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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 27 septembre 2006, n° 05-14327

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Tulipe (SARL)

Défendeur :

UBU (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Bourdais-Virenque-Oudinot, Me Teytaud

Avocats :

Mes Landon, Schouman

T. com. Paris, du 10 juin 2005

10 juin 2005

Vu l'appel interjeté, le 29 juin 2005, par la société Tulipe d'un jugement rendu le 10 juin 2005 par le Tribunal de commerce de Paris qui:

* l'a déboutée de sa demande de nullité de l'assignation et du procès-verbal de constat d'achat du 23 juillet 2003,

* a déclaré la société UBU recevable en son action et débouté la société Tulipe de toutes ses demandes,

* a déclaré la société Tulipe coupable d'un acte de contrefaçon et de concurrence déloyale au préjudice de la société UBU,

* a interdit à la société Tulipe de commercialiser le modèle de bijou reproduisant celui de la société UBU et d'une manière plus générale représentant les caractéristiques de ce modèle et ce sous astreinte de 200 euro par infraction constatée à compter de la signification du jugement,

* a ordonné la destruction des modèles contrefaisants qui seront trouvés en la possession de la société Tulipe,

* a condamné la société Tulipe à payer à la société UBU la somme de 15 000 euro en réparation des préjudices subis au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale, tous préjudices confondus,

* a ordonné la publication du jugement dans trois journaux ou revues au choix de la société UBU et aux frais de la société Tulipe, sans que le coût de chaque publication ne dépasse la somme de 3 000 euro,

* a ordonné l'exécution provisoire du jugement sans constitution de garantie sauf en ce qui concerne les mesures de destruction et de publication,

* a condamné la société Tulipe à payer à la société UBU la somme de 4 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens;

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 juin 2006, aux termes desquelles la société Tulipe, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de:

* juger la société UBU irrecevable à tout le moins mal fondée en son action en responsabilité civile tirée d'actes de contrefaçon de droits d'auteur et de concurrence déloyale,

* débouter la société UBU,

* juger qu'en mettant en cause sa responsabilité civile sans justifier d'un titre, la titularité de droits patrimoniaux d'auteur, et de préjudice personnel, certain et réel, et en tentant d'obtenir la garantie de marge commerciale en violation des principes de liberté de concurrence, de commerce et des prix, la société UBU à engager sa responsabilité civile et son obligation à réparer le dommage qu'elle a subi,

* en conséquence, condamner la société UBU à lui verser une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 1382 du Code civil,

* condamner la société UBU à lui verser une indemnité de 15 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel;

Vu les uniques conclusions, en date du 6 janvier 2006, par lesquelles la société UBU, poursuivant la confirmation du jugement déféré, sauf en ce qui concerne les dommages et intérêts, demande à la cour de:

* condamner la société Tulipe à lui payer, en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon la somme de 50 000 euro et en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale, la somme de 25 000 euro,

* condamner la société Tulipe à lui verser la somme de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel,

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que:

* la société UBU est spécialisée dans la création et la commercialisation de bijoux de fantaisie,

* en 1999, elle a, selon elle, créé un modèle de bijou commercialisé sous la forme de colliers et de boucles d'oreilles dont une contrefaçon aurait été, en juillet 2003, commercialisée par la société Tulipe,

* la société UBU a, le 28 juillet 2003, fait procéder à un constat de vente,

* c'est dans ces circonstances que la société UBU a engagé la présente instance en contrefaçon et concurrence déloyale à l'encontre de la société Tulipe;

Sur la recevabilité

Considérant que la société Tulipe soutient que la société UBU serait irrecevable, d'abord, à invoquer un modèle car cette qualification résulterait exclusivement d'un dépôt régulier auprès de l'INPI, ensuite, à agir faute d'administrer la preuve d'un titre à date certaine, sans préjudice de la réalité de la protection comme œuvres originales, enfin, à agir sur le fondement du droit d'auteur en tant que personne morale, faute de justifier des droits patrimoniaux d'auteur soit directement, soit par une chaîne de contrats du ou des personnes physiques;

Mais considérant, en premier lieu, que la société UBU entend agir exclusivement sur le terrain du droit d'auteur, de sorte que le moyen tiré de l'absence de dépôt du modèle litigieux auprès de l'INPI est inopérant;

Considérant, en second lieu, que, selon les dispositions de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée, et que, en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation de l'œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire, sur l'œuvre, du droit de propriété intellectuelle de l'auteur;

Que la divulgation et l'exploitation du modèle litigieux sont justifiées par la production aux débats, non seulement d'une publicité parue dans le magazine C+ Accessoires de janvier 2003, mais également par neuf attestations (pièces n° 5.1 à 5.9) ainsi que par de nombreuses factures relatives à la commercialisation de ce modèle qui établissent également la date de commercialisation à tout le moins à compter du mois de mars 2001;

Que les critiques formulées par la société Tulipe à l'encontre de ces documents, outre qu'elles démontrent la parfaite mauvaise foi de cette société, ne sont pas fondées, les attestations étant parfaitement valables au regard des dispositions du nouveau Code de procédure civile, les factures libellées suivant la monnaie en vigueur au moment des transactions et les modèles identifiables;

Qu'il s'ensuit que les moyens invoqués par la société Tulipe n'étant pas fondés, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a admis la recevabilité de l'action engagée par la société UBU à l'encontre de la société appelante;

Sur la validité du modèle:

Considérant que la société UBU revendique sur le modèle de bijou litigieux, qui n'a pas été déposé à l'INPI, ainsi que la cour l'a précédemment relevé, la protection du droit d'auteur instaurée par les dispositions des livres I et III du Code de la propriété intellectuelle, de sorte qu'il convient de rechercher si ce modèle est susceptible de constituer, au sens des dispositions précitées, une œuvre de l'esprit;

Considérant que la société UBU caractérise son modèle de bijou de la manière suivante : par sa combinaison de lignes et des figures géométriques, à savoir sa forme ronde légèrement incurvée aux contours irréguliers à l'intérieur de laquelle sont dessinés 7 motifs en forme de spirale et au centre de laquelle est posée une pierre, combinée avec une figure rectangulaire sur le dessus, l'arrière dudit bijou comportant de très fines rainures;

Considérant que, contrairement aux prétentions de la société Tulipe, le modèle de bijou litigieux est régulièrement produit aux débats (pièce n° 13);

Considérant que, pour s'opposer à l'action en contrefaçon engagée à son encontre, la société Tulipe conteste toute originalité du modèle de bijou dont la société UBU revendique la protection ; qu'à cette fin, elle fait valoir que, d'une part, ce modèle ne présenterait aucun caractère spécifique et ne serait que la reprise d'éléments appartenant au domaine public fort ancien des bijoux dits "primitifs" et, d'autre part, que la société intimée revendiquerait un genre;

Mais considérant, en premier lieu, qu'il résulte des écritures de la société UBU que cette dernière ne revendique pas la protection d'un "genre", mais celle d'un modèle qu'elle a parfaitement caractérisé;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'examen, auquel la cour a procédé, des documents versés aux débats par la société Tulipe, composés de photocopies de livres consacrés à des bijoux, représentant notamment des colliers ethniques, des parures des temps anciens des peuples lointains, des bijoux du Maroc ou encore certaines reproductions de grand bijoutier et du dépôt d'un modèle de bracelet Glenans, qu'aucun de ces bijoux n'est de nature à antérioriser par la reprise de l'ensemble des éléments, suivant la même combinaison, le modèle de bijou de la société UBU, tel que celui-ci est caractérisé;

Que si certains des éléments composant le modèle de bijou litigieux sont, effectivement, connus et que pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers des bijoux dits "primitifs", en revanche, leur combinaison, telle revendiquée par la société UBU, confère à ce modèle, dès lors que l'appréciation portée par la cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par la combinaison des divers éléments le caractérisant, et non par l'examen de chacun de ceux-ci pris individuellement, une physionomie propre qui traduit un parti pris esthétique qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur;

Qu'il s'ensuit que le modèle de bijou de la société UBU présente, ainsi que le tribunal l'a, à bon droit, jugé, un caractère original et constitue une œuvre de l'esprit qui le rend éligible à la protection instituée par les livres I et III du Code de la propriété intellectuelle;

Que, sur ce point, le jugement déféré sera donc confirmé;

Sur la contrefaçon:

Considérant qu'il ressort de l'examen comparatif du modèle, propriété de la société UBU, et de celui argué de contrefaçon, que ce dernier constitue une copie servile du modèle original circonstance, au demeurant, non sérieusement contestée, dès lors que, pour l'essentiel, la société Tulipe reprend l'argumentation, inopérante, qu'elle a développée au soutien de sa contestation relative à l'originalité du modèle litigieux;

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a retenu à l'encontre de la société Tulipe des actes de contrefaçon;

Sur la concurrence déloyale:

Considérant que, au soutien de son action en concurrence déloyale, la société UBU fait griefs à la société Tulipe, d'une part, d'exploiter une copie servile de son modèle, s'agissant d'un surmoulage, de moindre qualité et vendu à bas prix, et, d'autre part, de décliner ce bijou, à l'instar de ce qu'elle fait, sous la forme d'un collier;

Mais considérant que si les premiers griefs sont susceptibles d'aggraver le préjudice résultant de contrefaçon, laquelle se définit comme la reproduction intégrale ou partielle de l'œuvre sans l'autorisation de son auteur, ils ne constituent pas des faits distincts de concurrence déloyale, d'autant que le prix de vente du modèle contrefaisant, s'il est effectivement inférieur à celui du modèle original, ne peut être considéré comme vil;

Et considérant que le grief tiré de la déclinaison du modèle litigieux sous la forme d'un collier a pour conséquence de constituer un effet de gamme similaire à celle de la société intimée qui, distinct de la contrefaçon, est constitutif de concurrence déloyale;

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré mérite également sur ce point confirmation;

Sur les mesures réparatrices:

Considérant que le modèle contrefaisant a, en banalisant la création originale, porté atteinte à la valeur patrimoniale de ce modèle et que, en outre, le caractère servile des copies réalisées contribue indéniablement à avilir et à déprécier ce modèle aux yeux de la clientèle dont une partie a nécessairement été détournée;

Qu'il résulte, en outre, d'une attestation de l'expert-comptable de la société intimée que le modèle litigieux figure parmi ses meilleurs ventes, la société Tulipe s'étant quant à elle refusée à fournir le moindre élément s'agissant de la masse contrefaisante;

Qu'il s'ensuit que les premiers juges ont, en allouant à la société UBU une indemnité de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts, fait une juste appréciation du préjudice subi tant au titre de la contrefaçon que de la concurrence déloyale, de sorte que le jugement déféré sera confirmé;

Considérant que les mesures d'interdiction et de destruction prononcées par le tribunal seront, en ce qu'elles sont de nature à mettre fin aux actes illicites de la société Tulipe, également confirmées, de même que la mesure de publication sauf à y ajouter qu'il sera fait mention du présent arrêt;

Sur les autres demandes:

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que les demandes de la société Tulipe formées tant à titre de dommages et intérêts qu'au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, seront rejetées ; que, en revanche, l'équité commande de condamner, sur ce dernier fondement, la société Tulipe à verser à la société UBU une indemnité complémentaire de 10 000 euro;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Et, y ajoutant, Dit qu'il sera fait mention du présent arrêt dans les publications autorisées, Condamne la société Tulipe à verser à la société UBU une indemnité complémentaire de 10 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Tulipe aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.