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Décisions

Cass. crim., 13 novembre 2007, n° 06-89.330

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Concurrence (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Blondet

Avocat général :

M. Fréchède

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Waquet, Farge, Hazan

Versailles, 18e ch., du 17 nov. 2006

17 novembre 2006

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par la société X, la société Concurrence, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 18e chambre, en date du 17 novembre 2006, qui, dans la procédure suivie contre la première pour contraventions à la loi relative à l'emploi de la langue française, a, sur renvoi après cassation, prononcé sur les intérêts civils; - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Concurrence a fait l'acquisition d'un progiciel de gestion intégrée, édité par une société allemande et distribué en France par la société X ; que, la notice d'utilisation et tous les documents d'accompagnement de ce produit étant rédigés en langue anglaise, la société Concurrence a saisi la Direction Départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DDCCRF) qui a constaté que X avait commercialisé plusieurs de ces progiciels en méconnaissance des dispositions des articles 2 de la loi du 4 août 1994, 1er et 4 du décret du 3 mars 1995; que le Ministère public a fait citer la société X devant le tribunal de police qui l'a déclarée coupable de vingt-neuf contraventions mais a débouté la société Concurrence, partie civile, de ses prétentions faute d'un préjudice direct et certain ; qu'après avoir constaté l'extinction de l'action publique par l'amnistie, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 4 juillet 2003, débouté la partie civile de ses demandes; que, sur le pourvoi de la partie civile, la Cour de cassation a cassé et annulé, en ses seules dispositions civiles, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles; - En cet état;

Sur le pourvoi de la société X : - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 18 de la loi du 4 août 1994, 537 et 591 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'annulation du procès-verbal dressé par la DGCCRF;

"aux motifs que le procès-verbal dressé par la DGCCRF le 6 juin 2000 a été transmis le 9 juin 2000 au Procureur de la République, soit dans les 5 jours suivant sa clôture, cette date résultant clairement de la feuille de transmission au parquet; qu'il y a donc lieu de rejeter l'argumentation tirée de la nullité du procès-verbal, la procédure étant régulière au regard de l'article 18 de la loi du 4 août 1994;

"alors que les procès-verbaux font foi jusqu'à preuve du contraire; que le prévenu démontrait que la date du procès-verbal était le 6 juin mais que la feuille de transmission au parquet mentionnait que le procès-verbal aurait été établi le 5 juin, et que le numéro de poursuite prouvait que le procès-verbal avait été déposé au parquet non le 9 juin mais le 13 juin 2000; que la cour d'appel s'est bornée à énoncer que le procès-verbal a été dressé par la DGCCRF le 6 juin et transmis au procureur le 9 juin sans rechercher si les dates des 6 juin et 9 juin n'étaient pas en contradiction avec les énonciations des pièces produites; que dès lors, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";

Attendu qu'avant toute défense au fond, la prévenue avait invoqué la nullité du procès-verbal établi par les agents de la DDCCRF, base de la poursuite, au motif qu'il n'avait pas été adressé au Procureur de la République dans les cinq jours suivant sa clôture, comme le prévoit, sous peine de nullité, l'article 18 de la loi du 4 août 1994 ;

Attendu que, pour rejeter cette exception, l'arrêt relève qu'il résulte des pièces de la procédure que, dressé le 6 juin 2000, le procès-verbal a été adressé au Procureur de la République le 9 juin 2000, dans les cinq jours suivant sa clôture;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation de la prévenue, a justifié sa décision; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 16 et 18 de la loi du 4 août 2004, L. 215-1 du Code de la consommation, 551, 591 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les faits constitutifs de l'infraction prévue et réprimée par l'article 4 du décret n° 95-240 du 3 mars 1995 et 2, alinéa 1, de la loi du 4 août 1994 constitués, a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société Concurrence et a condamné la société X à lui payer les sommes de 5 000 euro au titre de dommages et intérêts et de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel;

"aux motifs qu'en l'espèce la poursuite se fonde bien sur les déclarations de M. Chapelle mais aussi sur les constatations matérielles faites par le contrôleur, mettant ainsi en évidence les 29 contraventions visées à la poursuite lorsqu'ont été découverts les divers documents dont pas un n'était rédigé en langue française ; qu'aucun texte n'exige que le procès-verbal de la DGCCRF soit joint à la citation; qu'au demeurant, cette citation vise le procès-verbal de plainte, laquelle a été suivie d'une enquête corroborant les déclarations du plaignant, ces éléments valant moyens de preuve; qu'il y a lieu de rejeter également cette argumentation, confirmant en cela le premier juge;

"alors que la constatation des infractions n'a de valeur probante que si elle a été réalisée conformément à la législation en vigueur; que les infractions à la loi du 4 août 1994 ne peuvent être constatées et prouvées que par des procès-verbaux de la DGCCRF; que les procès-verbaux de la DGCCRF doivent être adressés au Procureur de la République et joints à la citation ; qu'il résulte des énonciations de la cour d'appel que le procès-verbal de la DGCCRF n'était pas annexé à la citation ni versé à la procédure par le Ministère public ; que dès lors, la cour d'appel qui s'est bornée à énoncer qu'aucun texte n'exigeait que le procès-verbal de la DGCCRF soit joint à la citation, a violé les dispositions susvisées";

Attendu que la société X a soutenu pour sa défense que, le Ministère public n'ayant pas joint le procès-verbal de constatation établi par les agents de la DDCCRF à la citation qu'il lui avait fait délivrer, et s'étant borné à viser dans l'acte de poursuite le procès-verbal recueillant la plainte de la société Concurrence, la preuve des infractions sur lesquelles celle-ci fondait sa demande de réparation ne pouvait être rapportée;

Attendu que, pour écarter cette argumentation, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen;

Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'il n'est pas soutenu que la demanderesse n'aurait pas eu accès à l'ensemble des pièces de la procédure en vue de leur discussion contradictoire à l'audience et n'aurait pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, l'arrêt n'encourt pas la censure; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 28, 30 et 129 A, 234 du traité CEE, 3 de la directive du 22 décembre 1969, 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les faits constitutifs de l'infraction prévue et réprimée par l'article 4 du décret n° 95-240 du 3 mars 1995 et 2, alinéa 1, de la loi du 4 août 1994 constitués, a déclaré recevable la constitution de partie civile de la société Concurrence et a condamné la société X à lui payer les sommes de 5 000 euro au titre de dommages et intérêts et de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel;

"aux motifs que l'article 28 du traité CEE interdit les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent entre les Etats membres sous réserve de l'article 30 du même traité; qu'il n'y a pas de directive communautaire fixant les règles à appliquer en matière d'utilisation de la langue dans les notices d'utilisation des produits de l'espèce, cette question étant du ressort des Etats membres; que, toutefois, la plupart des Etats membres ont considéré qu'il est nécessaire d'informer le consommateur dans sa propre langue, la Commission européenne encourageant l'information multilingue tout en permettant aux Etats d'utiliser la langue du pays de commercialisation du produit ; que, dès lors, pour les produits commercialisés en France, l'utilisation de la langue est réglée par la loi du 4 août 1994 qui impose d'utiliser la langue française pour la désignation, l'offre, la présentation, la publicité écrite ou parlée et les modes d'emploi d'un article ou d'un produit; que, sur le principe d'imposer des exigences linguistiques à des modes d'emploi de produits importés d'un Etat membre, qui contraindrait ainsi à des frais supplémentaires les fabricants du produit, la CJCE a considéré ainsi en matière d'étiquetage, qu'en l'absence d'harmonisation communautaire, les Etats membres peuvent adopter des mesures exigeant que ces mentions soient libellées dans la langue du pays où le produit est vendu ou dans une langue aisément compréhensible pour le consommateur; qu'il ne peut être sérieusement soutenu par l'appelant que la traduction eût entraîné des frais trop importants, étant en outre rappelé que dans les écritures et les pièces produites, il est établi que dès les mois suivants, les notices étaient multilingues ; que, dès lors, aucune contrariété n'existe entre la loi du 4 août 1994 et l'article 28 du traité CEE; qu'il n'y a donc pas lieu de poser la question préjudicielle à la CJCE telle que préconisée par l'appelant; que la petite ou moyenne entreprise qui achète un logiciel doit donc être en mesure d'en comprendre le fonctionnement, quand bien même elle puisse par la suite s'adresser à un professionnel pour l'installation et la maintenance et que c'est à juste titre que le premier juge a considéré qu'en l'espèce la loi protège le consommateur en imposant l'usage de la langue nationale, et ce particulièrement dans un domaine où les contresens et erreurs de manipulation sont fréquentes et où, en outre, la langue anglaise, si elle peut être maîtrisée de façon générale, peut ne pas l'être dans un domaine technique; que les divers documents relevés par la DGCCRF, soit le manuel d'utilisation du logiciel de 100 pages rédigées en anglais et divers documents institués " Early Watch Aller User Guide R13 ", " Licensing the X system ", " release restrictions for R/3 ", tous rédigés en langue anglaise constituent donc bien des infractions à la loi du 4 août 1994; que les constatations faites sont suffisantes et ne justifient pas la mesure d'expertise demandée; qu'il ne peut être véritablement soutenu que l'information en ligne, dont il n'est d'ailleurs pas justifié, dans la mesure où l'appelant indique justement ne pas pouvoir utiliser ce logiciel, et dont il est argué par l'appelant qu'elle aurait été installée postérieurement, puisse au jour des faits pallier l'absence de documents écrits rédigés en langue française; que la matérialité des infractions est dès lors constituée et qu'il n'y a donc pas lieu à expertise;

"1°) alors que les effets restrictifs à la libre circulation des marchandises ne doivent pas être hors de proportion par rapport au résultat recherché ; que constitue une restriction à l'importation prohibée par l'article 28 du traité CEE l'obligation générale et absolue faite à tout industriel de prévoir que les modes d'emploi d'un produit devraient être traduits dans une langue nationale; qu'il en va ainsi de la loi du 4 août 1994 en ce qu'elle oblige tout mode d'emploi à être traduit en français, sans autre examen;

"2°) alors que l'emploi de la langue française est imposé dans le seul but de protéger le consommateur et que la mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation qui pourrait résulter de la législation prescrivant l'utilisation de la langue française dans les modes d'emploi des progiciels est justifiée par la protection du consommateur sur le territoire national; que, pour considérer que l'infraction était établie, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la documentation était rédigée en anglais sans rechercher si cette documentation n'était pas destinée exclusivement à des professionnels et non aux consommateurs, méconnaissant ainsi les textes susvisés ; que, dès lors, la cour d'appel n 'a pas justifié légalement sa décision;

"3°) alors que l'utilisation de la langue française est imposée pour les documents constituant un mode d'emploi du produit; que le prévenu faisait valoir que les documents mentionnés par le procès-verbal de la DGCCRF ne constituaient pas des modes d'emploi et n'étaient que des documents d'installation ; qu'en se bornant à énumérer les divers documents relevés par la DGCCRF sans rechercher si ces documents constituaient un mode d'emploi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;"

Attendu que la société X a soutenu que l'obligation, pénalement sanctionnée, de rédiger le mode d'emploi ou d'utilisation et les documents d'accompagnement d'un produit en langue française, susceptible de créer une entrave au droit communautaire, était incompatible avec l'article 28 du traité CE;

Attendu que l'arrêt qui a rejeté, par les motifs repris au moyen, cette exception, n'encourt pas les griefs allégués, dès lors que la mesure d'effet équivalent à des restrictions quantitatives à l'importation qui pourrait résulter de la législation prescrivant l'emploi de la langue française dans les modes d'utilisation des produits est justifiée, conformément à l'article 30 du traité, par la protection des consommateurs sur le territoire national; d'où il suit que le moyen, irrecevable, pour le surplus, en ce qu'il reproche à la cour de renvoi d'avoir statué en conformité de l'arrêt de cassation qui l'a saisie, ne saurait être accueilli;

II - Sur le pourvoi de la société Concurrence : - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, alinéa 1, de la loi du 4 août 1994 imposant l'usage de la langue française, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné la société X à verser la somme de 5 000 euro en réparation du préjudice économique lié aux retards, difficultés et démarches subis par la société Concurrence du fait des infractions de non-usage de la langue française et a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice commercial lié à l'impossibilité pour la société Concurrence d'exercer son activité par le biais d'un site internet;

"aux motifs que la société Concurrence a établi par divers courriers et documents le retard qu'elle a subi dans la mise en place du logiciel et les difficultés qu'elle a rencontrées pour pouvoir l'utiliser du fait de l'absence de document en langue française utilisable immédiatement; qu'elle a dû également faire de multiples démarches pour pouvoir réaliser enfin son projet; que ce préjudice est en lien direct avec les infractions relevées ; que, toutefois, la société Concurrence ne peut sérieusement prétendre que ce retard serait à lui seul déterminant d'un préjudice commercial tel qu'il est décrit et chiffré dans ses écritures; qu'en effet, il n'est pas établi que l'aggravation (sic) prétendue du chiffre d'affaires soit la seule conséquence des infractions; qu'il n'est pas non plus produit de documents comme de multiples réclamations de clients ou de ruptures de commandes; qu'elle convient elle-même qu'il est difficile d'évaluer un préjudice économique ; que dès lors le préjudice, s'il est bien réel et direct, peut être évalué à une somme de 5 000 euro;

"alors que, d'une part, l'auteur de l'infraction est tenu de réparer entièrement le dommage qui résulte directement de l'infraction sans qu'il soit nécessaire que cette infraction en soit la cause unique et déterminante; qu'en exigeant que le retard causé par la société X du fait des infractions de non-usage de la langue française soit à lui seul la cause déterminante de la diminution du chiffre d'affaires subi par la société Concurrence, la cour d'appel a violé les textes précités;

"alors que, d'autre part, l'infraction de non-usage de la langue française qui a empêché la mise en place d'un site internet de vente en ligne est à l'origine certaine et directe de la perte d'une chance de réaliser un chiffre d'affaires au moyen de ces ventes; qu'en omettant de statuer sur ce chef de préjudice dont la société Concurrence sollicitait l'indemnisation (p. 26, § 1 ; p. 30, § 11 ; p. 31 § 4 ; p. 32, § 11), la cour d'appel a violé les textes précités;

"alors que, enfin, s'agissant de la réparation de la perte d'une chance de réaliser un chiffre d'affaires sur un nouveau marché, l'absence de réclamations de clients ou de rupture de commandes constituent des motifs inopérants, de sorte que la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";

Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour la société Concurrence de l'atteinte portée à son droit d'avoir accès dans la langue française à la description et au mode d'utilisation du produit acquis auprès de la société X, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.