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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 27 octobre 2006, n° 05-11150

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

André (SA), Diseno Magoblan (Sté)

Défendeur :

Bruno Frisoni (SAS), Frisoni

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

Mes Teytaud, SCP Bolling-Durand-Lallement

Avocats :

Mes Moatty, Narboni

TGI Paris, 3e ch. sect. 2, du 25 mars 20…

25 mars 2005

Monsieur Bruno Frisoni, se prévalant de droits d'auteur sur un modèle de chaussures pour femmes référencé SD050 par lui créé en 2001 a fait assigner le 17 octobre 2002 en contrefaçon et concurrence déloyale devant le Tribunal de grande instance de Paris la société anonyme André, en lui reprochant essentiellement d'avoir commercialisé un modèle "FFUEL" identique au sien, et celle-ci a attrait son fournisseur, la société de droit espagnol Diseno Magoblan, dans la cause, en laquelle est volontairement intervenue la SAS Bruno Frisoni.

Aux termes du jugement réputé contradictoire rendu le 25 mars 2005, aujourd'hui entrepris, ce tribunal (en sa 3e chambre 2e section) a notamment:

- déclaré M. Bruno Frisoni irrecevable en son action,

- dit qu'en ayant fourni et en détenant, offrant à la vente et vendant un modèle de chaussures sous l'appellation FFUEL reproduisant les caractéristiques du modèles d'escarpins commercialisé sous la référence SD050 par la société Bruno Frisoni, la société André et la société Diseno Magoblan ont porté atteinte aux droits patrimoniaux dont celle-ci est titulaire sur ledit modèle,

- dit qu'elles ont en outre commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Bruno Frisoni, en conséquence,

- interdit sous astreinte aux sociétés André et Diseno Magoblan la poursuite de ces agissements,

- condamné celles-ci in solidum à payer à la société Bruno Frisoni les sommes de 40 000 euro au titre de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux et 10 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale, outre la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné la société Diseno Magoblan à garantir la société André des condamnations qui précèdent,

- ordonné l'exécution provisoire du chef de la mesure d'interdiction.

Dans ses dernières conclusions, signifiées le 16 mars 2006, la société André, appelante, prie la cour de:

- réformer le jugement déféré,

- dire que M. Bruno Frisoni et la société Bruno Frisoni sont irrecevables en leur action en contrefaçon pour défaut de qualité à agir,

- subsidiairement, les débouter de l'ensemble de leurs prétentions,

- les condamner in solidum aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Selon leurs dernières conclusions, en date du 26 avril 2006, M. Bruno Frisoni et la société Bruno Frisoni, intimés et appelants incidents, invitent la cour à:

- débouter l'appelante de l'ensemble de ses prétentions.

- dire que la chaussure référencée FFUEL commercialisée par la société André constitue la reproduction servile du modèle d'escarpins référencé SD050 par eux créé, fabriqué et commercialisé,

- dire que l'appelante s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon à leur égard,

- lui faire injonction, sous astreinte, de produire divers documents,

- la condamner au paiement de la somme de 150 000 euro à titre de provision sur dommages-intérêts, pour contrefaçon,

- lui faire interdiction, sous astreinte, de fabriquer, faire fabriquer, exposer, vendre ou laisser circuler sur le territoire français, l'article contrefaisant,

- dire que l'appelante a porté atteinte au droit moral de M. Bruno Frisoni et la condamner à ce titre au paiement d'une somme de 50 000 euro de dommages-intérêts,

- dire que l'appelante s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'encontre de M. Bruno Frisoni et de la société Bruno Frisoni et la condamner au paiement de la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts,

- la condamner aux dépens, ainsi qu'à leur payer la somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Régulièrement appelée en cause d'appel, la société Diseno Magoblan, qui avait comparu en première instance, n'a pas constitué avoué.

Sur ce,

Sur la contrefaçon

Considérant que le tribunal a déclaré M. Bruno Frisoni irrecevable en son action en contrefaçon, mais a en revanche admis l'existence du droit d'agir de la société Bruno Frisoni sur ce fondement;

Que la société André soutient qu'ils sont l'un comme l'autre irrecevables à agir, rien ne prouvant en effet que le premier d'entre eux, nonobstant ce qu'il prétend, ait créé le modèle invoqué, et aucune cession de sa part, de droits sur le modèle litigieux à la société qui porte son nom, n'étant prouvée, ni d'ailleurs invoquée;

Mais considérant que si, comme l'a exactement relevé le tribunal, il n'est pas démontré par les pièces versées aux débats que M. Bruno Frisoni soit l'auteur du modèle d'escarpin auquel a été attribuée la référence SD050, il apparaît en revanche, qu'alors qu'il ne conteste pas quant à lui la recevabilité de l'action en contrefaçon engagée par la société Bruno Frisoni, celle-ci prouve, par la production tant d'extraits des magazines Jalouse et Marie-Claire, datés du mois de septembre 2001, que de factures de livraison émises sensiblement durant la même période, qu'elle a divulgué le modèle sous son nom et en a assuré la commercialisation;

Que le jugement attaqué doit partant être confirmé, tant en ce qu'il a reconnu la réalité de son droit d'agir, qu'en ce qu'il a dénié un tel droit à M. Bruno Frisoni;

Considérant que la société André soutient aussi que l'escarpin SD050 ne serait pas original, car il n'est pas empreint de la personnalité de son auteur et que, par ailleurs, il ne constituerait que la combinaison de caractéristiques existant depuis nombre d'années, lesquelles au demeurant se retrouveraient déjà dans un modèle Novus daté de 1958;

Considérant toutefois que le modèle SD050 est caractérisé par une forme particulière très effilée, avec un bout extrêmement pointu à l'avant et une partie assez largement remontante à l'arrière, un passepoil rouge, une bride transversale fixée par un petit bouton et un talon haut, en forme de cône doublement et inégalement tronqué, positionné assez loin de l'extrémité postérieure de la chaussure;

Qu'une telle combinaison particulièrement originale, tant elle est éloignée aussi bien de la forme normale d'un pied que des canons classiques des supports destinés à favoriser la marche, révèle un indéniable effort créatif et est à ce titre protégeable, étant observé que le modèle Novus présenté ne reprend pas l'ensemble des caractéristiques précitées;

Que le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé, en ce qu'il a admis l'existence de la contrefaçon subie par la société Bruno Frisoni;

Sur la concurrence déloyale

Considérant que la société André prétend que l'action en concurrence déloyale ne reposerait pas en l'espèce sur des faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon et que les premiers juges l'auraient donc à tort admise;

Considérant toutefois que le modèle FFUEL, qui constitue une copie quasiment servile du modèle SD050, la seule différence, laquelle n'est pas à première vue patente, résidant dans la hauteur très légèrement différente de la surélévation arrière, est d'une qualité très inférieure à celle de ce dernier, ce qui est notable au niveau en particulier du choix du cuir et aussi en ce qui concerne la qualité des coutures et finitions ; qu'il a été commercialisé à un prix nettement moins important (80 euro, contre 365 euro) ; qu'il en est résulté une évidente banalisation et une dévalorisation du modèle SD050, constitutives d'actes de concurrence déloyale distincts de ceux de contrefaçon;

Que le jugement déféré doit conséquemment sur ce point aussi être confirmé;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation de l'ensemble des mesures réparatrices, et que sans qu'il soit besoin d'ordonner les productions sollicitées, lesquelles ne s'avèrent pas utiles à la manifestation de la vérité, ou des mesures autres ou plus amples il convient de confirmer leur décision, étant ajouté que, ainsi qu'ils l'ont exactement dit, les mesures dont il s'agit ne peuvent concerner que la société Bruno Frisoni, l'existence des droits de M. Bruno Frisoni n'étant pas établie;

Considérant qu'il convient de faire partiellement droit à la prétention fondée par la société Bruno Frisoni sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour; Rejetant toute autre prétention, condamne la société André aux dépens d'appel, dont le recouvrement pourra être contre elle poursuivi par la SCP Bolling Durand Lallement conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à payer, en application de l'article 700 du même Code, la somme de 3 000 euro à la société Bruno Frisoni.