CA Bordeaux, 5e ch., 11 mai 2007, n° 05-05783
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
D. Duchesne (SA)
Défendeur :
Bertin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaboriau
Avoués :
SCP Taillard Janoueix, SCP Touton-Pineau & Figerou
Avocats :
Mes Massei, Chas, Danglade
Dans le courant de l'année 2004, Mme Bertin a reçu de la SA D. Duchesne exerçant, notamment, sous l'enseigne commerciale TV Direct Distribution, divers documents attirant son attention sur le fait qu'elle était l'heureuse gagnante d'un chèque de 10 000 euro grâce à un numéro gagnant puis de 9 900 euro grâce au numéro 602 968 780 dans un 2e jeu de documents.
Dans ces mêmes documents, elle était incitée à passer commande afin de bénéficier d'un traitement prioritaire gratuit lui permettant de recevoir son chèque sous 48 heures avec les articles commandés.
Ayant renvoyé les documents sollicités en réponse et passé commande le 2 août 2004 sans recevoir son gain, Mme Bertin a fait assigner la SA D. Duchesne devant le Tribunal d'instance de Bordeaux, par acte d'huissier du 17 novembre 2004 afin d'obtenir sur le fondement des dispositions des articles 1382 du Code civil et L. 121-36 et suivants du Code de la consommation, la condamnation de la société à lui verser une somme de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts et une somme de 1 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu le jugement du 16 septembre 2005 du Tribunal d'instance de Bordeaux dont le dispositif est le suivant :
"Déclare la SA D. Duchesne responsable du préjudice subi par Mme Bertin,
Condamne la SA D. Duchesne à lui verser la somme de 3 000 euro à titre de dommages-intérêts,
Condamne la SA D. Duchesne à verser à Mme Bertin la somme de 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,
Condamne la SA D. Duchesne aux dépens".
Vu l'appel régulièrement formé contre cette décision par la SA D. Duchesne exerçant sous l'enseigne TV Direct Distribution, le 21 octobre 2005,
Vu les conclusions signifiées et déposées au greffe de la cour:
- le 19 janvier 2007 par l'appelante qui demande :
- d'infirmer la décision déférée
- de constater que les jeux publicitaires diffusés par la société sont parfaitement licites et mettent en évidence l'existence d'un aléa
- de constater qu'elle n'a commis aucune faute et qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix à la charge de la société
- de débouter, en conséquence, Mme Bertin de ses demandes et de la condamner à lui verser 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- dans le cas contraire, de limiter les dommages-intérêts à allouer à Mme Bertin aux sommes déjà fixées par le premier juge.
- le 9 janvier 2007 par Mme Bertin qui demande
- de confirmer la décision déférée en son principe
- à titre principal sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil
- à titre subsidiaire sur le fondement des dispositions de l'article 1371 du Code civil
- de condamner, en conséquence, la SA D. Duchesne à lui verser :
- 7 500 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice
- 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour appel abusif
- 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture du 31 janvier 2007,
La cour demeure saisie du litige dans les termes suivants :
- Sur la responsabilité de la SA D. Duchesne :
En application des dispositions de l'article 1371 du Code civil, l'organisateur d'une loterie, qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire, à le délivrer.
Il n'est pas besoin d'examiner la licéité reconnue des loteries mais d'analyser les documents adressés par la SA D. Duchesne à Mme Bertin afin d'établir si par leur présentation et leur libellé, ils pouvaient être considérés aux yeux d'un destinataire moyen, normalement attentif et diligent comme contenant une promesse de gain ferme et dénuée d'aléa.
En l'espèce, il convient de reprendre différents libellés utilisés par la société dans ses différents documents tels que:
"Madame Dominique Bertin habitant Bassens c'est certifié vous avez d'ores et déjà gagné un chèque pour de vrai votre numéro personnel a été officiellement choisi ! Madame Dominique Bertin, nous vous garantissons obligatoirement qui plus est l'envoi de 10 000 euro à votre ordre exclusif sous 48 heures maximum dès lors que nous aurons reçu de votre part le titre d'encaissement autorisé gagnant attendu par l'huissier et ceci dans les délais requis "
ou encore :
"Madame Dominique Bertin est l'unique personne habilitée à réclamer le chèque bancaire de 9 900 euro"
"Madame Dominique Bertin, c'est officiel avec votre numéro de tirage 602 968 780, c'est vous seule qui avez d'ores et déjà définitivement un chèque contre valeur en euro"
Une attestation de garantie de remise de prix de la société TV Direct Distribution établie par Mme Martini Responsable de la remise des prix de ladite société lui a annoncé : "par la présente, je confirme en outre à toutes fins utiles que le montant total de l'unique prix à remettre par chèque bancaire de 9 900 euro payable en 22 chèques de 450 euro"
"C'est bien 22 chèques que vous avez gagnés, Madame Dominique Bertin"
ou encore:
"J'ai reçu l'ordre d'établir à l'ordre exclusif du gagnant Mme Bertin, les 22 chèques bancaires de 450 euro, soit au total 9 900 euro"
Ces quelques formules, au présent et non au conditionnel, affirmatives et incisives sont dépourvues de toute ambigüité sur le fait que Mme Bertin est gagnante de la somme de 9 900 euro.
L'aléa qui est absent de certains documents est mentionné, sans précision dans une phrase de pure forme qui, par ses caractères et les dimensions des lettres utilisées, n'est pas mis en évidence au regard des affirmations péremptoires qui pour un lecteur moyen suffisent à lui faire croire qu'il a obtenu un gain sans réserve.
Le renvoi au règlement du jeu, totalement illisible par l'utilisation de très petits caractères, sans espace et sans ponctuation entre des phrases qui se suivent et forment une masse compacte, n'est pas davantage opérant dans la mesure où compte tenu de la formulation nominative du gain, il n'apparaît pas utile au lecteur de s'y référer alors qu'il est persuadé d'avoir gagné.
Au vu de ce qui précède, il apparaît que la SA D. Duchesne a annoncé à Mme Bertin un gain de 9 900 euro sans mettre en évidence l'existence d'un aléa dûment défini et précisé dans des conditions qui auraient permis de considérer que ce gain n'était pas acquis,
qu'elle s'est donc, engagée à délivrer ce gain.
- Sur les demandes de Mme Bertin :
Il sera alloué à titre de dommages-intérêts à Mme Bertin la somme de 7 500 euro qu'elle réclame.
Elle sera, par contre, déboutée de sa demande pour appel abusif, l'exercice d'une voie de recours étant de droit et Mme Bertin ne justifiant ni d'un préjudice ni de l'exercice anormal, selon elle, de ce droit.
Elle recevra en appel une somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'appelante qui succombe aura à sa charge les dépens d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Vu l'article 1371 du Code civil, Confirme la décision déférée en ses dispositions non contraires au présent dispositif, Condamne la SA D. Duchesne à payer à Mme Bertin une somme de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts, Ajoutant : Condamne la SA D. Duchesne à payer à Mme Bertin une somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel, Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples, Condamne la SA D. Duchesne aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.