 2 avril 2007. Les contrats en cours ne sont pas affectés (et restent renouvelables), mais EDF propose désormais aux petits professionnels une offre intitulée " Electricité Pro ", dont le niveau de prix est plus élevé, de 10% à 12% selon les cas, et dont la structure est différente de celle des tarifs réglementés, avec un niveau d'abonnement généralement moins élevé (sauf pour les très petites puissances) et un prix du kWh plus élevé (sauf pour les clients 3 kVA).

32. Au-delà de l'écart général de prix, les deux offres diffèrent également par la méthode de fixation du prix par rapport aux coûts, notamment au coût du ruban de fourniture.

33. L'offre de 2004, EDF Pro, était une offre intégrée pour laquelle les coûts implicites sont déterminés selon une logique dite de " retail minus ", le montant du coût du ruban implicite de fourniture étant obtenu par soustraction en deux étapes. En partant, tout d'abord, du tarif de détail, on soustrait l'ensemble des composants connus (acheminement, taxes, coûts commerciaux, marge) pour obtenir une " part production " théorique. Le " ruban implicite " (ou " équivalent ruban ") est obtenu, dans un second temps, en soustrayant le " facteur de forme " de la part production.

34. L'offre de 2007, Electricité Pro, est construite selon une logique inverse, dite de " cost plus " : les composants du prix de vente sont agrégés à partir de coûts de production constatés. La part production est calculée en €/MWh sur la base de données de consommation réelle (donc " profilée "). L'" équivalent ruban " est ensuite déterminé, comme précédemment, en soustrayant le " facteur de forme " de la part production.

c) L'approvisionnement des fournisseurs alternatifs d'électricité

35. L'activité des fournisseurs alternatifs repose, au moins partiellement, sur un approvisionnement en gros, particulièrement pour leurs besoins de base. La libéralisation du secteur s'est ainsi accompagnée de l'émergence d'un marché intermédiaire de gros, dédié à des échanges de produits standards. Ces produits sont des " blocs " représentant une puissance consommée constante pendant une certaine durée. Si la puissance est permanente, il s'agit d'un " bloc de base ". Si elle n'est appelée qu'entre 8h et 20h en semaine, il s'agit d'un " bloc de pointe ". Les produits échangés sont dits " spot " ou " à terme " en fonction de la période de livraison physique.

36. Les transactions ont lieu sur trois " places de marché ", à savoir : de gré à gré (ou " over the counter ", ci-après OTC) ; sur la bourse de l'énergie Powernext pour des échanges de produits spot (" Powernext Day-Ahead ", marché quotidien d'enchères pour livraison physique sur chacune des 24 heures de la journée du lendemain) et des échanges de produits à terme (" Powernext Futures ", pour des échéances d'un trimestre, d'une année et de trois ans) ; enfin, dans le cadre de transactions bilatérales " sur mesure ".

37. En outre EDF met aux enchères un accès à 5 400 MW dans le cadre d'un système de " centrales virtuelles " résultant d'un engagement auprès de la Commission européenne dans le cadre de la décision EDF/EnBW du 7 février 2001. Ces " virtual power plants " (ci-après VPP) constituent un droit de tirage sur un montant de capacité dont la réservation est mise aux enchères. Une fois un produit acquis, l'acheteur peut tirer sur le montant de capacité réservé à un prix de l'énergie reflétant les coûts variables d'un type de filière de production. Ce système visait à l'origine à s'assurer qu'environ un tiers du marché éligible à l'époque de la décision de la Commission européenne pourrait être approvisionné par des concurrents d'EDF avec de l'électricité produite en France.

38. Au final, selon la CRE, l'OTC représente 80 % des approvisionnements des fournisseurs alternatifs sans moyens de production, contre 15 % pour les VPP et 5 % pour les achats sur Powernext (spot et futures réunis). En ce qui concerne les fournisseurs alternatifs disposant de moyens de production, la CRE estime que ceux-ci leur permettent de couvrir 25 % de leurs besoins en moyenne, 50 % des besoins étant par ailleurs couverts par les achats OTC, 15 % par les VPP et 5 % par les achats sur Powernext.

39. Cette situation est cohérente avec la structure du parc de production français : les opérateurs alternatifs qui disposent de moyens de production sont actuellement essentiellement actifs dans les filières de semi-base et de pointe. Ils ne sont donc pas en mesure de couvrir leurs besoins en électricité de base en utilisant leurs propres unités de production. Or, le prix de l'électricité vendue en gros, qui reflète le coût marginal de production, est déconnecté du coût de la production nucléaire. Dans ces circonstances, EDF, seul opérateur capable de couvrir ses ventes de détail en recourant intégralement à ses propres moyens de production, notamment nucléaires, est seul économiquement en mesure de pratiquer un prix de détail déconnecté des prix de gros.

40. Dans ce contexte, le Conseil a constaté, dans sa décision n° 07-MC-04, un manque de liquidité du marché de gros français, particulièrement en ce qui concerne les transactions à terme. Le Conseil a observé que ce manque de liquidité tendait à s'aggraver à mesure que les échéances concernées s'éloignaient dans le temps, et a relevé un déficit de liquidité total au-delà de l'échéance de trois ans. L'ensemble des opérateurs auditionnés ont ainsi fait état de difficultés d'approvisionnement, notamment pour des produits assurant une livraison d'électricité à terme.

41. Il en résulte que, étant donné la structure du parc de production français et le fonctionnement économique du marché de gros, les opérateurs alternatifs, dont les activités de production sont limitées à la production de semi-base et de pointe, éprouvent des difficultés à obtenir un approvisionnement en base suffisant pour soutenir une activité viable sur le marché de détail. Ceci explique l'existence du contexte défavorable au développement d'offres alternatives à celle d'EDF constaté par le Conseil dans sa décision n° 07-MC-04.

E. L'EVALUATION PRELIMINAIRE DES PRATIQUES ALLEGUEES

42. Conformément aux dispositions de l'article R. 464-2 du Code de commerce, le rapporteur a présenté l'évaluation préliminaire des pratiques en cause aux entreprises concernées lors d'une séance orale tenue le 20 juin 2007. Le Conseil a ensuite exprimé des préoccupations de concurrence dans sa décision n° 07-MC-04. Ces préoccupations concernent l'éventuelle pratique de ciseau tarifaire découlant de l'application par EDF d'un prix de 52,6 €/MWh dans un contrat d'approvisionnement en gros de Direct Energie conclu le 27 décembre 2007, par rapport aux prix de détail d'EDF sur le marché de masse libre.

43. En l'espèce, le Conseil a par ailleurs expliqué que le fait générateur de la pratique examinée était bien la pratique de prix d'EDF dans le contrat concerné, et non le niveau de prix de gros généralement observable sur le marché, le test de ciseau devant être conduit non pas sur la base des prix de gros moyens observés sur le marché, mais au regard du prix d'approvisionnement consenti par EDF à Direct Energie.

44. Dans cette perspective, le Conseil a considéré que les tests de ciseau versés au dossier constituaient des indices concordants d'une pratique de ciseau tarifaire étant donné, d'une part, le prix de l'approvisionnement en gros de 52,6 €/MWh appliqué au plaignant et, d'autre part, le niveau de prix de l'offre EDF Pro proposé par EDF sur le marché de détail libre.

45. Le Conseil a donc estimé, " à ce stade de l'instruction, (...) qu'EDF est susceptible d'avoir mis en œuvre une pratique de ciseau tarifaire, constitutif d'un abus de la position dominante occupée par EDF sur les marchés de la production et de la vente d'électricité en gros, ayant pour objet ou pour effet d'exclure un concurrent sur le marché aval de la vente d'électricité aux petits professionnels, prohibé par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE ".

F. LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCEDURE D'ENGAGEMENTS

46. Compte tenu des préoccupations de concurrence notifiées à EDF, et du cadre fixé par le Conseil dans la décision n° 07-MC-04 pour la présentation d'engagements rappelé au paragraphe 3 de la présente décision, EDF a présenté une proposition d'engagements le 13 juillet 2007 (ci-après la proposition du 13 juillet 2007).

47. Par un communiqué de procédure en date du 19 juillet 2007, le Conseil a publié un résumé de la proposition d'engagements d'EDF ainsi que le texte intégral de celle-ci sur son site Internet à l'intention des tiers potentiellement intéressés susceptibles de présenter des observations. Le Conseil a fixé au 15 septembre 2007 la date limite de réception de ces observations. A cette date, 21 tiers intéressés avaient présenté leurs observations.

48. Parallèlement à la consultation du marché, la proposition d'engagements a été adressée au commissaire du Gouvernement, à la CRE et à la partie saisissante, qui ont adressé au Conseil leurs observations écrites.

1. LES ENGAGEMENTS PROPOSES

49. La proposition d'EDF porte sur " la mise en place d'un mécanisme d'approvisionnement en électricité de base de long terme pour les fournisseurs alternatifs, de nature à leur permettre de concurrencer effectivement EDF sur les marchés avals en France, et en particulier sur le marché 'de masse', qui regroupe les petits clients professionnels et les clients résidentiels et qui fait l'objet de la procédure devant le Conseil ". Cette proposition décrit une offre " de nature à favoriser l'exercice de la concurrence sur les marchés avals en France [,] tout en respectant l'économie de la production d'électricité nucléaire dans la durée ".

50. La proposition d'EDF comportait, initialement, huit conditions principales. Les trois premières conditions étaient les suivantes : l'offre portait sur la mise à disposition d'une puissance totale de 1 500 MW, représentant une quantité d'électricité totale s'élevant à environ 10 TWh par an ; les contrats conclus en vertu des engagements devaient porter sur une durée de 10 à 15 ans ; chaque contrat devait comporter une quantité individuelle, dite " Q ", multiple de 10 MW. Les autres conditions sont développées ci-dessous.

51. Ainsi, en quatrième lieu, les contrats envisagés comportaient deux périodes distinctes. De 2008 à 2010, il était envisagé que les livraisons soient progressives, leur évolution étant choisie par l'acquéreur. Ensuite, à partir de 2011, EDF proposait que la puissance livrée soit une fraction de la quantité contractuelle Q, désormais fixe, fonction d'un coefficient " K " représentant le rapport entre la puissance moyenne produite constatée et la puissance installée du parc de production nucléaire REP.

52. En cinquième lieu, l'offre envisagée comprenait quatre termes de prix. EDF proposait que le prix de la première période, dit " P1 ", soit déterminé " en équilibrant deux considérations (i) la prise en compte du niveau de la part fourniture des tarifs réglementés 'bleus' et (ii) la limitation de l'écart de prix entre la première et la seconde période du contrat ". P1 serait exprimé en €/MWh, EDF précisant en annexe technique qu'il se situerait aux alentours de 36 €/MWh. Ensuite, à partir de 2011, le contrat prendrait " la forme d'un contrat d'accès à de la production nucléaire, dont les conditions de prix visent à en refléter l'économie ". Dans cette optique, le prix appliqué durant cette période serait décomposé en trois éléments :

- un prix proportionnel " P2 " : représentatif de l'ensemble des coûts variables du parc de production nucléaire REP d'EDF. P2 serait révisé annuellement selon " (i) les variations d'indices externes reflétant l'économie du cycle du combustible nucléaire (uranium, salaires, prix des biens et services à l'industrie), dûment pondérés, et (ii) selon l'évolution et les variations de l'ensemble des taxes, impositions, redevances, charges fiscales et contributions de toute nature rattachables au combustible nucléaire et existantes à la date d'entrée en vigueur des contrats ou à compter de celle-ci. Ce dernier terme d'indexation est défini par référence à la variation de la fiscalité effectivement supportée par EDF relative au combustible nucléaire ". P2 serait exprimé en €/MWh ;

- un prix mensuel d'exploitation-maintenance " P3 " : représentatif des dépenses d'exploitation et de maintenance du parc de production nucléaire REP d'EDF. P3 serait révisé annuellement selon " (i) les variations d'indices externes reflétant l'économie des dépenses d'exploitation et de maintenance du parc de production nucléaire REP de référence d'EDF (salaires, prix des biens et services à l'industrie), dûment pondérés, et (ii) de l'évolution et des variations de l'ensemble des taxes, impositions, redevances, charges fiscales et contributions de toute nature rattachables à l'exploitation du parc de production nucléaire REP de référence d'EDF et existantes à la date d'entrée en vigueur des contrats ou à compter de celle-ci. Ce dernier terme d'indexation est défini par référence à la variation de la fiscalité effectivement supportée par EDF ". P3 serait exprimé en €/kW/mois ;

- un prix d'accès à la capacité " P4 " : ce prix serait proposé par l'acquéreur par appel d'offre et représenterait sa valorisation de l'accès à la capacité mise à disposition. P4 serait révisé annuellement selon " les variations du même indice de biens et services à l'industrie que celui qui est utilisé pour la révision annuelle de P2 et P3 ".

53. En sixième lieu, l'offre envisagée comportait un prix de réserve. Ce prix de réserve était appliqué au " prix moyen actualisé de chaque contrat " de manière à ce que, en pratique, les contrats envisagés assurent à EDF une rémunération au moins égale à ce prix, pour la totalité des livraisons. EDF indiquait que ce prix " sera cohérent avec le coût de développement par EDF de l'EPR à Flamanville 3 " soit, selon les dernières estimations publiques d'EDF, 46 €/MWh.

54. En septième lieu, la proposition du 13 juillet 2007 prévoyait la mise en place d'un mécanisme visant à " préserver l'effet utile du dispositif sur le développement de la concurrence sur le marché de masse en France " matérialisé sous la forme d'une clause de prix complémentaire qui neutraliserait " l'effet d'opportunité d'une revente du contrat sur le marché de gros - avec des marges substantielles du fait de la structure de prix proposée par EDF - sans aucun développement de positions commerciales sur ce marché de masse ". En application de cette clause, toute vente des quantités acquises en vertu des engagements proposés au-delà de la " clientèle finale de référence " de l'acquéreur serait " ajusté[e] des différences positives, lorsqu'elles existent, entre le prix du marché spot horaire Powernext et le prix du contrat ". Toute vente excédant la " clientèle de référence " en présence de prix spot horaires inférieurs au prix du contrat demeure en revanche à la charge de l'acquéreur. EDF envisageait que la " clientèle de référence " soit définie comme " l'ensemble des sites de consommation situés en France, raccordés en basse tension et ayant souscrit au titre de l'accès au réseau une puissance inférieure ou égale à 36 kVA " à l'exclusion du portefeuille de clients existants fin 2007. Enfin, cette clause demeurerait " tant que subsistent des tarifs réglementés de vente d'électricité pour la clientèle finale de référence ".

55. En huitième lieu, EDF envisageait que les contrats soient attribués par voie d'un appel d'offres unique (le prix P4) réservé aux fournisseurs alternatifs. Ceux-ci étaient définis par référence aux critères suivants : " (i) les fournisseurs enregistrés en France ; (ii) les fournisseurs enregistrés dans un Etat membre de l'Espace Economique Européen autre que la France ou, dans le cadre des accords internationaux applicables, dans quelque Etat hors de l'Espace Economique Européen qui serait connecté au réseau électrique français (ou encore les sociétés qui anticipent de remplir ces conditions d'ici l'appel d'offres) ".

2. LES OBSERVATIONS REÇUES

56. Ainsi que cela a été indiqué plus haut, le Conseil a reçu les observations de la CRE, du commissaire du Gouvernement, du plaignant, ainsi que de 21 tiers intéressés. Ces observations ont porté sur un certain nombre de sujets qu'il est possible, pour les besoins de l'analyse, de regrouper en huit thèmes principaux.

a) Le maintien d'un effet de ciseau tarifaire

57. Certains tiers intéressés considèrent que la proposition du 13 juillet 2007 ne permet pas de résorber l'effet de ciseau tarifaire dénoncé. Selon l'Association nationale des opérateurs détaillants en électricité (ci-après l'ANODE), Electrabel France, Enel, GDF, HEW et Poweo la proposition d'engagements maintiendrait un effet de ciseau tarifaire entre le niveau de prix de gros proposé par EDF et le ruban implicite des tarifs réglementés Bleu. Par ailleurs, la société Centrica considère que la résolution de l'effet de ciseau tarifaire impose l'augmentation à la fois des prix d'EDF sur le marché libre et des tarifs réglementés Bleu. De même, Electrabel France considère que " [l]a seule solution pour résorber les effets de ciseau tarifaire est le relèvement significatif de la part énergie des tarifs réglementés ".

58. D'autres participants au test de marché dénoncent le maintien d'un effet de ciseau tarifaire vis-à-vis des offres d'EDF sur le marché de détail libre. Observations de la CRE

59. La CRE produit les résultats d'un test de ciseau réalisé sur la base de la proposition du 13 juillet 2007. En ce qui concerne la branche amont du ciseau, la CRE évalue le coût total d'approvisionnement en se fondant sur ses estimations relatives à la forme de la consommation des clients concernés, dite " sous-profil ", qui est déterminée sur la base de statistiques du gestionnaire de réseau, et par l'addition de trois éléments : (i) deux hypothèses possibles concernant le prix de l'électricité de base (destiné à couvrir le coût du ruban), à savoir 36 et 46 €/MWh, prix correspondant aux niveaux planchers connus à ce stade dans le cadre de la proposition d'EDF, (ii) le prix de l'énergie achetée pour compléter ce ruban, dont le coût est estimé par référence à une moyenne de cotation sur Powernext, et (iii) les coûts commerciaux d'EDF répartis de manière fixe par client. Les branches aval de l'éventuel ciseau envisagé correspondent à l'offre " EDF Pro " et aux offres nouvelles proposées par EDF aux clients résidentiels depuis juillet 2007 : " Electricité Pro " et " Mon Contrat Electricité ".

60. Les résultats du test conduisent la CRE à estimer qu'une fourniture d'un ruban annuel à 46 €/MWh génèrerait un effet de ciseau tarifaire en l'état actuel des offres d'EDF sur le marché libre. En revanche, la CRE estime qu'un ruban annuel à 36 €/MWh, s'il ne permet pas de dégager une marge positive sur chaque client (la marge dégagée étant négative pour 83 % des clients EDF Pro, 71 % des clients Electricité Pro et 10 % des clients résidentiels), permettrait néanmoins de dégager une marge positive pour les offres Electricité Pro et Mon Contrat Electricité, en moyenne et par compensation entre les clients rentables et ceux ne permettant pas de dégager une marge positive. La marge moyenne dégagée sur l'ensemble du portefeuille resterait négative concernant l'offre EDF Pro.

61. La CRE ne conclut pas à la disparition de l'effet de ciseau, même dans l'hypothèse d'un ruban annuel à 36 €/MWh, en raison de deux effets additionnels liés à la clause de prix complémentaire. Premièrement la clause de prix complémentaire exclut le portefeuille de clients existant fin 2007 du champ des livraisons de détail possibles en utilisant l'électricité obtenue en vertu des engagements. Tout effet de ciseau tarifaire existant pour ces clients serait donc maintenu.

62. Deuxièmement la clause de prix complémentaire instaurerait une obligation dissymétrique, au sens où seuls les profits qui pourraient être réalisés par la revente sur le marché de gros sont reversés à EDF. Les pertes subies restent à la charge de l'opérateur alternatif. Ceci entraînerait un " surcoût " évalué par la CRE entre 0,1 et 1,9 €/MWh selon les profils de consommation.

Observations de Direct Energie

63. Selon Direct Energie, l'utilisation d'un prix de réserve se situant aux alentours de 46 €/MWh maintiendrait un effet de ciseau tarifaire par rapport aux offres d'EDF sur le marché libre. Cet effet serait " négatif " (c'est-à-dire ne permettrait pas aux alternatifs de dégager une marge positive) par rapport au niveau de prix des contrats EDF Pro. En ce qui concerne les offres Electricité Pro et Mon Contrat Electricité, Direct Energie considère qu'un effet de ciseau tarifaire " positif " (c'est-à-dire permettant de dégager une marge positive mais insuffisante pour couvrir les frais de commercialisation) serait maintenu. Direct Energie rappelle, à cet égard, " l'importance des frais de marketing et d'acquisition de clientèle nécessaires pour adresser utilement un marché aussi verrouillé et captif, et de la nécessité, pour espérer pénétrer effectivement ce marché, d'offrir aux consommateurs des prix de détail inférieurs aux prix de référence de l'opérateur historique ". Le plaignant ajoute qu'un test de ciseau tarifaire appliqué aux seules offres Electricité Pro et Mon Contrat Electricité relèverait de la " fiction " puisque celles-ci sont supérieures au niveau des tarifs réglementés.

64. Enfin Direct Energie souligne que le prix P1 ne procure qu'un avantage facial puisqu'il ne s'agirait que d'une avance que l'acquéreur doit rembourser dans la seconde période du contrat. Il n'y aurait donc pas de réelle réduction de prix dans la première période du contrat, mais un simple report de paiement à partir de 2011.

b) Les quantités offertes et les modalités de leur attribution

65. Selon certains participants au test de marché la quantité d'électricité qu'EDF envisage de mettre à disposition serait manifestement insuffisante puisqu'elle ne permettrait de couvrir que 5 % de la consommation de l'ensemble des clients petits professionnels et résidentiels. Certains intervenants considèrent que la quantité mise à disposition devrait être accrue, et d'autres estiment encore que la quantité mise à disposition ne devrait pas être limitée.

66. Par ailleurs, le principe d'attribution du produit proposé par EDF par voie d'appel d'offres a suscité deux principales critiques durant le test de marché. En premier lieu, certains tiers, tout comme la CRE, émettent une opposition de principe à l'attribution par appel d'offres du produit proposé. Selon Direct Energie, un tel mécanisme serait discriminatoire au regard des conditions qu'EDF s'octroie à lui-même et de nature à amplifier l'effet de ciseau tarifaire. D'autres tiers considèrent que le recours à un système d'appel d'offres risque de reproduire les limites affectant le système des VPP et d'aboutir à un prix aligné sur le prix de marché correspondant. HEW souligne enfin le risque " disproportionné " que ce mode d'attribution ferait peser sur les acquéreurs, étant donné les incertitudes entourant l'activité de vente d'électricité au détail aux petits clients professionnels et résidentiels.

67. En second lieu, d'autres intervenants focalisent leurs critiques sur les modalités envisagées pour l'appel d'offres, mettant ainsi en exergue le caractère insuffisant d'un appel d'offres unique en vue de l'attribution d'un produit de long terme pour accompagner le développement d'offres concurrentielles. D'autres considèrent encore que le mécanisme d'enchères devrait aboutir à un résultat uniforme, et non discriminatoire, dans lequel le prix finalement payé par les acquéreurs serait le même pour tous.

c) La séparation du contrat en deux périodes

68. Certains participants au test de marché contestent la date retenue dans la proposition du 13 juillet 2007 pour la séparation en deux périodes du contrat envisagé. Le passage d'un prix partiellement indexé sur les tarifs réglementés Bleu à un prix reflétant l'économie de la production nucléaire après 2010 serait injustifié puisque rien ne permettrait de présumer la disparition des tarifs réglementés à cette date.

69. La CRE considère qu'" en l'absence de visibilité sur la date à laquelle le ciseau tarifaire se résorbera ", il conviendrait de mettre en place un système transitoire, en une seule période, applicable " tant que les fournisseurs alternatifs ne pourront s'approvisionner durablement en quantités suffisantes et à un niveau de prix leur permettant de concurrencer les offres de détail d'EDF ". De même, GDF propose de mettre en place un système dans lequel la première phase de livraison s'achèverait à la date de disparition effective des tarifs réglementés, lorsque moins de 20 % de la consommation des clients finals sur le marché pertinent auront recours aux tarifs réglementés, ou lorsque ces tarifs seront " construits sur la base d'un coût de production de l'électricité compatible avec le niveau des prix d'approvisionnement en gros ". Durant cette période, les quantités d'électricité livrées devraient être fonction du nombre de clients livrés le mois précédent par chaque fournisseur alternatif, et le prix de l'électricité serait fonction des tarifs de vente réglementés, afin que les fournisseurs alternatifs puissent proposer un prix de détail " compétitif avec le niveau de ces tarifs ".

d) Le prix de réserve

70. Le prix de réserve proposé par EDF a appelé trois types de critiques durant le test de marché. Premièrement, certains tiers contestent l'utilisation même de la notion de " coût de développement " dont le niveau serait défini par référence au coût de la centrale EPR de Flamanville 3 puisque les quantités d'électricité qu'EDF envisage de mettre à disposition seraient fondées sur le parc nucléaire existant. Ainsi, le prix pratiqué par EDF devrait être représentatif de l'économie de l'ensemble du parc nucléaire.

71. Deuxièmement, certains tiers critiquent l'utilisation d'un " coût de développement " dont le niveau ne refléterait pas le coût d'une série de réacteurs, mais le coût, plus élevé, du seul prototype EPR. Ainsi la CRE estime que le coût de développement d'une série de réacteurs est une référence " classique " dans l'industrie. Par ailleurs, selon Direct Energie, la référence au coût de développement de la tête de série utilisée par EDF s'affranchirait de références publiques moins élevées concernant non le prototype mais une série de centrales.

72. Troisièmement, certains tiers contestent l'utilisation du prix de réserve tel qu'envisagé par EDF puisque celui-ci sera finalement appliqué sur la durée totale du contrat, vidant de son sens la séparation en deux périodes. Ainsi, selon l'ANODE, l'application d'un prix de réserve au prix moyen actualisé sur toute la période contractuelle conduit à des prix planchers élevés. De même, selon Poweo, la couverture du coût de développement du parc EPR ne devrait porter que sur la deuxième période du contrat " sauf à vider de sa substance la logique d'un prix de gros spécifique offert sur la [première] période pour permettre l'émergence d'offres compétitives ".

e) La clause de prix complémentaire

Observations du commissaire du Gouvernement

73. Le commissaire du Gouvernement relève que le jeu de la clause de prix complémentaire aboutira à réserver l'application du prix consenti par EDF en vertu des engagements aux seules livraisons aux nouveaux clients acquis par les opérateurs alternatifs à partir de 2008. Les quantités sur lesquelles les acquéreurs potentiels seront amenés à enchérir devraient ainsi refléter leurs anticipations d'acquisition de clientèle sur la durée du contrat. Ces anticipations ne correspondront donc qu'imparfaitement à leurs besoins réels.

74. Ainsi, étant donné la formule de calcul du prix complémentaire proposée par EDF, le commissaire du Gouvernement relève que, dans l'hypothèse où l'énergie acquise en vertu des engagements excède la quantité d'électricité effectivement vendue au détail par l'acquéreur à l'exclusion de son portefeuille de clients existants fin 2007, celui-ci ne pourra pas minimiser son coût d'approvisionnement en utilisant le reliquat d'électricité pour couvrir les besoins de son portefeuille de 2007 puisque cette électricité sera facturée au prix horaire Powernext alors même qu'elle est effectivement utilisée pour des ventes au détail sur le marché pertinent. En outre, le commissaire du Gouvernement démontre que la formule d'application de la clause définie par EDF dans sa proposition du 13 juillet 2007 risque d'entraîner l'application du prix horaire Powernext à des quantités obtenues par l'acquéreur en dehors du contrat attribué en vertu des engagements en cas de contraction du portefeuille de clientèle de l'acquéreur par rapport à sa situation fin 2007.

Observations de la CRE

75. La CRE considère qu'en appliquant la clause de prix complémentaire au portefeuille de clients existant fin 2007 la proposition d'EDF ne résout pas le problème de ciseau tarifaire pour les clients acquis avant la mise en place de l'offre proposée. La CRE estime en outre que l'effet de la clause de prix complémentaire, qui oblige un acquéreur à restituer à EDF tout profit tiré des différences de prix spot horaires Powernext avec le prix du contrat mais laisse toute perte à sa charge, aboutit à surenchérir le prix payé par l'acquéreur, ce " surcoût " étant compris entre 0,1 €/MWh et 1,9 €/MWh suivant les profils de consommation des clients (voir le paragraphe 62 de la présente décision).

76. Enfin, la CRE estime que la mise en œuvre de la clause de prix complémentaire nécessite la communication d'informations confidentielles sur l'évolution des volumes de vente des acquéreurs. La CRE estime donc que l'anonymat des données échangées devrait être garanti par l'intervention d'un tiers certificateur.

Autres observations reçues

77. La clause de prix complémentaire a suscité trois principales remarques de la part des tiers intéressés. Premièrement, tout comme la CRE et le commissaire du Gouvernement, un certain nombre d'opérateurs critiquent l'exclusion du portefeuille de clients existant fin 2007 du champ des livraisons bénéficiant du prix du contrat proposé par EDF.

78. Deuxièmement, certains opérateurs contestent la limitation de la " destination " des volumes mis à disposition par EDF aux seuls clients raccordés au réseau en basse tension et dont la puissance souscrite n'excède pas 36 kVA, et considèrent que les acquéreurs devraient pouvoir utiliser l'énergie mise à disposition pour la revendre sur d'autres marchés.

79. Troisièmement, d'autres opérateurs considèrent au contraire que le jeu d'une clause de destination devrait être maintenu pendant toute la durée du contrat.

) L'absence de possibilité de sortie du contrat

80. L'absence de possibilité de sortie de la relation contractuelle de long terme qui sera établie en vertu des engagements a fait l'objet de critiques de la part de plusieurs participants au test de marché. Certains tiers intéressés considèrent qu'en l'absence de clause de résiliation ou d'adaptation de puissance, l'offre de long terme proposée par EDF maintiendra de façon durable la dépendance des fournisseurs alternatifs à EDF.

g) Le manque de transparence

81. Direct Energie dénonce l'absence de transparence de la proposition du 13 juillet 2007, notamment en ce qui concerne les modalités exactes d'attribution des contrats, le niveau de puissance maximale qui sera attribué à un seul et même acquéreur, les conditions dans lesquelles un acquéreur pourrait transférer les droits acquis au titre du mécanisme proposé à un tiers et les niveaux de prix proposés.

h) Le montant des tranches de puissance mises à disposition

82. Certains participants au test de marché considèrent que les tranches de puissance mises à disposition, d'un montant de 10 MW, sont trop élevées et devraient être réduites à 1 MW.

II. Discussion

83. Selon les dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence " peut (...) accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes de nature à mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles ".

A. PRESENTATION GENERALE

84. Les engagements reproduits en annexe de la présente décision résultent des engagements initiaux proposés par EDF à la suite de la décision n° 07-MC-04 et des modifications demandées par le Conseil lors de la séance afin de mieux répondre aux préoccupations de concurrence exprimées et pour tenir compte des observations du plaignant, des tiers intéressés, de la CRE et du commissaire du Gouvernement.

85. En raison de la complexité de l'affaire, il convient d'indiquer à titre liminaire les principes généraux qui ont guidé l'analyse du Conseil et ont conduit à la version finale des engagements obtenus de l'entreprise en cause. Ces principes découlent de trois faits marquants qui caractérisent la situation concurrentielle des marchés français de l'électricité. Ces faits ont trait à la prédominance de la production d'origine nucléaire en France, à l'existence de tarifs réglementés dont le niveau n'est pas fondé sur une logique de maximisation du profit de l'opérateur qui en a la charge, et à la faiblesse des échanges transfrontaliers d'électricité.

86. Premièrement, la production d'électricité d'origine nucléaire, concentrée dans la main d'une seule entreprise (EDF) dont l'Etat est l'actionnaire principal, occupe une part prédominante de la production nationale. Cette situation n'est pas appelée à évoluer à court ou moyen terme parce que l'entrée dans la filière nucléaire est limitée par l'existence de barrières économiques. Par ailleurs, l'exploitation de centrales nucléaires est contrainte dans un certain nombre d'Etats membres, parmi lesquels des Etats frontaliers, qui ont adopté des réglementations limitant ou prohibant le recours à la filière nucléaire. Or, comme rappelé aux paragraphes 13 à 19 de la présente décision, la production nucléaire s'effectue actuellement à des conditions économiques caractérisées par un coût marginal et un coût moyen de développement significativement inférieurs à ceux des techniques de production concurrentes (à l'exception principale de l'hydraulique " au fil de l'eau " comme expliqué ci-après). En assimilant cette production d'origine nucléaire à la production " en base ", la conséquence de cet état de fait est que la concurrence ne peut être que limitée sur ce segment du marché, en raison de l'avantage de coût de la production nucléaire par rapport aux autres technologies susceptibles d'offrir de l'électricité en base pour des quantités significatives.

87. Certes, il existe d'autres moyens de production caractérisés, comme le nucléaire, par des coûts variables faibles et non volatiles, à la différence de la production à partir de centrales thermiques. C'est notamment le cas pour l'énergie hydroélectrique et l'éolien. Mais seule la production hydroélectrique " au fil de l'eau " utilisant l'énergie mécanique des cours d'eau est réellement susceptible de constituer un moyen de base fournissant de l'énergie électrique en ruban. Les barrages hydroélectriques, dont le fonctionnement horo-saisonnier est contraint, et les éoliennes, dont la production dépend de l'intensité du vent, n'offrent pas une disponibilité comparable au nucléaire ou à l'hydroélectricité " au fil de l'eau ".

88. En outre, ces moyens subissent les mêmes contraintes de rareté que la filière nucléaire puisque leur développement dépend de la disponibilité de sites géographiques propices qui sont en nombre limité. En France, la quasi-totalité des sites propices à la fourniture à grande échelle d'hydroélectricité a déjà été mise en exploitation alors que, pour l'éolien, la contrainte de rareté pesant sur les sites potentiellement adaptés existe mais est plus difficile à évaluer au stade actuel de développement de ce mode de production.

89. Cette situation conduit à préciser la notion de " rente nucléaire ". En réalité, il ne s'agit pas d'une rente de monopole qui serait propre au nucléaire, mais d'une rente de rareté et d'efficacité qui existe aussi pour toutes les autres technologies de production notamment en base, dès lors que le recours à une technologie moins efficace est marginalement nécessaire pour couvrir la totalité de la demande. C'est le coût marginal de cette technologie moins efficace qui détermine le prix de marché ; il apparaît une rente si ce prix de marché est supérieur à ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts complets de production de technologies plus efficaces que la technologie marginale. Il existe ainsi une " rente hydroélectrique " qui est captée par tout détenteur d'un site lorsqu'il est placé en situation de vendre sa production hydroélectrique à un prix de marché reflétant les coûts des centrales thermiques. Cette rente est de faible importance pour un petit exploitant d'un cours d'eau de montagne, elle est plus importante pour l'exploitant de barrages fluviaux. De même, il existe une " rente éolienne " lorsqu'un exploitant de site a la possibilité de vendre sa production d'électricité éolienne à un prix de marché reflétant les coûts des centrales thermiques.

90. La situation est différente sur le second segment principal de la production d'électricité : l'électricité " en pointe " (en limitant, pour simplifier l'analyse, la production à ces seuls deux segments). On peut considérer qu'il y a libre entrée sur ce marché, de sorte que plusieurs, et potentiellement un grand nombre d'entreprises peuvent ou pourront, comme EDF, y opérer en mettant en œuvre des techniques de production comparables. En conséquence, l'exercice d'une pleine concurrence est possible sur ce marché. Les offreurs d'électricité de pointe y rencontrent une demande constituée de gros clients achetant séparément leur base et leur pointe, et des " assembleurs de base et de pointe " opérant cette composition pour le compte de clients trop petits pour l'effectuer eux-mêmes, notamment la clientèle de masse. Offres et demandes s'accordent de gré à gré ou sur Powernext. Cependant, le Conseil remarque que plusieurs entreprises ont rendu publics des projets d'accord d'échange de blocs d'électricité entre base et pointe. De tels accords liant le segment de la production en concurrence (la pointe) et celui où la concurrence est structurellement très restreinte (la base) nécessiteront un examen concurrentiel attentif.

91. Les activités de transport et de distribution relevant de monopoles naturels, seule l'activité de commercialisation est susceptible de s'ouvrir à la concurrence. La part de commercialisation est estimée entre 7 et 12 % de la valeur totale de l'électricité consommée par les clients petits professionnels et résidentiels.

92. Ainsi, dans la structure production, transport, distribution, commercialisation, seul le segment " en pointe " du niveau production et le niveau commercialisation sont susceptibles de développements concurrentiels significatifs. Il s'ensuit que, pour faire bénéficier le consommateur final de l'ouverture à la concurrence, hormis les gains pouvant provenir de la commercialisation, il est prioritaire que, dans les conditions actuelles, l'accès concurrentiel à la production en pointe reste ouvert, tant pour les gros acheteurs négociant de gré à gré leur propre assemblage de base et de pointe que pour les négociants, éventuellement eux-mêmes producteurs en pointe, opérant cet assemblage pour le compte de leur clientèle finale.

93. Le deuxième fait marquant qui guide l'analyse du Conseil est l'existence des tarifs réglementés. Les tarifs réglementés sont d'un niveau significativement inférieur à celui des prix de marché correspondants car ils sont construits selon une logique de couverture des coûts moyens totaux de la production. Ils sont " réglementés " par l'Etat selon une logique propre qui ne relève pas de la maximisation du profit d'EDF, mais dans le but de faire bénéficier la clientèle de masse d'une énergie électrique relativement bon marché, sans perte pour l'entreprise du fait du faible niveau de ses coûts moyens totaux.

94. En conséquence, les champs ouverts à la concurrence identifiés au paragraphe 92 ci-dessus sont limités, du côté de la demande, par l'attraction qu'exercent ces tarifs réglementés inférieurs aux prix de marché sur la clientèle de masse qui forme la cible théorique des concurrents d'EDF.

95. Etant donné ces éléments de fait, du point de vue d'une rationalité économique de court terme, seuls les gros clients achetant sur Powernext ou négociant de gré à gré avec les producteurs en base et en pointe ou avec les " assembleurs " de base et de pointe devraient logiquement rester sur le marché concurrentiel, l'intérêt de la clientèle de masse, sauf bouleversement des prix des marchés, étant de rester aux tarifs réglementés.

96. Mais deux comportements s'écartant de la logique de court terme exposée plus haut ont été observés.

97. En premier lieu, EDF a, de sa propre initiative et sans y être contrainte par la réglementation de ses tarifs, mis sur le marché des offres libres dont le prix de l'énergie était identique à celui offert au titre des tarifs réglementés (l'abonnement étant légèrement plus élevé, en fonction du niveau de services souscrit), et donc très inférieurs aux niveaux constatés sur le marché de gros.

98. En second lieu, les opérateurs alternatifs présents sur le segment de masse ont mis sur le marché des offres proposant un avantage de prix par rapport au niveau des tarifs réglementés. Ces offres ont certes été mises en place à une période, au début de l'ouverture à la concurrence, où les prix du marché s'étaient provisoirement trouvés proches de la part fourniture des tarifs réglementés, mais ces opérateurs alternatifs ont continué, par la suite, d'appliquer le principe de l'avantage de prix par rapport aux tarifs Bleu.

99. Du fait de ces deux comportements, une fraction de la clientèle de masse a été séduite par ces offres libres et a fait le choix, irréversible, d'exercer son éligibilité.

100. En offrant à la clientèle de masse ce nouveau créneau de prix de détail, EDF et ses concurrents ont créé un marché libre spécifique, dédié à la clientèle de masse, déconnecté du reste du marché libre et dont la durabilité est limitée puisque le niveau des prix pratiqués y est incompatible avec celui des prix d'approvisionnement sur le marché de gros. Ces comportements relèvent d'une rationalité privilégiant le moyen ou long terme puisque les offres à bas prix sont destinées à inciter des petits professionnels à faire jouer leur éligibilité et à basculer vers le marché. Mais la rationalité de cet objectif à terme ne fait pas disparaître le caractère artificiel et peu soutenable de ce " marché libre dédié " formé à partir d'offres de détail en dessous des prix du marché de gros.

101. L'approvisionnement en gros de ce " marché dédié ", séparé du reste du marché libre dont les références de prix sont celles observées sur Powernext, est le sujet de préoccupation central de la présente affaire. Dans sa décision n° 07-MC-04 le Conseil a, en effet, estimé que l'étroitesse de l'écart entre le prix de détail d'EDF sur ce " marché dédié " et le prix de gros appliqué par EDF à Direct Energie était susceptible de créer un effet de ciseau tarifaire à l'égard d'un concurrent aussi efficace qu'EDF actif sur le marché libre.

102. Il faut enfin relever qu'EDF a, de sa propre initiative, contribué à créer l'amorce d'un marché de gros pour l'approvisionnement de ce marché de détail dédié en contractant avec un opérateur alternatif clairement positionné sur le marché de masse pour lui fournir un approvisionnement électrique déconnecté des conditions du marché de gros, en particulier en lui offrant un contrat de cinq ans à prix fixe, produit non disponible sur le marché.

103. Le dernier fait marquant qui guide l'analyse du Conseil a trait au faible impact de l'ouverture aux échanges intra-communautaires sur la situation de la concurrence en France. Cette faiblesse tient d'abord aux limitations des capacités d'interconnexion. Mais elle tient aussi à ce que l'interconnexion ne modifie pas les problèmes posés. La concurrence pourrait être plus internationale sur le marché en pointe, mais elle existe déjà sur une base nationale et l'augmentation du nombre des concurrents ne modifierait pas substantiellement la structure concurrentielle de ce segment de l'offre. Quant à la concurrence sur le marché en base, elle pourrait théoriquement provenir de parcs nucléaires installés à l'étranger. Néanmoins les capacités des autre producteurs européens sont actuellement réduites au regard de celle d'EDF. En outre, en facilitant l'exportation de l'électricité nucléaire, l'interconnexion est susceptible de réduire encore les périodes de marginalité de la production nucléaire et d'accroître en conséquence la rente qui s'en déduit.

104. Au terme de cette présentation générale, il apparaît que le cas soumis à l'examen du Conseil doit être traité en tenant compte de la situation particulière du marché français, non transposable à la plupart des autres marchés nationaux en Europe du fait, en premier lieu, de la part prépondérante de la production nucléaire, du choix, en deuxième lieu, de l'autorité politique de faire bénéficier la clientèle de masse française de tarifs réglementés permis par le niveau relativement bas des coûts moyens totaux d'EDF, en troisième lieu du faible impact réel sur la structure du marché français de l'ouverture à la concurrence européenne et, enfin, de la création par EDF et ses concurrents d'un marché de détail dédié sur lequel les prix, librement fixés, sont déconnectés des prix de gros.

B. SUR LES MODIFICATIONS APPORTEES PAR EDF A SA PROPOSITION INITIALE

Sur les objectifs poursuivis par le Conseil

105. En s'inspirant des considérations générales exposées aux paragraphes 84 à 104 de la présente décision, le Conseil a demandé et obtenu qu'EDF apporte des modifications et des précisions à sa proposition initiale. Dans ce cadre, le Conseil a guidé l'évolution des engagements proposés par EDF en cherchant à satisfaire trois objectifs spécifiques à la présente affaire.

106. En premier lieu, le Conseil s'est attaché à vérifier la capacité de la proposition d'EDF à mettre fin au risque de ciseau détecté, critère essentiel de l'acceptabilité des engagements. Ceci a conduit le Conseil, dans la lignée d'un certain nombre de participants au test de marché, à exiger la modification de la structure contractuelle proposée afin d'assurer la disparition du risque de ciseau tarifaire. La version finale de la proposition d'EDF porte sur quinze années séparées en deux séquences à régime distinct. Comme dans toute analyse de ciseau, cette proposition nécessite de comparer, sur cette longue période, les prix de détail d'évolution incertaine et les prix proposés par EDF pour l'approvisionnement en gros du " marché dédié " qui dépendent, eux, des évolutions hypothétiques des conditions économiques de la production d'électricité nucléaire. L'impossibilité d'opérer des calculs précis dans cet environnement très aléatoire a conduit le Conseil à demander à EDF de fournir des éléments chiffrés de nature à permettre les calculs requis pour vérifier l'absence d'effet de ciseau tarifaire seulement sur le début de la période en cause, et à ne lui demander, pour la suite, qu'un engagement de résultat, le Conseil vérifiant le caractère vraisemblable de ce résultat au vu des caractéristiques du projet de fourniture en gros du " marché dédié ". Bien entendu, le Conseil conserve, dans cette perspective, toute possibilité de se saisir à nouveau de l'affaire, à tout moment de la période en cause, pour effectuer les calculs précis qui apparaîtraient nécessaires.

107. En deuxième lieu, le Conseil n'a pas retenu l'approche, suggérée par plusieurs participants au test de marché, consistant à imposer à EDF des obligations de nature diverse mais dont l'objectif commun serait concrètement de permettre à ses rivaux de concurrencer ses offres aux tarifs réglementés. Deux raisons principales fondent cette démarche.

108. La première raison tient à ce que, comme exposé ci-dessus, le niveau des tarifs réglementés est fixé par l'Etat selon une logique de couverture des coûts et non d'alignement sur les prix de gros du marché. Tout dispositif qui reviendrait à permettre à tous les concurrents d'EDF d'assurer des fournitures de détail au niveau des tarifs réglementés serait non fondé en droit car il reviendrait à donner à l'Etat le pouvoir de réglementer les prix de détail de toute entreprise susceptible d'adresser le marché de masse français. Quant à la mise en place d'un dispositif qui permettrait aux concurrents d'EDF d'acquérir de l'électricité en gros à un prix orienté vers les coûts moyens totaux d'EDF, souvent désigné par l'expression " tarif de cession ", sans qu'aucune obligation légale d'appliquer ensuite les tarifs réglementés ne pèse sur les opérateurs alternatifs, un tel dispositif reviendrait à faire transmettre par l'Etat tout ou partie de la rente nucléaire à des entreprises le plus souvent privées, au seul motif qu'elles sont concurrentes d'EDF. Il conduirait à un transfert d'EDF vers ses rivaux sans intensifier la concurrence et sans profiter aux consommateurs finals. La justification concurrentielle de ce transfert manque donc en fait.

109. La deuxième raison tient au fait que la demande des tiers intéressés d'être approvisionnés en gros par EDF à des conditions visant à leur permettre de concurrencer les tarifs réglementés est sans lien avec le cas d'espèce, comme expliqué aux paragraphes 122 à 131 ci-après.

110. En troisième lieu, le Conseil a considéré que les engagements d'EDF devaient répondre à la dimension raisonnablement prévisible du " marché dédié " en cause. Cette dimension est certes modeste, mais les engagements proposés permettent de la couvrir en totalité. En effet, tant que les tarifs réglementés subsistent, la demande pour ce " marché dédié " est principalement constituée par la clientèle de masse ayant irréversiblement opté pour le marché libre. Les prix de ce " marché dédié " étant intermédiaires entre les tarifs réglementés et les prix libres, la clientèle supplémentaire optant pour ce " marché dédié " devrait rester limitée. Si, à l'inverse, les tarifs réglementés étaient amenés à disparaître ou à être alignés sur les prix libres, c'est le caractère " dédié " du marché pertinent qui disparaîtrait puisque celui-ci résulte du fait que ses prix sont intermédiaires entre tarifs réglementés et prix libres. Dans un cas comme dans l'autre aucun développement important du " marché dédié " n'est à prévoir. Il n'en reste pas moins que le marché pertinent, quelle que soit sa dimension, est l'objet de la présente procédure. Comme expliqué ci-dessous, le Conseil doit s'assurer du libre jeu de la concurrence sur ce marché, et s'est attaché à vérifier que les quantités contenues dans la proposition d'EDF correspondaient à une dimension cohérente au regard de la taille du marché pertinent.

Sur les modifications apportées à la proposition initiale

111. Dans ce contexte, les modifications apportées par EDF à sa proposition initiale concernent la détermination du prix envisagé, la clause de prix complémentaire, les modalités d'attribution et de livraison des quantités mises à disposition, le fonctionnement des appels d'offres prévus et les conditions de transfert des droits et obligations découlant des contrats attribués.

La détermination du prix et la séparation des deux périodes du contrat proposé

112. EDF propose de séparer la durée des engagements en deux périodes contractuelles, qui sont désormais assorties d'une option que les acquéreurs pourront exercer à l'issue de la première période s'ils souhaitent poursuivre leurs acquisitions d'électricité durant la seconde période. La première période durera cinq ans et comprend un prix fixe. Ce prix est déterminé " en considération de la politique commerciale d'EDF sur le marché aval de référence pour la fourniture de base ". Le niveau de ce prix est précisé en annexe technique, et s'élève à 36,8 €/MWh pour la première année de livraison.

113. La seconde période durera dix ans. Le prix payé durant cette période sera fixé de manière à assurer la couverture du " coût de développement " de la centrale EPR d'EDF, en cours de construction sur le site dit de " Flamanville 3 ". Le prix payé durant la seconde période sera toujours composé des trois termes P2, P3 et P4, mais la valeur initiale de chacun de ces termes est désormais définie. Ces termes seront ensuite affectés de la variation d'indices publics indiqués dans les engagements.

114. EDF propose d'assortir cette structure d'un terme " P0 ", exprimé en €/MW/mois qui correspond à " l'option d'accès à la deuxième période du contrat ", et sur lequel porteront les appels d'offres. La détermination de ce terme n'est pas conditionnée par un prix de réserve. P0 sera appliqué à la puissance de référence " Q " souscrite par mois entre la date de début du contrat et le 31 décembre 2012. P0 sera payé au plus tard en un versement à l'issue de la première période, les acquéreurs pouvant également librement opter pour un paiement mensuel durant la première période.

115. Ce terme de prix additionnel, qui porte sur une option exerçable à la jonction entre les deux périodes du contrat, marque une évolution importante des engagements proposés. En effet, EDF renonce désormais à l'application d'un prix moyen actualisé appliqué à la durée totale du contrat. Il s'ensuit que les deux périodes contractuelles obéissent chacune à une logique propre, sans que les prix de la seconde période aient un impact sur ceux de la première. En outre, les acquéreurs seront en mesure de se désengager des livraisons sur la seconde période de deux manières : soit en renonçant aux livraisons de la seconde période à l'issue de la première en n'exerçant pas leur option, soit en revendant tout ou partie du contrat qui leur aura été attribué à l'issue des appels d'offres. Dans cette dernière hypothèse, EDF indique que P0 aura une valeur marchande et sera susceptible d'être cédé par des acquéreurs souhaitant sortir du contrat.

La clause de prix complémentaire

116. EDF propose de modifier deux aspects de la clause de prix complémentaire. EDF propose tout d'abord d'élargir la base de clientèle que les fournisseurs alternatifs seront susceptibles de couvrir avec l'électricité acquise en vertu des engagements (la " clientèle finale de référence ") en y intégrant les portefeuilles de clients existants avant la mise en place du mécanisme proposé. EDF propose ensuite, en annexe technique, une formule corrigeant l'application de ladite clause de sorte que le prix complémentaire ne puisse plus s'appliquer à des quantités autres que celles livrées par EDF en vertu des engagements.

Les modalités d'attribution et de livraison

117. EDF propose d'attribuer les quantités mises à disposition par le biais de trois appels d'offres distincts. Le premier appel d'offres portera sur 500 MW et pourrait avoir lieu au 1er trimestre 2008. Le second appel d'offres aurait alors lieu au second trimestre 2008 et le troisième au second trimestre 2009. Les quantités non attribuées lors des premiers appels d'offres seront remises en vente aux suivants.

118. Par ailleurs, EDF propose quatre modifications affectant la livraison des quantités acquises. Premièrement, la taille des contrats envisagés est réduite à 1 MW, la puissance de référence Q d'un contrat étant un nombre entier de MW. Deuxièmement, la définition de la progression des livraisons durant la première période contractuelle sera totalement libre, à la discrétion des acquéreurs. Troisièmement, EDF propose de définir d'ores et déjà en annexe technique le profil saisonnalisé des quantités livrées durant la seconde période contractuelle. Enfin, EDF propose d'inclure un coefficient " R ", dont la valeur est définie en annexe technique, en application duquel les quantités livrées durant les cinq dernières années de la seconde période contractuelle seront progressivement dégressives.

Le fonctionnement des appels d'offres

119. EDF précise que les quantités mises à disposition seront attribuées par la voie d'enchères dynamiques et transparentes, au cours desquelles les enchérisseurs auront la possibilité de constater la position de leur offre par rapport à l'ensemble des autres offres et seront en mesure de la réviser au fur et à mesure du déroulement de l'enchère. Par ailleurs, EDF précise que le prix P0 " d'attribution des contrats " sera, à l'issue de l'enchère, le même pour tous les vainqueurs.

120. Enfin, EDF précise que la quantité maximale qu'un même groupe sera en mesure d'acquérir en vertu des engagements sera limitée à 66 % des quantités totales offertes.

La clarification des conditions de transfert des droits et obligations découlant des contrats attribués

121. EDF s'engage à permettre le transfert de tout ou partie des droits et obligations attribués aux acquéreurs à l'issue des appels d'offres. Le niveau de puissance objet de transfert ne sera pas contraint, l'acquéreur étant libre de revendre tout nombre entier de MW compris dans le volume de puissance qui lui a été attribué. Les acheteurs secondaires devront remplir des conditions similaires à celles exigées pour acquérir un contrat en vertu des engagements.

C. APPRECIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSES

1. SUR LA RESORPTION DE L'EFFET DE CISEAU TARIFAIRE

a) Sur la possibilité de " concurrencer " les tarifs réglementés Bleus

122. L'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que les engagements proposés doivent être " de nature à mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles ". A cet égard, il convient de rappeler qu'aux termes de la décision n° 07-MC-04, EDF était " susceptible d'avoir mis en œuvre une pratique de ciseau tarifaire, constitutif d'un abus de la position dominante occupée par EDF sur les marchés de la production et de la vente d'électricité en gros, ayant pour objet ou pour effet d'exclure un concurrent sur le marché aval de la vente d'électricité aux petits professionnels " (§ 132 de la décision n° 07-MC-04), cet effet de ciseau découlant de la comparaison entre le prix d'approvisionnement en gros consenti par EDF à Direct Energie (§ 129) et les prix de détail pratiqués par EDF sur le marché libre (§ 131). Le Conseil a par ailleurs défini le marché pertinent aval comme celui de la vente au détail sur le marché libre aux professionnels disposant de sites raccordés au réseau en basse tension et dont la puissance souscrite n'excède pas 36 kVA (§ 66).

123. Aussi la décision n° 07-MC-04 n'impute à EDF aucune préoccupation de concurrence concernant ses pratiques commerciales en dehors du marché libre. A cet égard, l'injonction prononcée à l'article 1 de la décision du n° 07-MC-04, en imposant à EDF " de transmettre au Conseil de la concurrence (...) une proposition de fourniture d'électricité en gros ou toute autre solution techniquement et économiquement équivalente permettant aux fournisseurs alternatifs de concurrencer effectivement, sans subir de ciseau tarifaire, les offres de détail faites par EDF aux consommateurs d'électricité sur le marché libre " (soulignement ajouté), ne laisse planer aucune ambiguïté.

124. Il ressort néanmoins des débats que l'entreprise plaignante, rejointe par certains participants au test de marché, considère que le caractère directeur des tarifs réglementés Bleu sur le marché libre pertinent devrait conduire à imposer à EDF l'obligation d'assurer à ses concurrents un espace économique suffisant pour concurrencer non pas les prix libres d'EDF, mais les tarifs réglementés une telle obligation découlant, selon l'entreprise plaignante, des termes de la décision n° 07-MC-04.

125. Le Conseil a effectivement constaté dans sa décision n° 07-MC-04 qu'il ressortait des témoignages recueillis que l'existence des tarifs réglementés Bleus était perçue par les opérateurs comme contribuant à freiner l'émergence d'une concurrence effective sur le marché de détail libre. En l'espèce, le test de marché confirme que les opérateurs du secteur continuent à faire ce constat. Cette position est, au demeurant, partagée par EDF. C'est bien ce qu'a rappelé le Conseil en précisant, au paragraphe 87 de la décision n° 07-MC-04, que " EDF considère que sa politique commerciale sur le marché libéralisé est liée au niveau des tarifs réglementés. Ces tarifs s'imposent en effet comme une référence sur le marché aval dans la mesure où ils contraignent le comportement des fournisseurs qui ne peuvent espérer gagner de nouveaux clients, en les incitant à faire jouer leur éligibilité et à abandonner les tarifs réglementés, sans offrir un prix proche, voire égal ou inférieur à ces tarifs ".

126. Ce constat ne saurait cependant être isolé des conséquences que le Conseil en a tirées, à savoir que " la seule coexistence de tarifs réglementés avec des prix de détail libres ne retire pas à EDF son autonomie commerciale sur le marché libéralisé de la vente d'électricité aux petits professionnels ", EDF ayant d'ailleurs fait usage d'une telle autonomie en modifiant son offre libre en avril 2007 (§88 de la décision n° 07-MC-04). Le Conseil a donc considéré qu'il était " possible de construire un test de ciseau tarifaire à partir des prix de la gamme EDF Pro, proposés sur le marché de détail entre juillet 2004 et avril 2007, qui sont bien des tarifs librement choisis par EDF, nonobstant le fait qu'ils sont construits pour concurrencer les tarifs réglementés et donc fortement contraints par ces derniers " (§ 89). Enfin, le Conseil a considéré qu'il n'était " pas possible d'imputer l'effet de ciseau supporté par les opérateurs alternatifs aux seules conditions aval de leurs activités et a fortiori à la seule existence des tarifs réglementés " (§ 90). Le Conseil a ainsi considéré, contrairement aux prétentions d'EDF, que le comportement commercial de cette dernière sur le marché libre était suffisamment autonome vis-à-vis des tarifs réglementés pour pouvoir être apprécié par l'autorité de concurrence. Le Conseil a ensuite explicitement apprécié les indices de la pratique de ciseau tarifaire dénoncée au regard, pour ce qui est de la branche aval du ciseau, des seuls prix librement déterminés par EDF.

127. Par ailleurs, si le Conseil constate que le développement du marché libre a été contraint, depuis sa création, par la déconnexion entre le niveau des tarifs réglementés Bleu et celui des prix de gros, celle-ci n'a pas été, en soi, imputée au comportement d'EDF au titre des préoccupations de concurrence. L'émergence du marché libre pour les fournitures de détail aux petits professionnels et, désormais, aux clients résidentiels, a connu un développement certes limité mais bien réel. La mise en place de ce marché, malgré sa dimension modeste, a bien amené à la formation de prix non réglementés soumis au libre jeu de la concurrence en application de l'article L. 410-2 du Code de commerce, libre jeu que le Conseil de la concurrence est en charge de contrôler.

128. Il convient de rappeler que le comportement d'EDF sur la partie réglementée du marché ne fait pas l'objet de la présente procédure. Il en découle que la préoccupation notifiée dans la décision n° 07-MC-04 ne saurait fonder une obligation pesant sur EDF de donner à ses concurrents un espace économique suffisant pour leur permettre de concurrencer non seulement ses prix libres, mais également les tarifs réglementés.

129. Accessoirement, le Conseil relève que les participants au test de marché qui ont mentionné les tarifs réglementés comme une des questions à traiter dans le cadre des engagements ont défendu deux conceptions opposées de l'objectif de marché à atteindre. Un premier groupe demande la suppression de ces tarifs en considérant que les prix de détail devraient fortement augmenter pour se positionner au-dessus des prix de gros et rendre possibles l'entrée et le développement de nouveaux opérateurs sur ce marché. Dans ce schéma, le prix atteindrait un niveau sensiblement plus élevé que le niveau actuel des tarifs réglementés, sans considération des rentes éventuellement induites pour certains producteurs.

130. Un autre groupe, dont fait partie la société plaignante, demande au contraire une forme de régulation des prix de gros qui, en les abaissant, permettrait aux nouveaux entrants d'animer la concurrence sur les prix de détail à un niveau proche des tarifs réglementés actuels. Dans ce schéma, la suppression des tarifs réglementés non seulement n'est pas demandée mais leur maintien est au contraire nécessaire puisqu'il serait la seule justification d'une régulation des prix de gros.

131. Ces deux positions, exposées à l'occasion du test de marché, impliquent des mesures de régulation qui excèdent manifestement la seule résolution des préoccupations de concurrence énoncées par le Conseil.

b) Sur l'aptitude des engagements à mettre fin à l'effet de ciseau tarifaire

132. Selon les données communiquées par EDF, les engagements proposés comprennent des conditions de prix, pour un approvisionnement en gros d'électricité de base, inférieures au coût moyen du ruban implicite de l'ensemble de ses offres sur le marché libre. Les représentants d'EDF ont ainsi expliqué, en séance, que le ruban implicite de l'offre Electricité Pro s'élevait, en moyenne, à environ 42 €/MWh. Par ailleurs, EDF estime que le ruban implicite moyen de l'ensemble de son portefeuille de clients EDF Pro, c'est-à-dire le coût résultant de la moyenne pondérée des volumes réels de consommation, s'élève à 36,97 €/MWh. Au sein de ce portefeuille, EDF fait valoir qu'environ un tiers du nombre de ses clients EDF Pro, représentant 60 % des volumes livrés, génèrent, étant donné leur volume réel de consommation, un coût du ruban implicite supérieur à 36,8 €/MWh, niveau correspondant à la valeur attribuée au produit envisagé au titre des engagements pour l'année 2008.

La méthode de résorption de l'effet de ciseau tarifaire

133. Les offres de détail de masse s'adressent à des clients dont la consommation est évaluée par avance sur la base de profils types, à la différence des grands clients qui bénéficient d'offres sur mesure négociées de gré à gré. Ce marché de détail regroupe un nombre de sites de consommation relativement élevé pour une consommation individuelle généralement inférieure à celle de plus grands clients. La variété des clients finals reliés au réseau en basse tension et dont la puissance souscrite n'excède pas 36 kVA fait que les comportements individuels de consommation au sein du marché pertinent sont diversifiés, les plus gros consommateurs étant, de manière générale, ceux qui souscrivent les niveaux de puissance les plus importants.

134. Or le coût effectif du ruban observable sur le marché pertinent varie selon la consommation réelle de chaque client. Ceci explique que différents coûts du ruban peuvent être estimés pour différents types de client. A cet égard, étant donné la forme des offres commerciales libres d'EDF, il est possible de distinguer différents " types " de clients selon les niveaux de puissance et les options souscrites (base ou HC), chaque type générant un coût du ruban différent. Il en découle que le coût effectif supporté pour la fourniture d'un portefeuille de clients finals sur le marché de masse dépend de la composition de cette clientèle, certains clients entraînant un coût supérieur à d'autres.

135. Dans ce contexte, si la résorption de l'effet de ciseau tarifaire implique que le prix de l'électricité de base, consenti par EDF au titre des engagements, ménage à un concurrent au moins aussi efficace un espace économique suffisant pour concurrencer EDF de manière effective sur le marché de détail pertinent, il convient de préciser la signification de cette obligation dans un contexte où différents clients sur ce marché génèrent différents coûts. A cet égard, la Cour d'appel de Paris a eu l'occasion d'analyser la portée de l'exigence de " concurrence effective " dans le cadre de l'évaluation d'une offre de nature à remédier à une pratique de ciseau tarifaire. Dans son arrêt du 11 janvier 2005, la cour a examiné l'appréciation portée par le Conseil sur une offre de France Télécom pour l'accès au circuit virtuel permanent pour la fourniture d'accès à Internet à haut débit par la technologie ADSL, marché sur lequel les coûts des opérateurs en cause variaient, notamment en fonction de la couverture géographique de leur portefeuille d'abonnés et de la taille de ce portefeuille. Sans exiger l'élimination de tout ciseau tarifaire individuel, quelles que soient les caractéristiques de chaque client concerné, la cour a en l'espèce observé que l'élimination du ciseau tarifaire moyen n'était possible que pour un portefeuille de clientèle non seulement très fourni mais concentré uniquement dans le cœur des zones urbaines. La cour a donc écarté l'argument de France Télécom selon lequel l'offre proposée ménageait un espace économique " suffisant " aux opérateurs tiers dans la mesure où cette suffisance n'était atteinte que pour une structure de clientèle très hypothétique et fort éloignée de la structure de la clientèle effective de France Télécom existante à l'époque. Selon la cour, " eu égard à l'exigence de concurrence effective, formulée dans l'injonction de manière générale et sans réserve ou restriction particulière concernant une zone géographique délimitée, la requérante n'est pas fondée à revendiquer le bénéfice d'une exception qui n'a pas été prévue par le Conseil ".

136. Dans l'affaire en cause, l'exigence de concurrence effective formulée dans la décision n° 07-MC-04 est de portée générale et doit s'apprécier à la lumière de la jurisprudence rappelée ci-dessus. Sur un marché de détail où le portefeuille de clients finals de l'opérateur en cause est caractérisé par des coûts différents en fonction de la consommation des clients concernés, le calcul du coût du ruban pris en compte pour l'analyse de la pratique de ciseau tarifaire doit être fait à partir des consommations effectives de l'ensemble des clients du portefeuille. Ce calcul ne saurait, en effet, se limiter aux seuls coûts de certains clients particuliers, dans la mesure où l'économie générale de l'activité de fournisseur au détail repose sur la compensation qui peut s'opérer entre la consommation des clients les plus importants et de ceux qui le sont moins (voir également, en matière de prédation, la décision n° 04-D-10, § 56-57).

137. Telle est, en l'espèce, l'approche adoptée par la CRE dans les calculs de ciseau versés au dossier. Ces calculs révèlent en effet que, partant d'un certain prix de gros payé pour couvrir le ruban annuel, les marges positives générées par les ventes à certains clients finals au prix de détail d'EDF peuvent, dans certains cas, compenser les marges négatives générées par d'autres clients et suffire à assurer en moyenne une activité bénéficiaire sur la totalité du portefeuille.

Appréciation

138. Trois offres de détail d'EDF coexistent sur le marché de masse : l'offre EDF Pro, qui n'est plus proposée à ce jour mais continue à être appliquée à environ 427 000 clients professionnels libres dans le cadre de contrats renouvelables (représentant un volume d'environ 5,2 TWh) ; l'offre Electricité Pro ; enfin l'offre aux clients résidentiels Mon Contrat Electricité.

139. Le test de ciseau tarifaire communiqué par la CRE, décrit ci-dessus aux paragraphes 59 à 62, évalue l'espace économique que procurerait un approvisionnement en électricité de base à un prix de 36 €/MWh. Il aboutit aux conclusions suivantes :

- en ce qui concerne l'offre Mon Contrat Electricité : un approvisionnement d'électricité de base à 36 €/MWh entraînerait une marge négative pour 10 % des clients finals compensée par la marge positive générée par le reste des clients finals. Une telle offre assurerait, en moyenne, une marge positive d'un montant de +10,4 €/MWh aux opérateurs alternatifs ;

- en ce qui concerne l'offre Electricité Pro : un approvisionnement d'électricité de base à 36 €/MWh entraînerait une marge négative pour 71 % des clients finals compensée par la marge positive générée par le reste des clients finals. Une telle offre assurerait, en moyenne, une marge positive d'un montant de +1,5 €/MWh aux opérateurs alternatifs ;

- en ce qui concerne l'offre EDF Pro : un approvisionnement d'électricité de base à 36 €/MWh entraînerait une marge négative pour 83 % des clients finals qui ne serait pas suffisamment compensée par la marge positive générée par le reste des clients finals. Une telle offre assurerait, en moyenne, une marge négative d'un montant de -4,6 €/MWh aux opérateurs alternatifs.

140. EDF conteste les conclusions du test versé par la CRE en expliquant que celui-ci est fondé sur deux hypothèses conventionnelles qui ne reflètent pas la réalité. En premier lieu, la CRE produit des estimations fondées sur une hypothèse selon laquelle les coûts commerciaux d'EDF sont répartis de manière fixe par client, alors que la répartition réelle des coûts commerciaux de l'opérateur comporte, pour chaque client, à la fois une partie fixe et une partie variable. En second lieu, la CRE fait l'hypothèse d'une répartition statistique des clients EDF Pro, par profils, identique à celle des clients demeurés au tarif réglementé Bleu, alors que les niveaux de puissance souscrite et de consommation des clients sur le marché libre sont plus élevés. EDF rappelle en outre que les conclusions de la CRE se limitent à une présentation en fonction du nombre de sites, et non en fonction des volumes de consommation que ces sites représentent. Ceci aboutirait à une distorsion significative des résultats du test, puisqu'une minorité des sites clients sur le marché libre consomment plus de la moitié des volumes.

141. EDF a versé au dossier des estimations concernant le coût du ruban associé à ses offres sur le marché libre pertinent, à savoir :

- en ce qui concerne ses offres Electricité Pro et Mon Contrat Electricité, construites selon une logique d'" empilement " des coûts, EDF estime que celles-ci sont fondées, en moyenne, sur une part d'électricité en ruban égale ou supérieure à 42 €/MWh ;

- en ce qui concerne le portefeuille de clients EDF Pro, EDF estime que le ruban implicite moyen de la totalité de son portefeuille, en faisant l'hypothèse d'un facteur de forme identique à celui des clients livrés aux tarifs réglementés, s'élève à 36,97 €/MWh.

142. EDF considère donc que les engagements envisagés, prévoyant un prix initial en 2008 payé pour l'électricité de base couvrant le ruban annuel s'élevant à 36,8 €/MWh, permettent de résorber tout effet de ciseau tarifaire.

143. Il convient cependant de rappeler que, conformément aux paragraphes 133 à 136 de la présente décision, l'offre qu'EDF envisage de mettre à disposition ne satisfait l'exigence de concurrence effective énoncée dans le dispositif de la décision n° 07-MC-04 que si elle ménage à un concurrent aussi efficace qu'EDF un espace économique suffisant pour proposer une offre de détail viable à l'ensemble de son portefeuille de clients. Aussi EDF doit faire une proposition de fourniture d'électricité en gros qui permette à ses concurrents de proposer une offre dont la viabilité n'est pas appréciée au regard de certains clients finals particuliers, mais bien par rapport à l'ensemble du portefeuille de clients d'un concurrent aussi efficace qu'EDF. Ceci signifie que, pour un niveau de prix de gros donné, les revenus générés par les clients finals permettant de dégager une marge positive doivent suffire, en nombre et en volume, à équilibrer les pertes subies pour la fourniture de clients ne générant qu'une marge négative ou nulle.

144. La proposition d'EDF est fondée sur cette logique. Selon les estimations versées par EDF au dossier, le prix initial de 36,8 €/MWh prévu dans les engagements pour une fourniture d'électricité de base destinée à couvrir le ruban annuel permettrait de vendre de l'électricité au détail à une partie significative des clients figurant dans le portefeuille d'EDF Pro. L'estimation du coût réel du ruban dépend du comportement réel de consommation, qui détermine l'ampleur du facteur de forme. A ce stade de la procédure, il n'est possible que d'anticiper ce coût, sur la base d'hypothèses de consommation et de coût d'approvisionnement en électricité de semi-base et de pointe.

145. De manière générale, pour un même coût de la part énergie " formée ", l'évaluation du coût du ruban est d'autant plus élevée que le facteur de forme est faible. Dans le cadre de la présente appréciation, plus le coût du ruban généré par chaque client est élevé, plus le nombre de clients et les volumes qu'il est possible de couvrir en dégageant une marge positive à un prix d'approvisionnement en gros donné sont importants. Or EDF considère qu'il est possible d'utiliser deux estimations du facteur de forme, à savoir soit le facteur de forme utilisé dans le cadre des tarifs réglementés, qui reflète le coût de développement des moyens de semi-base et de pointe mobilisés, soit un facteur de forme fondé sur une anticipation des prix du marché pour la part d'énergie excédant le ruban. EDF considère que le facteur de forme utilisé dans le cadre des tarifs réglementés est supérieur au prix d'achat de produits de gros pour couvrir la fourniture de semi-base et de pointe. Par conséquent, en utilisant le facteur de forme de référence des tarifs, l'estimation minorerait le coût du ruban. Il s'agit donc de l'estimation la plus conservatrice. Or, sur la base de cette référence, EDF évalue que le coût effectif du ruban implicite de la fourniture aux clients finals de l'offre EDF Pro s'élève, en moyenne pour l'ensemble de son portefeuille à 36,97 €/MWh.

146. Ensuite, EDF estime qu'un coût de ruban annuel à 36,8 €/MWh (prix de l'électricité prévu pour la première année de livraison dans le cadre des engagements) reste inférieur au coût réel du ruban estimé par référence au facteur de forme utilisé dans le cadre des tarifs pour 31 % des clients EDF Pro, représentant environ 60 % des volumes vendus. Si, en revanche, le coût réel du ruban des consommateurs finals est estimé par référence à un facteur de forme construit à partir d'anticipation de prix du marché, le nombre de clients " accessibles " s'accroît, pour atteindre, selon les estimations produites, 50 % des clients du portefeuille d'EDF représentant 82 % des volumes vendus.

147. Dans ces conditions, sur le fondement des éléments fournis par EDF à l'appui des estimations communiquées, le Conseil constate que les engagements proposés par EDF sont de nature, pour la première année de livraison, à satisfaire l'exigence de concurrence effective en assurant aux acquéreurs potentiels la livraison d'électricité destinée à couvrir leurs besoins de base à un prix permettant à un concurrent au moins aussi efficace qu'EDF de couvrir les ventes à l'ensemble de son portefeuille EDF Pro sans subir de ciseau tarifaire.

148. Le paiement du terme P0 ne change pas ce constat. En effet, ce terme, qui reflète la " valeur de l'option d'accès à la seconde période du contrat ", est imputable à cette seconde période. La possibilité, laissée au choix des acquéreurs, de payer le coût de l'option avant son exercice effectif ne suffit pas à modifier cette appréciation. Il convient de rappeler, à cet égard, que les contrats envisagés sont entièrement cessibles. Ceci confèrera la possibilité à un acquéreur de se voir livrer l'électricité qui lui aura été attribuée durant la première période puis de céder son contrat à un prix reflétant la valeur de P0 avant la date d'exercice de l'option que ce terme matérialise.

149. Enfin, en ce qui concerne le prix proposé par EDF pour les livraisons effectuées au cours de la période du contrat restant à courir, le Conseil prend acte de l'engagement d'EDF de fixer un prix de l'électricité vendue pendant les cinq premières années du contrat dont le niveau moyen est déterminé en considération de la politique commerciale d'EDF sur le marché aval pertinent pour la fourniture de base, puis un prix assurant la couverture du coût de développement de la centrale EPR d'EDF durant la seconde période du contrat. Le Conseil se réserve néanmoins la possibilité de rouvrir la procédure, en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce, si les conditions de fourniture définies par EDF en vertu des engagements apparaissent, à l'avenir, de nature à produire à nouveau un effet de ciseau tarifaire au regard des offres d'EDF sur le marché pertinent.

2. SUR LES QUANTITES

150. Le volume de puissance totale qu'EDF propose de mettre à disposition s'élève à 1 500 MW, soit une quantité annuelle d'environ 10,5 TWh. Ce montant excède la taille actuelle du marché pertinent. Il représente le double des quantités livrées par EDF sur le marché pertinent, et près de quatre fois la quantité servie par les fournisseurs alternatifs.

151. Il convient à cet égard de rappeler que les termes de la décision n° 07-MC-04, en imposant à EDF de " proposer des quantités suffisantes pour la mise en place effective d'une offre de détail viable par un opérateur aussi efficace ", n'impute pas à celle-ci une obligation illimitée. Par ailleurs, la préoccupation de concurrence énoncée dans l'évaluation préliminaire portée à la connaissance d'EDF, qui est liée à son comportement autonome sur le marché libéralisé, ne fonde pas, contrairement aux prétentions de certains tiers intéressés, une obligation pesant sur EDF de créer un espace économique permettant de concurrencer les tarifs réglementés. Il en découle que le caractère suffisant des quantités offertes en vertu des engagements doit être apprécié au regard des conditions de concurrence en présence sur le seul marché libre et en fonction de perspectives raisonnable de développement de ce marché, comme indiqué au paragraphe 110 de la présente décision.

152. En outre, l'allocation des quantités mises à disposition par voie d'appels d'offres, qui repose sur un mécanisme d'enchères à l'issue duquel le prix facturé sera identique pour l'ensemble des acquéreurs, est conforme à l'exigence, énoncée dans la décision n° 07-MC-04, de la définition de " conditions contractuelles non discriminatoires [et] applicables à tous les fournisseurs souhaitant servir les clients finals ".

153. Par ailleurs, EDF a apporté des améliorations aux engagements proposés répondant à certaines observations communiquées durant le test de marché. Ainsi, EDF propose désormais la mise en place de trois enchères distinctes et séparées dans le temps, afin d'étaler l'attribution des quantités mises à disposition et de permettre un accès à ces capacités aux nouveaux entrants. EDF s'engage également, conformément au souhait de certains tiers intéressés, à allouer les quantités mises à disposition par le biais d'un système d'enchères transparent et non-discriminatoire.

154. Enfin, les futurs acquéreurs seront en mesure, en vertu de la version finale des engagements proposés, de choisir de se désengager du contrat qui leur sera attribué de deux manière, soit en exerçant l'option de sortie prévue à l'issue de la première période contractuelle soit en revendant tout ou partie de la puissance acquise à un acheteur secondaire sur le marché. A cet égard, EDF s'engage à permettre le transfert de tout niveau de puissance contracté à tout acheteur secondaire qui remplira les conditions de participation aux appels d'offres et lorsque la puissance objet du transfert représentera un nombre entier de MW.

3. SUR LES AUTRES MODIFICATIONS

155. De manière générale, les modifications et précisions apportées par EDF à sa proposition initiale assouplissent à la fois les conditions d'attribution de l'énergie mise à disposition et les possibilités de sortir du contrat. Les modifications apportées ont également contribué à la transparence des engagements.

156. En ce qui concerne la clause de prix complémentaire proposée par EDF, celle-ci vise à préserver l'effet utile des engagements en neutralisant le profit tiré de reventes éventuelles de l'électricité acquise au prix déterminé en application des engagements sur le marché de gros en substituant le prix horaire spot Powernext au prix du contrat pour toute quantité vendue au-delà des quantités nécessaires à la couverture du portefeuille de clients de l'acquéreur sur le marché pertinent. Le risque de revente de l'énergie acquise sur le marché de gros, que la clause vise à neutraliser, a été largement étayé lors de l'instruction. En effet, l'acquisition de blocs d'électricité à un prix inférieur à celui constaté en gros crée mécaniquement une opportunité d'arbitrage. En l'espèce, cet arbitrage a été effectué par le plaignant qui dispose, en vertu du contrat du 27 décembre 2005, d'un approvisionnement certes présumé générateur d'un effet de ciseau tarifaire au regard du niveau des offres de détail d'EDF sur le marché libre, mais dont le prix est ensuite devenu inférieur aux prix constatés sur le marché de gros courant 2006. Ceci explique que Direct Energie a cessé son développement commercial sur le marché de détail pour revendre le reste de son approvisionnement sur le marché de gros.

157. Il en découle que le mécanisme de la clause de prix complémentaire n'est autre que le moyen retenu pour conserver un effet utile au dispositif. En effet, l'amélioration du fonctionnement du marché de détail " dédié " apparu en France passe nécessairement par la mise en place de modes d'approvisionnement limités et propres à ce marché, c'est-à-dire une forme de marché de gros lui-même dédié. Dès lors que le produit conçu pour répondre à la préoccupation de concurrence est proposé à un prix de gros lui-même dédié, au sens où il est déconnecté des prix fixés sur le marché de gros existant, il existe des possibilités d'arbitrage entre ce produit de gros dédié et le reste du marché. Ces possibilités d'arbitrage, qui découlent des faits fondant les préoccupations concurrentielles du cas d'espèce, font qu'en l'absence d'un mécanisme de neutralisation de ces possibilités, les engagements aboutiraient à une évasion des quantités d'énergie livrées pour des usages plus rémunérateurs que le service des petits consommateurs. Aussi le Conseil considère que la clause de prix complémentaire constitue un moyen nécessaire pour assurer le caractère effectif du remède proposé par EDF aux préoccupations de concurrence.

158. Après le test de marché, la formule d'application de cette clause a cependant été restreinte et simplifiée. La substitution du prix horaire spot Powernext au prix du contrat est désormais strictement applicable aux seules quantités excédant les besoins du portefeuille total de clientèle du fournisseur tiers sur le marché de détail pertinent. La formule d'application de la clause de prix complémentaire a en outre été corrigée pour tenir compte de l'inconvénient relevé par le commissaire du Gouvernement.

159. En ce qui concerne le " surcoût " évalué par la CRE comme résultant de ventes à perte sur le marché de gros, celui-ci repose nécessairement sur des anticipations concernant la partie de l'énergie acquise non consommée et l'évolution des prix de marché spot. Il s'agit donc d'anticipations très incertaines, notamment au regard de la forte volatilité des prix observée sur le marché de gros à court terme. En outre, les facteurs de cette volatilité sont, principalement, l'impossibilité de stocker l'électricité, les conditions climatiques et les aléas d'approvisionnement, c'est-à-dire des conditions économiques fondamentales du secteur concerné, auxquelles l'ensemble des opérateurs, y compris EDF, font face, quelles que soient leurs conditions d'approvisionnement. Il n'y a donc pas lieu d'imputer ce risque au fournisseur dans le cadre des engagements.

160. Au final, le Conseil considère que la nécessité de la clause de prix complémentaire est justifiée par les circonstances de fait propres au cas d'espèce. Le Conseil conserve donc toute latitude pour réexaminer les présents engagements et notamment le maintien de la clause de prix complémentaire en cas de changement significatif des circonstances de droit ou de fait comme, par exemple, une modification du régime des tarifs réglementés.

4. CONCLUSION

161. Le Conseil considère, dans ces conditions, que les engagements proposés, puis améliorés à l'occasion de la séance, répondent à ses préoccupations de concurrence et présentent un caractère crédible et vérifiable.

162. Comme précisé au paragraphe 106 de la présente décision, le Conseil ne peut, à ce stade, que se fonder sur les éléments versés au dossier qui lui ont permis, d'une part, de vérifier la crédibilité des engagements proposés au regard du prix envisagé par EDF pour la première année contractuelle et, d'autre part, de prendre acte de l'orientation de principe proposée pour l'avenir en ne demandant, pour le futur, qu'un engagement de résultat.

163. Cette réserve méthodologique n'est pas propre au cas d'espèce mais serait faite dans tout autre dossier pour lequel un comportement futur ne pourrait être apprécié ex ante, sa qualification dépendant de l'évolution de prix de marché impossible à anticiper. En pareil cas, qui peut d'ailleurs être assimilé à la situation de " droit commun " sur un marché, le Conseil conserve toute latitude pour rouvrir le cas échéant la procédure, procéder si nécessaire aux calculs qui seront alors réalisables sur la base d'éléments constatés et qualifier les pratiques au regard du droit de la concurrence.

164. A cet égard, le Conseil note qu'EDF a confirmé en séance son intention de mettre en œuvre une politique commerciale concernant son portefeuille de clientèle EDF Pro de nature à résorber intégralement l'effet de ciseau tarifaire.

165. Au final, comme décrit ci-dessus, les engagements initialement proposés ont été significativement améliorés, pour aboutir à la création d'un nouveau mode d'approvisionnement, spécifiquement dédié aux fournitures au détail par les opérateurs alternatifs sur le marché des consommateurs petits professionnels et résidentiels. Le prix de cet approvisionnement est élaboré de manière à répondre aux préoccupations de concurrence exposées par le Conseil dans la décision n° 07-MC-04, lesquels concernaient des indices de pratique de ciseau tarifaire résultant de la comparaison du prix de gros du contrat de Direct Energie aux prix pratiqués par EDF sur le marché libre pertinent. L'ensemble des opérateurs alternatifs auront, en application des engagements proposés, accès à de l'énergie de base à un prix ne produisant pas un tel effet.

166. Les quantités ainsi mises à disposition, à savoir une puissance de 1 500 MW représentant environ 10,5 TWh par an, excèdent la taille totale du marché libre pertinent actuel. Cette puissance sera mise à disposition par la voie de trois appels d'offres séparés dans le temps, qui devraient être mis en place courant 2008 et 2009 afin de permettre à de nouveaux entrants d'avoir accès à ce mode d'approvisionnement. Une fois ces quantités allouées, les acquéreurs bénéficieront de livraisons prévues pour 15 ans, durée qui leur conférera une visibilité longue sur les termes de leur approvisionnement en électricité de base, visibilité actuellement absente pour les produits disponibles sur le marché de gros. En outre, les engagements donneront aux futurs acquéreurs une marge de flexibilité, de nature à limiter l'effet contraignant de la durée contractuelle prévue. Ainsi les futurs acquéreurs auront la possibilité de renoncer aux livraisons à l'issue d'une première période de cinq ans. En outre, les droits attribués lors des appels d'offres seront entièrement cessibles par leurs détenteurs à tout tiers remplissant les conditions de participation aux appels d'offres, durant toute la durée des contrats, que la cession concerne tout ou partie des quantités contractuelles.

167. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, le Conseil décide donc qu'il y a lieu d'accepter les engagements proposés, de les rendre obligatoires et de clore la procédure.

DÉCISION

Article 1er : Le Conseil accepte les engagements présentés par Electricité de France. Ces engagements, rendus obligatoires par la présente décision dès sa notification, font partie intégrante de cette décision et sont reproduits en annexe.

Article 2 : Il est mis fin à la procédure enregistrée sous le numéro 07/0019F.