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Décisions

CJCE, 2e ch., 18 décembre 2007, n° C-436/06

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Per Grønfeldt, Tatiana Grønfeldt

Défendeur :

Finanzamt Hamburg - Am Tierpark

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Timmermans

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Bay Larsen, Schiemann, Kuris, Mme Toader

CJCE n° C-436/06

18 décembre 2007

LA COUR (deuxième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 56 CE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. et Mme Grønfeldt au Finanzamt Hamburg - Am Tierpark (ci-après le "Finanzamt") au sujet de l'imposition en Allemagne de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession de participations dans deux sociétés de capitaux de droit danois.

Le cadre juridique national

3 Ainsi qu'il ressort de la décision de renvoi, l'article 17 de la loi sur l'impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz), dans sa version résultant de la loi du 24 mars 1999 (BGBl. 1999 I., p. 402), comptait au nombre des revenus d'activité professionnelle, notamment, la plus-value de cession de parts de sociétés de capitaux lorsque, au cours des cinq années antérieures, le cédant avait participé, directement ou indirectement, au capital social de manière significative, à savoir à hauteur d'au moins 10 %.

4 En vertu de l'article 17 de la loi sur l'impôt sur le revenu, telle que modifiée par la loi de réduction de l'impôt 2001/2002 (Steuersenkungsgesetz 2001/2002), du 23 octobre 2000 (BGBl. 2000 I, p. 1433, ci-après l'"EStG nouvelle version"), constituait également un revenu d'activité professionnelle la plus-value de cession de parts d'une société de capitaux lorsque, au cours des cinq années antérieures, le cédant avait participé, directement ou indirectement, au capital social à hauteur d'au moins 1 %.

5 Il résulte des dispositions d'application de l'article 17 de l'EStG nouvelle version, à savoir les articles 52, paragraphe 1, de l'EStG nouvelle version et 52, paragraphe 34a, de la loi sur l'impôt sur le revenu, telle que modifiée par la loi fiscale d'arrondi des montants en euros (Steuer-Euroglättungsgesetz), du 19 décembre 2000 (BGBl. 2000 I., p. 1790), que, lors de la cession de parts de sociétés qui ne sont pas totalement assujetties à l'impôt sur les sociétés, et donc notamment lors de la cession de participations détenues dans une société de capitaux étrangère, l'article 17 de l'EStG nouvelle version était applicable dès l'exercice fiscal 2001, indépendamment de toute autre condition. Quant à la cession de parts de sociétés totalement assujetties à l'impôt sur les sociétés, ce qui est la règle pour les sociétés de droit allemand, l'article 17 de l'EStG nouvelle version n'était applicable qu'à partir de l'exercice fiscal 2002, les plus-values de cessions réalisées durant l'année 2001 n'étant dès lors imposables que si le cédant avait eu une participation d'au moins 10 % au capital social.

Le litige au principal et la question préjudicielle

6 Il ressort de la décision de renvoi que M. Grønfeldt participait en tant qu'actionnaire au capital social de deux sociétés de droit danois, Navision Software A/S et WISEhouse Denmark A/S, à hauteur respectivement de 2,1 % et de 2,5 %.

7 En 2001, il a cédé une grande partie de ces participations. Ce faisant, il a ainsi réalisé une plus-value sur la cession des parts détenues dans la société Navision Software A/S et une moins-value modérée sur celle des parts détenues dans la société WISEhouse Denmark A/S.

8 Dans le relevé de l'impôt sur le revenu, daté du 10 avril 2003, le Finanzamt a retenu, conformément à l'article 17 de l'EStG nouvelle version, après avoir compensé la plus-value et la moins-value résultant desdites cessions, une plus-value de cession s'élevant à 2 021 287 DM. Le recours administratif subséquent intenté par les époux Grønfeldt à l'encontre de cette imposition a été rejeté.

9 Les époux Grønfeldt ont alors contesté ladite imposition devant la juridiction de renvoi.

10 Selon eux, imposer les bénéfices réalisés lors de la cession de participations détenues dans une société de capitaux étrangère, lorsque la participation au capital social de cette société atteint au moins 1 %, et imposer ceux réalisés lors de la cession de participations détenues dans une société de capitaux allemande, lorsque la participation au capital social atteint 10 %, constitue une différence de traitement qui viole, notamment, le principe de la libre circulation des capitaux prévu à l'article 56 CE.

11 La juridiction de renvoi fait siens les doutes, exprimés par le Bundesfinanzhof dans l'ordonnance VIII B 107-04, du 14 février 2006, sur la compatibilité de l'article 17 de l'EStG nouvelle version avec le principe de la libre circulation des capitaux.

12 Considérant que la solution du litige dont il est saisi exige l'interprétation du droit communautaire, le Finanzgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Le fait que le bénéfice tiré de la cession de parts sociales dans une société de capitaux étrangère soit immédiatement imposable en 2001, dès lors que, au cours des cinq années antérieures, le cédant avait, directement ou indirectement, une participation d'au moins 1 % au capital de la société, alors même que le bénéfice tiré de la cession - dans les mêmes conditions - de parts sociales d'une société de capital (allemande) pleinement soumise à l'impôt sur les sociétés n'était imposable en 2001 qu'en cas de participation significative d'au moins 10 %, est-il compatible avec l'article 56 CE, relatif à la libre circulation des capitaux?"

Sur la question préjudicielle

13 Ainsi qu'il ressort de la décision de renvoi, en 2001, les plus-values de cession de parts de sociétés de capitaux étrangères étaient imposables dès que la participation au capital social atteignait 1 %. Pour la même année, au contraire, et dans des conditions identiques par ailleurs, les plus-values de cession de parts de sociétés de capitaux de droit national n'étaient imposables que lorsque cette participation atteignait 10 %.

14 Or, une telle différence de traitement en fonction du lieu d'investissement des capitaux a pour effet de dissuader un actionnaire d'investir ses capitaux dans une société établie dans un autre État et produit également un effet restrictif à l'égard des sociétés établies dans d'autres États en ce qu'elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux en Allemagne (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C-446-04, Rec. p. I-11753, point 166).

15 Peu importe, à cet égard, que la différence de traitement n'ait existé que pendant une période limitée dans le temps. En effet, cette seule circonstance n'empêche pas que la différence de traitement produise des effets importants, comme le démontrent d'ailleurs les faits au principal, et que, dès lors, l'entrave à la libre circulation des capitaux soit réelle.

16 Pour qu'une telle différence de traitement soit compatible avec les dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des capitaux, il faut qu'elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu'elle soit justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général (arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 167).

17 Selon le Finanzamt et le Gouvernement allemand, la différence de traitement en cause au principal est un élément d'un régime transitoire, pour la mise en place duquel un État membre devrait pouvoir disposer d'une certaine marge de manœuvre, ayant pour objectif d'instaurer, à long terme, la compatibilité du régime de l'impôt sur les sociétés allemand avec le droit communautaire et de supprimer d'éventuelles discriminations. Plus particulièrement, afin qu'une charge fiscale identique pèse sur les investissements réalisées en Allemagne et sur ceux réalisés à l'étranger, il a été procédé, dans le régime de l'impôt sur les sociétés allemand, au remplacement de la procédure de déduction intégrale par celle de l'abattement de 50 % des revenus.

18 S'agissant de la procédure de déduction intégrale, selon le Gouvernement allemand, une société de capitaux était en principe imposée à 40 %. Le bénéfice qu'elle distribuait à ses actionnaires n'était imposé qu'à 30 %. L'actionnaire devait une nouvelle fois acquitter l'impôt sur le revenu sur les bénéfices distribués, en fonction de son taux d'imposition personnel. Il pouvait cependant déduire en totalité de sa dette d'impôt personnelle l'impôt sur les sociétés déjà acquitté en Allemagne par la société de capitaux. Une double imposition des bénéfices était ainsi évitée.

19 Pour ce qui concerne, en revanche, la procédure de l'abattement de 50 % des revenus, selon ce même gouvernement, la société de capitaux n'est plus imposée sur ses bénéfices, pour les exercices ouverts après le 31 décembre 2000, qu'au taux uniforme de 25 %, indépendamment de la question de savoir si elle distribue ou non le bénéfice réalisé à ses actionnaires. L'actionnaire qui perçoit un dividende ne peut plus déduire l'impôt sur les sociétés. Toutefois, il ne doit plus déclarer que la moitié des dividendes au titre des revenus du capital, l'autre moitié étant exonérée d'impôt. Ce régime affecte d'une façon parallèle l'imposition des dividendes et celle des plus-values de cession.

20 Toujours selon ce même gouvernement, dans le cadre de la procédure de l'abattement de 50 % des revenus, l'imposition intégrale des bénéfices d'une société de capitaux ne serait possible, contrairement au cas de la procédure de déduction intégrale, dans lequel l'imposition intégrale a déjà lieu au niveau de la société, qu'en combinant l'imposition des bénéfices au niveau de la société et l'imposition de la moitié des dividendes au niveau de l'actionnaire.

21 Cette combinaison, qui garantit, selon le Gouvernement allemand, une imposition complète, serait perturbée si le pourcentage de participation au capital social, qui entraîne l'assujettissement à l'impôt en cas de cession des parts, était resté fixé à 10 %, sans modification. Dans ce cas, l'actionnaire détenant une participation de moins de 10 % pourrait en effet la céder en exonération d'impôt, le cas échéant, après que la société a thésaurisé pendant plusieurs années des bénéfices non distribués.

22 Le Finanzamt et le Gouvernement allemand précisent encore que c'est en principe à partir de l'année 2001 que le nouveau régime lié à la procédure de l'abattement de 50 % des revenus est entré en application au niveau de la société qui distribue des bénéfices. Cependant, au niveau de l'actionnaire, la procédure de déduction intégrale a encore été applicable pendant l'année 2001 si les gains des dividendes provenaient de distributions ordinaires de bénéfices d'une société résidente pour l'année 2000. En revanche, pour les bénéficiaires de dividendes étrangers, la procédure de l'abattement de 50 % des revenus a été appliquée sans phase de transition, ceux-ci ne bénéficiant pas, selon le droit précédemment applicable, de la procédure de déduction intégrale.

23 À cet égard, s'agissant de la question de savoir si une différence de traitement, telle que celle en cause au principal, concerne des situations qui sont objectivement comparables, il y a lieu de comparer la situation dans laquelle se trouvait, en 2001, un actionnaire ayant des parts dans une société non-résidente à celle dans laquelle se trouvait, au cours de cette même année, un actionnaire ayant des parts dans une société résidente. N'est donc pas pertinente, contrairement à ce que suggère le Gouvernement allemand, une comparaison entre la situation dans laquelle se trouvait un actionnaire ayant des parts dans une société non-résidente avant l'année 2001 et celle, prétendument plus favorable, dans laquelle il se trouvait à partir de cette même année.

24 Or, la procédure de l'abattement de 50 % des revenus étant précisément introduite, aux dires du Gouvernement allemand lui-même, pour supprimer d'éventuelles discriminations entre des investissements dans des sociétés résidentes et des investissements dans des sociétés non- résidentes, il n'apparaît pas contestable que les actionnaires de ces deux catégories de sociétés se trouvent, en ce qui concerne l'application d'un seuil d'imposition dans un contexte tel que celui de l'affaire au principal, dans une situation objectivement comparable.

25 Il convient donc d'examiner si une différence de traitement, telle que celle en cause au principal, est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.

26 S'agissant, en premier lieu, de l'argument relatif à la nécessité de garantir une imposition intégrale, il y a lieu de constater que celui-ci s'apparente à un argument fondé sur la cohérence du régime fiscal.

27 Or, comme le relève également le Bundesfinanzhof dans son ordonnance VIII B 107-04, à laquelle se réfère la juridiction de renvoi, une différence de traitement, telle que celle en cause au principal, n'apparaît pas justifiée par la nécessité d'assurer la cohérence du régime fiscal, dès lors qu'il n'existe pas, pour un actionnaire, tel que M. Grønfeldt, de lien direct entre un avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir, en ce sens, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen, C-319-02, Rec. p. I-7477, point 42, et du 6 mars 2007, Meilicke e.a., C-292-04, Rec. p. I-1835, point 26).

28 Par ailleurs, l'argument de l'imposition intégrale permet, certes, de comprendre la raison pour laquelle le nouveau régime lié à la procédure de l'abattement de 50 % des revenus n'a été introduit qu'en 2002 pour les actionnaires ayant des parts dans une société résidente. En effet, ce type de sociétés ayant encore été soumis durant l'année 2000 à l'impôt sur les bénéfices dans le cadre de l'ancienne procédure de déduction intégrale, une "imposition intégrale", telle que visée par le Gouvernement allemand, a, de ce fait, eu lieu s'agissant des dividendes distribués en 2001. Toutefois, ce même argument ne saurait être considéré comme pertinent pour expliquer la façon dont un actionnaire ayant des parts dans une société non résidente a été traité pendant l'année 2001. Dans un tel cas, l'"imposition intégrale", telle que visée par le Gouvernement allemand, ne peut, en tout état de cause, être atteinte, les bénéfices de la société non-résidente étant imposés dans un autre État membre.

29 Cette interprétation n'est pas affectée par la circonstance, à laquelle se réfère le Gouvernement allemand, selon laquelle l'actionnaire concerné pourrait céder sa participation après que la société a thésaurisé pendant plusieurs années des bénéfices non distribués. En effet, que les bénéfices soient thésaurisés ou non, il est impossible, dans le cas d'un actionnaire, comme M. Grønfeldt, d'aboutir à l'"imposition intégrale", telle que visée par le Gouvernement allemand.

30 Il ne ressort donc pas du dossier soumis à la Cour que la décision de prendre, en 2001, comme critère la détention de 1 % du capital social d'une société non-résidente plutôt que 10 % de cette même participation pour fixer le seuil d'imposition des plus-values réalisées par un actionnaire était nécessaire pour garantir cette "imposition intégrale".

31 Il résulte de ce qui précède qu'une différence de traitement, telle que celle en cause au principal, ne peut être considérée comme étant justifiée par la nécessité d'assurer la cohérence du régime fiscal.

32 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l'argument selon lequel un État membre, ayant pour objectif d'instaurer, à long terme, la compatibilité du régime de l'impôt sur les sociétés national avec le droit communautaire et de supprimer d'éventuelles discriminations, doit pouvoir disposer d'une certaine marge de manœuvre dans la mise en place d'un régime transitoire, il y a lieu de rappeler que cette marge de manœuvre trouve toujours ses limites dans le respect des libertés fondamentales et, pour ce qui concerne, en particulier, l'affaire au principal, dans celui de la libre circulation des capitaux.

33 Or, même si un régime transitoire, tel que celui en cause au principal, peut, pour ce qui concerne l'imposition des bénéfices réalisés lors de la cession de participations dans des sociétés résidentes, se comprendre par un souci légitime d'assurer une transition sans rupture du régime antérieur vers le nouveau régime, une telle circonstance ne permet pas, à elle seule, de justifier une différence de traitement, telle que celle en cause au principal, au détriment de l'imposition des bénéfices réalisés lors de la cession de participations dans des sociétés non-résidentes.

34 Il ressort donc du dossier soumis à la Cour qu'une différence de traitement, telle que celle en cause au principal, n'apparaît pas justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général.

35 Par conséquent, il convient de répondre à la question posée que l'article 56 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, par laquelle le bénéfice tiré de la cession de parts sociales dans une société de capitaux établie dans un autre État membre est immédiatement imposable en 2001, dès lors que, au cours des cinq années antérieures, le cédant avait, directement ou indirectement, une participation d'au moins 1 % au capital de la société, alors même que le bénéfice tiré de la cession, dans les mêmes conditions, de parts sociales d'une société de capitaux établie dans ce premier État membre pleinement soumise à l'impôt sur les sociétés n'était imposable en 2001 qu'en cas de participation significative d'au moins 10 %.

Sur les dépens

36 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, LA COUR (deuxième chambre) dit pour droit:

L'article 56 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause au principal, par laquelle le bénéfice tiré de la cession de parts sociales dans une société de capitaux établie dans un autre État membre est immédiatement imposable en 2001, dès lors que, au cours des cinq années antérieures, le cédant avait, directement ou indirectement, une participation d'au moins 1 % au capital de la société, alors même que le bénéfice tiré de la cession, dans les mêmes conditions, de parts sociales d'une société de capitaux établie dans ce premier État membre pleinement soumise à l'impôt sur les sociétés n'était imposable en 2001 qu'en cas de participation significative d'au moins 10 %.