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Décisions

CJCE, 1re ch., 18 décembre 2007, n° C-202/06 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cementbouw Handel & Industrie BV

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

Mme Kokott

Juges :

MM. Tizzano, Borg Barthet, Ilešic, Levits

Avocats :

Mes Knibbeler, Brouwer, Kreijger

CJCE n° C-202/06 P

18 décembre 2007

LA COUR (première chambre),

1 Par son pourvoi, Cementbouw Handel & Industrie BV demande l'annulation de l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission (T-282-02, Rec. p. II-319, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision 2003-756-CE de la Commission, du 26 juin 2002, déclarant une opération de concentration compatible avec le Marché commun et l'accord EEE (affaire COMP/M.2650 - Haniel/Cementbouw/JV [CVK]) (JO 2003, L 282, p. 1, et rectificatif, JO 2003, L 285, p. 52, ci-après la "décision litigieuse").

Le cadre juridique

2 Le règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, et rectificatif, JO 1990, L 257, p. 13), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310-97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1, ci-après le "règlement n° 4064-89"), définit son champ d'application matériel à son article 1er, paragraphe 1, comme suit:

"[...], le présent règlement s'applique à toutes les opérations de concentration de dimension communautaire telles que définies aux paragraphes 2 et 3."

3 L'article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 4064-89 définit la notion d'opération de concentration comme visant, entre autres, le cas où une ou plusieurs entreprises acquièrent directement ou indirectement, que ce soit par prise de participations au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou de plusieurs autres entreprises.

4 Pour qu'une opération de concentration soit de dimension communautaire, il faut que le chiffre d'affaires global réalisé par les entreprises concernées sur le plan mondial ainsi que dans la Communauté européenne dépasse certains seuils, exprimés en chiffre d'affaires, fixés à l'article 1er, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 4064-89. L'article 5 de ce règlement précise la méthode de calcul de ces seuils.

5 Les opérations de concentration de dimension communautaire doivent être notifiées à la Commission des Communautés européennes. À cet égard, l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89 précise que cette notification doit intervenir "dans un délai d'une semaine à compter de la conclusion de l'accord ou de la publication de l'offre d'achat ou d'échange ou de l'acquisition d'une participation de contrôle".

6 L'article 7 de ce règlement prévoit que de telles opérations ne peuvent être réalisées ni avant d'avoir été notifiées ni avant d'avoir été déclarées compatibles avec le Marché commun par une décision.

7 Aux termes de l'article 6, paragraphe 1, première phrase, du règlement n° 4064-89, "[l]a Commission procède à l'examen de la notification dès sa réception". Conformément audit article 6, paragraphe 1, sous c), si la Commission constate que l'opération de concentration notifiée est de dimension communautaire et soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le Marché commun, elle décide d'ouvrir une procédure formelle de contrôle.

8 À cet égard, l'article 8, paragraphes 1 à 4, du règlement n° 4064-89 confère à la Commission les pouvoirs de décision suivants:

"1. [...]

2. Lorsque la Commission constate qu'une opération de concentration notifiée, le cas échéant après modifications apportées par les entreprises concernées, répond au critère défini à l'article 2 paragraphe 2 [...], elle prend une décision déclarant la concentration compatible avec le Marché commun.

La Commission peut assortir sa décision de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu'elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le Marché commun. [...]

3. [...]

4. Si une opération de concentration a déjà été réalisée, la Commission peut ordonner [...] la séparation des entreprises ou des actifs regroupés ou la cessation du contrôle commun ou toute autre action appropriée pour rétablir une concurrence effective."

9 Selon l'article 10, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89, la décision d'engager une procédure formelle de contrôle doit intervenir, sauf exception non applicable en l'espèce, dans un délai maximal d'un mois à partir du lendemain de la réception de la notification. Selon l'article 10, paragraphes 2 et 3, de ce règlement, les décisions constatant la compatibilité ou l'incompatibilité d'une opération de concentration avec le Marché commun doivent intervenir, sauf cas exceptionnel, dans un délai maximal de quatre mois à compter de l'engagement de la procédure. En vertu du paragraphe 6 du même article, si la Commission n'a pas pris de décision dans ces délais, l'opération de concentration est réputée déclarée compatible avec le Marché commun.

10 La délimitation des compétences en matière de contrôle des opérations de concentration est fixée à l'article 21, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 4064-89 de la manière suivante:

"1. Sous réserve du contrôle de la Cour de justice, la Commission a compétence exclusive pour arrêter les décisions prévues au présent règlement.

2. Les États membres n'appliquent pas leur législation nationale sur la concurrence aux opérations de concentration de dimension communautaire."

11 Le vingt-neuvième considérant du règlement n° 4064-89 précise que "les opérations de concentration qui ne sont pas visées par le présent règlement relèvent en principe de la compétence des États membres".

Les antécédents du litige

12 Les constatations faites par le Tribunal aux points 1 à 15 ainsi que 295 à 298 de l'arrêt attaqué permettent de résumer les antécédents de l'affaire comme suit.

13 Avant la réalisation de l'opération de concentration à l'origine du litige, Coöperatieve Verkoop- en Produktievereniging van Kalkzandsteenproducenten (ci-après "CVK"), coopérative de droit néerlandais, regroupait onze producteurs néerlandais de briques silico-calcaires. Sur ces onze entreprises membres, cinq étaient des filiales de l'entreprise allemande Franz Haniel & Cie GmbH (ci-après "Haniel"), trois, des filiales de la requérante et deux, des filiales de l'entreprise allemande RAG AG (ci-après "RAG"). La onzième de ces entreprises était détenue conjointement par Haniel, la requérante et RAG (point 5 de l'arrêt attaqué).

14 Au cours de l'année 1998, la Nederlandse Mededingingsautoriteit (autorité néerlandaise de la concurrence, ci-après la "NMa") a reçu notification d'un projet de concentration par lequel CVK envisageait de prendre le contrôle de ses entreprises membres. Le contrôle devait être transféré dans le cadre de la conclusion d'un contrat de mise en commun ainsi que d'une modification des statuts de CVK. Par décision du 20 octobre 1998, la NMa a autorisé le projet en cause (point 6 de l'arrêt attaqué).

15 Avant que cette opération ne soit réalisée, RAG a pris la décision de vendre à Haniel et à la requérante les participations qu'elle détenait dans les entreprises membres de CVK. Au cours du mois de mars 1999, les parties ont fait part de leurs intentions à la NMa. Celle-ci, par lettre du 26 mars 1999, leur a indiqué que la cession envisagée ne constituerait pas une opération de concentration au sens de la législation néerlandaise, pour autant que l'opération autorisée par la décision du 20 octobre 1998 aurait été réalisée au plus tard au moment de ladite cession (point 7 de l'arrêt attaqué).

16 Le 9 août 1999, CVK et ses entreprises membres ont conclu plusieurs transactions. D'une part, elles ont conclu le contrat de mise en commun visé au point 14 du présent arrêt et les statuts de CVK ont été modifiés pour prendre en compte les stipulations dudit contrat (ci-après le "premier groupe de transactions"). D'autre part, RAG a cédé les participations qu'elle détenait dans trois des entreprises membres de CVK à Haniel et à la requérante, tandis que ces dernières ont conclu un contrat de coopération régissant leur collaboration au sein de CVK (ci-après le "second groupe de transactions") (point 8 de l'arrêt attaqué).

17 Ayant eu connaissance des transactions conclues le 9 août 1999 à l'occasion de l'examen de deux autres opérations de concentration qui lui avaient été notifiées par Haniel, la Commission a, par lettre du 22 octobre 2001, signalé à la requérante ainsi qu'aux autres entreprises participantes que l'opération devait lui être notifiée. Le 24 janvier 2002, Haniel et la requérante ont notifié l'opération au titre de l'article 4 du règlement n° 4064-89 (points 9 et 10 de l'arrêt attaqué).

18 Le 25 février 2002, la Commission a engagé la procédure formelle de contrôle visée à l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064-89 (point 11 de l'arrêt attaqué).

19 Après l'envoi de la communication des griefs et l'audition des parties concernées par la Commission, Haniel et la requérante ont, le 28 mai 2002, présenté un premier projet d'engagements. Celui-ci prévoyait que Haniel et la requérante mettraient fin à leur contrat de coopération et vendraient à un tiers indépendant les participations qu'elles avaient acquises au cours de l'année 1999 auprès de RAG. La Commission a estimé que ce projet était insuffisant pour mettre fin aux doutes en matière de concurrence sur le marché en cause (points 12, 14 et 295 de l'arrêt attaqué).

20 Haniel et la requérante ont alors proposé, le 5 juin 2002, des engagements définitifs, par lesquels elles acceptaient, au surplus, de résilier le contrat de mise en commun, de revenir sur la modification des statuts de CVK et de dissoudre celle-ci (points 14, 15 et 298 de l'arrêt attaqué).

21 Le 26 juin 2002, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a considéré que l'opération de concentration constituée par les premier et second groupes de transactions était compatible avec le Marché commun, pour autant que Haniel et la requérante respectent les engagements indiqués dans ladite décision. Ces derniers incluaient, notamment, la dissolution de CVK (point 15 de l'arrêt attaqué).

La procédure devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 septembre 2002 et enregistrée sous le numéro T-282-02, la requérante a introduit un recours visant à obtenir l'annulation de la décision litigieuse.

23 À l'appui de son recours, la requérante a invoqué trois moyens.

24 Le premier moyen était tiré de l'incompétence de la Commission pour examiner les transactions en cause en vertu de l'article 3 du règlement n° 4064-89. Le Tribunal a rejeté ce moyen en jugeant, au point 109 de l'arrêt attaqué, qu'"une opération de concentration, au sens de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 4064-89, peut se réaliser même en présence d'une pluralité de transactions juridiques formellement distinctes dès lors que ces transactions sont interdépendantes de sorte qu'elles ne seraient pas réalisées les unes sans les autres et dont le résultat consiste à conférer à une ou à plusieurs entreprises le contrôle économique, direct ou indirect, sur l'activité d'une ou de plusieurs autres entreprises".

25 Le deuxième moyen était tiré d'erreurs d'appréciation de la Commission relatives à la création d'une position dominante par l'opération de concentration, en violation de l'article 2 du règlement n° 4064-89. Le Tribunal a rejeté ce moyen comme non fondé.

26 Le troisième moyen était tiré de la violation des articles 3 et 8, paragraphe 2, du même règlement ainsi que du principe de proportionnalité. S'agissant de ce moyen, le Tribunal a jugé:

"301 [...] il convient de constater que les prétentions de la requérante se fondent une nouvelle fois sur une prémisse erronée, rejetée par le Tribunal [...]. En effet, il existe une seule opération de concentration, conclue le 9 août 1999, constituée des premier et second groupes de transactions, qui relève de la compétence de la Commission en application du règlement nº 4064-89. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, le premier projet d'engagements ne modifie pas l'opération de concentration de sorte que celle-ci n'existe plus.

[...]

304 [...] il importe de relever que la requérante n'a pas expliqué comment le premier projet d'engagements [...] aurait pu permettre à la Commission de conclure à la compatibilité de l'opération de concentration, alors qu'il est constant que, dans le cadre de ce projet d'engagements, la position dominante de CVK, telle qu'elle résulte de l'opération de concentration conclue le 9 août 1999, serait demeurée inchangée. En effet, en particulier, malgré l'abandon du contrôle en commun de CVK, l'entreprise aurait, suivant la délimitation du marché, continué de détenir au moins [50 à 60] % du marché en cause, sans que, par ailleurs, les parts de marché de ses principaux concurrents augmentent.

305 Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n'était pas tenue d'accepter le premier projet d'engagements, en application de l'article 8, paragraphe 2, du règlement nº 4064-89, puisque ce projet ne lui permettait pas de conclure que l'opération de concentration du 9 août 1999 ne créerait pas une position dominante, au sens de l'article 2, paragraphe 2, de ce règlement.

[...]

307 [...] pour pouvoir être acceptés par la Commission dans l'optique de l'adoption d'une décision au titre de l'article 8, paragraphe 2, du règlement nº 4064-89, les engagements des parties doivent non seulement être proportionnés au problème de concurrence identifié par la Commission dans sa décision, mais le résoudre intégralement, objectif qui, en l'espèce, n'était manifestement pas atteint par le premier projet d'engagements proposé par les parties ayant procédé à la notification."

27 Le Tribunal a rejeté le troisième moyen et, partant, le recours dans son intégralité.

Sur le pourvoi

28 La requérante conclut à ce que la Cour annule l'arrêt attaqué et, le cas échant, renvoie l'affaire devant le Tribunal et condamne la Commission aux dépens.

29 La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la requérante aux dépens.

30 À l'appui de ses conclusions, la requérante invoque deux moyens.

Sur le premier moyen, tiré d'une interprétation et d'une application erronées des articles 1er, 2 et 3, paragraphe 1, du règlement nº 4064-89

Argumentation des parties

31 La requérante soutient que la compétence de la Commission au titre du règlement nº 4064-89 est déterminée non pas exclusivement par l'opération de concentration telle que notifiée, mais par l'opération véritablement réalisée. Cette interprétation trouverait à s'appliquer lorsque l'opération fait l'objet de modifications apportées par les parties après la notification, de telles modifications pouvant résulter d'une proposition d'engagements. La circonstance que l'opération a été mise en œuvre avant la notification, dans la forme sous laquelle elle a été notifiée, serait sans pertinence.

32 Selon la requérante, l'opération en cause dans la présente affaire n'a acquis une dimension communautaire qu'avec la conclusion du second groupe de transactions, par lequel elle a pris avec Haniel le contrôle de CVK. Selon sa lecture de l'arrêt attaqué, le Tribunal a reconnu, au point 304 dudit arrêt, que le premier projet d'engagements aurait conduit à l'abandon du contrôle en commun de CVK par les parties notifiantes. En revanche, il n'aurait pas tenu compte du fait que ce projet aurait également eu pour effet de faire disparaître l'opération de concentration notifiée, seule demeurant une transaction sans dimension communautaire.

33 En réponse à cette argumentation, la Commission fait valoir que, en vertu du règlement nº 4064-89, sa compétence à l'égard d'une opération de concentration devait être déterminée au moment où cette opération devait lui être notifiée. Soulignant qu'elle doit accepter ou écarter sa compétence au plus tard au terme du premier examen de la notification, elle ajoute que, dans l'intérêt d'une bonne administration, la dimension communautaire d'une concentration ne pourrait être constamment réexaminée tout au long de la procédure suivie.

34 Selon la Commission, la requérante méconnaît la fonction et la nature des engagements que peuvent prendre les parties. Ces engagements ne pourraient priver la Commission de la compétence que lui confère le règlement nº 4064-89, mais viseraient à lui permettre d'exercer son pouvoir d'autoriser, sous certaines conditions, l'opération de concentration notifiée.

Appréciation de la Cour

35 Ainsi qu'il ressort de son vingt-neuvième considérant et de son article 21, paragraphe 1, le règlement nº 4064-89 repose sur le principe d'une répartition précise des compétences entre les autorités nationales et communautaires en matière de contrôle des concentrations (arrêts du 25 septembre 2003, Schlüsselverlag J. S. Moser e.a./Commission, C-170-02 P, Rec. p. I-9889, point 32, et du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C-42-01, Rec. p. I-6079, point 50).

36 Ledit règlement comporte également des dispositions, parmi lesquelles figure notamment l'article 10, paragraphes 1 et 2, dont l'objectif est de limiter, pour des raisons de sécurité juridique et dans l'intérêt des entreprises concernées, la durée des procédures de vérification des opérations qui incombent à la Commission (arrêts précités Schlüsselverlag J. S. Moser e.a./Commission, point 33, et Portugal/Commission, point 51).

37 Il y a lieu d'en conclure que le législateur communautaire a entendu définir une répartition claire des interventions des autorités nationales et communautaires et qu'il a souhaité assurer un contrôle des opérations de concentration dans des délais compatibles à la fois avec les exigences d'une bonne administration et celles de la vie des affaires (arrêts précités Schlüsselverlag J. S. Moser e.a./Commission, point 34, et Portugal/Commission, point 53).

38 Ce souci de sécurité juridique implique que l'autorité compétente pour examiner une opération de concentration donnée puisse être identifiée de manière prévisible. C'est la raison pour laquelle le législateur communautaire a fixé, aux articles 1er, paragraphes 2 et 3, et 5 du règlement n° 4064-89, des critères à la fois précis et objectifs permettant de déterminer si une opération atteint la taille économique requise pour être de "dimension communautaire" et relève, ainsi, de la compétence exclusive de la Commission.

39 L'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale du règlement n° 4064-89 et qui impose à la Commission de respecter des délais stricts pour l'adoption de la décision finale, faute de quoi l'opération est réputée compatible avec le Marché commun, implique également que, dès lors que la Commission a établi, à l'égard d'une opération donnée, sa compétence au regard des critères prévus aux articles 1er, paragraphes 2 et 3, et 5 dudit règlement, cette compétence ne puisse être remise en question à tout moment ou soumise à des changements permanents.

40 Ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général au point 48 de ses conclusions, il va de soi que la Commission perd sa compétence pour connaître d'une opération de concentration dans l'hypothèse où les entreprises concernées abandonnent totalement le projet.

41 Toutefois, il en va différemment lorsque les parties se bornent à proposer d'apporter des modifications partielles au projet. De telles propositions ne sauraient avoir pour effet de contraindre la Commission à réexaminer sa compétence, sous peine de permettre aux entreprises concernées de perturber significativement le déroulement de la procédure et l'efficacité du contrôle voulu par le législateur en obligeant la Commission à vérifier constamment sa compétence au détriment de l'examen du fond de l'affaire.

42 Cette interprétation est confortée par le libellé de l'article 8, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 4064-89 qui prévoit que "[l]a Commission peut assortir sa décision de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées respectent les engagements qu'elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le Marché commun". Ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général au point 52 de ses conclusions, ce libellé fait clairement apparaître que les engagements proposés ou pris par les entreprises sont autant d'éléments que la Commission doit prendre en considération dans le cadre de l'examen de la question de fond, à savoir la compatibilité ou l'incompatibilité de la concentration avec le Marché commun, mais que, inversement, ces engagements ne sauraient priver la Commission de sa compétence dès lors que celle-ci a été vérifiée dans la première phase de la procédure.

43 Il s'ensuit que la compétence de la Commission pour connaître d'une opération de concentration doit être établie, pour toute la durée de la procédure, à une date déterminée. Eu égard à l'importance que revêt l'obligation de notification dans le système de contrôle mis en place par le législateur communautaire, cette date doit nécessairement présenter un lien étroit avec la notification.

44 Dans le cadre du présent pourvoi, la requérante ne conteste pas l'analyse de la Commission, confirmée par l'arrêt attaqué, selon laquelle il y a lieu de constater l'existence d'une seule opération, constituée des premier et second groupes de transactions. Elle ne conteste pas non plus que, tant à la date de la conclusion de ces deux groupes de transactions qu'à la date de la notification effectuée à la demande de la Commission, cette opération de concentration avait une dimension communautaire. Par conséquent, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si la date à retenir pour déterminer la compétence de la Commission est la date à laquelle est née l'obligation de notification ou celle à laquelle la notification aurait dû avoir lieu ou encore celle à laquelle elle a effectivement eu lieu, il n'est pas contesté que, en l'espèce, la Commission avait acquis la compétence pour connaître de l'opération de concentration en cause.

45 Quant à la question de savoir si, comme le soutient la requérante, le premier projet d'engagements qu'elle a présenté avec Haniel pouvait avoir une incidence sur la compétence ainsi acquise, il convient, tout d'abord, de rappeler que, en l'espèce, l'opération de concentration avait déjà été réalisée. Il y a lieu, ensuite, de relever que, ainsi qu'il ressort des constatations effectuées par le Tribunal au point 295 de l'arrêt attaqué et non contestées par la requérante, ce projet concernait la résiliation du contrat de coopération conclu entre la requérante et Haniel, la cession à un tiers indépendant des participations qu'elles avaient acquises dans trois des entreprises membres de CVK, c'est-à-dire l'abandon du second groupe de transactions. Toutefois, ledit projet prévoyait que le contrat de mise en commun et la modification des statuts de CVK, objets du premier groupe de transactions, seraient maintenus. Il s'ensuit que, au regard de l'opération de concentration visée par la procédure de contrôle ouverte par la Commission, le projet en cause était constitué de mesures partielles.

46 Dès lors, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en constatant, au point 301 de l'arrêt attaqué, que le premier projet d'engagements proposé par la requérante et par Haniel ne modifiait pas l'opération de concentration de sorte que celle-ci n'existait plus.

47 Le Tribunal n'a pas commis non plus d'erreur de droit en jugeant, aux points 305 et 306 du même arrêt, que, dans l'exercice de la compétence qu'elle avait acquise, la Commission avait pu estimer que ce premier projet d'engagement n'était pas suffisant pour résoudre le problème qu'elle avait constaté en matière de concurrence.

48 Partant, le premier moyen du pourvoi doit être rejeté comme non fondé.

Sur le second moyen, tiré d'une interprétation et d'une application erronées de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064-89 ainsi que du principe de proportionnalité

Argumentation des parties

49 La requérante fait valoir que, en considérant que le premier projet d'engagements était insuffisant, la Commission a ignoré le fait que ces engagements ramenaient la transaction à une opération de concentration sans dimension communautaire qui ne relevait plus de sa compétence. Elle ajoute que, en jugeant que la Commission n'était pas tenue d'accepter le premier projet d'engagements, le Tribunal a violé le principe de proportionnalité. Par ailleurs, elle reproche au Tribunal de n'avoir pas expliqué comment la Commission avait pu parvenir à une conclusion diamétralement opposée à celle de l'autorité nationale néerlandaise de la concurrence, la NMa, en ce qui concerne les effets anticoncurrentiels du premier groupe de transactions.

50 Selon la Commission, ces arguments ne sont pour l'essentiel qu'une reformulation de ceux présentés à l'appui du premier moyen. Cette institution conteste avoir agi de manière disproportionnée et soutient que, faute de précision, l'argument relatif aux divergences d'appréciation entre elle et la NMa est irrecevable.

Appréciation de la Cour

51 En ce qui concerne, en premier lieu, l'argument tiré d'un défaut de compétence de la Commission, il y a lieu de constater qu'il s'agit d'une répétition de l'argumentation développée dans le cadre du premier moyen. À l'instar de celui-ci, il doit donc être rejeté comme non fondé.

52 Pour ce qui est, en deuxième lieu, de la prétendue violation du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître que les décisions prises par la Commission dans les procédures de contrôle des concentrations doivent respecter les exigences du principe de proportionnalité, qui est un principe général du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 12 décembre 2006, Allemagne/Parlement et Conseil, C-380-03, Rec. p. I-11573, point 144).

53 Toutefois, il y a lieu de rappeler que les règles de fond du règlement n° 4064-89 et, en particulier, l'article 2 de celui-ci, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique, et que, en conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (arrêts du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C-68-94 et C-30-95, Rec. p. I-1375, points 223 et 224, ainsi que du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C-12-03 P, Rec. p. I-987, point 38).

54 En particulier, ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général au point 73 de ses conclusions et à la différence de ce que prétend la requérante, le contrôle du caractère proportionnel des conditions et des charges que la Commission peut, en vertu de l'article 8, paragraphe 2, du règlement n° 4064-89, imposer aux parties à une opération de concentration consiste non pas à vérifier si, une fois celles-ci mises en œuvre, l'opération de concentration sera encore de dimension communautaire, mais à s'assurer que lesdites conditions et lesdites charges sont proportionnelles au problème de concurrence identifié et permettent de le régler entièrement.

55 Dès lors, le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, aux points 304 et 305 de l'arrêt attaqué, que la Commission n'était pas tenue d'accepter le premier projet d'engagements puisqu'elle estimait que ceux-ci étaient insuffisants pour résoudre le problème de concurrence qu'elle avait identifié.

56 S'agissant, en troisième lieu, de la divergence entre l'appréciation portée, d'une part, par la NMa et, d'autre part, par la Commission sur une situation prétendument identique, il convient, tout d'abord, de relever que, eu égard à la répartition précise des compétences sur laquelle repose le règlement n° 4064-89, les décisions des autorités nationales ne sauraient lier la Commission dans le cadre des procédures de contrôle des concentrations.

57 En outre, il y a eu lieu de rappeler que la NMa et la Commission se sont prononcées, dans leurs domaines de compétence respectifs, au regard de critères différents. Tandis que la NMa a analysé le premier groupe de transactions en tenant compte de la situation sur le marché national, la Commission a évalué sa compatibilité avec le Marché commun. Dès lors, si le Tribunal était compétent pour contrôler, dans les limites rappelées au point 53 du présent arrêt, l'appréciation portée par la Commission, il n'avait pas à expliquer comment la Commission était parvenue à un résultat différent de celui de la NMa.

58 Il résulte des considérations qui précèdent que le second moyen doit être également rejeté comme non fondé.

59 Il s'ensuit que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

60 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs, LA COUR (première chambre) déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Cementbouw Handel & Industrie BV est condamnée aux dépens.