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Décisions

Conseil Conc., 11 décembre 2007, n° 07-MC-06

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Arrow Génériques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Wibaux, M. Komiha, par M. Lasserre, Président, Mmes Aubert, Perrot, Vice-Présidentes.

Conseil Conc. n° 07-MC-06

11 décembre 2007

Le Conseil de la concurrence (Commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 13 novembre 2006 sous le numéro 06/0084 F, par laquelle la société Arrow Génériques a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Schering-Plough concernant la commercialisation, dans le circuit officinal, du Subutex confronté à l'arrivée du générique commercialisé par Arrow. Vu la lettre enregistrée le 19 avril 2007 sous le numéro 07/0035 M, par laquelle la société Arrow Génériques a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par les sociétés Arrow Génériques et Schering-Plough et par le commissaire du Gouvernement ; Vu la note en délibéré produite par le laboratoire Schering-Plough le 12 novembre 2007 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Arrow Génériques et Schering-Plough entendus lors de la séance du 7 novembre 2007 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE ET SES SUITES

1. Par lettre enregistrée le 13 novembre 2006, la société Arrow Génériques a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Schering-Plough concernant la commercialisation, dans le circuit officinal, du Subutex confronté à l'arrivée du générique commercialisé par Arrow. Selon elle, Schering-Plough détient une position dominante sur le marché de la buprénorphine haut dosage (dite BHD) et abuse de cette position d'une part, en dénigrant, le générique et d'autre part, en modifiant, les conditions de commercialisation du Subutex de manière à procurer aux pharmaciens d'officine des avantages visant à empêcher le développement du générique commercialisé par Arrow sur ce marché.

2. Pour l'instruction de cette saisine au fond, une demande d'enquête a été adressée à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) le 19 décembre 2006.

3. Le 19 avril 2007, la société Arrow Génériques a assorti sa saisine au fond d'une demande de mesures conservatoires.

4. Pour l'instruction de cette demande de mesures conservatoires, une seconde demande d'enquête était adressée à la DGCCRF le 16 mai 2007, afin de recueillir des informations auprès de pharmaciens d'officine et de la société Dépolabo.

B. LES PRODUITS CONCERNES ET L'HISTORIQUE DE LEUR MISE SUR LE MARCHE.

5. La buprénorphine selon la Dénomination Commune Internationale (DCI) constitue un traitement de substitution aux opiacés, et entre dans la catégorie des psychotropes. Pour sa délivrance, la réglementation a posé le principe de la primo-prescription par tout médecin titulaire d'une autorisation de prescrire, d'une délivrance limitée à 28 jours, avec une dose maximale journalière de 16 mg.

6. Les usagers de ce type de produits sont, du fait de leur situation de dépendance, très sensibles aux caractéristiques de leur traitement et aux risques pour leur santé déjà très fragilisée par leur addiction aux opiacés. La délivrance du produit est très encadrée mais évolue à un rythme relativement prévisible une fois le traitement prescrit, de deux doses journalières en début de prise en charge, puis d'une dose en phase de stabilisation.

7. A partir de 1996, la firme Schering-Plough a acquis les droits de commercialisation exclusifs de cette molécule, mise sur le marché en France sous le nom commercial de Subutex. Le produit est vendu essentiellement en officine sous forme de comprimés sublinguaux à trois dosages différents : 0,4, 2 et 8 mg. Son traitement concernerait environ 85 000 à 90 000 patients en France (contre 20 000 patients traités avec de la méthadone). Le produit est également vendu à l'hôpital, ces ventes hospitalières représentant environ 10 % du montant total des ventes.

8. A compter du 30 mars 2006, Arrow Génériques a proposé un générique concurrent du Subutex, également en comprimés sublinguaux aux trois dosages de 0,4, 2 et 8 mg, à un prix inférieur de 15 % à celui du Subutex.

9. Alors qu'Arrow disposait d'une clause d'exclusivité avec le fabricant du générique, le laboratoire Ethypharm, celle-ci a été rompue et, au cours du mois d'avril 2007, le laboratoire Merck Génériques est entré sur le marché de la buprénorhine haut dosage. Les présentations galéniques de son produit sont les mêmes que celles d'Arrow Génériques.

C. LES PARTIES

1. LA SOCIÉTÉ ARROW GENERIQUES

10. Le groupe Arrow, d'origine australienne mais dont le siège est situé au Danemark, est spécialisé dans la fabrication et la diffusion de médicaments génériques. Sa filiale française, la société Arrow Génériques, a été créée en 2000. Elle commercialise 169 présentations génériques réparties sur onze domaines thérapeutiques. Elle détiendrait 2,3 % de parts de marché des médicaments génériques en France. En 2005 son chiffre d'affaires a atteint 40 M€.

11. En 2006, Arrow a réalisé avec sa buprénorphine haut dosage (BHD) un chiffre d'affaires de 4,1 M€. Ce chiffre d'affaires serait en chute libre selon la plaignante : de l'ordre de 800 000 euro en avril 2006, il aurait chuté à 400 000 puis 200 000 euro les mois suivants, suite aux pratiques mises en œuvre par son concurrent. En août 2007 le chiffre d'affaires mensuel était de 212 000 euro.

2. LA SOCIÉTÉ SCHERING-PLOUGH FRANCE

12. La société Schering-Plough France est la filiale française du groupe américain Schering-Plough qui a réalisé en 2005 un chiffre d'affaires de 9,5 milliards de dollars et se situe au onzième rang mondial des laboratoires pharmaceutiques. Sa filiale française a réalisé en France en 2003 un chiffre d'affaires de 620 M€. Le Subutex représenterait pour elle, d'après les données recueillies, un chiffre d'affaires de l'ordre de 85 M€, qui lui-même représenterait environ 24 % du chiffre d'affaires de Schering France. Le Subutex est ainsi le produit leader de Schering.

3. LA SOCIETE DEPOLABO

13. Il s'agit d'un dépositaire qui assure des services de logistique et de distribution pour ordre et pour compte de laboratoires pharmaceutiques. Il a été contacté par la société Schering-Plough au dernier trimestre 2005 pour gérer la commercialisation directe du Subutex auprès des pharmacies. Dépolabo possède en son sein un département appelé Distriphar, qui comporte une cinquantaine de salariés dont 34 délégués pharmaceutiques dont la mission est de rendre visite aux pharmacies et 12 correspondants officinaux dont la mission est de suivre la clientèle des pharmaciens au téléphone.

D. LES PRATIQUES DENONCÉES

14. La société Arrow Génériques allègue que la société Schering-Plough s'est livrée à deux types de pratiques anticoncurrentielles.

15. Elle reproche, en premier lieu, le dénigrement du générique Arrow : la plaignante produit l'article d'un médecin intitulé "Controverse : fallait-il attribuer une AMM à un générique de la buprénorphine ? " daté de juin 2006, qui introduit le doute sur l'utilité d'un générique de la buprénorphonine. Elle indique par ailleurs que les délégués commerciaux de Schering-Plough auraient diffusé des critiques sur le générique auprès de pharmaciens et de médecins prescripteurs visant à discréditer les produits Arrow. Elle expose également qu'en mai 2006, Schering-Plough aurait organisé à Tours un séminaire avec ses délégués pharmaceutiques au cours duquel, parmi d'autres thèmes, aurait été abordée la question des précautions à prendre vis-à-vis de l'extérieur et des clients depuis les protestations d'Arrow au sujet de cette campagne de dénigrement.

16. Elle fait état, en second lieu, de toute une série de pratiques commerciales ayant pour but d'empêcher l'entrée du générique sur le marché. Ces pratiques auraient consisté en :

- la modification du circuit de distribution ; alors qu'il utilisait traditionnellement le circuit des grossistes répartiteurs pour le Subutex, Schering-Plough a décidé qu'à compter de décembre 2005 ce produit serait commercialisé en direct via Dépolabo. Le saisissant indique que cette démarche aurait été particulièrement ciblée sur les pharmacies déjà clientes de Arrow pour d'autres génériques ;

- la saturation des linéaires ; Schering-Plough aurait mené une action renforcée de sa force de vente auprès des officines qui aurait abouti à saturer la capacité de stockage des pharmacies en Subutex dans les deux mois précédant le lancement du générique, les dissuadant ainsi de s'approvisionner en génériques Arrow. Cette pratique aurait été renforcée, au premier semestre 2006, par un allongement transitoire des délais de paiement accordés aux pharmaciens et des rémunérations anormalement élevées pour des opérations de coopération commerciale mal définies ;

- l'incitation excessive des pharmaciens ; Schering-Plough aurait, en sus des opérations précédentes, octroyé aux principaux pharmaciens commercialisant du Subutex en officine une prime en échange de leur participation à une étude sur le Subutex, dont le montant aurait également été anormalement élevé ;

17. Enfin, la société Arrow expose que cette stratégie a pour but de retarder le plus possible la pénétration du générique en officine afin de préparer le lancement en France d'un nouveau princeps par Schering, le Suboxone, destiné à remplacer le Subutex qui serait alors retiré du marché.

E. LES COMPORTEMENTS RELEVÉS

1. LES PRATIQUES DE DÉNIGREMENT

18. En premier lieu, la société Arrow a communiqué à l'appui de sa saisine le témoignage du chef de service de la clinique Montévidéo à Boulogne Billancourt qui déclare notamment : "avoir entendu directement les critiques que les commerciaux commandités (visiteurs médicaux) tenaient à propos de la buprénorphine-générique (Arrow). L'argumentaire de cette communication tenait sur les termes d'efficacité clinique et de dangerosité implicite dans la prescription, à savoir qu'elle créerait des complications pneumologiques liées ou non à l'injection de ce médicament et cela à cause d'une ou de ses deux composantes (talc ou silice), l'inconfort ou la méfiance que cette nouvelle forme inspirerait chez les patients, du fait de sa petite taille, que le traitement per se ne produirait pas l'effet reconnu comme étant celui de la buprenorphine. En même temps, l'argumentaire soutenait que le générique était en chute libre au niveau des ventes, que des pharmaciens qui en avaient commandé le renvoyaient et que les patients eux-mêmes insatisfaits faisaient de même".

19. Arrow a également produit le témoignage d'un pharmacien de Gennevilliers qui expose que "le laboratoire Schering pratique un forcing malsain, dénigrant le générique de son produit, le Subutex, par des moyens illégaux (rapport d'effets indésirables sous buprénorphine, attestant que le générique est moins efficace etc...Cette pression est aussi exercée sur les médecins par ces mêmes moyens. "

20. En deuxième lieu, l'enquête complémentaire, a permis de constater que des pharmaciens ou des médecins faisaient état de la circulation d'informations de nature à discréditer le générique. Aurait été mis en avant le fait que le générique était inefficace et/ou contenait du talc, ce qui aurait induit, en cas de mésusage, des risques mortels pour le patient qui s'injecterait le produit.

21. Ainsi une pharmacie de Clermont Ferrand indique-t-elle : " Un représentant de Schering-Plough a été voir mon principal prescripteur puis est venu à mon officine, avant que le générique ne soit commercialisé, me remettre un dépliant sur la substitution alors que je n'avais rien eu avant. Je lui ai expliqué que je ne trouvais pas correct le comportement de son laboratoire en terme commercial. Sa réponse fut que, par mon comportement, j'étais responsable de la mise au chômage de salariés français et que les laboratoires génériques détruisaient de l'emploi. Il a aussi avancé des arguments sur la qualité du produit et mettait en cause l'efficacité du générique. Il a enfin affirmé qu'il y avait des excipients supplémentaires dans la buprénorphine Arrow ce qui pourrait poser des difficultés aux patients qui s'injectent ce produit. Je pense que ces remarques sur le produit répondaient à des consignes de son laboratoire ".

22. De même une déclaration recueillie sous couvert d'anonymat indique : " Les délégués médicaux et pharmaceutiques de Schering-Plough répandaient la rumeur que le générique contenait du talc avant même que celui-ci ne soit mis sur le marché. Ces mêmes délégués insistaient sur la non-sécabilité du produit Arrow en contradiction avec les recommandations de l'agence du médicament ".

23. Les trois autres pharmacies auditionnées par le service d'enquête n'ont fait aucune déclaration quant à un éventuel dénigrement pratiqué par les représentants de Schering.

2. LA MODIFICATION DES MODALITES DE DISTRIBUTION DU SUBUTEX :

F. LE CONTEXTE REGLEMENTAIRE DE LA DISTRIBUTION DES GENERIQUES EN OFFICINE :

24. Afin de réduire le montant des dépenses de santé, et en particulier les dépenses des médicaments remboursables, les pouvoirs publics ont, depuis dix ans, fortement encouragé la vente des médicaments génériques.

25. Le décret du 14 mars 1997 a d'abord facilité l'homologation des génériques en allégeant leur dossier de demande d'autorisation de mise sur le marché. La loi du 23 décembre 1998 a modifié le Code de la santé publique et posé le principe de la bio-équivalence entre générique et spécialité de référence. Le décret du 11 juin 1999 reconnaît le droit pour le pharmacien de substituer une spécialité par un générique à condition que le prescripteur n'ait pas exclu cette possibilité et sous réserve que le générique soit inscrit au répertoire des génériques. En 2003, est mis en place le "TFR" (Tarif forfaitaire de responsabilité) et plus de quatre cents spécialités ne sont désormais remboursées que sur la base du prix du générique.

26. Enfin la loi du 26 février 2007 précise que les différentes formes pharmaceutiques orales sont considérées comme une même forme pharmaceutique et que les différents sels, esters, éthers, isomères, mélanges d'isomères, complexes ou dérivés d'un même principe actif sont regardés comme ayant la même composition qualitative en principe actif, sauf s'ils présentent des propriétés sensiblement différentes au regard de la sécurité ou de l'efficacité. Ainsi, au regard de cette loi, un laboratoire ne peut pas demander une nouvelle autorisation de mise sur le marché, pour un produit identique à un produit commercialisé précédemment mais dont seule la présentation aurait été modifiée.

27. Par ailleurs, les pouvoirs publics incitent le pharmacien, clé de voûte du système de diffusion des génériques en France, à substituer au médicament de marque un générique, en lui accordant, dans le cadre de la régulation tarifaire des médicaments vendus en officine, une marge commerciale quatre fois plus importante que pour le médicament princeps. Ainsi, la vente des génériques, dont le prix est généralement inférieur de 30 % au prix fabricant hors taxe de la spécialité de référence, est favorisée afin de permettre des économies pour l'assurance maladie.

G. L'IDENTIFICATION DES PHARMACIES DESTINATAIRES DES ACTIONS DE CIBLAGE

28. Le caractère stratégique du comportement du pharmacien dans la délivrance des génériques en substitution du princeps éclaire les mesures prises par Schering face à l'arrivée de son concurrent.

29. La première de ces mesures est l'identification des pharmacies qui vendent du Subutex. A cet effet, le laboratoire Schering met en place, dès le début de décembre 2005, une vaste enquête auprès des pharmacies. Selon Dépolabo cette enquête avait pour objectif de repérer parmi les 22 500 pharmacies existant en France les plus grosses dispensatrices de Subutex.

30. Dépolabo explique d'ailleurs très précisément l'objet de cette enquête par téléphone auprès des pharmaciens: " Nous avons mis en place un centre d'appel en décembre 2005 dont l'objectif était d'identifier les principales officines dispensatrices du Subutex. Le centre d'appel a déterminé quel était le "coeur de cible " Subutex à savoir les pharmacies les plus importantes. Cette information permettait au réseau de visite médicale de Schering-Plough de mieux cibler ses actions. Une partie de cette cible n'était pas cliente de Distriphar ".

H. LES VENTES DIRECTES

31. Grâce à cette enquête, 8 734 pharmacies sont identifiées, qui constituent la "cible Subutex" vers lesquelles vont s'orienter les nouvelles mesures décidées par Schering.

32. C'est dans le cadre d'un précédent contrat de distribution directe passé en 2001 entre Dépolabo et Schering-Plough pour d'autres produits, par un avenant du 22 décembre 2005, que le Subutex est ajouté à la liste des produits commercialisés auprès des officines par l'intermédiaire de Dépolabo.

33. Le contrat de 2001 précise les principales modalités de cette distribution. Schering reste propriétaire des produits, Dépolabo étant rémunéré à la commission. Dépolabo établit les factures pour le compte de Schering et se charge de leur encaissement, " aux conditions de remises telles que définies d'un commun accord " " en faisant bénéficier l'officine d'un barème d'écart défini en accord avec Schering-Plough ". Dépolabo doit quotidiennement informer Schering des ventes, de l'état du stock et du chiffre d'affaires et doit lui faire remonter les informations du Groupement pour l'Élaboration et la Réalisation de Statistiques (GERS) sur les ventes directes en pharmacie.

34. L'article 5, intitulé " Prospection Pharmacies d'Officine ", prévoit que Dépolabo " assure notamment par ses délégués pharmaceutiques (...) la prospection des pharmacies d'officine, pour les produits faisant l'objet du présent contrat. (...) Dépolabo peut assurer des campagnes d'information et de promotion particulières, auprès des pharmacies d'officine, pour certains produits, à la demande et selon les directives de Schering-Plough, étant entendu que ces opérations feront l'objet d'un accord contractuel fixant les modalités de cette prestation. "

35. Dépolabo peut alors demander à son réseau de 34 délégués pharmaceutiques (sous l'enseigne Distriphar) de rendre visite à ces pharmacies pour leur proposer du Subutex à des conditions commerciales avantageuses.

36. Comme l'indique Dépolabo : "A partir de janvier 2006, (...) les délégués pharmaceutiques ont rencontré les pharmaciens et ont fait l'offre sur le produit Subutex. L'objectif était de vendre le Subutex et de déterminer avec les pharmaciens le stockage idéal selon leur rotation. L'offre que nous faisons est une remise de 2,5 % du prix de vente pharmacie. Cette remise était accordée quelque soit la quantité de Subutex commandée ". Il faut noter que cette remise de 2,5 % est le maximum légal, hors coopération commerciale.

37. Il sera mis fin à la vente directe du Subutex par un contrat entre Schering et Dépolabo, du 5 janvier 2007 qui précise : " Dépolabo ne procédera à aucune communication écrite spécifique. Une information verbale sera effectuée par le réseau de délégués pharmaceutiques Dépolabo ou par les correspondants officinals Dépolabo, en cas d'appels téléphoniques de la Clientèle ".

I. LES DELAIS DE PAIEMENT

38. Dans ses déclarations à l'enquêteur Dépolabo indique : " Schering-Plough proposait également un délai de paiement de 90 jours car Dépolabo fonctionne habituellement avec un délai de paiement de 60 jours de date à date. Cette offre sur le délai de paiement fut effective en janvier et février 2006. Nous n'avons pas accordé d'autres remises aux pharmaciens ".

39. En effet, le contrat de 2001 précité indiquait que Dépolabo, pour le reversement à Schering des factures encaissées pour son compte, bénéficie de 60 jours de délai de règlement. Dans un avenant à ce contrat, en date du 28 mars 2006, avec effet rétroactif au 9 janvier 2006, l'article 6 précise : " Depuis le 9 janvier 2006, les Parties ont conjointement décidé de remplacer les dispositions de l'article 7.1 " Echéances " du Contrat par le nouvel article figurant ci-après : Le reversement du chiffre d'affaires Pharmacies facturé par Dépolabo sera effectué par Dépolabo à Schering-Plough par traite à 60 (soixante) jours fin de mois. Toutefois, dans le cas où Schering-Plough souhaiterait mettre en place des échéances de règlement Pharmacies à 90 jours date à date (quatre vingt dix jours), les Parties conviennent que dans ce cas, le reversement du chiffre d'affaires Pharmacies facturé par Dépolabo pour les pharmacies ayant bénéficié de cette échéance particulière à la demande de Schering-Plough sera effectué par traite à 90 (quatre vingt dix) jours fin de mois." (soulignements ajoutés)

40. L'allongement de ces délais de paiement est confirmé par une pharmacie à Paris qui note l'intérêt d'un tel délai : " Nous avions une remise de 2,5 % habituelle et un délai de paiement de 90 jours fin de mois. C'est un délai très intéressant pour nous, comparé à une vente par l'intermédiaire de grossistes. Par mois un stock coûte 2,5 % de frais financiers en cas de paiement comptant. En revanche nous gagnons 2,5 % du coût de la marchandise lorsque le stock est vendu, le montant des remises se révèle finalement supérieur à 2,5 % ".

J. LES CONDITIONS COMMERCIALES

41. Egalement dès janvier 2006 sont proposées par Dépolabo aux pharmaciens, d'une part, une remise de 2,5 % du prix de vente pharmacie (accordée quelque soit la quantité de Subutex commandée), d'autre part des remises arrière liées aux quantités.

42. Ainsi, un pharmacien de Clermont Ferrand indique que les remises pour l'achat de grosses quantités (4 mois de stocks) pouvaient atteindre 10 % : " Dans le même temps Dépolabo-Distriphar m'a appelé pour me dire que je pourrais bénéficier d'une remise de 10 %. Je ne me souviens plus précisément s'il s'agissait d'une remise sur le prix grossiste ou sur le prix fabricant. Il s'agissait de remises sur des grandes quantités, 350 boites de Subutex 8mg. Il s'agit de quantités exceptionnelles, cela représentait pour moi plus de 4 mois de stock, ce qui est beaucoup pour ce type de molécule. La norme en cas de vente directe en général est de 2 à 3 mois. Ce laboratoire proposait aussi des délais de paiement ".

43. Une pharmacie de Bagneux signale pour sa part que ces ventes directes lui permettent d'obtenir 7 à 8 % de remises. Une pharmacie de Paris signale qu'elle a commandé en vente directe à un niveau inhabituel (3 mois de stock) en paiement comptant et qu'elle a bénéficié en contrepartie d'un " accord de coopération commerciale " sans autres précisions.

44. Ces déclarations seraient ainsi en contradiction avec la déclaration précitée de Dépolabo qui indique " (...) Nous n'avons pas accordé d'autres remises aux pharmaciens ".

K. LE LANCEMENT D'ENQUETES AUPRES DES PHARMACIENS

45. Dans le même temps, c'est-à-dire au début de l'année 2006, par une " Lettre de Mission " Schering mandate Dépolabo pour la réalisation d'une enquête auprès des officines à compter du 11 janvier 2006 jusqu'au 30 avril 2006, la cible définie étant " d'au moins 8000 officines ". Par référence à une annexe 3.7 du contrat de 2001 intitulée " Retour d'Information Officinale " (R.I.O.) on relève que la rémunération de Dépolabo est fixée à 4,57 euro par facture RIO émise.

46. Cette annexe 3.7 précise le rôle joué par Dépolabo vis à vis de l'officine dans la gestion et leur rémunération : " Suite à l'accord de Prestation de Service Officinal passé entre l'Officine et Dépolabo sur la base d'une rémunération sous forme d'honoraires. Dépolabo :

- saisit et calcule le montant de la prestation officinale,

- émet une facture d'ordre et pour compte de l'officine,

- intègre cette facture dans le relevé de factures envoyé à l'officine,

- gère le compte officinal en conséquence, émet les pièces comptables correspondantes.

47. Dépolabo a communiqué des documents qui correspondent à ce qui est mentionné dans l'annexe 3.7. Il s'agit de quelques exemples de " contrats cadre de prestations officinales " annuels passés avec des pharmaciens en avril 2006 qui définissent les conditions de collaboration pour leur participation à des enquêtes et questionnaires précisant que chaque participation " fera l'objet d'un contrat d'application préalable ou concomitant au jour de la participation à l'enquête par l'Officine. Ce contrat d'application sera rattaché au présent contrat cadre et matérialisera l'accord des Parties pour chaque prestation demandée par Dépolabo à l'Officine et précisera : la durée de validité de chaque prestation (enquête ou questionnaire) ; les conditions financières rattachées à chaque prestation ". (soulignements ajoutés)

48. Dépolabo n'a fourni aucun de ces contrats d'application mais a produit, dans le cadre de l'enquête sur le Subutex, un état annuel des rémunérations versées au titre du contrat-cadre. Toutefois, en l'absence de contrats d'application, Dépolabo n'a pas été en mesure de préciser le détail des prestations prévues et de leur rémunération.

49. En l'état actuel de l'instruction il n'est donc pas possible de déterminer avec certitude ni le montant de la rémunération versée individuellement à chaque pharmacien pour l'enquête Subutex visée par la " Lettre de Mission " ni son mode de versement (facture à en-tête de l'officine ou compensation sur des factures d'achats).

50. Une indication sur la " rémunération " de ce type d'enquête est fournie par Dépolabo dans sa déclaration : " L'offre de service complémentaire mise en place pour le Subutex était de réaliser des remontées d'informations officinales, il s'agit du terme que nous employons pour définir des enquêtes auprès des pharmaciens. Il s'agit de prestations de services distincts, les pharmaciens sont rémunérés pour ce travail d'enquête. Nos délégués pharmaceutiques étaient chargés de ce travail. Ces enquêtes s'adressaient principalement aux pharmacies dispensant d'importantes quantités de Subutex. Cette enquête pouvait représenter pour les pharmaciens participant au questionnaire une remise moyenne d'environ 5 % du prix de vente pharmacie. Il s'agit d'une rémunération complémentaire pour les pharmaciens qui se sont investis dans ce travail. Il s'agissait d'un budget d'environ 200 000 euro par mois pour le laboratoire Schering-Plough ". (soulignements ajoutés)

51. Une première enquête de ce genre a été réalisée pour la période du 1er janvier au 30 avril 2006 avec un questionnaire comprenant six questions relatives aux rotations mensuelles de buprénorphine, à la proportion actuelle des ventes en DCI (dénomination commune internationale et non avec le nom de la marque) et aux contacts éventuels avec le médecin prescripteur et enfin au nombre et aux caractéristiques des patients. Un autre document démontre que cette même enquête, avec le même questionnaire, a été renouvelée sur la période allant du 1er mai au 31 juillet 2006.

52. Interrogé à plusieurs reprises, lors de la séance, sur la rémunération individuelle versée aux pharmaciens pour ces deux enquêtes successives sur le Subutex, le représentant de Dépolabo a indiqué qu'il s'agissait d'une prestation et d'une rémunération " classiques " sur lesquelles il n'avait pas d'explication supplémentaire à fournir, mais n'a pas été en mesure de communiquer des données précises. Il a seulement indiqué qu'en général, pour ce type d'enquêtes, la rémunération était voisine de 50 euro par questionnaire.

53. On peut toutefois obtenir des estimations du coût de l'opération en examinant les documents versés au dossier.

54. Un premier document, une lettre de mission de Schering à Dépolabo, évoque un budget prévisionnel de 450 000 euro. Un deuxième document récapitulant des facturations indique un coût global pour le laboratoire Schering pour la période du 11 janvier au 30 avril 2006 de 680 400 euro. Un troisième document donne la synthèse des résultats de la période suivante et un "tableau de préfacturation" arrive à un total 533 437 euro.

55. Ainsi, pour six à sept mois d'enquête et en partant, soit des estimations de Dépolabo, qui parle d'un coût mensuel de 200 000 euro, soit des deux "tableaux de préfacturation" on aboutit à un budget dont l'ordre de grandeur serait de 1 200 000 euro pour Schering, montant très supérieur au budget prévisionnel de 450 000 euro.

56. Cet ordre de grandeur n'est pas contradictoire avec les déclarations de Dépolabo indiquant que : " Ces enquêtes s'adressaient principalement aux pharmacies dispensant d'importantes quantités de Subutex. Cette enquête pouvait représenter pour les pharmaciens participant au questionnaire une remise moyenne d'environ 5 % du prix de vente pharmacie. (...). Les pharmacies qui ont le plus participé à ces enquêtes étaient généralement les pharmacies qui commandaient le plus de Subutex. Le souhait de Schering-Plough était de bien couvrir ce " coeur de cible ". Nous avons arrêté ces enquêtes au 31 juillet 2006 ". En effet, les documents fournis par Schering et Dépolabo montrant que la vente de Subutex est très concentrée et que les officines visées par l'enquête ont pu représenter entre 70 % et 80 % des ventes. Le montant des ventes mensuelles en officine étant d'au moins 6 M€ sur la période, on peut considérer que le chiffre d'affaires en Subutex des pharmaciens participants est de l'ordre de 4 à 5 M€ par mois. Une remise moyenne de 5 % représenterait donc un montant de 200 000 euro à 250 000 euro par mois.

57. Selon un autre document (Réunion Dépolabo - Cycle 2-2006), une autre vague d'enquêtes intitulée "Pharmasub" a été réalisée directement par Schering auprès de 500 pharmacies, à partir de mars 2006. Elle est qualifiée d'"enquête transversale". La rémunération prévue pour le pharmacien qui doit décrire 10 patients traités au Subutex est de 100 euro.

58. Cette première phase a été suivie d'une seconde vague d'enquête intitulée "enquête longitudinale". Les 500 pharmacies déjà sélectionnées doivent faire une fiche de synthèse anonyme pour 3 patients pendant 6 mois. Le but de cette enquête plus ciblée est d'avoir des informations encore plus précises sur l'opinion des pharmaciens et le profil des patients. La rémunération prévue pour le pharmacien est de 200 euro pour chaque enquête, réalisée en observant trois patients pendant six mois.

II. Discussion

A. SUR LA PROCEDURE :

59. Le laboratoire Schering soutient, en premier lieu, que toutes les pièces qu'avait recueillies l'enquêteur lors de l'enquête complémentaire, n'auraient été communiquées que tardivement, et que certaines de ces pièces manqueraient au dossier qui lui a été transmis, de sorte que le principe de contradiction ne serait pas respecté.

60. Comme l'indique le procès-verbal de transmission, l'ensemble du dossier de l'enquête complémentaire transmis par la DGCCRF au Conseil, est constitué d'une part, de huit procès-verbaux d'audition et de leurs annexes, et, d'autre part, des documents transmis par Dépolabo, dépositaire ayant effectué la vente directe du Subutex pour le compte du laboratoire Schering.

61. Les huit procès-verbaux d'audition ont été transmis au laboratoire Schering, quatre jours ouvrables avant le délai de transmission des observations, délai qui a ensuite été prolongé de deux jours. Les autres documents, faisant l'objet d'un secret des affaires, ont été communiqués le jour même où la décision de déclassement a été prise. Ces documents concernaient les relations avec Dépolabo pour la distribution du Subutex et les contrats et factures y afférant, qui n'apportaient pas d'information nouvelle au laboratoire Schering, puisque celui-ci disposait déjà d'une copie de ces documents, dans le cadre de ses relations contractuelles avec le dépositaire. La liste de ces documents figurait par ailleurs en annexe du procès-verbal de déclaration de Dépolabo.

62. Ces documents ont été communiqués en respectant le caractère contradictoire sauf deux d'entre eux qui n'avaient pas de lien direct avec l'instruction de la demande de mesures conservatoires ou qui n'étaient pas nécessaires à celle-ci.

63. Il s'agit d'abord de courriers entre le laboratoire Schering et la société Dépolabo relatifs à un litige commercial non encore résolu et dont le laboratoire Arrow n'avait pas à prendre connaissance. Le laboratoire Schering est d'autant moins fondé à considérer que ce document était nécessaire à la procédure qu'il a lui-même confirmé l'existence de ce contentieux lors de la séance, tout en refusant de l'évoquer, aussi bien devant Dépolabo que devant Arrow, pour des raisons de confidentialité.

64. Il s'agit ensuite d'un document fourni spontanément par un pharmacien à l'enquêteur, qui est un contrat-cadre de prestation officinale signé entre ce pharmacien et Arrow Génériques, dans les formes prévues par la loi Dutreil. Ce document ne concernait pas les pratiques du laboratoire Schering et n'est pas utile à la procédure.

65. Enfin, aucune partie n'a contesté lors de la séance que la liste détaillée comportant les noms et les adresses de 8 000 pharmacies vendant du Subutex, notamment utilisée par Dépolabo et Schering pour leurs actions commerciales, mais aussi par l'enquêteur pour préparer ses auditions, n'est pas nécessaire à l'instruction de la demande de mesures conservatoires, étant observé, d'une part, que cette liste est nécessairement connue de Schering qui est, en tant que fournisseur, le mieux placé pour l'établir et la maintenir à jour, et, d'autre part, que la transmission aux membres du collège, au commissaire du gouvernement et aux parties de cette liste de plus de 150 pages aurait nécessité de la photocopier en plusieurs exemplaires, démarche totalement inutile et manifestement disproportionnée avec les besoins de l'examen des mesures conservatoires demandées.

66. Le laboratoire Schering s'est également interrogé sur le saut de cotation de 420 pages qu'il a relevé dans les pièces du dossier.

67. Mais ce saut de cotation (de la cote 21 à la cote 450) résulte du fait que les documents de l'enquête complémentaire ont été numérisés deux fois : sous les cotes 22 à 449 puis 450 à 815. Cette opération est rendue nécessaire lorsque la première numérisation a échoué et ne peut donc être l'indice de documents manquants.

68. Hormis les deux documents précisément décrits aux paragraphes 63 et 64 ci-dessus, le laboratoire Schering a donc reçu l'ensemble des documents constituant l'enquête complémentaire.

69. Le laboratoire Schering fait valoir en second lieu qu'il n'a disposé que de deux jours ouvrables avant la séance pour prendre connaissance des observations du laboratoire Arrow et organiser utilement sa défense. Il demande en conséquence au Conseil de rejeter ces observations et pièces ou de lui accorder le droit de produire une note en délibéré pour répondre à ces observations.

70. Mais comme le Conseil l'a relevé dans sa décision 02-D-35 du 13 juin 2002 : "aucune disposition du Code de commerce ou du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 n'impose de délais pour la mise en état de procédures de mesures conservatoires, qui se caractérisent par l'urgence mais dont l'instruction doit viser, dans un temps nécessairement restreint, à réunir le plus d'éléments possible permettant au Conseil de se prononcer sur le bien-fondé de la demande ; que le dépôt de pièces après l'expiration du temps imparti ne saurait donc, à lui seul, justifier leur rejet de la procédure, à condition, toutefois, que la partie adverse ait bénéficié d'un temps suffisant pour assurer sa défense au regard des pièces ainsi produites". Il convient d'apprécier "in concreto" comment les parties ont bénéficié de l'égalité des armes et la partie mise en cause a pu assurer sa défense.

71. En l'espèce les observations du laboratoire Arrow ont été transmises au Conseil de la concurrence sous la forme d'annexes le vendredi 2 novembre 2007 à 15h15 puis sous la forme d'un mémoire le dimanche 4 novembre. Le bureau de la procédure les a enregistrées puis les a adressées au laboratoire Schering le lundi 5 novembre 2007, soit deux jours ouvrables avant la séance. Bien que le laboratoire Schering ait précisé dans un courrier daté du 6 novembre, que "ces observations et pièces n'apport[ai]ent aucun élément supplémentaire" aux débats, afin de permettre au laboratoire Schering de répondre de manière approfondie à ces observations, il lui a été accordé de produire une note en délibéré transmise au Conseil le 12 novembre. Le laboratoire Schering a donc pu pleinement assurer sa défense.

72. Par ailleurs, il convient de relever que les observations du laboratoire Arrow répondaient, elles-mêmes, aux observations du laboratoire Schering qui avait eu un délai supplémentaire de deux jours par rapport à celui fixé par le rapporteur général. Ce délai supplémentaire octroyé au laboratoire Schering a raccourci d'autant le temps dont disposait le laboratoire Arrow pour répondre, qui n'était plus que de cinq jour ouvrables. Il doit donc en être tenu compte et accepter que les observations du laboratoire Arrow soient jointes au dossier.

B. SUR LES PRATIQUES :

1. LE MARCHE PERTINENT

73. S'agissant des spécialités pharmaceutiques, la jurisprudence, tant nationale que communautaire, considère que les possibilités de substitution entre les médicaments sont limitées par leurs indications et contre-indications thérapeutiques respectives, qui dépendent elles-mêmes des propriétés pharmacologiques des produits, mais aussi par l'avis des médecins prescripteurs, ainsi que par d'éventuels écarts de prix. La Cour de cassation a ainsi approuvé, dans son arrêt "Lilly France" du 15 juin 1999, la cour d'appel qui avait considéré que : "l'interchangeabilité des médicaments ne dépend pas fondamentalement de leur identité physique ou chimique, mais de leur interchangeabilité fonctionnelle du point de vue du dispensateur, et donc, dans le cas des médicaments soumis à prescription, également du point de vue des médecins établis". Dans le même arrêt, la Cour de cassation a considéré que "si, pour délimiter le marché de référence d'un médicament le troisième niveau [de la classification ATC] est utile, cette classification peut être trop étroite ou trop vaste pour certains médicaments".

74. Au cas d'espèce, les pratiques concernent le médicament Subutex dont le principe actif est la buprénorphine haut dosage (BHD). Ce médicament fait partie de la classe thérapeutique des médicaments agissant sur le système nerveux, classe thérapeutique obéissant à la lettre N dans la classification ATC. La buprénorphine est répertoriée au troisième niveau de la classification ATC dans la famille des "médicaments contre la dépendance". A ce même niveau sont classés les médicaments utilisés dans la dépendance à la nicotine (N07BA) et dans la dépendance alcoolique (N07BB). La buprénorphine est quant elle classée dans la catégorie des médicaments utilisés dans la dépendance aux opioïdes (N07BC).

75. Dans cette catégorie "des médicaments utilisés dans la dépendance aux opioïdes" qui correspond au quatrième niveau de la classification ATC, figure également la méthadone (N07BC02). La buprénorphine (N07BC01), comme la méthadone, répertoriées au même niveau de la classification ATC, paraissent avoir des indications thérapeutiques similaires : en effet, elles sont tous les deux prescrites comme traitement de substitution notamment à l'héroïne (TSO).

76. Néanmoins, il existe des différences importantes entre ces deux produits qui conduisent à considérer qu'ils ne sont pas substituables. En effet, la buprénorphine :

- est classée parmi les psychotropes alors que la méthadone est rangée parmi les stupéfiants, ce qui induit des différences dans la délivrance du produit par le pharmacien. Pour les psychotropes, une simple ordonnance suffit alors que pour les stupéfiants, le pharmacien doit posséder un carnet à souche ;

- est un médicament prescrit par un médecin généraliste (en primo-prescription) alors que la méthadone doit d'abord être prescrite par un médecin attaché à un centre de soins spécialisé ;

- est délivrée en ambulatoire pour 28 jours alors que la délivrance par ordonnance de la méthadone ne peut excéder 15 jours ;

- est généralement prescrite en cas d'échec du traitement à la méthadone et/ou pour les pathologies plus lourdes qui nécessitent généralement une hospitalisation ou l'hébergement dans un centre de soins. Selon la saisine, 90 000 patients sont traités par BHD et 20 000 par méthadone.

77. S'agissant de la substituabilité du Subutex avec les génériques commercialisés par Arrow et Merck, elle découle du fait que le princeps et ses génériques ont le même principe actif (la buprénorphine) et sont délivrés pour strictement les mêmes indications, à savoir le sevrage sans hospitalisation des héroïnomanes.

78. D'ailleurs l'article L. 5121-1-5 du Code de la santé publique dispose : "On entend par (...) spécialité générique d'une spécialité de référence, celle qui a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées. Une spécialité ne peut être qualifiée de spécialité de référence que si son autorisation de mise sur le marché a été délivrée au vu d'un dossier comportant, dans des conditions fixées par voie réglementaire, l'ensemble des données nécessaires et suffisantes à elles seules pour son évaluation. Pour l'application du présent alinéa, les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique. "

79. Il résulte de ces éléments que, conformément à la jurisprudence du Conseil ainsi que celle des autorités communautaires, il peut être admis, à ce stade de l'instruction, que le marché de la buprénorphine haut dosage, comprenant le Subutex et ses génériques, constitue un marché pertinent, distinct de celui de la méthadone.

80. Par ailleurs et conformément à une jurisprudence constante en matière de marché pharmaceutique, le marché en cause est de dimension nationale et ne concerne que les officines, pour lesquelles les prix sont réglementés, et non les établissements hospitaliers pour lesquels les prix sont libres.

81. A ce stade de l'instruction, il convient donc de retenir un marché français de la vente en officine de la buprénorphine haut dosage.

2. LA POSITION DE SCHERING-PLOUGH SUR LE MARCHE EN CAUSE

82. Le marché de la buprénorphine a représenté en 2006 un chiffre d'affaires de 86 M€ (hôpital + ville), dont 82 M€ pour les seules officines. Afin de suivre l'évolution différente du marché hospitalier, les ventes en hôpital seront présentées ci-après bien qu'elles ne concernent pas directement le marché pertinent.

83. De 1996 au 30 mars 2006 (date à laquelle a été délivrée l'autorisation de mise sur le marché du générique Arrow, suivie de sa commercialisation effective auprès des officines à partir du 1er avril 2006), Schering-Plough était le seul acteur du marché et détenait donc 100 % du marché. Pour Schering-Plough, le Subutex représente 24,33 % de son chiffre d'affaires en France. Au plan mondial, 61 % du chiffre d'affaires groupe Schering au titre du Subutex est réalisé en France.

84. Entre avril 2006 et décembre 2006, les parts de marché, en valeur et en quantité, de Schering et d'Arrow ont été les suivantes :

<emplacement tableau>

85. De janvier à août 2007, les parts de marché cumulées des différents acteurs étaient les suivantes :

<emplacement tableau>

86. Les chiffres présentés dans les tableaux ci-dessus permettent de considérer, à ce stade de l'instruction, que Schering-Plough, compte tenu de ses parts de marché et de la faible dynamique d'entrée des génériques, est en position dominante sur le marché de la buprénorphine à haut dosage vendue en officine sur lequel les pratiques sont dénoncées.

87. Accessoirement, il faut relever, comme le fait le saisissant, que même si l'on devait admettre une substituabilité de la buprénorphine et de la méthadone, le laboratoire Schreing Plough, selon ses propres chiffres, serait toujours dans une position que l'on pourrait considérer, à ce stade de l'instruction, comme étant dominante.

3. SUR LES PRATIQUES SUSCEPTIBLES DE CONSTITUER DES ABUS

88. Le fait qu'une entreprise en position dominante, confrontée à l'arrivée ou à la présence de produits concurrents, développe des moyens commerciaux pour faire face à cette concurrence n'est pas en soi constitutif d'un abus de cette position dominante. Il est en effet légitime qu'une entreprise dominante sur son marché puisse disposer de la possibilité de faire face à la compétition d'autres offreurs, dès lors que les moyens ainsi mis en œuvre restent ceux d'une concurrence par les mérites.

89. La jurisprudence communautaire et nationale indique à cet égard que, s'il n'est pas interdit à un opérateur de développer ses ventes de manière loyale, un opérateur en position dominante est soumis à des restrictions particulières quant aux moyens commerciaux dont il dispose pour accroître ses ventes. Par exemple, dans un arrêt du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, le TPI indique (points 111-112) : "Il s'ensuit que l'article 82 du traité (devenu article 82 CE) interdit à une entreprise dominante d'éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites.".

En ce qui concerne les caractéristiques de la concurrence des génériques en pharmacie d'officine

90. La substitution des médicaments princeps par leurs génériques résulte principalement, voire exclusivement, d'un avantage de prix. En effet, l'analyse en terme de bioéquivalence conduit à poser le principe de la substituabilité totale du générique et du princeps du point de vue de l'utilisateur final.

91. Dès lors, si on laisse de côté d'éventuelles différences en terme d'excipient ou de présentation, qui pourraient être présentées comme des améliorations par rapport à l'avantage de l'antériorité dont dispose le princeps, l'argument principal des fabricants de génériques pour vendre leurs produits sera le prix moins élevé.

92. Ce mécanisme est particulièrement bien vérifié sur le marché hospitalier sur lequel les approvisionnements se font par le moyen d'appels d'offres pour lesquels le niveau des prix est décisif pour pouvoir l'emporter.

93. Sur le marché officinal, la situation est différente car l'expression de la demande obéit à un processus complexe qui met en jeu trois acteurs : le médecin prescripteur, le patient, le pharmacien, et, un payeur en dernier ressort, l'assurance maladie.

94. Le médecin prescripteur peut désigner un médicament par sa dénomination commune internationale, ce qui revient à prescrire indifféremment le princeps et le générique. En France, cette pratique est très minoritaire, voire exceptionnelle. Les médicaments sont donc, le plus souvent, prescrits sous la dénomination commerciale du princeps. Le médecin n'est donc pas sensible à l'argument de prix qui est le seul qui permet l'introduction des génériques sur le marché.

95. Le patient n'est pas non plus sensible à cet argument dans la mesure où il ne supporte généralement pas le prix du médicament, celui-ci étant pris en charge par l'assurance maladie. Cette situation est particulièrement vérifiée pour le Subutex, dont les consommateurs bénéficient généralement d'une prise en charge totale par la sécurité sociale.

96. C'est donc sur le dernier acteur, le pharmacien, que repose l'efficacité du mécanisme qui permet de répondre à la préférence de la demande finale pour le produit le moins cher. Tel est le sens du dispositif réglementaire français. Afin que l'assurance maladie voie ses dépenses de médicaments diminuer, les pouvoirs publics incitent le pharmacien à partager avec l'assurance maladie la préférence pour le médicament le moins cher en lui accordant une marge commerciale plus importante lorsqu'il vend un générique. Cette différence de marge, qui est dans un rapport de un à quatre en faveur du générique, figure dans une réglementation qui s'impose aux acteurs et ne peut être contournée par les fournisseurs par le jeu de leurs actions commerciales.

97. Dans ce contexte, toutes les actions d'un laboratoire auprès des pharmaciens d'officine pour mettre en échec ce mécanisme de substitution du princeps par les génériques sont susceptibles d'être examinées au regard du droit de la concurrence. En effet, de telles actions ne peuvent pas avoir pour objet, ni pour effet, de favoriser la prescription du médicament princeps par les médecins, ni de susciter une préférence des patients pour le médicament princeps, mais ont bien pour objet de freiner ou d'empêcher l'arrivée sur le marché du produit le moins cher pourtant souhaitée par l'assurance maladie qui représente la demande finale au sens que lui donne la théorie économique lorsqu'elle décrit le fonctionnement d'un marché.

98. C'est dans ce cadre qu'il convient donc d'examiner, au cas d'espèce, compte tenu des circonstances particulières exposées et des caractéristiques spécifiques du marché en cause, si les comportements adoptés par la société Schering-Plough peuvent être considérés comme légitimes et relevant d'une concurrence par les mérites ou bien, au contraire, s'ils sont susceptibles de constituer des abus de sa position dominante.

En ce qui concerne les pratiques de dénigrement

99. Il ressort des faits exposés aux paragraphes 18 à 23 que des représentants et des délégués de la société Schering-Plough ont dénigré, auprès des médecins prescripteurs et des pharmaciens les qualités du générique commercialisé par Arrow, notamment sur un aspect particulièrement sensible qui est la sécurité du produit en cas de mésusage, auprès des consommateurs potentiels du produit.

100. Or, de telles actions de dénigrement, de la part d'un opérateur en position dominante, peuvent être qualifiées d'abusives. "La concurrence suppose un certain degré de rivalité et de compétition entre les acteurs d'un marché. Néanmoins, cette lutte pour la conquête de la clientèle n'autorise pas tous les comportements, surtout de la part d'une entreprise qui, détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière. Parmi les actes qui peuvent être regardés comme abusifs, le dénigrement occupe une place majeure. Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié ; il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier. (...) (décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit).

101. Ainsi, s'agissant de France Télécom, la position d'opérateur historique, le développement récent de la concurrence sur le marché, ont été reconnus comme lui conférant une position tout à fait singulière "Dès lors, les discours véhiculés par France Télécom étaient de nature à avoir un fort impact sur les choix des consommateurs entre tel ou tel type de service ou entre tel ou tel opérateur. " Or, dans les discours, certains des arguments de vente des agents de France Télécom étaient objectifs et vérifiables, mais d'autres étaient dépourvus de toute objectivité ou nuance et parfois mensongers. Ces arguments étaient d'autant plus préjudiciables qu'ils portaient essentiellement sur la qualité technique du service difficile à évaluer a priori. Dans ces conditions, "L'avis très négatif de France Télécom, référence historique et publique en matière de télécommunications, [était] donc particulièrement dissuasif pour le prospect profane." Et les pratiques de France Télécom ont été qualifiées d'abusives.

102. Au cas d'espèce, le dénigrement ne s'appuie pas sur des constatations avérées, c'est-à-dire sur des défauts observés à la suite de la commercialisation du générique à compter du 1er avril 2006, mais sur des effets prétendument néfastes dus notamment à l'un des excipients utilisés, sans que ces effets n'aient été à aucun moment constatés, ou sur une moindre efficacité du générique, sans que celle-ci soit établie.

103. En effet, d'une part le constat d'une croissance soutenue des ventes du générique à l'hôpital remet en cause l'affirmation du laboratoire Schering selon laquelle le produit aurait pu être perçu négativement par leurs utilisateurs potentiels. En effet, les statistiques de vente du générique Arrow à l'hôpital indiquent une progression importante des parts de marché en volume qui passent de 3,2 % en 2006 à 45,5 % pour le 1er semestre 2007. Or, les détenus sont les destinataires finaux des commandes hospitalières. Si les détenus avaient rejeté le générique, les hôpitaux, qui effectuent les commandes pour le compte des prisons, n'auraient pas continué à en commander.

104. D'autre part, l'autorisation de mise sur le marché du générique commercialisé par Arrow puis l'inscription dans le groupe des génériques témoignent de sa bio-équivalence et, partant, de son efficacité.

105. Dans ces conditions, le comportement de Schering n'apparaît pas, à ce stade de l'instruction, comme relevant d'un comportement commercial légitime de défense de ses intérêts commerciaux face à l'arrivée du générique, concurrent de son princeps. Il l'apparaît d'autant moins qu'il a été mis en œuvre préalablement à la commercialisation du générique. Ce fait a une double conséquence. En premier lieu, Arrow n'ayant pas commencé son action commerciale auprès du circuit officinal, n'était pas en mesure de répondre aux critiques exposées. En second lieu, les rumeurs répandues ne pouvaient être fondées sur des défauts effectivement constatés après usage du générique par des patients.

106. Le laboratoire Schering-Plough était, jusqu'à l'arrivée du générique Arrow début 2006, le seul fournisseur sur le marché de la buprénorphine haut dosage notamment dans le circuit officinal. Il bénéficiait ainsi d'une forte notoriété auprès des prescripteurs, des officines et des usagers du Subutex. Le laboratoire Schering indique lui-même que ces patients " ne pouvaient qu'être méfiants vis-à-vis d'un générique n'ayant pas la même taille ni le même goût. " Par conséquent, il est d'autant plus difficile pour le pharmacien de convaincre les usagers de substituer le générique Arrow au Subutex initialement prescrit par le médecin. Dès lors, en répandant des rumeurs négatives, notamment auprès des pharmaciens, préalablement à l'arrivée du générique, voire au-delà, les représentants de Schering ont rendu encore plus difficile cette substitution par le pharmacien qui doit par ailleurs gérer des milliers d'autres références de médicaments.

107. En conséquence, à ce stade de l'instruction, les pratiques de dénigrement décrites ci-dessus, de nature à entraver l'entrée sur ce marché d'une société concurrente, sont susceptibles de constituer un abus de la position dominante qu'occupe Schering-Plough sur le marché, ayant pour objet ou pour effet d'évincer un concurrent de ce marché.

En ce qui concerne la modification des modalités de distribution du Subutex pour le circuit officinal

108. Il ressort des faits exposés aux paragraphes 23 à 52 qu'une modification du circuit de distribution du Subutex est intervenue trois mois avant l'arrivée attendue du générique, modification accompagnée d'avantages commerciaux particuliers accordés aux pharmaciens.

109. Selon le saisissant, cette modification avait pour objectif d'une part, d'inciter les pharmaciens à acheter de grandes quantités de Subutex et d'autre part de réduire l'écart de prix entre le Subutex et le générique grâce à des conditions commerciales avantageuses sous couvert de réponses à des questionnaires adressés aux pharmacies.

La vente en direct :

110. La société Schering conteste l'interprétation du saisissant en indiquant que " la modification du circuit de distribution visait à vérifier les avantages de ce mode de distribution (vente en direct) notamment en ce qui concerne les problèmes liés au trafic illégal de Subutex. En effet, SP a considéré que, restant maître de sa chaîne de distribution, il lui serait plus aisé de contrôler à tout moment les commandes de Subutex et de tenter de limiter le phénomène ".

111. Mais le laboratoire Schering n'explique pas en quoi la distribution en direct, qui en réalité s'effectuait par l'intermédiaire d'un dépositaire, pouvait réellement permettre de contrôler le trafic. Comme il l'indique par ailleurs, " la multiplication des canaux [de distribution] ne permettait pas une limitation efficace du trafic ". Au surplus, s'il s'agissait d'un impératif de sécurité, on ne s'explique pas alors pourquoi ce mode de distribution n'a été adopté qu'à l'égard d'un nombre limité de pharmacies ciblées préalablement, cette cible étant constituée des pharmacies qui réalisaient les plus fortes ventes de Subutex.

112. Au contraire, plusieurs déclarations versées au dossier relèvent le caractère opportuniste de cette modification du circuit de distribution.

113. Ainsi, comme l'indique un pharmacien à Bagneux, [j'avais] " essayé avant que le générique ne soit commercialisé, de commander du Subutex en vente directe. Le laboratoire Schering-Plough a[vait] toujours refusé. Quelques mois avant la sortie du générique, nous avons pu commander du Subutex en vente directe. Nous avons commandé aux environs de 300-400 boites. Cela représente environ 45-60 jours de stock. C'est Dépolabo qui nous a livré ".

114. Un autre pharmacien de Clermont Ferrand fait la même déclaration : " Au début, j'ai donc appelé un responsable commercial de Schering-Plough pour avoir des remises sur mes achats, leur demandant de pouvoir l'acheter en direct. Il m'a été répondu qu'ils ne feraient jamais de vente directe en raison de la nature de la molécule ".

115. Par ailleurs, le directeur des ventes du dépositaire choisi par Schering indique que les raisons de cette modification étaient "d'occuper le terrain" : " Pour ce qui concerne le Subutex, nous avons été contactés par Schering-Plough au dernier trimestre 2005. Nous avons évoqué avec eux la problématique du Subutex qui allait être générique. Le passage à une commercialisation en ventes directes est l'une des stratégies de défense des laboratoires face à la commercialisation de médicaments génériques. Le but est d'essayer d'occuper le terrain par la présence de stocks en pharmacie et par la délivrance d'informations dans le cadre du conseil du pharmacien aux patients. Le laboratoire Schering-Plough souhaitait éviter les ruptures de stock en pharmacie. Nous n'avions jamais effectué de ventes directes sur le Subutex auparavant ".

116. Enfin, il n'apparaît pas que ce passage à la vente directe ait représenté en lui-même une amélioration du service rendu par Schering aux pharmaciens. Le système habituel consiste pour le pharmacien à se faire livrer au moins deux fois par jour par les grossistes répartiteurs qu'il a sélectionnés. Un tel système reporte sur ces grossistes l'essentiel de la gestion des stocks et des approvisionnements et repose sur un maillage du territoire au travers de plusieurs entrepôts d'une proximité suffisante pour garantir la livraison bi-journalière. Or, l'avenant au contrat de distribution passé entre Schering et Dépolabo imposait à ce dernier de regrouper tout le Subutex destiné aux pharmaciens ciblés dans un unique entrepôt localisé à Chaponnay dans le Rhône, ce qui, a priori, peut rendre plus difficile et aléatoire la garantie d'une livraison bi-journalière sur l'ensemble du territoire.

117. Par ailleurs, Schering expose que la vente directe n'a concerné qu'une part mineure des ventes limitée à 25 %.

118. Or, il est établi que la part des ventes directes a oscillé entre 32,5 et 35 % selon les mois entre janvier et août 2006, et que l'objectif fixé pour le trimestre suivant était de 30 %, ramené à 25 % en décembre 2006 seulement. En outre, les ventes directes ont été concentrées sur les pharmacies stratégiques qui représentaient les plus fortes ventes de Subutex et qui étaient le plus susceptibles, au regard des quantités en jeu, de basculer pour une partie de ces quantités stratégiques vers le générique.

119. Le ciblage de cette modalité de vente sur les seules pharmacies stratégiques en termes de vente ainsi que la période choisie pour sa mise en place, juste avant l'arrivée du générique et pendant la première année de sa commercialisation, alors même qu'auparavant Schering avait, à plusieurs reprises, refusé à des pharmaciens ce mode de distribution, peuvent permettre de considérer que la distribution en direct du Subutex par Schering a eu pour objet de préparer les conditions favorables à un contrôle des conditions commerciales consenties aux pharmaciens ciblés hors des circuits habituels, aux fins de contrer l'arrivée du générique du concurrent.

Les délais de paiement :

120. Les éléments recueillis ont permis de constater l'octroi aux pharmaciens de délais de paiement particuliers, de 90 jours au lieu des 10 jours habituels, en janvier et février 2006, leur permettant ainsi de constituer des stocks importants de Subutex sans surcoût financier.

121. Le caractère exceptionnel de cet avantage ainsi que du niveau de stock qu'il a permis a été souligné par les témoignages de pharmaciens, et a été confirmé au cours de la séance. En effet, il a été indiqué que, dans le cadre habituel de livraisons par grossiste répartiteur, le stock de Subutex détenu par l'officine varie entre 5 à 8 jours. La société Schering, ni dans ses observations écrites, ni en séance, n'a fourni d'explications pour justifier ces délais de règlement octroyés pendant seulement deux mois, juste avant l'arrivée du générique.

122. Au contraire, elle a déclaré, dans un premier temps, qu'il s'agissait d'une initiative de Dépolabo qu'elle avait désapprouvée, avant de reconnaître que le principe du passage de 60 à 90 jours figurait dans un contrat passé entre Schering et Dépolabo et que ce document précisait bien que cet allongement du délai de paiement ne pouvait se faire qu'à la demande de Schering et non à l'initiative de Dépolabo.

123. En outre, il n'apparaît pas que l'octroi de ces délais de paiement exceptionnels ait représenté en lui-même une amélioration du service rendu par Schering aux usagers. Le Subutex est, en effet, un produit dont la délivrance est très encadrée, avec un rythme d'usage prédéfini et prévisible pour le pharmacien. Le système habituel qui consiste pour le pharmacien à se faire livrer par les grossistes répartiteurs lui garantit des livraisons bi-journalières et le responsable sait que la réglementation fait obligation aux grossistes de détenir les produits en quantité suffisante pour servir les besoins de son territoire de répartition. Il n'y avait donc pas de nécessité particulière pour les pharmaciens ciblés par Schering de se couvrir subitement début 2006 en Subutex pour satisfaire à la demande de leurs clients.

124. En revanche, l'octroi d'un tel avantage momentané est cohérent avec une stratégie visant à compenser financièrement l'acquisition par ces pharmaciens d'un stock important de Subutex pour la période précédant et suivant immédiatement la première commercialisation du générique de façon à préempter la place disponible dans les officines. L'effet d'une telle mesure est d'autant plus sensible qu'on peut considérer que le linéaire de l'officine et la place nécessairement limitée dédiée au stockage des médicaments en font une ressource rare en regard des milliers de références de médicaments que le pharmacien doit tenir à la disposition des consommateurs.

125. Des pratiques ayant un tel effet ont déjà été qualifiées en droit communautaire de la concurrence comme en droit national, comme l'illustre la décision du Conseil de la concurrence 04-D-13 du 8 avril 2004 (Société des caves de Roquefort).

126. En conséquence, il ne peut être exclu que le fait de consentir aux pharmaciens des délais de règlement plus longs de façon à compenser pour eux le surcoût que représente le surstockage de Subutex et à saturer ainsi les linéaires des pharmaciens avant l'arrivée du générique Arrow procède d'une stratégie destinée à empêcher l'entrée de ce générique sur le marché.

Les remises supplémentaires :

127. La société Schering dénie avoir proposé des avantages commerciaux autres qu'une rémunération des questionnaires pour un montant faible et n'atteignant pas les sommes indiquées par le plaignant.

128. Des témoignages de pharmaciens évoquent des remises quantitatives comprises entre 7 et 10 %. Un autre pharmacien parle de contrat de coopération commerciale sans en indiquer la rémunération. A ce stade de l'instruction, le Conseil ne dispose pas d'éléments suffisants pour apprécier la nature et l'ampleur de ces remises.

129. Le Conseil rappelle néanmoins que, dans sa décision n° 04-D-13 du 8 avril 2004 précitée il a considéré : " (...) Il s'ensuit qu'un système de rabais sera considéré comme abusif si les critères et les modalités de son attribution font apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée mais tend, à l'instar d'un rabais de fidélité, à limiter l'approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (CJCE Hoffmann-La Roche, 13 février 1979, CJCE Portugal/Commission, 29 mars 2001 précité, TPICE Irish Sugar, 7 octobre 1999, Michelin, 23 septembre 2003). (...) "Il résulte, en réalité de l'analyse des contrats passés avec les enseignes de la grande distribution à laquelle il a été procédé ci-dessus que ces accords participent d'une même stratégie commerciale d'éviction des concurrents, qui s'est poursuivie durant plusieurs années."

130. Par ailleurs, il est établi que, pour l'essentiel, Schering a offert des conditions particulières aux pharmaciens (délais de paiement, remises ou contrats de coopération, rémunérations d'enquêtes) préalablement au début de la commercialisation du générique, donc pendant la période (janvier-mars 2006) où Arrow n'était pas encore présente sur le marché, notamment dans ses démarches commerciales pour convaincre les pharmaciens d'acheter son générique.

131. L'instruction devra donc s'attacher à rechercher si les remises quantitatives ou autres octroyées aux pharmaciens ciblés par Schering ont revêtu un caractère abusif, d'autant plus qu'Arrow n'était pas en mesure de proposer des conditions équivalentes.

La rémunération des enquêtes pharmaciens :

132. La réalisation d'enquêtes confiées aux pharmaciens n'est pas en soi un abus s'il peut être établi qu'elle vise à mieux connaître le produit, son impact sur la santé, son efficacité, ses effets secondaires et sa perception par les patients et si, par conséquent, cette enquête a pour objet d'améliorer le service rendu par le médicament concerné par l'enquête.

133. De même, la rémunération de la participation à de telles enquêtes n'est pas illégitime si elle correspond au service rendu par le pharmacien.

134. A ce stade de l'instruction, il n'est pas possible de déterminer si les rémunérations octroyées par Schering pour les deux catégories d'enquêtes effectuées sur le Subutex au premier semestre 2006 remplissent ou non ces critères.

135. Le Conseil relève, en premier lieu, que Schering a effectué elle-même une enquête auprès d'une cible privilégiée constituée des 500 pharmaciens les plus importants par les quantités de Subutex qu'ils commercialisent, avec une rémunération de 300 euro à 500 euro (phase transversale + phase longitudinale), alors que, selon les dires de la plaignante, la rémunération normale pour ce type d'enquête serait au maximum de 100 euro.

136. En deuxième lieu, il est établi que, par le biais de Dépolabo, Schering a financé entre janvier et juillet 2006 une autre enquête qui a représenté un budget de 200 000 euro par mois, et qui représentait pour les pharmaciens l'équivalent d'une remise de 5 %. A titre de comparaison, le Conseil note que la remise consentie au pharmacien pour la vente d'un médicament princeps est au maximum de 2,5 %.

137. A propos de cette enquête, le Conseil note également l'opacité dont elle est entourée. Contrairement aux dispositions contractuelles, Dépolabo n'a signé avec les pharmaciens aucun contrat d'application qui devait préciser la nature et la durée de validité de chaque prestation accomplie et les conditions financières consenties au pharmacien. De même Dépolabo n'a pas été en mesure d'indiquer au Conseil le contenu de ces conditions financières. La société Schering a elle-même, lors de la séance, dénoncé le manque de fiabilité dans l'exécution des prestations par Dépolabo et indiqué qu'elle était en contentieux commercial avec ce dépositaire pour le paiement des prestations facturées.

138. L'instruction devra donc se poursuivre pour préciser les conditions dans lesquelles ont été versées les rémunérations des pharmaciens visés par l'enquête émanant de Schering, via Dépolabo.

En ce qui concerne les effets des mesures mises en place :

139. Selon les données communiquées par Dépolabo, les actions mises en place (questionnaires et visites) ont eu des résultats dépassant les prévisions. Sur les 7 454 pharmacies effectivement contactées lors de la 1re enquête, 3 000 ont effectué une commande pendant le 1er trimestre de 2006.

140. Un compte rendu de réunion entre Schering et Dépolabo daté du 31 mars 2006 indique d'ailleurs que : "812 241 unités ont été facturées depuis le 8 janvier ; 84 % de la cible Subutex a été couverte sur ce trimestre (de très gros potentiels de direct dans la clientèle Subutex avec une fréquence de commande mensuelle ; des "revisites" des 1700 clients du mois de janvier ; 3 112 officines ont commandé la gamme Subutex pour 4 109 commandes ; la commande moyenne est de 207 unités (au mois de mars la commande moyenne est de 180 unités) ; [et] deux impacts [sont constatés]:

* le fort stockage du mois de janvier

* le retour d'un délai de paiement à 60 jours au 28 février

- le stock moyen est supérieur à deux mois ;

- la part de la forme 8 mg représente toujours 40 % (versus) la gamme complète ".

141. Ainsi, ce compte rendu révèle que les ventes directes ont eu deux effets : d'une part un fort taux de commande des pharmacies contactées et d'autre part une augmentation du volume des commandes, notamment grâce aux délais de paiement.

142. S'agissant du premier effet, c'est-à-dire le taux de commande en direct, un document de Dépolabo précise effectivement que l'action développée au 1er trimestre 2006 a généré un taux de ventes directes compris entre 33,3 % et 34,6 % entre janvier et mars 2006. Ce taux élevé s'est maintenu ensuite entre 32,5 % et 35,2 % entre avril et juillet 2006. Pour la suite dite " Cycle 3.2006 " il était envisagé 30 % de septembre à octobre, 25 % pour décembre 2006.

143. S'agissant du second effet, le graphe retraçant l'évolution des ventes du Subutex, à partir des données du GERS, pour l'année 2006, présente effectivement un pic de vente de Subutex en janvier 2006 (7 848 000 unités vendues en 2006 contre 5 605 000 en janvier 2005, soit 25 % de plus que l'année précédente). Ce pic correspond à la période où les pharmaciens ont "surstocké" du Subutex. Les ventes en janvier 2006 ont représenté un chiffre d'affaires de 9,5 millions d'euro.

144. Ces ventes exceptionnelles correspondant à des stocks de plusieurs mois ont empêché la pénétration du générique. Ainsi, Schering ne peut soutenir que le pic des ventes en début d'année 2006 n'a pas pu avoir d'effet sur les ventes potentielles du générique à partir d'avril 2006, puisque, précisément, en achetant par avance des quantités nettement supérieures aux besoins des patients les pharmaciens ont constitué des stocks qui occupaient leurs linéaires et par conséquent les empêchaient de s'approvisionner en produits génériques Arrow. Cette saturation des pharmacies a été d'autant plus efficace qu'elle s'est accompagnée d'avantages commerciaux significatifs.

145. L'action de Dépolabo s'est terminée au premier semestre 2006. Toutefois, il apparaît que les effets des actions commerciales engagées se sont prolongés au cours de l'année 2007.

146. En effet, en août 2007, (dernières statistiques connues) les ventes des génériques sont très faibles. Les parts de marché de Merck (en valeur) atteignent à peine 4,14 % du marché, tandis que celles d'Arrow ne dépassent pas les 3,25 % (en volume les parts de marché sont de 6,8 % pour Merck et 6 % pour Arrow). Il sera vu plus tard que la part de marché cumulée atteinte par les deux génériqueurs, égale à 12,8 % en août 2007, soit un an et demi après la fin du brevet, est très sensiblement inférieure à celle obtenue par les génériques d'autres génériques de médicaments "sensibles".

147. Il apparaît donc qu'il existe un lien entre la modification par Schering des conditions de distribution du Subutex à compter de janvier 2006 et les résultats des ventes sur le marché du Subutex et de ses concurrents génériques.

148. La circonstance que Schering ait ressenti au même moment le besoin à la fois de recueillir des informations sur son princeps par la voie d'enquêtes, de passer d'un mode de distribution via les grossistes répartiteurs à une distribution via un dépositaire pour une part significative de ses ventes, d'octroyer pendant deux mois des délais de règlement plus favorables aux pharmaciens ainsi que des remises supplémentaires, ceci précisément juste avant ou au moment même de la commercialisation de son concurrent générique, ces pratiques étant ciblées vers les pharmacies constituant un enjeu stratégique au regard des quantités de Subutex qu'elles représentent, est révélatrice d'un comportement pouvant procéder d'une stratégie d'obstruction à l'arrivée du générique et d'éviction d'un concurrent du marché en cause.

4. LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES

149. La société Arrow Génériques demande, à titre conservatoire, qu'il soit enjoint à Schering-Plough une série de mesures de nature, selon elle, à faire cesser l'atteinte grave et immédiate qu'elle dénonce soit :

- la cessation de toute pratique de dénigrement de la buprénorphine Arrow ;

- la cessation de toute pratique en cours qui consisterait à rémunérer les officines en contrepartie du renseignement du questionnaire relatif aux qualités et à l'usage du Subutex et ce, moyennant une contribution financière anormalement élevée ;

- le maintien d'une distribution à 100 % indirecte du Subutex, conformément au mode historiquement adopté par ce laboratoire, à l'heure du monopole ;

- la co-signature par Schering-Plough et Arrow Génériques d'une information écrite au titre de laquelle seront évoquées les qualités de la buprénorphine Arrow, précisément l'absence de dangerosité particulière de ce dernier comparativement au Subutex et ses qualités thérapeutiques. Cette publication devra être relayée auprès des personnes suivantes : au sein de Schering-Plough (Siège, Visiteurs Médicaux, Groupe, maison-mère), médecins prescripteurs et médecins leaders d'opinion (experts), pharmaciens dispensant de la buprénorphine Arrow et du Subutex, associations en charge de l'information sur les traitements de substitutions aux opiacées, CSST (Centres Spécialisés de Soins aux Toxicomanes), AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie), Commission des stupéfiants, UNCAM (Union des Caisses d'Assurance Maladie).

- la cessation de toute pratique illicite, de quelque nature qu'elle puisse être.

150. Selon l'article L. 464-1 du Code de commerce, "le Conseil de la concurrence peut (...) prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à l'entreprise plaignante (...) Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence".

151. Par ailleurs, dans un arrêt du 8 novembre 2005, la Cour de cassation a rappelé que " des mesures conservatoires peuvent être décidées (...) dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence, en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l'instruction, dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l'état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce, pratique à l'origine directe et certaine de l'atteinte relevée".

a) Sur la gravité et le caractère immédiat de l'atteinte

Les effets des pratiques dénoncées sur le secteur du médicament.

152. Le secteur pharmaceutique est un secteur en expansion : les dépenses de santé (140 milliards d'euro en 2006) croissent régulièrement depuis vingt ans et la part des médicaments au sein des dépenses de santé est constante, autour de 15 % depuis 2002. Le chiffre d'affaires du secteur pharmaceutique est en progression régulière (+13,8 % de 2003 à 2006).

153. L'assurance maladie doit ainsi faire face à une augmentation des dépenses des médicaments remboursables de 15 % depuis 2002. En 2006, ces dépenses pour les médicaments représentaient 20,3 milliards d'euro, soit un tiers des dépenses des soins de ville. Si en 2006, la progression des dépenses s'est un peu ralentie (+ 1,4 % contre + 4,7 % en 2005) notamment grâce au développement des génériques (un milliard d'euro économisés en 2006), au déremboursement de produits au service médical rendu insuffisant, et aux différentes actions menées (par exemple pour freiner la prescription d'antibiotiques), les résultats des premiers mois de 2007 indiquent que la croissance des dépenses va reprendre un rythme plus soutenu (+4 % pour les sept premiers mois). Les génériques jouent donc un rôle fondamental dans la modération des dépenses.

154. Or le coût annuel du Subutex pour la sécurité sociale est de 74,6 millions d'euro (rapport de la CNAM du 5 juillet 2007). Il est ainsi possible d'évaluer pour la sécurité sociale le coût des pratiques du laboratoire Schering. En effet, sur le marché de la ville, on estime que le ou les génériques qui entrent sur le marché peu(ven)t espérer gagner au bout d'un an au moins 25 % de part de marché en volume. Cette part de marché en volume atteint souvent 50 %, la deuxième année mais peut aussi se stabiliser à des niveaux élevés, de 75 à 80 %. Ainsi, les génériques du Neurotin (Gapabentine), médicament prescrit contre l'épilepsie, et considéré comme sensible par la CNAM, totalisaient en juillet 2007, 45 % de parts de marché en volume. Au cas d'espèce, si l'on prend comme hypothèse 25 % de parts de marché en volume la première année puis 50 % la deuxième, dans la mesure où le générique était, au début de sa commercialisation 15 % moins cher que le Subutex, puis 20 % moins cher ensuite, la sécurité sociale aurait dû économiser 2,8M€ en 2006 et 7,4 M€ en 2007 soit au total plus de 10 millions d'euro.

155. A cet égard, l'évolution des parts de marché d'Arrow, comparée avec l'historique du développement du générique d'un produit aussi "sensible" que le Subutex, à savoir le Deroxat, médicament contre la dépression commercialisé par le laboratoire GlaxoSmithKline, est également intéressante à relever. En effet, si le générique du Deroxat (Paroxétine), commercialisé par Merck génériques, n'a obtenu que 3,3 % de parts de marché en volume le premier mois de sa mise sur le marché en juillet 2003, un an après, en juillet 2004, celle-ci est de 20,4 %, (tandis que l'ensemble des parts de marché des génériqueurs atteint 44,6 % des volumes). Deux ans après, en juillet 2005, la part de marché de Merck est de 17 % mais l'ensemble des parts de marché des génériqueurs (désormais au nombre de quatre) atteint 60,4 %.

156. En revanche, pour le Subutex, si Arrow parvient à conquérir 15,3 % de parts de marché en quantité le premier mois de sa commercialisation, il chute à 8/9 % ensuite, et depuis stagne à ce niveau avec une baisse à 6,9 % en juillet et qui persiste en août 2007. Ainsi, seize mois après sa commercialisation, Arrow se situe à 6 % en volume, le total des parts de marché des deux génériqueurs n'atteignant pas 13 % des parts de marché en volume.

157. En outre les comportements exposés ont pu signaler à d'autres fabricants de génériques potentiels que l'entrée sur le marché de la buprénorphine haut dosage, sur lequel Schering-Plough est en position dominante, était difficile. Les pratiques dénoncées ont donc fait obstacle au développement de la concurrence sur ce marché et sont de nature à y maintenir une situation de quasi-monopole de Schering-Plough, qui fait elle-même obstacle à une baisse des prix. En effet, selon plusieurs études économiques publiées par l'OCDE, plus les génériqueurs sont nombreux, plus leur part de marché est importante en volume et donc plus importante est la baisse du prix moyen du médicament.

158. Sans qu'il soit besoin de rechercher dans quelle mesure la situation personnelle de la société saisissante a été atteinte par les pratiques dénoncées (la société Arrow fait notamment valoir à cet égard la perte du contrat exclusif signé avec son fournisseur, le laboratoire Ethypharm, faute d'avoir pu remplir les objectifs de 25 % de parts de marché prévus au contrat), l'analyse menée aux paragraphes précédents montre que les obstacles ayant entravé le développement des génériques du Subutex ont eu la double conséquence, d'une part, d'empêcher toute concurrence significative sur le marché associé à ce médicament et, d'autre part, de pénaliser fortement l'assurance maladie alors que le coût des génériques pour la collectivité est sensiblement inférieur à celui des autres médicaments de marque et qu'ils favorisent une baisse du prix moyen du médicament lorsqu'ils sont présents sur le marché, dans un contexte où les dépenses de médicaments représentent en France un coût moyen annuel par habitant supérieur à celui de ses voisins européens (130 euro contre 98 euro pour l'Italie, 97 euro pour le Royaume-Uni, 86 euro pour l'Allemagne et 79 euro pour l'Espagne).

159. L'instruction menée à l'occasion de l'examen de la mesure conservatoire fait ressortir le lien de causalité direct et certain entre une telle atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur et les pratiques, dont les effets persistent à ce jour, du laboratoire Schering-Plough. Les conditions posées par l'article L. 464-1 du Code de commerce pour le prononcé de mesures conservatoires sont donc remplies.

b) Les mesures conservatoires adaptées à l'urgence.

160. S'agissant des pratiques commerciales décrites au paragraphe 16 de la présente décision, les conditions de distribution spécifiques mises en place par Schering au début de l'année 2006 ont pris fin au plus tard au 2 janvier 2007. Aucun élément au dossier n'indique que les autres pratiques tendant à la fidélisation des pharmaciens se sont poursuivies au-delà de 2006. Il n'y a donc pas lieu de prononcer de mesures conservatoires imposant la cessation de telles pratiques.

161. S'agissant du possible retrait du Subutex du marché pour le remplacer par le Suboxone, qui aurait pour conséquence que les ventes des génériques seraient impossibles, le laboratoire Schering a indiqué clairement en séance qu'un tel retrait du marché du Subutex était exclu. Il a ajouté qu'une telle substitution était, en tout état de cause, impossible car le Suboxone ne répondait pas exactement aux mêmes indications thérapeutiques que le Subutex, puisqu'il ne peut être prescrit ni aux femmes enceintes ni à celles qui allaitent. Il y a lieu de prendre acte de la déclaration du laboratoire Schering qui s'est ainsi engagé à ne pas retirer le Subutex du marché, au moins jusqu'au prononcé de la décision au fond que prendra le Conseil.

162. S'agissant des pratiques liées au dénigrement, compte tenu de l'extrême sensibilité des consommateurs de la buprénorphine haut dosage aux risques pour leur santé et de la notoriété particulière acquise par le Subutex sur le marché en cause, toute atteinte à l'image du générique est susceptible de produire des effets prolongés. Il apparaît donc nécessaire, pour rétablir la confiance vis-à-vis du ou des génériques concurrents du Subutex qui est susceptible d'avoir été durablement atteinte par les pratiques de dénigrement analysées plus haut, d'enjoindre au laboratoire Schering de publier à ses frais une information adaptée dans deux journaux spécialisés : "Le quotidien du médecin" et "Le moniteur du pharmacien".

DÉCISION

Article 1er : Il est enjoint au laboratoire Schering de faire publier à ses frais, dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente décision, en police de caractères de taille 14, le texte ci-après dans les journaux suivants : "Le quotidien du médecin" et "Le moniteur du pharmacien". Ce communiqué est le suivant :

"Communication faite par le laboratoire Schering-Plough sur injonction du Conseil de la concurrence prononcée dans sa décision 07-MC-06 du 11 décembre 2007

La société Arrow génériques, qui commercialise depuis avril 2006 un médicament générique du Subutex - spécialité elle-même commercialisée par le laboratoire Schering France - s'est plainte auprès du Conseil de la concurrence de plusieurs pratiques imputées à ce dernier laboratoire, dont notamment une communication dirigée vers les médecins ou pharmaciens, peu de temps avant la mise sur le marché du générique, qui aurait eu pour objet de dénigrer ce dernier sur le fondement d'une prétendue inefficacité ou de supposés risques liés à son usage. Sans se prononcer sur la qualification au fond de telles pratiques, qui devra faire l'objet d'une instruction ultérieure, le Conseil a estimé, dans une décision rendue le 11 décembre 2007, qu'il importait, pour rétablir la confiance, qui a pu être durablement atteinte à l'endroit de ce générique, d'ordonner la présente publication qui rappelle que :

- le laboratoire Arrow a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) du générique du Subutex. La délivrance de cette AMM au générique signifie que celui-ci a la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et que sa bio-équivalence est démontrée par des études de bio-disponibilité appropriées.

- l'inscription au répertoire des génériques du générique commercialisé par le laboratoire Arrow signifie que les spécialités sont substituables par les pharmaciens".

Article 2 : Il est pris acte de l'engagement, en séance, du laboratoire Schering France de ne pas cesser la commercialisation du Subutex, quand bien même le Suboxone serait mis sur le marché, jusqu'au prononcé de la décision au fond.