CA Paris, 22e ch. A, 28 juin 2006, n° 05-00683
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Société Européenne de Publicité (SAS)
Défendeur :
Levy
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Virotte-Ducharme
Conseillers :
Mmes Lacabarats, Nadal
Avocats :
Mes Rose, Zerah
Henry Levy a été engagé en qualité de VRP à compter du 1er mars 1993 selon contrat de représentation à durée indéterminée du même jour par la société européenne de publicité (SEP), qui a pour activité la diffusion de films destinés à la publicité locale cinématographique aux commerçants établis en magasin et occupe habituellement au moins onze salariés et relève de la convention collective des VRP.
En arrêt de travail du 22 février au 1er mars 2003, puis du 5 mai au 18 juin suivant, il a fait l'objet le 1er juillet 2003 d'une visite de reprise à l'issue de laquelle le médecin du travail a recommandé l'usage d'un fauteuil ergonomique, l'absence de port de charges lourdes et de marches prolongées, un travail en région parisienne exclusivement pendant deux mois et a spécifié la nécessité d'une nouvelle visite deux mois plus tard.
Au cours du mois de juillet, l'employeur a proposé au salarié un poste de VRP à Paris même, avec un taux de commissionnement de 17 % porté à 21 % suite à une protestation de sa part.
Le 1er septembre 2003, le médecin du travail a conclu de la façon suivante : "procédure d'urgence - Inapte définitif au poste de VRP - Peut occuper un poste administratif sédentaire".
Au vu de cet avis, la société SEP a proposé à Henry Levy, par courrier du 3 septembre suivant, un poste de reclassement au sein du "service cinéma" en précisant qu'il s'agissait du seul et unique service permettant de dégager un poste sédentaire, tous les autres postes étant de nature commerciale et impliquant des déplacements.
Ce dernier a refusé cette proposition par lettre du 8 septembre 2003, au motif que celle-ci entraînait une chute de sa rémunération particulièrement importante qu'il lui était impossible d'accepter, compte tenu notamment de ses charges de famille.
Convoqué par courrier du 16 septembre 2003 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 septembre suivant, Henry Levy a été licencié par lettre du 30 septembre 2003 au motif suivant :
"Nous vous avons proposé un poste administratif en date du 3 septembre 2003 au sujet duquel vous avez émis un refus par lettre du 8 septembre 2003.
Compte tenu de votre inaptitude à tout poste non sédentaire, et des structures en place au sein des sociétés SEP et Huard, nous ne pouvons vous proposer d'autre poste compatible avec votre état de santé, tel que précisé par le service de la médecine du travail.
Eu égard à votre ancienneté, votre préavis est de trois mois, et n'étant pas en mesure d'exécuter celui-ci du fait de votre inaptitude au poste de VRP, aucune indemnité de préavis n'est due (...)".
Par jugement en date du 27 septembre 2004, le Conseil de prud'hommes de Paris - section encadrement chambre 2 -, saisi de demandes en paiement d'une indemnité spéciale de rupture, d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'un rappel d'indemnité de congés payés et du salaire du mois de juillet 2003, a:
* déclaré hors de cause la société Huard
* condamné la société SEP à verser à Henry Levy les sommes de:
- 5 490 euro à titre de rappel de salaires
- 38 171 euro au titre de l'indemnité spéciale de rupture avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation
- 60 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jugement
- 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
* ordonné la remise des documents sociaux conformes
* débouté Henry Levy du surplus de ses demandes
* débouté la société SEP de sa demande reconventionnelle
* ordonné la remise des documents sociaux.
La société SEP a interjeté appel de cette décision et demande à la cour, par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, réformant le jugement s'agissant des condamnations prononcées à son encontre, de dire que Henry Levy ne peut prétendre à l'indemnité spéciale de licenciement et subsidiairement en réduire le quantum, dire que le salaire du mois de juillet 2003 n'est pas dû, dire que le licenciement intervenu est pourvu d'une cause réelle et sérieuse, confirmer le jugement pour le surplus et condamner Henry Levy à lui verser la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, Henry Levy sollicite:
* la confirmation du jugement en ce qui concerne les sommes allouées au titre du rappel de salaires, de l'indemnité spéciale de licenciement et des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
* la réformation du jugement pour le surplus, et la condamnation de la société SEP à lui verser les sommes de:
- 100 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 17 820 euro à titre de préavis
- 1 782 euro au titre des congés payés afférents
- 7 180,57 euro à titre de rappel de congés payés
- 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Sur l'exécution du contrat de travail
Considérant, s'agissant du rappel de congés payés, qu'Henry Levy soutient que l'employeur aurait dû procéder à un abattement sur les sommes versées au titre des congés payés de 10 %, puisque cette déduction est admise fiscalement depuis de nombreuses années, et non de 30 % comme il l'a fait tout au long de la relation de travail, et sollicite à ce titre le paiement de la différence entre les sommes versées et les sommes dues pour les 5 dernières années;
Considérant que les frais professionnels engagés par un VRP salarié doivent être supportés par l'employeur à moins qu'il n'ait été contractuellement prévu qu'il en conservait la charge;
Que s'agissant du taux applicable, il convient de se référer au pourcentage de la déduction forfaitaire pour frais professionnels fixé à 30 % pour les VRP, qui peut toutefois être réduit si l'une des parties peut établir la réalité d'un taux inférieur, et si l'application de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels n'a pas pour effet de ramener la rémunération soumise à cotisations en deçà du SMIC en vigueur;
Considérant, en l'espèce, que la part des frais professionnels n'était pas précisée dans le contrat de travail, qu'Henry Levy, qui n'a pas contesté l'application d'un taux de 30 % au cours de la relation de travail qui a duré 10 années, n'apporte aucun élément de preuve sur l'importance réelle de ses frais, et ne prétend pas que l'application du taux de 30 % ait eu pour effet de ramener sa rémunération en deçà du SMIC;
Que la demande sera en conséquence rejetée;
Considérant, s'agissant du salaire du mois de juillet 2003, que l'employeur qui se borne à prétendre que le salarié ne s'est pas tenu à sa disposition pendant cette période au cours de laquelle les parties ont échangé de nombreux courriers, sans invoquer aucune demande de prestation de travail ou même de présence à son poste de travail alors même qu'il disposait d'un bureau au siège de la société, ne justifie pas qu'Henry Levy n'est pas resté à sa disposition;
Qu'en conséquence, il sera fait droit à la demande;
Sur le licenciement
Considérant que l'article L. 122-244 du Code du travail dispose : "A l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou à un accident, si le salarié est déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de postes de travail ou aménagement du temps de travail";
Que le licenciement ne peut donc intervenir que si son reclassement dans l'entreprise ou dans le groupe dont elle relève n'est pas possible;
Considérant qu'Henry Levy reproche à la société de lui avoir proposé uniquement le poste d'exécutant en régie publicitaire au sein du département cinéma qui impliquait une chute très importante de sa rémunération puisque le salaire brut correspondant à cette fonction était limité à 1 677 euro sur 13 mois, à la suite de l'avis d'inaptitude définitive à un poste de VRP, et relève d'une part qu'elle a procédé à 3 embauches en octobre et novembre 2003 et 1 embauche début 2004 pour des postes créés, de directrice de clientèle, assistant commercial, directeur de clientèle et chargé de mission créés qui auraient pu lui être proposés, et d'autre part qu'elle n'a pas mis en cause la société Huard alors que le reclassement doit s'apprécier au niveau du groupe;
Considérant que la société SEP, démontre par la production des contrats de travail que 3 d'entre eux avaient une durée déterminée de quelques mois et que le dernier nécessitait de fréquents déplacements, et expose sans être démentie que la revue "Champs Elysées" au sein de laquelle le salarié estimait pouvoir être affecté n'a fait l'objet que de deux parutions en octobre et décembre 2003 ;
Que toutefois, s'agissant de la société Huard, société anonyme mère de la SEP, elle se borne à indiquer qu'il s'agit d'une holding active qui dispense des prestations administratives et comptables à la SEP et n'emploie que 6 salariés dont une directrice commerciale, un directeur financier, un directeur marketing, un comptable, un aide-comptable et une assistante de recouvrement, sans verser aucune pièce aux débats à l'appui de ses dires;
Que dès lors, la société SEP n'établit pas que le reclassement du salarié était impossible dans le groupe, et le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Sur les conséquences du licenciement
Considérant, s'agissant de l'indemnité de préavis et des congés payés incidents, que le principe, la durée de trois mois et le calcul du montant du salaire retenus par le salarié ne sont pas critiqués;
Qu'il sera donc fait droit aux demandes formées à ce titre;
Considérant, s'agissant de l'indemnité spéciale de rupture, que l'article 14 de la convention collective des VRP dispose que le salarié peut prétendre à celle-ci lorsqu'il se trouve dans l'un des cas de cessation du contrat de travail prévu à l'article L. 751-9 du Code du travail;
Qu'aux termes de ce texte, "en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur et lorsque cette résiliation n'est pas provoquée par une faute grave de l'employé, ainsi que dans le cadre de la cessation du contrat de travail par suite d'accident ou de maladie entraînant une incapacité permanente totale de l'employé";
Considérant qu'Henry Levy a été déclaré inapte définitif au poste de VRP, sans pour autant s'être vu reconnaître une incapacité permanente totale de travail, ne peut prétendre au paiement de l'indemnité spéciale de rupture;
Que sa demande sera en conséquence rejetée;
Considérant, s'agissant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu'Henry Levy produit exclusivement une notification d'admission à l'allocation d'aide au retour à l'emploi à compter du 17 novembre 2003 ;
Qu'eu égard à son ancienneté de 10 ans dans l'entreprise, il lui sera alloué la somme de 48 000 euro qui portera intérêts au taux légal à compter de l'arrêt;
Considérant qu'il convient d'ordonner la remise par l'employeur d'une attestation Assedic conforme au présent arrêt;
Par ces motifs, Infirme partiellement le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déboute Henry Levy de sa demande en paiement d'une indemnité spéciale de rupture, Condamne la société SEP à verser à Monsieur Levy les sommes de 17 820 euro (dix-sept mille huit cent vingt euro) à titre de préavis et de 1 782 euro (mille sept cent quatre-vingt deux euro) au titre des congés payés afférents [suivant arrêt rectificatif du 06/12/2006] ; Confirme le jugement pour le surplus, Condamne aux dépens la société SEP, Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société SEP à verser à Henry Levy la somme complémentaire de 1 500 euro (mille cinq cents euro), La déboute de sa demande formée à ce titre.