CA Paris, 4e ch. B, 20 octobre 2006, n° 05-03737
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bag on Line (SARL), Fashion Red (SARL)
Défendeur :
Louis Vuitton Malletier (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
Me Couturier, SCP Menard-Scelle-Millet
Avocats :
Mes Lam, de Candé
LA COUR est saisie d'un appel interjeté par la société Bag on Line SARL d'un jugement contradictoire rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 21 janvier 2005 dans un litige l'opposant aux côtés de la société Fashion Red SARL à la société Louis Vuitton Malletier SA (ci-après dénommé LVM).
Il sera rappelé que:
- la société LVM est titulaire de deux marques semi-figuratives dites " toile monogram ", l'une déposée le 7 juillet 1989, enregistrée sous le n° 1 540 177, l'autre, déposée le 5 avril 1979 enregistrée sous le n° 1 498 338, notamment pour désigner des sacs à main et des produits en cuir et imitation du cuir, marques régulièrement renouvelées,
- informée par les services douaniers de Marseille de la retenue, le 17 février 2004, de 525 articles de maroquinerie, elle a fait procéder, après y avoir été autorisée, à une saisie réelle de 52 sacs, les 26 et 27 février 2004 et a appris que les produits en cause étaient vendus par la société Bag on Line à la société Fashion Red.
C'est dans ces circonstances qu'elle a fait assigner, par acte du 11 mars 2004, ces deux sociétés en contrefaçon sur le fondement de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle et en concurrence déloyale pour obtenir paiement de dommages et intérêts et des mesures d'interdiction, de confiscation et de publication.
Les sociétés Fashion Red et Bag on Line avaient contesté l'existence de la contrefaçon et de la concurrence déloyale ainsi que le quantum du préjudice. La société Fashion Red avait demandé en outre la restitution des produits saisis.
Par le jugement entrepris, le tribunal a:
- dit qu'en offrant à la vente et en commercialisant des sacs à main reprenant les éléments essentiels des marques n° 1540177 et 1 498 338 dont la société LVM est titulaire, les sociétés Fashion Red et Bag on Line ont commis des actes de contrefaçon par imitation de ces marques,
- interdit à ces sociétés la poursuite de ces agissements sous astreinte de 150 euro par infraction constatée passé le délai de quinze jours à compter de la signification de la décision,
- condamné in solidum les sociétés Fashion Red et Bag on Line à payer à la société LVM à titre de dommages et intérêts les sommes de 45 000 euro au titre de la contrefaçon et de 25 000 euro au titre de la concurrence déloyale ainsi que la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonné la confiscation au profit de la société LVM de l'ensemble des produits ayant fait l'objet de la saisie des 26 et 27 février 2004 et ce, en vue de leur destruction sous contrôle d'huissier,
- autorisé la société LVM à faire publier le dispositif de la présente décision dans trois revues, journaux et périodiques de son choix et aux frais des défenderesses, sans que le coût total de ces insertions n'excède, à la charge de celles-ci, la somme de 10 500 euro,
- rejeté le surplus des demandes,
- ordonné l'exécution provisoire en ce qui concerne la mesure d'interdiction,
- condamné in solidum les sociétés Fashion Red et Bag on Line aux dépens.
Appelante, la société Bag on Line et la société Fashion Red, intimée mais également appelante incidente, demandent à la cour, par écritures communes du 17 juin 2005, d'infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau de:
- dire qu'il n'existe aucun acte de contrefaçon et de concurrence déloyale,
- en conséquence déclarer la société LVM mal fondée en l'ensemble de ses demandes et l'en débouter,
- subsidiairement, constater l'absence de justification des préjudices allégués ainsi que l'absence de tout lien de causalité entre la faute et les préjudices allégués,
- à titre infiniment subsidiaire, limiter le quantum des dommages et intérêts aux préjudices réellement subis,
- condamner la société LVM à verser à la société Bag on Line la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés par Maître Luc Couturier, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Par écritures du 24 octobre 2005, LVM conclut à la confirmation du jugement, prie la cour de dire que les publications judiciaires ordonnées tiendront compte de l'arrêt et de condamner la société Bag on Line à lui verser la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Menard et Scelle Millet conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR:
Sur la contrefaçon des marques invoquées
Considérant que le jugement est essentiellement critiqué par les sociétés Bag on Line et Fashion Red aux motifs que le tribunal s'est "borné à considérer qu'il existait un risque de confusion sans pour autant analyser les différences mises en évidence [...] entre les modèles protégés et les sacs prétendument contrefaits" alors que:
- les lettres "DD" présentes sur les sacs litigieux se distinguent nettement du signe semi-figuratif "LV" des marques, ces lettres étant en outre non pas enchevêtrées mais superposées,
- les lettres LV des deux marques constituent l'élément essentiel de celles-ci, qui n'est pas reproduit,
- les signes figuratifs ne sont pas similaires et ne sont pas présentés selon une alternance identique;
Que selon elles, ces éléments conduisent à l'absence de tout risque de confusion;
Considérant, cela exposé, que pour apprécier l'existence d'un risque de confusion entre les marques invoquées et les articles litigieux, il convient de tenir compte de l'impression globale existant entre les signes en prenant en compte notamment la proximité des produits ainsi que de la connaissance de la marque sur le marché; que le risque de confusion doit s'apprécier non pas au regard des différences de détail mais des ressemblances d'ensemble;
Considérant qu'en l'espèce, si les signes reproduits sur les produits incriminés comportent des différences avec les marques, celles-ci n'altèrent nullement, comme l'ont dit exactement les premiers juges, la ressemblance d'ensemble entre les signes, en raison de l'impression visuelle identique d'alternance de figures géométriques comportant des pétales de fleurs et des lettres certes non identiques mais représentées de même manière, étant partiellement entrelacées ; qu'il est constant que les marques invoquées sont notoires et que les produits en cause sont identiques; que c'est donc par des motifs pertinents que la cour fait siens et qui ne sont pas modifiés par l'argumentation soutenue en appel que les premiers juges ont retenu que les sociétés Bag on Line et Fashion Red avaient commis des actes de contrefaçon par imitation illicite en offrant en vente des sacs reproduisant des signes provoquant un risque de confusion avec les marques dont la société LVM est titulaire ; que le jugement sera confirmé;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que, selon l'appelante, les premiers juges ont condamné pour concurrence déloyale en retenant des faits identiques à ceux déjà invoqués au titre de la contrefaçon et qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision de ce chef; qu'elle fait, en outre, valoir que le tribunal a estimé qu'elles avaient voulu se placer dans le sillage de la société LVM et profiter de ses investissements publicitaires et de sa notoriété alors que les articles qu'elles vendent ne s'adressent pas à une clientèle de luxe, les produits étant vendus au prix unitaire de 4,78 euro ; que d'ailleurs, les produits en cause avaient déjà été contrôlés par le service des douanes du Val-de-Marne sans que des infractions aient été relevées;
Mais considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont retenu l'existence d'actes déloyaux distincts de ceux retenus au titre de la contrefaçon par la reprise d'une gamme de sacs comportant notamment une combinaison de couleurs identique à celle de la société LVM, le même aspect de grain de la matière, l'utilisation de fil de couleur jaune et d'une couleur plus foncée des parties latérales donnant le même aspect de brunissage ainsi qu'une forme identique; que, par ailleurs, même si, en raison du prix de vente très bon marché de leur produit, les appelantes s'adressent à une clientèle plus large que celle qui est susceptible d'acheter des produits de LVM, la clientèle est au moins partiellement commune; qu'au surplus partie de la clientèle de LVM a tendance à se détourner des produits de cette société, du fait de la présence sur le marché de produits similaires proposés à des prix très faibles ; que le jugement sera en conséquence confirmé;
Sur le préjudice
Considérant que les sociétés Bag on Line et Fashion Red soutiennent que la société LVM ne rapporte pas la preuve du préjudice réel et certain subi du fait des actes qui leur sont reprochés, qu'elle ne fournit aucun document susceptible de légitimer et de chiffrer son manque à gagner; qu'elles soulignent également qu'en matière de concurrence déloyale, un préjudice implique qu'il existe entre les parties un rapport de concurrence, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la clientèle n'étant pas identique, l'une s'adressant à une clientèle de luxe, les autres non; qu'il convient à tout le moins de limiter le montant des dommages et intérêts;
Mais considérant que pour apprécier le préjudice résultant de l'atteinte portée aux marques, le tribunal a pris en compte le préjudice résultant de l'atteinte portée à la valeur de la marque du fait des actes de contrefaçon et du manque à gagner lié à la commercialisation de sacs revêtus des signes litigieux ; que compte tenu de la notoriété des marques, la somme de 45 000 euro allouée à titre de dommages et intérêts est justifiée;
Considérant qu'en ce qui concerne la réparation du dommage causé par les actes de concurrence déloyale, LVM justifie d'un préjudice commercial certain en raison de l'imitation des produits eux-mêmes par les caractéristiques ci-dessus énoncées ; que ce préjudice a été exactement réparé par l'allocation de la somme de 25 000 euro ; que le jugement sera confirmé;
Considérant que le jugement sera également confirmé sur les mesures d'interdiction, de confiscation et de publication prononcées, étant seulement précisé que celles-ci tiendront compte du présent arrêt;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société LVM la somme de 4 000 euro pour les frais d'appel non compris dans les dépens;
Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Ajoutant, Dit que les mesures de publication tiendront compte du présent arrêt; Condamne la société Bag on Line SARL à payer à la société Louis Vuitton Malletier SA la somme complémentaire de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne aux entiers dépens; Autorise la SCP Menard et Scelle-Millet, avoué, à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.