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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 23 novembre 2006, n° 01-03179

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Europcar France (SAS)

Défendeur :

DLM (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mandel

Conseillers :

M. Chapelle, Mme Valantin

Avoués :

SCP Fievet-Lafon, SCP Boiteau-Pedroletti

Avocats :

Mes Poux, Bensoussan, Prouvost

T. com. Versailles, 1re ch., du 2 mai 20…

2 mai 2001

Depuis le 1er janvier 1990, les sociétés Europcar France et DLM ont entretenu des relations commerciales ayant pour objet la location de véhicules.

Elles étaient liées en dernier lieu par un contrat d'agence commerciale pour la location de véhicules de tourisme, renouvelé le 1er janvier 1998 pour une nouvelle période de trois ans, et par un contrat de franchise pour la location de véhicules utilitaires pour les villes de Lille, Roubaix, Tourcoing et Dunkerque.

Il était convenu que le contrat d'agence commerciale était renouvelable, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties six mois avant l'arrivée du terme, cette dénonciation entraînant celle du contrat de franchise.

Le 14 mars 2000, la société Europcar France a résilié le contrat d'agence commerciale et le contrat de franchise qui lui était lié au motif que la société DLM n'avait pas respecté ses objectifs contractuels et avait commis, en 1999, des fautes graves et délibérées entraînant un manque à gagner.

C'est dans ces conditions que par acte du 18 avril 2000, la société Europcar France a fait assigner la société DLM devant le Tribunal de commerce de Versailles aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer les sommes de 2 127 958,30 F au titre du manque à gagner généré par les manquements, 500 000 F au titre du préjudice commercial, et, dans des écritures ultérieures, 500 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation d'actes de concurrence déloyale commis par son directeur des opérations.

Considérant qu'elle n'avait commis aucune faute grave la privant des indemnités revenant aux agents commerciaux et justifiant la rupture brutale de son contrat, la société DLM a conclu au débouté de la société Europcar France et à sa condamnation, à titre reconventionnel, à lui payer les sommes de 15 751 000 F HT au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial, 3 937 700 F en raison de la rupture brutale du contrat, et la somme provisionnelle de 3 000 000 F pour la rupture sans préavis du contrat de franchisage.

Par jugement du 2 mai 2001, le Tribunal de commerce de Versailles a jugé que la société DLM n'avait commis aucune faute grave justifiant la résiliation immédiate du contrat d'agent commercial et a débouté la société Europcar France de ses demandes de dommages et intérêts, tant au titre du manque à gagner que du préjudice commercial.

Recevant la société DLM en ses demandes reconventionnelles, le tribunal a condamné la société Europcar France à lui payer les sommes de 2 703 104 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et 10 165 788 F au titre d'indemnité de rupture, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 4 septembre 2000.

Au titre de la résiliation abusive du contrat de franchise, le tribunal a condamné la société Europcar France à payer à la société DLM la somme de 3 480 750 F à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 4 septembre 2000.

Il a prononcé en outre l'exécution provisoire sous condition d'obtention d'une caution bancaire par la société DLM et a alloué à cette dernière une indemnité de 80 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Europcar France a interjeté appel.

* Par arrêt du 20 février 2003, la cour de ce siège, contrairement à ce qu'avaient décidé les premiers juges, a déclaré recevable la demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale formée par la société Europcar France du fait des agissements d'un des préposés de la société DLM, et a condamné cette dernière à lui payer la somme de 10 000 euro à ce titre.

Statuant sur les demandes reconventionnelles de la société DLM, la cour a jugé que la société DLM était fondée, en son principe, à demander réparation des préjudices nés de la rupture brutale du contrat d'agent commercial sans respecter le préavis contractuellement prévu, de la rupture elle-même de ce contrat et de la rupture du contrat de franchise.

S'estimant insuffisamment informée, la cour a ordonné une expertise qu'elle a confiée à Monsieur Michel X, expert judiciaire.

* L'expert a déposé son rapport le 31 janvier 2006. Il conclut à une indemnisation selon trois hypothèses :

- hypothèse n° 1 : le préjudice est égal au revenu perdu par la société DLM sur les contrats d'agent commercial et de franchise, sans tenir compte des revenus dégagés par l'activité propre qu'elle a développée sous son nom, soit un total de 3 067 000 euro,

- hypothèse n° 2 : pour déterminer le préjudice, il faut tenir compte du résultat dégagé par l'activité propre de DLM, soit un total de 1 824 000 euro,

- hypothèse n° 3 : le préjudice est égal à la perte de résultat net de la société DLM, toutes activités confondues, soit un total de 434 000 euro.

* La société Europcar France a conclu en ouverture de rapport.

Elle fait valoir, pour l'essentiel, que, préalablement au contrat d'agent commercial, elle disposait d'une clientèle propre qui a été exploitée par la société DLM, laquelle s'est servie de la marque Europcar France et a bénéficié de sa renommée. Elle ajoute que cette clientèle est demeurée attachée à la société DLM, ainsi que les résultats de son activité le démontrent. Elle considère donc que la société DLM ne peut se prévaloir d'aucun préjudice indemnisable, tel que prévu à l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Sur le quantum du préjudice, elle conteste l'octroi habituel de deux années de gains et considère que seule la durée du préavis, c'est-à-dire six mois, doit être retenue.

S'agissant du contrat de franchise, la société Europcar France considère que la société DLM ne justifie pas davantage d'un préjudice.

La société Europcar France conclut en conséquence au débouté de la société DLM de ses demandes d'indemnisation, subsidiairement, demande que cette indemnisation soit réduite à une somme symbolique et très subsidiairement que soit retenue l'hypothèse n° 3 de l'expert, soit une indemnisation pour 434 000 euro.

Elle conclut enfin au partage des dépens.

* Intimée, la société DLM conclut, au vu du rapport d'expertise, à la condamnation de la société Europcar France à lui payer la somme de 3 067 000 euro (hypothèse n° 1) avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2000 et capitalisation des intérêts, et à titre subsidiaire, la somme de 2 100 000 euro (hypothèse n° 2) assortie des mêmes intérêts, outre leur capitalisation.

Elle sollicite une indemnité de 40 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de sa position, soit l'hypothèse n° 1 retenue par l'expert, la société DLM rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le préjudice de l'agent commercial est celui "résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune" (Cass. com., 23 avril 2003), sans que les frais supportés par l'agent commercial, appelés à disparaître en fin de mandat, puissent être distraits du montant de l'indemnité (Cass. com., 5 avril 2005).

Elle fait valoir, en substance, que l'activité qu'elle a développée après la rupture du contrat Europcar France n'a rien de commun avec l'activité de location de courte durée qu'elle avait comme agent commercial de la société Europcar France. Elle indique que la société Europcar France a pleinement recueilli la clientèle qu'elle avait créée, et qu'elle-même, après la rupture, a développé une activité différente de location de longue durée de véhicules automobiles, soit utilitaires, soit de tourisme, et qu'en outre, elle a créé une activité de location de véhicules aménagés pour le transport de personnes à mobilité réduite.

Elle souligne que si après la rupture, son activité a dégagé des profits en raison des nouvelles activités développées, il ne peut en être déduit que, par compensation, la rupture n'aurait engendré aucun préjudice. Elle précise que dans les cinq mois qui ont suivi la rupture, la société Europcar France a récupéré 84 % du chiffre d'affaires qu'elle réalisait auparavant.

Sur quoi :

Considérant que par son précédent arrêt du 20 février 2003, la cour de ce siège a ordonné une expertise, qui a été confiée à Monsieur X, expert judiciaire, afin d'évaluer le préjudice subi par la société DLM, préjudice dont le principe ne peut être remis en cause à ce stade de la procédure.

Considérant que s'agissant de la rupture brutale du contrat d'agent commercial sans respecter le préavis, le préjudice de la société DLM est celui résultant de la perte de commissions jusqu'à la date conventionnellement convenue.

Qu'il doit donc être évalué sur la base de neuf mois de commissions.

Considérant que s'agissant de la cessation du contrat d'agent commercial, la société DLM est fondée à demander réparation, en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, du préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

Considérant enfin que s'agissant du contrat de franchise, résilié dans les mêmes conditions que le contrat d'agent commercial et inséparable de ce dernier, la société DLM a droit aux commissions qu'elle était légitimement fondée à percevoir en exécution de ce contrat.

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats, qu'aussitôt après la résiliation du contrat d'agent commercial, le 14 mars 2000, la société Europcar France s'est emparée de la ligne téléphonique de la société DLM et a ainsi reçu directement les appels des clients de la société DLM, qu'elle a utilisé du jour au lendemain les emplacements de parkings loués par la société DLM et que, le jour-même de la rupture, son personnel est intervenu sur site pour couper avec des cisailles les câbles d'alimentation de l'informatique de la société DLM et a enlevé les ordinateurs.

Considérant que près de 80 % du chiffre d'affaires de la société DLM au titre de la location courte durée a alors été réalisé par la société Europcar France, qui a aussitôt exploité la clientèle créée et développée pendant dix ans par la société DLM.

Considérant qu'il n'est pas établi que dès le début du contrat d'agence commerciale, en 1990, la société Europcar France ait apporté à la société DLM une clientèle spécifique.

Considérant qu'après la rupture, l'activité de location courte durée de la société DLM est devenue marginale, cette société ayant développé alors une activité différente de location longue durée de véhicules automobiles, utilitaires ou de tourisme.

Qu'elle a, en outre, créé une activité de location de véhicules aménagés pour le transport de personnes à mobilité réduite.

Considérant que si en raison du dynamisme commercial de la société DLM, l'activité de cette société, développée sur un autre secteur que celui faisant l'objet du contrat d'agent commercial, s'est avérée profitable, cette circonstance n'est pas de nature à supprimer ou limiter le préjudice qu'elle a subi du fait de la rupture brutale du contrat d'agent commercial, de la résiliation de ce contrat et du contrat de franchise.

Considérant que si seul le préjudice effectivement et réellement subi doit être réparé, ainsi que l'a jugé la cour de ce siège dans son arrêt du 20 février 2003, l'indemnisation de la société DLM ne peut se limiter à la perte de résultat net de la société DLM, toutes activités confondues.

Considérant que l'hypothèse n° 3 envisagée par l'expert doit donc être écartée.

Considérant par ailleurs que pour apprécier le résultat dégagé par l'activité de la société DLM, il ne peut être déduit du montant des commissions ou produits qu'aurait perçus cette société, les charges variables directement liées à son activité, et qu'elle aurait supportées, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Qu'il n'y a pas davantage lieu de déduire le produit de l'activité nouvelle développée par la société DLM, cette activité distincte étant sans rapport avec l'activité faisant initialement l'objet du contrat d'agent commercial.

Considérant que l'hypothèse n° 2 doit donc également être écartée.

Considérant en définitive que le préjudice doit être déterminé à partir du revenu perdu par la société DLM sur le contrat d'agent commercial et sur le contrat de franchise, sans tenir compte des revenus qu'elle a dégagés de l'activité propre et distincte qu'elle a développée sous son nom, (hypothèse n° 1) et sans qu'il y ait lieu à déduction des charges.

Considérant que compte tenu de la durée des relations contractuelles et de la nature de la clientèle créée et développée par la société DLM, l'expert a, à juste titre, effectué ses investigations et calculs concernant le contrat d'agence commerciale sur la base de deux années de commissions.

Considérant que dans une telle perspective, l'expert propose, à la suite d'une étude approfondie des pièces qui lui ont été communiquées et que la cour fait sienne, d'évaluer le préjudice subi par la société DLM à la somme totale de 3 067 000 euro, cette somme se décomposant en :

- 621 000 euro au titre de la rupture brutale du contrat d'agent commercial (9 mois de commissions),

- 720 000 euro au titre de la rupture du contrat de franchise, lequel était lié au contrat d'agent commercial,

- 835 000 euro et 891 000 euro au titre de l'indemnité due en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, représentant deux années de commissions.

Considérant que la cour, infirmant le jugement entrepris sur le montant des condamnations, retiendra donc, toutes causes de préjudice confondues, une indemnisation de la société DLM pour un total de 3 067 000 euro et entrera en voie de condamnation à l'encontre de la société Europcar France pour ce montant, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2000, date des premières écritures de la société DLM.

Considérant que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les termes de l'article 1154 du Code civil à compter du 28 novembre 2002, date des conclusions par lesquelles la demande en a été formée pour la première fois.

Considérant enfin qu'il sera alloué à la société DLM une indemnité de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant en outre que la société Europcar France sera condamnée aux dépens, lesquels comprendront les frais d'expertise.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, - Infirme le jugement entrepris sur le montant des dommages et intérêts, Et statuant à nouveau, - Condamne la société Europcar France à payer à la société DLM la somme totale de 3 067 000 euro (trois millions soixante-sept mille euro) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2000, au titre de la rupture brutale du contrat d'agence commerciale, de la rupture elle-même de ce contrat et du contrat de franchise. - Ordonne la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil à compter du 28 novembre 2002. - Confirme les dispositions non contraires du jugement entrepris. - Condamne la société Europcar France à payer à la société DLM une indemnité complémentaire de 4 000 euro (quatre mille euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. - Condamne la société Europcar France aux dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les frais d'expertise, et pourront être recouvrés directement par la SCP Boiteau-Pedroletti, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. - prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.