CJCE, 1re ch., 14 avril 2005, n° C-341/02
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jann
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
Juges :
MM. Rosas, Lenaerts, von Bahr, Schiemann
LA COUR (première chambre),
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne reconnaissant pas comme éléments constitutifs du salaire minimal la totalité des majorations et des suppléments versés par des employeurs établis dans d'autres États membres à leurs salariés du secteur de la construction détachés en Allemagne - à l'exception de la prime accordée aux travailleurs de ce secteur - et en ne prenant pas en considération, de ce fait, les éléments du salaire que ces employeurs ont effectivement versés à leurs salariés détachés, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 3 de la directive 96-71-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1).
2 La République fédérale d'Allemagne conclut à ce qu'il plaise à la Cour de rejeter le recours et de condamner la Commission aux dépens.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3 Le douzième considérant de la directive 96-71 énonce que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce que les États membres étendent le champ d'application de leur législation ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié, y compris temporaire, sur leur territoire, même si l'employeur est établi dans un autre État membre.
4 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 96-71, intitulé "Champ d'application":
"La présente directive s'applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d'une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs [...] sur le territoire d'un État membre."
5 L'article 3 de cette même directive, intitulé "Conditions de travail et d'emploi", dispose à ses paragraphes 1 et 7:
"1. Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l'article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l'État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées:
- par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives
et/ou
- par des conventions collectives [...] déclarées d'application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe:
[...]
c) les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s'applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels;
[...]
Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal visée au second tiret point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché.
[...]
7. Les paragraphes 1 à 6 ne font pas obstacle à l'application de conditions d'emploi et de travail plus favorables pour les travailleurs.
Les allocations propres au détachement sont considérées comme faisant partie du salaire minimal, dans la mesure où elles ne sont pas versées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture."
La réglementation nationale
6 La loi sur le détachement des travailleurs (Arbeitnehmer-Entsendegesetz), du 26 février 1996 (BGBl. 1996 I, p. 227), dans sa version en vigueur à l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé (ci-après l'"AEntG"), s'applique à l'industrie du bâtiment.
7 L'article 1er, paragraphe 1, de l'AEntG étend l'applicabilité de certaines conventions collectives d'application générale aux employeurs établis à l'étranger et à leurs travailleurs détachés en Allemagne. Cette disposition est libellée comme suit:
"Les normes juridiques issues d'une convention collective de l'industrie du bâtiment déclarée d'application générale [...], qui ont pour objet la rémunération minimale, y compris la rémunération des heures supplémentaires [...], s'appliquent [...] également à une relation de travail liant un employeur établi à l'étranger et son salarié travaillant dans le champ d'application territorial de cette convention collective. [U]n employeur au sens de la première phrase doit au moins accorder à son salarié travaillant dans le champ d'application territorial d'une convention collective telle que visée à la première phrase les conditions de travail établies dans ladite convention collective."
8 La liste des conventions collectives à appliquer dans chaque cas, conformément à l'AEntG, figure dans le vade-mecum sur le détachement de travailleurs à l'usage des employeurs établis à l'étranger (Merkblatt für Arbeitgeber mit Sitz im Ausland zum Arbeitnehmer-Entsendegesetz, ci-après le "vade-mecum").
9 L'article 2 de la convention collective prévoyant un salaire minimal dans le secteur du bâtiment sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne (Tarifvertrag zur Regelung eines Mindestlohnes im Baugewerbe im Gebiet der Bundesrepublik Deutschland), du 26 mai 1999 (ci-après la "convention collective sur le salaire minimal"), dispose que le salaire minimal se compose du salaire horaire prévu par ladite convention et de la prime accordée aux travailleurs du secteur de la construction, qui forment ensemble le salaire horaire global conventionnel. Les dispositions de cette convention ont été déclarées d'application générale par le règlement sur les conditions de travail obligatoirement applicables dans le secteur du bâtiment (Verordnung über zwingende Arbeitsbedingungen im Baugewerbe), du 25 août 1999 (BGBl. 1999 I, p. 1894).
10 La convention collective sur le salaire minimal en vigueur pour la période du 1er septembre 2000 au 31 août 2002 a été celle du 2 juin 2000, déclarée d'application générale le 17 août 2000.
11 Des règles concernant les congés, la rémunération à verser pour ceux-ci, les régimes des caisses de congés payés ainsi que les primes supplémentaires pour, notamment, les travaux pénibles et les heures de travail supplémentaires ont été fixées par d'autres conventions collectives déclarées d'application générale.
12 L'annexe 4 du vade-mecum énonce, dans sa rédaction applicable au moment de l'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, que les majorations et les suppléments versés par l'employeur, à l'exception de la prime générale accordée aux travailleurs du secteur de la construction, ne sont pas considérés comme des éléments faisant partie du salaire minimal. Ladite annexe précise que ces derniers suppléments comprennent en particulier les majorations pour les heures supplémentaires, pour le travail de nuit et pour le travail le dimanche ou les jours fériés ainsi que les primes de déplacement et de pénibilité.
La procédure précontentieuse
13 À la suite d'une plainte, la Commission a conclu que la méthode, appliquée en Allemagne, qui consiste à ne pas reconnaître, en tant qu'éléments faisant partie du salaire minimal, la totalité des majorations et des suppléments versés par des employeurs établis dans d'autres États membres à leurs salariés du secteur de la construction détachés en République fédérale d'Allemagne, était incompatible avec les dispositions de la directive 96-71 et que cela affectait la libre prestation des services au titre de l'article 49 CE. En conséquence, elle a, le 3 avril 2000, adressé audit État membre une lettre de mise en demeure l'invitant à présenter ses observations à cet égard.
14 Par lettre du 21 juin 2000, le Gouvernement allemand a contesté l'existence du manquement allégué, en se fondant notamment sur l'article 3, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 96-71. La notion de "taux de salaire minimal" serait définie par la réglementation ou la pratique nationale de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché. Dans le cadre du contrôle du respect dudit salaire, ne pourraient pas être prises en compte, en vertu des dispositions en vigueur en Allemagne, les primes qui portent atteinte au rapport, défini par la convention collective applicable, entre salaire et travail. Ledit gouvernement s'est toutefois déclaré disposé à prendre en compte certaines prestations qui n'altèrent pas ce rapport et à modifier, le cas échéant, le vade-mecum en ce sens.
15 N'étant pas satisfaite des explications fournies par la République fédérale d'Allemagne, la Commission a adressé, le 2 avril 2001, un avis motivé à cet État membre l'invitant à se conformer à celui-ci dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
16 Le Gouvernement allemand ayant répondu à cet avis motivé par une lettre du 31 mai 2001, dans laquelle, tout en admettant que certains éléments du vade-mecum n'étaient pas entièrement conformes aux dispositions de la directive 96-71, il réitérait, sur plusieurs points, son argumentation antérieure, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
Sur le recours
Arguments des parties
17 La Commission soutient que la réglementation allemande, tendant en ce qui concerne les majorations et les suppléments à prendre en compte en tant qu'éléments faisant partie du salaire minimal, lors de la comparaison entre, d'une part, le taux de salaire minimal fixé par les dispositions allemandes et, d'autre part, la rémunération effectivement versée aux travailleurs détachés par leurs employeurs établis dans d'autres États membres, uniquement la prime générale accordée aux travailleurs du secteur de la construction, est contraire aux dispositions de la directive 96-71 et de l'article 49 CE.
18 Selon elle, les employeurs établis dans d'autres États membres peuvent être obligés, en vertu des dispositions applicables dans ces États, de verser, outre le salaire horaire normal, d'autres éléments de rémunération. Or, en application de la réglementation allemande, ces éléments ne pourraient pas être pris en compte pour le calcul du salaire minimal. La Commission soutient que la non prise en compte des majorations et des suppléments aboutit à des coûts salariaux plus élevés que ceux que doivent payer les employeurs allemands à leurs salariés et que les employeurs établis dans d'autres États membres se voient empêchés d'offrir leurs services en Allemagne. S'il est vrai que l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché est autorisé à déterminer, en vertu de la directive 96-71, le taux du salaire minimal, il n'en demeure pas moins qu'il ne saurait, en comparant ce taux et la rémunération versée par les employeurs établis dans d'autres États membres, imposer sa propre structure de rémunération.
19 Plus particulièrement, la Commission reproche à la République fédérale d'Allemagne de ne reconnaître, comme éléments faisant partie du salaire minimal, ni certaines primes, telles que les primes au titre des treizième et quatorzième mois de salaire, ni les cotisations acquittées par les employeurs établis dans d'autres États membres auprès des caisses de congé et de compensation comparables aux caisses allemandes, dans la mesure où ces montants parviennent directement ou indirectement au travailleur détaché dans l'autre État membre.
20 Le Gouvernement allemand fait part d'une modification prochaine du vade-mecum pour ce qui est des majorations et des suppléments payés par l'employeur établi dans un autre État membre différents de ceux qui modifient le rapport entre la prestation du travailleur et la rémunération que celui-ci perçoit. Ces majorations et suppléments devraient, en principe, être reconnus en tant qu'éléments faisant partie du salaire minimal.
21 En revanche, les majorations et les suppléments qui modifient l'équilibre entre la prestation du travailleur, d'une part, et la contrepartie qu'il perçoit, d'autre part, ne seraient pas, d'après la réglementation allemande, considérés comme faisant partie du salaire minimal et ne sauraient être reconnus comme éléments faisant partie dudit salaire lors de la comparaison effectuée entre le taux dû en vertu des dispositions allemandes et la rémunération versée par les employeurs établis dans d'autres États membres. En effet, la convention collective sur le salaire minimal ne se limiterait pas à fixer un montant absolu, mais contiendrait d'autres règles concernant le rapport entre la rémunération due par l'employeur et la prestation que doit fournir le travailleur. Les primes particulières seraient réglées par une convention collective-cadre autre que la convention collective sur le salaire minimal.
22 Le Gouvernement allemand soutient que les heures de travail qui sont effectuées en dehors des horaires de travail habituels, qui comportent des exigences d'un degré particulièrement élevé en termes de qualité de résultat ou qui comportent des contraintes et des dangers particuliers, ont une valeur économique supérieure à celle des heures de travail habituelles et que les primes y afférentes ne doivent pas être prises en compte pour le calcul du salaire minimal. Si ces montants étaient pris en compte pour ledit calcul, le travailleur serait privé de la contre-valeur économique correspondant auxdites heures de travail.
23 Le Gouvernement allemand soutient que la Commission se fonde, dans sa requête, sur un malentendu concernant la réglementation allemande. Elle supposerait, à tort, que, en vertu de cette réglementation, l'employeur établi dans un autre État membre est tenu, en présence d'un travail comportant des difficultés particulières, de payer, outre le salaire minimal, les primes supplémentaires allemandes.
Appréciation de la Cour
24 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'un État membre impose à une entreprise établie dans un autre État membre qui effectue une prestation de services sur le territoire du premier État membre de payer à ses travailleurs la rémunération minimale fixée par les règles nationales de cet État (arrêts du 3 février 1982, Seco et Desquenne & Giral, 62-81 et 63-81, Rec. p. 223, point 14; du 28 mars 1996, Guiot, C-272-94, Rec. p. I-1905, point 12; du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369-96 et C-376-96, Rec. p. I-8453, point 33; du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA, C-165-98, Rec. p. I-2189, points 28 et 29, ainsi que du 24 janvier 2002, Portugaia Construções, C-164-99, Rec. p. I-787, point 21). L'application de telles règles doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent, à savoir la protection des travailleurs détachés, et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint (voir en ce sens, notamment, arrêts précités Arblade e.a., point 35; Mazzoleni et ISA, point 26, et du 12 octobre 2004, Wolff & Müller, C-60-03, non encore publié au Recueil, point 34).
25 Cette jurisprudence est consacrée à l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96-71, selon lequel les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées par ladite directive garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi, qui concernent notamment les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires, et qui sont fixées par les règles dans l'État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté. Le second alinéa de ce même paragraphe précise que la notion de "taux de salaire minimal" est définie "par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché".
26 En l'espèce, il est constant que la République fédérale d'Allemagne a, dans le cadre de l'AEntG, fait usage de la faculté, prévue par la directive 96-71, d'adopter des dispositions régissant le taux de salaire minimal sur le territoire national. Ainsi qu'il ressort des points 7 à 10 du présent arrêt, l'applicabilité de certaines conventions collectives d'application générale, telles que celle portant sur le salaire minimal, a été étendue, par l'article 1er, paragraphe 1, de ladite loi, aux employeurs établis à l'étranger et à leurs travailleurs détachés en Allemagne. La liste des conventions à appliquer dans chaque cas, conformément aux dispositions de l'AEntG, figure au vade-mecum.
27 Les parties, dans la présente affaire, sont toutefois en désaccord quant à la méthode à appliquer pour comparer le taux de salaire minimal dû en vertu des dispositions allemandes et la rémunération versée effectivement par les employeurs établis dans d'autres États membres à leurs travailleurs détachés. La question qui se trouve posée est donc celle de savoir quels sont les majorations et les suppléments qu'un État membre doit prendre en compte en tant qu'éléments faisant partie du salaire minimal, lorsqu'il vérifie si celui-ci a été correctement versé.
28 Il convient de rappeler que, aux termes de l'annexe 4 du vade-mecum, les majorations et les suppléments versés par l'employeur ne sont pas considérés, en Allemagne, comme des éléments faisant partie du salaire minimal, à l'exception de la prime générale accordée aux travailleurs du secteur de la construction. Il ressort du dossier que, outre cette dernière prime, sont pris en compte, à cet égard, les versements qui sont prévus par le contrat de travail en guise de compensation de la différence entre le salaire national et celui dû en vertu de l'AEntG. Or, d'après la Commission, la totalité des majorations et des suppléments versés aux travailleurs détachés par leurs employeurs établis en dehors de l'Allemagne doit, en principe, être prise en compte pour le calcul du salaire minimal.
29 Il y a lieu de préciser, tout d'abord, que les parties s'accordent sur le fait que, conformément aux dispositions de l'article 3, paragraphes 1, premier alinéa, sous c), et 7, second alinéa, de la directive 96-71, ne doivent pas être pris en compte, en tant qu'éléments faisant partie du salaire minimal, le salaire pour les heures supplémentaires, les cotisations aux régimes complémentaires de retraite professionnels, les montants versés à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement ainsi que les sommes forfaitaires calculées sur une base autre que la base horaire. C'est le montant brut du salaire qui doit être pris en compte.
30 Ensuite, il convient de relever que le Gouvernement allemand ne conteste pas que le vade-mecum n'est pas totalement conforme aux dispositions de la directive 96-71. Il l'a d'ailleurs modifié, après le délai fixé dans l'avis motivé, dans le sens indiqué par la Commission, en inversant la relation "règle-exception" pour la prise en compte des majorations et des suppléments. À la suite de cette modification, seraient pris en compte, dans le contrôle du versement du salaire minimal, tous les versements supplémentaires effectués par l'employeur établi dans un autre État membre, pour autant que le rapport entre la prestation du travailleur, d'une part, et la contrepartie que celui-ci perçoit, d'autre part, ne soit pas modifié au détriment du travailleur.
31 En outre, le Gouvernement allemand énonce, dans son mémoire en défense, qu'il est prévu de compléter le libellé du vade-mecum afin de reconnaître les primes au titre des treizième et quatorzième mois de salaire, comme éléments faisant partie du salaire minimal, à condition qu'elles soient versées régulièrement, proportionnellement, effectivement et irrévocablement durant la période de détachement du travailleur en Allemagne et qu'elles soient mises à la disposition de celui-ci à la date d'échéance prévue. La Commission considère, dans son mémoire en réplique, que cette proposition de modification pourrait rendre le régime national, à cet égard, conforme à la directive 96-71.
32 Il convient effectivement de constater que les modifications ainsi adoptées et proposées par le Gouvernement allemand sont de nature à éliminer diverses incohérences entre la réglementation nationale en cause et les dispositions de la directive 96-71.
33 Il y a toutefois lieu de rappeler que l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé (voir, notamment, arrêts du 16 janvier 2003, Commission/Royaume-Uni, C-63-02, Rec. p. I-821, point 11, et du 16 décembre 2004, Commission/Italie, C-313-03, non publié au Recueil, point 9). Les changements intervenus par la suite ne peuvent être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 18 novembre 2004, Commission/Irlande, C-482-03, non publié au Recueil, point 11).
34 Quant aux cotisations, acquittées par les employeurs établis dans d'autres États membres auprès des caisses de congé et de compensation comparables aux caisses allemandes, il ressort de la réponse du Gouvernement allemand à l'avis motivé qu'elles correspondent, en Allemagne, aux congés payés et aux primes de vacances. Ce gouvernement soutient, dans son mémoire en duplique, que, sur ce point, le litige devrait être réglé compte tenu de ses arguments relatifs au paiement proportionnel du pécule de vacances et aux règles d'échéance. Il a précisé, lors de l'audience, que ledit pécule doit être versé prorata temporis et à l'échéance prévue pour le salaire.
35 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre d'un recours en manquement, il incombe à la Commission d'établir l'existence du manquement allégué. C'est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l'existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96-81, Rec. p. 1791, point 6, et du 29 avril 2004, Commission/Autriche, C-194-01, non encore publié au Recueil, point 34).
36 Or, ni l'avis motivé, ni la requête, ni la réplique de la Commission, ne permettent d'apprécier si le grief relatif à l'absence de prise en compte, dans le calcul du salaire minimal, de cotisations acquittées par les employeurs établis dans d'autres États membres auprès des caisses de congé et de compensation comparables aux caisses allemandes constitue un grief autonome ou, au contraire, se confond avec le grief relatif à l'absence de prise en compte, dans ledit calcul, des primes au titre des treizième et quatorzième mois de salaire. Les difficultés éprouvées par le Gouvernement allemand pour réagir aux allégations de la Commission concernant les cotisations aux caisses de congé confirment le manque de clarté de ces allégations.
37 Il apparaît, dans de telles conditions, que la Commission n'a pas exposé de façon suffisamment claire la portée exacte de son grief et n'a pas fourni à la Cour les éléments nécessaires permettant d'établir si la non prise en compte, par la défenderesse, de cotisations telles que celles en l'espèce dans la définition du salaire minimal constitue ou non un manquement aux obligations découlant de l'article 3 de la directive 96-71.
38 Enfin, il importe d'analyser la question principale qui demeure litigieuse et qui est celle de savoir si les majorations et les suppléments versés par l'employeur, lesquels, selon le Gouvernement allemand, modifient l'équilibre entre la prestation du travailleur, d'une part, et la contrepartie que celui-ci perçoit, d'autre part, doivent être reconnus comme éléments faisant partie du salaire minimal. Il s'agit notamment des primes de qualité et des primes pour des travaux salissants, pénibles ou dangereux.
39 Il convient de considérer que, contrairement à ce que soutient la Commission, les majorations et les suppléments, qui ne sont pas définis en tant qu'éléments faisant partie du salaire minimal par la législation ou la pratique nationale de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché, et qui modifient le rapport entre la prestation du travailleur, d'une part, et la contrepartie que celui-ci perçoit, d'autre part, ne sauraient, en vertu des dispositions de la directive 96-71, être considérés comme de tels éléments.
40 En effet, il est tout à fait normal que, si l'employeur exige que le travailleur fournisse un surplus de travail ou des heures de travail dans des conditions particulières, cette prestation supplémentaire soit compensée pour ce travailleur sans que cette compensation soit prise en compte pour le calcul du salaire minimal.
41 Il résulte toutefois des points 30 à 33 du présent arrêt que la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 3 de la directive 96-71.
42 Un manquement ayant été constaté sur le fondement de cette directive, il n'y a pas lieu d'examiner le recours au regard de l'article 49 CE.
43 Dans de telles circonstances, il convient de constater que, en ne reconnaissant pas comme éléments faisant partie du salaire minimal les majorations et les suppléments, qui ne modifient pas le rapport entre la prestation du travailleur et la contrepartie que celui-ci perçoit, versés par des employeurs établis dans d'autres États membres à leurs salariés du secteur de la construction détachés en Allemagne, à l'exception de la prime générale accordée aux travailleurs de ce secteur, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 3 de la directive 96-71.
44 Le recours est rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
45 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3, premier alinéa, de cet article, la Cour peut décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission et la République fédérale d'Allemagne ayant succombé partiellement en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens.
Par ces motifs, LA COUR (première chambre) déclare et arrête:
1) En ne reconnaissant pas comme éléments faisant partie du salaire minimal les majorations et les suppléments, qui ne modifient pas le rapport entre la prestation du travailleur et la contrepartie que celui-ci perçoit, versés par des employeurs établis dans d'autres États membres à leurs salariés du secteur de la construction détachés en Allemagne, à l'exception de la prime générale accordée aux travailleurs de ce secteur, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 3 de la directive 96-71-CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Chaque partie supporte ses propres dépens.