CJCE, 8e ch., 18 décembre 2007, n° C-481/06
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République hellénique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arestis
Avocat général :
M. Mazák
Juges :
Mme Silva de Lapuerta, M. Juhász
LA COUR (huitième chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en maintenant en vigueur l'article 7, paragraphe 2, de la loi 2955-2001 relative aux "Fournitures des hôpitaux et autres unités de santé des régimes régionaux de santé et de prévoyance et autres dispositions" (FEK A' 256/2.11.2001, ci-après la "loi 2955") et en adoptant les dispositions d'exécution des arrêtés ministériels conjoints DY6a/oik.38611 et DY6a/oik.38609, du 12 avril 2005 (FEK 518/19.04.2005), la République hellénique a manqué à l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 6, paragraphe 3, de la directive 93-36-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), telle que modifiée par la directive 2001-78-CE de la Commission, du 13 septembre 2001 (JO L 285, p. 1, ci-après la "directive 93-36"), ainsi qu'à l'obligation d'assurer une concurrence réelle et équitable, telle que définie par la jurisprudence de la Cour.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 Conformément à l'article 5 de la directive 93-36, les dispositions de celle-ci prévoyant des mesures de coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures s'appliquent à des marchés dont la valeur dépasse les seuils fixés au paragraphe 1, dudit article 5.
3 L'article 6 de la directive 93-36 prévoit:
"1. Pour passer leurs marchés publics de fournitures, les pouvoirs adjudicateurs appliquent les procédures définies à l'article 1er points d), e) et f) dans les cas énumérés ci-dessous.
2. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure négociée en cas de dépôt de soumissions irrégulières en réponse à une procédure ouverte ou restreinte ou en cas de dépôt de soumissions inacceptables en vertu des dispositions nationales conformes au titre IV, pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées. Les pouvoirs adjudicateurs publient dans ces cas un avis d'adjudication, à moins qu'ils n'incluent dans ces procédures négociées toutes les entreprises qui satisfont aux critères visés aux articles 20 à 24 et qui, lors de la procédure ouverte ou restreinte antérieure, ont soumis des offres conformes aux exigences formelles de la procédure d'adjudication.
3. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d'un avis d'adjudication dans les cas suivants:
a) lorsqu'aucune soumission ou aucune soumission appropriée n'a été déposée en réponse à une procédure ouverte ou restreinte, pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées et à condition qu'un rapport soit communiqué à la Commission;
b) lorsque les produits concernés sont fabriqués uniquement à des fins de recherche, d'expérimentation, d'étude ou de développement, cette disposition ne comprenant pas la production en quantités visant à établir la viabilité commerciale du produit ou à amortir les frais de recherche et de développement;
c) lorsque, en raison de leur spécificité technique, artistique ou pour des raisons tenant à la protection des droits d'exclusivité, la fabrication ou la livraison des produits ne peut être confiée qu'à un fournisseur déterminé;
d) dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l'urgence impérieuse, résultant d'événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs en question n'est pas compatible avec les délais exigés par les procédures ouvertes, restreintes ou négociées visées au paragraphe 2. Les circonstances invoquées pour justifier l'urgence impérieuse ne doivent en aucun cas être imputables aux pouvoirs adjudicateurs;
e) pour les livraisons complémentaires effectuées par le fournisseur initial et destinées soit au renouvellement partiel de fournitures ou d'installations d'usage courant, soit à l'extension de fournitures ou d'installations existantes, lorsque le changement de fournisseur obligerait le pouvoir adjudicateur à acquérir un matériel de technique différente entraînant une incompatibilité ou des difficultés techniques d'utilisation et d'entretien disproportionnées. La durée de ces marchés, ainsi que des marchés renouvelables, ne peut pas, en règle générale, dépasser trois ans.
4. Dans tous les autres cas, les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte."
La réglementation nationale
4 L'article 7, paragraphes 1 et 2, de la loi 2955-2001 prévoit:
"Adjudication avec offre de prix par analyse ou par acte.
1. Les besoins des régimes de santé régionaux et de leurs unités décentralisées, ainsi que les besoins des hôpitaux liés aux régimes de santé régionaux, peuvent être couverts par l'organisation de procédures d'adjudication pour l'achat et la location d'appareils et consommables médicaux, selon la méthode de l'offre, par les fournisseurs, de prix par analyse de laboratoire ou par acte de diagnostic ou de soins. Le prix proposé comprend la cession des appareils, des réactifs, du matériel consommable et l'entretien pour toute la durée du contrat.
[...]
2. Un arrêté conjoint des ministres du Développement, des Finances, de l'Emploi et des assurances sociales et de la Santé et de la prévoyance pourra fixer un prix plafond pour la fourniture, sans adjudication, de certains matériels, qui ne sont pas comparables, ainsi que de matériels dont l'adaptation optimale à l'usage dépend des particularités du malade, tels que les matériels d'ostéosynthèse, d'arthroplastie, les implants intra-oculaires et les valves d'hydrocéphalie."
5 Sur le fondement de l'article 7, paragraphe 2, de la loi 2955, des arrêtés ministériels conjoints ont été adoptés, lesquels fixent les prix plafonds pour des matériels médicaux y étant énumérés. En particulier, les arrêtés ministériels conjoints DY6a/G.P.73754, du 24 juillet 2002 (FEK 984/31.07.2002), et 8130, du 30 décembre 2003 (FEK B' 1952/30.12.2003), modifiés par la suite par les arrêtés ministériels DY6a/oik.38611 et DY6a/oik.38609, du 12 avril 2005, fixent un prix plafond pour des matériels d'ostéosynthèse, de chirurgie maxillo-faciale, de stimulateurs cardiaques et défibrillateurs, d'électrodes et de matériel de chirurgie cardiaque, ainsi que des filtres d'hémodialyse pour rein artificiel avec les lignes artério-veineuses nécessaires.
Les faits et la procédure précontentieuse
6 La Commission ayant été saisie d'une plainte, son attention s'est portée sur les dispositions de l'article 7, paragraphe 2, de la loi 2955 ainsi que sur celles de l'arrêté ministériel conjoint DY6a/G.P.73754, du 24 juillet 2002, adopté en vertu de cette loi.
7 Estimant que ladite réglementation nationale grecque n'était pas conforme à l'article 6, paragraphe 3, de la directive 93-36, la Commission a engagé à l'encontre de la République hellénique la procédure en manquement prévue à l'article 226 CE en lui adressant, le 18 octobre 2004, une lettre de mise en demeure. Dans leur réponse, les autorités grecques n'ont pas contesté les allégations de la Commission quant à la non-conformité de l'article 7, paragraphe 2, de la loi 2955 avec la directive 93-36 et se sont engagées à abroger cette disposition.
8 En l'absence de mesures appropriées prises par la République hellénique, la Commission lui a, le 19 décembre 2005, adressé un avis motivé l'invitant à s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.
9 Dans sa réponse, du 9 février 2006, la République hellénique a confirmé que les procédures de modification de la réglementation nationale litigieuse seraient achevées à la fin du mois de mai de l'année 2006, date à laquelle une nouvelle loi serait votée par le Parlement grec.
10 N'ayant toutefois reçu aucune communication relative à l'adoption de la nouvelle loi, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
11 La Commission fait valoir, d'une part, que la réglementation nationale litigieuse est incompatible avec l'article 6, paragraphe 3, de la directive 93-36. D'autre part, elle soutient que cette réglementation viole les principes fondamentaux du traité CE lesquels continuent de s'appliquer même lorsque la valeur estimée d'un marché est inférieure au seuil d'application de la directive 93-36, en particulier l'obligation d'assurer une concurrence réelle et équitable.
12 En premier lieu, il convient de constater que la réglementation nationale litigieuse autorise les pouvoirs adjudicateurs à recourir directement à la procédure négociée en ce qui concerne l'acquisition de catégories entières de produits médicaux sans s'assurer que les exigences établies par l'article 6, paragraphe 3, de la directive 93-36 sont remplies. La République hellénique ne conteste pas que cette réglementation constitue une dérogation à l'obligation d'organiser une procédure d'adjudication dans un cas non visé par ladite disposition.
13 En second lieu, il ressort du silence de la République hellénique qu'elle ne conteste pas que la réglementation nationale litigieuse n'est pas conforme aux obligations découlant des règles fondamentales et des principes généraux du traité, en particulier l'égalité de traitement et l'obligation de transparence.
14 La République hellénique conclut néanmoins au rejet du recours, en faisant valoir que, dans le cadre de la réforme législative relative aux fournitures dans le domaine de la santé, un projet de loi incluant un article relatif à l'abrogation de l'article 7, paragraphe 2, de la loi 2955 va être déposé. Elle précise que le retard est dû aux modifications importantes apportées par ledit projet de loi, qui vise à créer un nouvel environnement juridique dans le domaine très sensible de la santé, et qui garantira tant l'achèvement sans obstacle des procédures de passation de marchés que l'approvisionnement régulier des hôpitaux en matériel indispensable de technique médicale.
15 À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé (arrêts du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, C-266-03, Rec. p. I-4805, point 36, et du 26 octobre 2006, Commission/Autriche, C-102-06, non publié au Recueil, point 8).
16 Or, la disposition litigieuse étant restée en vigueur à l'expiration du délai imparti dans l'avis motivé, le recours introduit par la Commission doit être considéré comme fondé.
17 Par conséquent, il convient de constater que, en maintenant en vigueur l'article 7, paragraphe 2, de la loi 2955 ainsi que les dispositions d'exécution des arrêtés ministériels conjoints DY6a/oik.38611 et DY6a/oik.38609, du 12 avril 2005, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 6, paragraphe 3, de la directive 93-36 ainsi que des principes généraux du traité, en particulier l'égalité de traitement et l'obligation de transparence.
Sur les dépens
18 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR (huitième chambre) déclare et arrête:
1) En maintenant en vigueur l'article 7, paragraphe 2, de la loi 2955-2001 relative aux "Fournitures des hôpitaux et autres unités de santé des régimes régionaux de santé et de prévoyance et autres dispositions" ainsi que les dispositions d'exécution des arrêtés ministériels conjoints DY6a/oik.38611 et DY6a/oik.38609, du 12 avril 2005, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 6, paragraphe 3, de la directive 93-36-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, telle que modifiée par la directive 2001-78-CE de la Commission, du 13 septembre 2003, ainsi que des principes généraux du traité, en particulier l'égalité de traitement et l'obligation de transparence.
2) La République hellénique est condamnée aux dépens.