CA Paris, 25e ch. B, 6 juillet 2007, n° 06-04304
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
D. Duchesne (Sté)
Défendeur :
Houdin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
M. Laurent-Atthalin, Mme Delmas-Goyon
Avoués :
Mes Couturier, Pamart
Avocats :
Mes Chas, Mattei
Ayant vainement répondu à des courriers reçus de la société D. Duchesne entre les mois de juin et décembre 2003, lui annonçant, de manière personnalisée, qu'il était le gagnant des sommes mises enjeu, Frédéric Houdin a assigné cette société, qui exerce son activité de vente par correspondance sous les dénominations TV Direct Distribution et les Indispensables, afin de la voir condamnée à lui payer la somme de 209 500 euro au titre de sa responsabilité contractuelle ou quasi contractuelle, subsidiairement, de sa responsabilité quasi délictuelle;
Par jugement du 15 février 2006, le Tribunal de commerce d'Evry a fait droit à cette demande, lui allouant en outre une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et a ordonné l'exécution provisoire du jugement;
Au soutien de sa décision, le tribunal a essentiellement retenu que,
les documents envoyés par la société D. Duchesne à Frédéric Houdin, fortement personnalisés, recherchent l'aspect de documents officiels par leur présentation, l'emploi répété de termes de type "officiel" et la référence exagérément voyante à l'intervention d'un huissier de justice, comportent systématiquement des affirmations mensongères et subordonnent dans certains cas l'envoi du chèque annoncé à une commande, promettant dans d'autres un traitement prioritaire s'il y a commande, en contravention avec l'article L. 121-36 du Code de la consommation, étant précisé que par sa présentation, le règlement du jeu est pratiquement illisible, en contravention avec l'article L. 121-37 de ce Code,
l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer;
Vu les conclusions déposées le 26 juin 2006 par la société D. Duchesne, appelante, aux termes desquelles, reprenant la thèse soutenue en première instance, elle fait valoir pour l'essentiel que,
elle exerce une activité autorisée, conformément à la loi et aux usages,
Frédéric Houdin a été destinataire de deux types de documents publicitaires, les uns lui permettant de recevoir le règlement d'un jeu publicitaire intitulé "10 000 euro en un seul chèque", les autres de participer à des jeux promotionnels intitulés "10 000 euro payés par chèque à votre nom", "9 750 euro en instance de paiement" et "chèque de 10 000 euro à envoyer", dont le règlement, joint, permettait de comprendre le fonctionnement, étant précisé que les documents publicitaires indiquent clairement qu'il s'agit de pré-tirage,
l'obligation de lisibilité prévue par l'article L. 133-2 du Code de la consommation, qui vise uniquement les contrats passés entre professionnels et consommateurs, ne s'applique pas en l'espèce, la présentation des loteries publicitaires relevant des seuls articles L. 121-36 à L. 121-41, tous les documents précisent qu'il s'agit de jeux gratuits sans obligation d'achat, seuls les envois du règlement des jeux dérogeant à ce principe, et aucun des termes utilisés ne peut laisser penser que les documents proviendraient d'un établissement public ou bancaire,
tous les documents publicitaires ainsi que les règlements joints mettent en évidence les modalités de fonctionnement du jeu et l'aléa inhérent au pré-tirage au sort du nom du gagnant,
Frédéric Houdin ne peut soutenir de bonne foi avoir été le gagnant d'une somme de 209 000 euro en participant à des opérations promotionnelles gratuites et sans obligation d'achat;
Elle demande en conséquence à la cour, infirmant le jugement déféré, de constater que les jeux publicitaires qu'elle diffuse sont parfaitement licites, qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge, qu'elle a souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée, qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix à sa charge, de débouter Frédéric Houdin de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions déposées le 31 juillet 2006 par Frédéric Houdin, intimé, par lesquelles il sollicite la confirmation du jugement, subsidiairement, si la cour ne retenait pas la responsabilité quasi contractuelle de la société D. Duchesne, la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 209 500 euro à titre de dommages et intérêts au visa de l'article 1382 du Code civil, outre la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que pour un exposé complet des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations du jugement déféré et aux écritures ci-dessus visées;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 1371 du Code civil, l'organisateur de loteries publicitaires qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence dans cette annonce l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer;
Considérant, en l'espèce, que Frédéric Houdin a reçu dans le courant de l'année 2003 des documents publicitaires personnalisés lui annonçant de manière non-équivoque qu'il était le gagnant d'une somme de 10 000 euro, parfois de 9 750 euro;
Que la rédaction de ces documents, diffusés sous les marques TV Direct Distribution ou les Indispensables, s'articulait en effet autour des messages suivants :
* diverses annonces de l'envoi d'un règlement de "10 000 euro en un seul chèque", sous la seule condition que Frédéric Houdin commande un article du catalogue de la société D. Duchesne,
* "publication légale du compte rendu de délibération émis par la commission des remises de prix ", "M. Houdin vous êtes enfin notre grand gagnant du chèque bancaire de 9 750 euro!" - "M. Houdin vous êtes assuré de recevoir un chèque car vous l'avez vraiment gagné. C'est bien vrai! Toutes les preuves sont là ...", son dossier de gagnant devant bénéficier d'un traitement prioritaire s'il passait une commande,
* "avis officiel de convocation avant remise nationale de chèque filmée", avis dans lequel les détails du déroulement de la remise en mains propres du chèque de 10 000 euro rempli à son nom étaient expliqués à Frédéric Houdin, étant précisé qu'une commande était impérative pour le recevoir,
* "message personnel et officiel: un grand gagnant dans l'Essonne! M Frédéric Houdin gagne 10 000 euro", Frédéric Houdin étant personnellement invité par la direction générale à participer à la remise en mains propres de son chèque de 10 000 euro devant une caméra, la photographie d'autres gagnants ayant reçu et encaissé le chèque étant reproduite et le processus de la remise du chèque expliqué,
* "demande d'envoi sécurisé d'un chèque bancaire de 10 000 euro", dans lequel il est indiqué qu'en retournant cette demande d'envoi dans les délais requis, ce postulat sera alors confirmé : "la bonne nouvelle est enfin confirmée, M Frédéric Houdin! M. Houdin gagne 10 000 euro grâce à son n°...", est racontée la triste histoire d'une fidèle cliente qui a reçu un courrier semblable mais n'a pas pris la peine d'y répondre, en sorte que les 10 000 euro qui lui revenaient pourtant de plein droit n'ont pu lui être remis,
* "dernier avertissement avant annulation", dans lequel on annonce à Frédéric Houdin qu'il figure vraiment sur la liste des grands gagnants et que c'est bien lui qui va recevoir un chèque numéroté et signé de 10 000 euro à son nom et adresse, qui doit être demandé immédiatement faute de quoi, notamment, son chèque sera détruit, auquel est joint un document similaire à un formulaire de chèque à son nom, indiquant une valeur de prix à attribuer de 10 000 euro, le numéro gagnant du chèque au pré-tirage ainsi que le numéro personnel de Frédéric Houdin, qui est le même,
* "avertissement officiel", dans lequel des félicitations lui sont adressées pour son gain, il lui est précisé qu'il va recevoir obligatoirement chez lui le chèque de 10 000 euro gagné lors du tirage du 20/11/2003 effectué par un huissier de justice dès qu'il aura renvoyé les bons documents attendus par l'huissier, qu'il est de toute façon assuré de recevoir un chèque car il l'a vraiment gagné,
* "M. Houdin, vous êtes officiellement le gagnant d'un chèque" de 9 750 euro", son numéro étant le numéro gagnant confirmé,
* "vous avez gagné 10 000 euro M. Houdin grâce à votre n° 591096938! Votre chèque en attendant vous parviendra immédiatement si vous choisissez le service prioritaire gratuit", une lettre manuscrite jointe, avec pour objet "la remise du chèque que vous avez définitivement gagné", lui confirmant qu'il est "déclaré gagnant" et que le seul et unique chèque, qui lui revient de plein droit, doit lui être remis,
* "rapport officiel et définitif de remise de gain établi sous contrôle d'un huissier de justice", à la suite duquel il lui est annoncé par lettre qu'il a été désigné gagnant lors du pré-tirage des 10 000 euro et que le chèque est prêt à être établi à son nom, étant précisé que "ceci n'est pas une éventualité mais une certitude, vous êtes bien l'unique bénéficiaire du chèque bancaire de 10 000 euro";
Considérant, d'une part, que s'agissant des annonces de l'envoi d'un "règlement" de 10 000 euro, la société D. Duchesne ne peut sérieusement prétendre que Frédéric Houdin a été destinataire d'une simple offre de recevoir le règlement d'un jeu publicitaire dès lors que tant par la rédaction des termes mêmes de l'annonce que par l'emploi du mot à double sens "règlement", elle a voulu à l'évidence faire croire à l'envoi, non d'un règlement de jeu, mais d'un chèque de 10 000 euro, qu'elle a délibérément promis de délivrer;
Que le document intitulé "lisez ceci avec attention" généralement inclus dans ces courriers se borne à des indications d'ordre général sur le fait que la commande d'un produit permet de faire partie des listes de clients et, de ce fait, de recevoir des règlements de jeux auxquels le destinataire pourra participer gratuitement, aucune référence n'étant faite au "règlement" objet de la publicité en cause;
Que ces documents annoncent un gain qui ne sera en réalité pas délivré;
Considérant, d'autre part, que s'agissant des autres annonces, la société D. Duchesne persiste à soutenir que dans tous les jeux proposés à Frédéric Houdin, le règlement complet du jeu, qui permet d'en comprendre le fonctionnement, est imprimé sur un feuillet à l'intérieur de l'enveloppe contenant les documents publicitaires;
Mais que cet élément d'information est conçu pour dissuader le destinataire d'en prendre connaissance par sa présentation en bloc compact d'articles qui se suivent, sans aucun alinéa ni espace et en très petits caractères, ce qui le rend illisible;
Considérant que c'est également en vain que la société D. Duchesne prétend que, outre le règlement intégral du jeu, le bon de participation fait systématiquement état de l'existence du pré-tirage et de l'aléa lié à ce pré-tirage, dès lors que si l'existence d'un pré- tirage et la mention d'un "aléa" figurent bien sur certains des documents ("prix mis enjeu soumis à l'aléa du pré-tirage" ou "j'accepte le règlement et ses aléas habituels"), encore qu'en très petits caractères, elles ne sont accompagnées d'aucune explication, ces mentions ne permettant pas à elles seules de comprendre l'aléa auquel serait soumis le gain annoncé, alors au surplus que la présentation des documents est conçue de telle manière que le destinataire comprenne qu'il est le gagnant désigné par ledit tirage au sort et qu'en renvoyant un bulletin de réclamation de son gain, il recevra le chèque annonce;
Que les documents en cause annoncent en réalité au destinataire qu'il est le gagnant désigné et comportent une promesse ferme d'attribution du gain sous la seule condition qu'il en fasse la demande;
Considérant, enfin, que la société D. Duchesne ne saurait tirer argument de ce que, compte tenu, notamment, de l'usage très développé des jeux promotionnels, le consommateur ne peut ignorer le caractère aléatoire du gain;
Qu'en annonçant à Frédéric Houdin qu'il a gagné une somme d'argent et en lui adressant délibérément une promesse ferme d'attribution de ce gain sous la seule condition qu'il la demande, sans mettre en évidence l'aléa lié à l'obtention de ce gain, la société D. Duchesne s'est obligée à délivrer le montant des gains annoncés;
Qu'il ne saurait en tout état de cause résulter, ni d'un usage prétendument répandu des jeux promotionnels, lesquels ne comportent généralement pas, comme en l'espèce, d'annonces fallacieuses de gains, ni de la seule acceptation par Frédéric Houdin d'offres répétées de la société D. Duchesne, une mauvaise foi susceptible d'exonérer celle-ci de l'exécution des engagements pris à son égard;
Considérant, en conséquence, que par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions;
Considérant, par ailleurs, qu'il convient de condamner la société D. Duchesne à verser à Frédéric Houdin une indemnité complémentaire de 2 000 euro pour les frais exposés par lui en cause d'appel, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que la société D. Duchesne sera condamnée aux dépens de l'appel;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré, Et, y ajoutant, Condamne la société D. Duchesne à payer à Frédéric Houdin une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société D. Duchesne aux dépens de l'appel, et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.