CA Aix-en-Provence, 8e ch. B, 13 janvier 2006, n° 03-18147
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
MAAT (SARL)
Défendeur :
Asensio
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cadiot
Conseillers :
M. Astier, Mme Bourrel
Avoués :
Me Jauffres, SCP Bottai-Gereux-Boulan
Avocats :
Mes Chambarlhac, Hage, SCP Robert, SCP Breu-de Villepin
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
Madame Soledad Asensio a conclu le 1er mai 1999 avec la SARL MAAT, exploitant à Aix-en-Provence une agence immobilière sous l'enseigne " Acanthimmo ", un contrat d'agent commercial remplacé le 23 août suivant par une nouvelle convention au même objet.
Le 25 avril 2000 la SARL MAAT lui a adressé un courrier recommandé avec demande d'avis de réception pour mettre en œuvre la faculté de résiliation unilatérale sous préavis d'un mois prévue au contrat mais s'est ravisée et les parties ont formalisé le 24 mai 2000 un protocole d'accord annulant le courrier de résiliation et maintenant les conditions du contrat "du 29 août 1999" (en réalité du 23).
Ensuite de ce protocole l'agent a poursuivi son mandat jusqu'à la fin du premier semestre de l'année 2000 où les parties se sont séparées "compte tenu de la dégradation des rapports professionnels" selon Madame Asensio.
Par exploit du 20 février 2001 Madame Soledad Asensio a assigné la SARL MAAT devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en paiement de rappels de primes et de commissions, d'une contrepartie financière à la clause contractuelle de non-concurrence ainsi que de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral.
La juridiction saisie a commis Monsieur Jean Avier en qualité d'expert lui donnant, pour l'essentiel, mission d'apurer les comptes entre les parties et celui-ci a dressé son rapport le 31 janvier 2003.
Par jugement contradictoire du 8 septembre 2003, assorti de l'exécution provisoire excepté sur ses dispositions tenant à l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux dépens, le tribunal consulaire, homologuant le rapport d'expertise et rejetant les demandes contraires, a condamné la SARL MAAT à payer à Madame Asensio les sommes de 1 829,39 euro de solde de commissions, de 2 035,96 euro de primes de banque et de 38 898,63 euro d'indemnité de clause de non-concurrence avec intérêts légaux sur ces sommes décomptés depuis la date d'assignation, outre au paiement d'une somme de 750 euro au titre de l'article 700 du NCPC et aux dépens.
Aux termes de ses écritures dernières en date, ici tenues pour expressément reprises, notifiées le 11 août 2005 et déposées le 12 au soutien de l'appel qu'elle a interjeté de ce jugement par déclaration enregistrée céans le 6 octobre 2003, la SARL MAAT fait valoir pour l'essentiel :
que Madame Asensio ne rapporte pas la preuve des créances dont elle sollicite le paiement, l'avis contraire de l'expert, fut-il judiciaire, étant sans emport dès lors qu'il ne repose sur aucun élément matériel;
que la vente Krach/Mazy a été négociée par le seul directeur de l'agence Acanthimmo;
que l'obtention d'une offre d'achat dans la négociation Artaud/Simonetti ne suffit pas à caractériser la réalisation de la vente qui seule ouvre droit à commission;
que sur cette affaire la concluante a proposé par souci de loyauté une commission de 15 % que Madame Asensio a refusée;
que l'expert a néanmoins fondé son calcul sur cette proposition devenue caduque;
qu'alors que le premier contrat permettait à Madame Asensio, en cas d'acceptation d'un dossier de prêt constitué par ses soins, de bénéficier de 50 % de la prime rétrocédée par la banque à l'agence, le second ne lui concédait qu'une prime de 762,26 euro si deux ventes étaient réalisées au cours du même mois calendaire;
qu'aucun justificatif n'est fourni pour la première période et que la preuve de deux ventes au cours d'un même mois n'est pas rapportée pour la seconde;
que l'exigence d'une contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence résulte d'une jurisprudence nouvelle de la chambre sociale de la Cour de cassation matérialisée par trois arrêts du 10 juillet 2002 mais que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail mais par un mandat d'agent commercial;
qu'en outre l'obligation de non-concurrence a expiré en juin 2001;
que l'atteinte à la liberté d'exercer est demeurée sans conséquences pour Madame Asensio;
qu'en tout état de cause la contrepartie de la clause de non-concurrence ne saurait être égale à deux ans de commissionnement comme l'expert l'a déterminée par confusion avec l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce alors que Madame Asensio a pris l'initiative de la rupture;
que Madame Asensio qui n'invoque contre la concluante aucun fait vexatoire ne peut prétendre à réparation d'un préjudice moral;
qu'au contraire de ce qu'elle soutient elle n'a bénéficié d'aucune proposition d'association dont la concluante se serait dédite.
Elle demande à la cour de :
"... Confirmer partiellement le jugement dont appel, seulement en ce qu'il a débouté Madame Asensio de sa demande de commission relative à l'affaire Krach/Mazy,
Infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions,
Débouter Madame Asensio de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
La débouter de son appel reconventionnel,
Subsidiairement,
Ramener à de plus justes proportions la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence compte tenu de la faiblesse de l'atteinte au droit de l'intimée d'exercer une activité professionnelle,
Condamner Madame Asensio à rembourser à la société MAAT les sommes versées par celle-ci au titre de l'exécution provisoire, avec intérêts de droit, à compter de chacun des règlements.
En toutes hypothèses,
Condamner Madame Asensio à payer à la société MAAT la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure [civile], ainsi qu'aux entiers dépens, ..."
Aux termes de ses écritures dernières en date, ici tenues pour expressément reprises, notifiées et déposées le 4 novembre 2005 Madame Soledad Asensio soutient pour l'essentiel :
que le droit à commission sur la vente Cracq est établi par l'attestation de Madame Dilmi qui contredit l'attestation de complaisance de l'acquéreur ainsi qu'au travers de la carence de l'agence, dépositaire du bon de visite et de la promesse d'achat, qui n'a jamais communiqué ces documents à l'expert;
que la réalité de l'intervention de la concluante dans la vente Simonetti est reconnue par l'agence elle-même dans son courrier daté du 23 août 2000 envoyé le 31 août;
qu'en dépit des demandes de l'expert l'agence n'a pas produit les relevés des commissions bancaires versées par l'UCB pour la période de mai à août 1999 ni la copie des compromis ou offres d'achat qu'elle seule détient de sorte que l'expert en a tiré les conséquences;
qu'en raison de la clause de non-concurrence, la concluante a dû domicilier son activité professionnelle sur Marseille ce qui l'oblige à 100 km de trajets par jour;
que l'agent commercial a droit à une indemnité forfaitaire calculée sur la base des résultats obtenus durant le contrat;
que cette indemnité doit lui octroyer le manque à gagner consécutif à la rupture des relations contractuelles durant la période nécessaire à la reconstitution d'une clientèle;
que la somme calculée par l'expert obéit à cette logique quelle que soit la qualification qui lui est donnée
que la SARL MAAT a utilisé le savoir-faire de la concluante en matière de montage de financement des ventes puis s'est désengagée en la licenciant sans motif apparent le 25 avril 2000 soit 16 mois après son entrée ce qui justifie la demande de préjudice moral.
Elle demande à la cour de:
"Confirmer le jugement dont appel.
En conséquence
Condamner la SARL MAAT à payer à Madame Asensio la somme de 3 658,78 euro au titre des commissions dues à Mme Asensio.
La condamner à payer la somme de 2 035,96 euro au titre des primes de banque.
La condamner à payer la somme de 38 898,63 euro au titre de l'indemnisation du chef de la clause de non-concurrence, toutes [ces] sommes portant intérêt au taux légal à compter du 20 février 2001 date de l'assignation introductive d'instance.
Condamner la SARL MAAT à payer à Madame Asensio la somme de 4 500 euro au titre du préjudice moral.
Condamner la SARL MAAT à payer à Madame Asensio la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La condamner aux entiers dépens de l'instance... "
Le jugement déféré a fait l'objet d'une demande d'arrêt d'exécution provisoire que le Premier président de la cour de céans a rejeté par ordonnance du 7 mai 2004.
Motifs de la décision
Sur les ventes commissionnées
Par un courrier du 23 août 2000 ne faisant état d'aucune teneur transactionnelle la société MAAT a notifié à Madame Asensio la vente Jacquard/Simonetti au rang des ventes abouties. En voulant réduire à 15 % au lieu de 30 % le taux de la commission au prétexte que la prestation de l'agent, limitée à l'obtention de la souscription d'une offre d'achat, serait incomplète alors pourtant que le contrat du 23 août 1999 précise (deuxième page) que la mission de l'agent ne réside que dans l'obtention de l'offre d'achat qui est ensuite transférée pour concrétisation au responsable de l'agence, la société MAAT enfreint donc de manière manifeste les dispositions contractuelles.
Madame Asensio soutient avoir obtenu la souscription de l'offre d'achat de la vente Krach/succession Mazzi. Or la SARL MAAT a produit un compromis de vente sous condition suspensive mentionnant que le directeur d'agence Monsieur Rutigliano a rédigé et négocié la convention et mis les parties en présence. Il est à noter que ces mentions, excepté celle du nom de l'opérateur, sont pré-imprimées sur le formulaire de compromis de vente. Elles constituent donc une clause de style qui ne suffit pas à établir les circonstances du contact commercial, de la visite des lieux ainsi que de la souscription ou non d'une offre d'achat préalable à l'établissement du compromis. Une demoiselle Massiba Dilmi, ancienne secrétaire salariée de l'agence et en conflit avec celle-ci, atteste de manière circonstanciée (date, personnages en présence) avoir photocopié l'offre d'achat que Madame Asensio, qui avait suivi l'affaire, aurait obtenue de Madame Krach (qu'elle orthographie Crach). Le fait que Madame Asensio ait suivi cette affaire est corroboré par l'attestation délivrée par le couple Barbara Schneider et Olivier Garreau qui avaient signé une offre d'achat de l'appartement Mazzi mais n'ont pu la concrétiser par suite d'un refus de crédit. Cette attestation est exempte de suspicion de partialité circonstancielle et sa réunion avec la déclaration précédente démontre l'implication de Madame Asensio dans la recherche d'un acquéreur pour l'appartement Mazzi. La SARL MAAT détient les bons de visite qui nécessairement font partie de ses archives professionnelles et qui, seuls, pourraient administrer la preuve contraire mais elle ne les produit pas, se contentant de se retrancher derrière les déclarations de Madame Krach. En cet état, la commission sollicitée sera allouée à Madame Asensio au contraire du calcul opéré par l'expert et le total des commissions revenant à l'agent s'établit donc à 3 658,78 euro.
Sur les primes bancaires
Il résulte de l'article 11 du NCPC que les parties doivent apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus.
Un courrier de l'UCB répondant en date du 6 mars 2002 aux demandes de Madame Asensio précise que cet organisme de financement :
pratique un partenariat avec l'agence Acanthimmo qu'il rémunère par un commissionnement de 125 % de la commission de base dès lors que trois dossiers ont été signés dans le semestre;
a pour unique interlocuteur Monsieur Rutigliano;
a financé les cinq dossiers de vente cités par Madame Asensio dans sa demande.
En cet état, l'expert qui a vainement sollicité de la SARL MAAT qui le détient le relevé des commissions bancaires que lui a versées l'UCB a justement retenu le décompte proposé par Madame Asensio soit 1 124,31 euro.
De même il a justement retenu la somme de 9 111,65 euro applicable au financement des ventes Jacquard/Simonetti et Artaud/Rambaud, Madame Asensio soutenant que ces deux ventes avaient été réalisées dans le même mois et la SARL MAAT, qui détient les documents contractuels permettant de dater la réalisation de ces ventes, ne les ayant pas fournis à l'expert malgré sa demande.
Sur l'indemnisation de la clause de non-concurrence et de la rupture
Les dispositions du Code de commerce ne prévoient pas que l'indemnisation de l'obligation de non-concurrence impartie à l'agent commercial soit distincte de l'indemnité de cessation du contrat d'agence prévue par les articles L. 134-12 et L. 134-13 de ce code. Ces dispositions sont en concordance de la directive n° 86-653 du Conseil de l'Europe en date du 18 décembre 1986 relative aux agents commerciaux dont les termes de l'article 17, 2°, a) renvoient à la compétence des Etats membres l'intégration ou non de la clause de non-concurrence dans le calcul de l'indemnité de cessation de contrat.
En l'espèce Madame Asensio indique simplement dans ses écritures que son départ est consécutif à une "dégradation des rapports professionnels" mais ne rapporte pas la preuve d'avoir été contrainte à celui-ci alors d'une part que la SARL MAAT soutient que ce départ est volontaire et qu'il est d'autre part constant que le contrat du 23 août 1999 s'est poursuivi après que les parties aient annulé la lettre de rupture du 25 avril 2000 en concluant un accord synallagmatique le 24 mai 2000. Le caractère volontaire du départ de Madame Asensio ne lui permet donc pas de solliciter d'indemnité fut-elle fondée sur l'existence d'une clause de non-concurrence qu'elle a respectée dès lors que cette clause, conforme par ses limites dans l'espace (rayon de 15 km) et le temps (deux ans) au Code de commerce et à la directive européenne sus-évoqués, n'a créé aucune sujétion abusive.
Sur l'indemnisation d'un préjudice moral
Madame Asensio ne rapporte pas la preuve d'un comportement vexatoire de la SARL MAAT s'ajoutant au conflit d'intérêt qui les oppose. Si une association avait été envisagée entre les parties elle ne s'est jamais concrétisée et les conventions qu'elles ont librement conclues ont fondé leur relation sur une autre base clairement identifiée. La preuve d'une promesse non-tenue n'est donc pas davantage rapportée. À bon droit les premiers juges ont donc rejeté la demande présentée au titre de l'indemnisation d'un préjudice moral.
Sur l'article 700 du NCPC et les dépens
Madame Asensio à laquelle la SARL MAAT refusait des rémunérations acquises a justement esté en justice même si l'ensemble de ses demandes n'a pas été accueilli. La SARL MAAT supportera les entiers dépens ainsi qu'une indemnité de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles du procès.
Sur les conséquences de l'exécution provisoire
L'arrêt de réformation fonde la créance de reversement des sommes payées en excédent au titre de l'exécution provisoire. Il en résulte que les intérêts légaux ne sont dus sur ces sommes qu'à compter de la signification de l'arrêt considéré.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort, Réforme la décision entreprise et, statuant à nouveau, Condamne la SARL MAAT à payer à Madame Soledad Asensio les sommes de 3 658,78 euro au titre des commissions dues et de 2 035,96 euro au titre des primes de banque avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2001, date de l'acte introductif d'instance ainsi que celle de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC; Rejette toute autre demande; Dit que les sommes payées en excédent au titre de l'exécution provisoire de la décision réformée seront remboursées à la SARL MAAT et porteront intérêt au taux légal à compter de la signification du présent arrêt; Condamne la SARL MAAT aux dépens dont la distraction est autorisée, s'il échet, au profit de la SCP d'avoués Bottai, Gereux, Boulan pour la part dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.