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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 8 mars 2007, n° 2007-128

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hiribarren

Défendeur :

Montaigne Direct (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Jacquot

Avocats :

Mes Lec, Chas, Massel

T. com. Cannes, du 8 juill. 2004

8 juillet 2004

Exposé du litige

Le Tribunal de commerce de Cannes, par jugement du 8 juillet 2005, a :

* débouté Madame Josée Hiribarren de l'ensemble de ses demandes;

* débouté la SA Biotonic de sa demande reconventionnelle;

* dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

* condamné Madame Hiribarren aux dépens.

Madame Josée Hiribarren a interjeté appel. Concluant le 26 juillet 2005 elle soutient :

- que la SA Biotonic lui a envoyé des documents datés des 5 novembre 2002, 21 novembre 2002 et 16 mai 2002 lui indiquant qu'elle a gagné une somme d'argent respectivement de 7 500 euro, 10 000 euro et 9 750 euro, pourvu que soit retournés un bon de validation et dans le premier cas un bon de commande, ce qu'elle a fait mais sans obtenir le versement d'aucune de ces sommes; que ces documents sont une annonce officielle, ferme et définitive de gain; que le fait qu'il s'agisse d'un document administratif accentue le caractère officiel visant à neutraliser la vigilance du destinataire; que les trois opérations traduisent une stratégie habile et d'autant plus dolosive visant à abuser de sa crédulité et de sa bonne foi; et qu'il existe une interdépendance évidente et incontestable entre ces opérations, dans la mesure où elle a été dupée par les deux dernières du fait qu'elle avait eu totalement confiance en l'évidence du gain annoncé par la première;

- qu'elle a été l'objet d'une véritable tromperie de nature à lui laisser croire qu'elle bénéficiait d'un gain; que la SA Biotonic, par ses abus de langage et le caractère délibérément équivoque des supports publicitaires, neutralise l'attention du plus vigilant des consommateurs, et a donc commis une faute;

- que son préjudice est constitué par la profonde déception qu'elle a ressentie à la suite de l'annonce qu'elle n'avait pas gagné les sommes promises, ainsi que par la tromperie émanant d'une grande entreprise qu'elle croyait respectable; et qu'elle a été mise en confiance du fait non pas de sa crédulité, mais de l'effet persuasif des documents adressés.

L'appelante demande à la cour de, vu l'article 1382 du Code civil et les articles L. 121-36 et L. 212-41 du Code de la consommation :

- infirmer le jugement;

- constater que la SA Biotonic lui a effectivement annoncé le gain des trois prix de 7 500 euro, 10 000 euro et 9 750 euro, et a utilisé à mauvais escient les documents publicitaires à son encontre;

- dire que la SA Biotonic a engagé sa responsabilité à l'égard d'elle-même;

- la condamner au paiement de la somme de 27 250 euro à titre de dommages et intérêts;

- débouter la SA Biotonic de sa demande reconventionnelle;

- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions du 12 avril 2006 la SA Montaigne Direct anciennement dénommée la SA Biotonic répond :

- qu'elle a adressé à Madame Hiribarren deux sortes de documents publicitaires, certains permettant la participation à des jeux promotionnels sans aucun engagement de versement d'une somme d'argent, les autres offrant la possibilité de recevoir le règlement d'un nouveau jeu promotionnel; que ces jeux sont basés sur la règle essentielle du pré-tirage au sort du gagnant, le seul moyen de savoir si l'on a été préalablement désigné comme gagnant étant de renvoyer son bon de participation;

- qu'elle a mis en l'évidence l'existence d'un aléa par son texte publicitaire faisant apparaître, pour un consommateur moyen doté de capacité de compréhension normale, les conditions pour gagner; et que Madame Hiribarren ne peut prétendre avoir subi un préjudice au motif qu'elle n'a pas gagné.

L'intimée demande à la cour de :

- confirmer le jugement;

- constater que les jeux publicitaires diffusés par elles sont parfaitement licites;

- constater qu'aucune faute ne peut être mise à la charge delle, qui a par ailleurs souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée;

- constater qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix à sa charge:

- débouter Madame Hiribarren de l'ensemble de ses demandes;

- la condamner au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 janvier 2007.

Motifs de l'arrêt

Sur la somme de 7 500 euro :

Le document de la SA Biotonic du 5 novembre 2002 invoqué par Madame Hiribarren, intitulé " attestation d'engagement formel d'envoi de règlement " et " avis unique d'envoi de règlement ", annonce que le "règlement de prix unique : 7 500 euro"' sera expédié, mais cette expression ne signifie pas que cette somme sera effectivement envoyée.

Madame Hiribarren a communiqué d'autres documents qui :

- ne constituent pas un véritable engagement de la SA Biotonic de lui verser la somme de 7 500 euro, reprenant pour certains celui du 5 novembre 2002, et mentionnant pour un autre l'existence d'un aléa;

- précisent cet aléa de deux manières :

" (...) opération promotionnelle (...) avec un gagnant potentiel et des perdants (...) le prix prévu (...) n'est qu'une éventualité pour l'ensemble des destinataires (...) chaque participant a reçu une attribution définitive de gain lui permettant de participer (...) pour être gagnant du prix de 7 500 euro le participant doit avoir reçu une attribution définitive de gain et avoir été tiré au sort (...) dans les documents que vous avez en main et qui sont vous le comprendrez aisément dénués de promesses fermes mais néanmoins présentés sous un des modes les plus attractifs (...)";

"(...) le fait que vous possédiez ce document-jeu promotionnel logiquement attractif prouve que vous avez participé à un pré-tirage (...) ce qui signifie que le gagnant potentiel a d'ores et déjà été défini et que vous avez une réelle possibilité d'être ce gagnant il s'agit donc bien pour vous d'une éventualité et non d'une certitude (...)".

Par contre Madame Hiribarren a reçu :

- un " certificat irrévocable de remise de gain " stipulant notamment "Vous avez la preuve irréfutable : l'Huissier de justice a définitivement proclamé l'identité du bénéficiaire du chèque de 7 500 euro, Madame Hiribarren (...) Le directeur financier a déjà libellé et signé le chèque bancaire de 7 500 euro. Vous avez donc la garantie ferme et définitive de le recevoir sous 48 heures à votre nom Madame Hiribarren";

- et une " annonce officielle administrative " mentionnant notamment "vous être bien l'UNIQUE PERSONNE habilitée (...) à réclamer le chèque de 7 500 euro (...) le chèque de 7 500 euro vous sera expédié sous 48 heures ".

Il ressort de ces deux documents que le comportement de la SA Biotonic a légitimement fait croire à Madame Hiribarren qu'elle avait effectivement gagné une somme de 7 500 euro, et par suite le refus de la première de remettre cette somme constitue une faute ayant causé à la seconde un préjudice qui sera chiffré à ladite somme. Le jugement sera donc réformé sur ce point.

Sur la somme de 10 000 euro :

Madame Hiribarren invoque un document daté du 21 novembre 2002 intitulé " règlement "l'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé" ", et qui stipule notamment "(...) dès réception [de votre commande] (...) j'aurai le plaisir de procéder (...) à l'envoi (...) d'un nouveau règlement, soit l'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé (...)", ce qui signifie qu'il s'agit de l'envoi non de cette somme de 10 000 euro mais d'un règlement d'un jeu.

Parmi les autres documents concernant la somme de 10 000 euro :

- un non daté mentionne " soumis à un aléa " en marge de la phrase " vous avez gagné le chèque de 10 000 euro ", et "règlement du jeu 'le grand prix des 10 000 euro' jeu n° 161 (...) opération promotionnelle (...) avec un gagnant potentiel et des perdants (...) le prix prévu (...) n'est qu'une éventualité pour l'ensemble des destinataires (...) chaque participant a reçu une attribution définitive de gain lui permettant de participer (...) pour être gagnant (...) le participant doit avoir reçu une attribution définitive de gain et avoir été tiré au sort (...) dans les documents que vous avez en main et qui sont vous le comprendrez aisément dénués de promesses fermes mais néanmoins présentés sous un des modes les plus attractifs (...)"

- un du 29 octobre 2002 mentionne " lisez attentivement l'ensemble des documents de ce pré-tirage gratuit auquel vous participez et dont les gains sont soumis à un aléa ";

- et les autres constituent un engagement de la SA Biotonic de verser cette somme au gagnant, mais sans que ce dernier ne soit nécessairement Madame Hiribarren.

C'est donc à bon droit que pour cette somme l'intéressée a été déboutée par le tribunal de commerce.

Sur la somme de 9 750 euro:

Les documents communiqués par Madame Hiribarren sont :

- un " postulat officiel " qui stipule notamment "(...) sous les aléas habituels (...) je prétends au versement des 9 750 euro ", et en caractères petits mais lisibles "(...) le fait que vous possédiez ce document-jeu promotionnel logiquement attractif prouve que vous avez participé à un pré-tirage (...) ce qui signifie que le gagnant potentiel a d'ores et déjà été défini et que vous avez une réelle possibilité d'être ce gagnant il s'agit donc bien pour vous d'une éventualité et non d'une certitude (...) ";

- une " publication officielle " reproduit le règlement précité mais avec l'intitulé "règlement du jeu 'le grand gagnant des 9 750 euro' jeu 155 ";

- une autre " publication officielle " mentionnant "Madame Hiribarren (...) est la Grande Gagnante à notre GRAND PRIX du Chèque Bancaire de 9 750 euro ", mais avec la précision "GAIN POTENTIEL GARANTI - SOUMIS A UN ALEA ".

Il résulte de ces documents que Madame Hiribarren n'a pas gagné la somme de 9 750 euro, mais a simplement participé à des jeux avec gain aléatoire de celle-ci. Le jugement sera en conséquence confirmé pour avoir débouté l'intéressée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

L'équité, et la différence de situation économique entre l'appelante qui est un simple particulier et l'intimée qui est une société commerciale, conduiront la Cour à faire droit à la demande de la première au titre des frais irrépétibles.

Enfin le fait que l'appel de Madame Hiribarren soit partiellement fondé justifie que les dépens d'appel soient mis à la charge de l'intimée.

Décision

LA COUR, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition au greffe. Confirme le jugement du 8 juillet 2004 sauf pour la somme de 7 500 euro. Condamne la SA Montaigne Direct anciennement dénommée la SA Biotonic à payer à Madame Josée Hiribarren : * la somme de 7 500 euro à titre de dommages et intérêts; * une indemnité de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SA Montaigne Direct anciennement dénommée la SA Biotonic aux dépens d'appel, avec droit pour la SCP d'avoués Blanc, Amsellem-Mimran et Cherfils de recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.