CA Lyon, 3e ch. civ., 9 septembre 2004, n° 2004-00108
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
KTM Group GmbH (SARL)
Défendeur :
MCC Motos (SAS), DGCCRF du département du Rhône
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin
Conseillers :
MM. Santelli, Kerraudren
Avoué :
SCP Aguiraud-Nouvellet
Faits - procédure - prétentions des parties
Par acte du 12 septembre 2003, la SAS MCC Motos a fait assigner la société de droit autrichien Husaberg KTM Group devant le Tribunal de commerce de Lyon afin de voir juger que cette dernière a violé les dispositions de l'article 442-6 du Code de commerce en ses alinéas 4 et 5 et la voir condamner au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
La défenderesse a soulevé à titre principal l'incompétence ratione loci du Tribunal de commerce de Lyon.
Le ministère de l'Economie, représenté par le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Rhône, est intervenu aux débats.
Par jugement du 9 décembre 2003, le tribunal de commerce s'est déclaré compétent pour connaître du litige, a rejeté la demande de nullité de l'assignation formulée par la société défenderesse, a enjoint à la DGCCRF de communiquer ses pièces à la société KTM Group et a renvoyé l'affaire à une prochaine audience pour examiner le fond du litige.
La société KTM Group GMBH a, le 18 décembre 2003, formé un contredit de compétence et demande à la cour de:
- infirmer le jugement et déclarer le Tribunal de commerce de Lyon incompétent ratione loci pour connaître du litige,
- inviter les parties à mieux se pourvoir devant le tribunal compétent, soit le Landesgericht Ried am Innkreis en Autriche,
- à titre subsidiaire, inviter les parties à mieux se pourvoir devant l'Institut d'Arbitrage de la chambre de commerce de Stockholm,
- condamner la société MCC Motos et la DGCCRF à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, elle fait valoir :
- que l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée à la société KTM Group GmbH en Autriche et non pas à la société Husaberg Motor, pourtant cocontractante de la société MCC Motos selon contrat en date du 15/19 juin 2000 sur lequel cette dernière fonde ses réclamations, c'est donc la société KTM Group GmbH qui est seule partie dans la procédure, la compétence du Tribunal de commerce de Lyon devant être appréciée à l'égard de la seule société KTM Group GmbH,
- que les sociétés MCC Motos et KTM Group GmbH étant des sociétés ressortissantes de différents pays de la Communauté européenne, les litiges les opposant sont soumis au règlement CE 44-2001 relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile,
- que le siège social de la société KTM Group GmbH étant en Autriche, à Mattighofen, seuls les tribunaux autrichiens sont, en application de l'article 2 du règlement, compétents pour juger des réclamations de la société MCC Motos,
- que contrairement à ce que le tribunal a jugé, sa compétence ne peut pas être fondée sur l'article 5-1 du Règlement , qu'elle conteste d'abord l'existence de relations contractuelles entre elle et MCC Motos, estimant que ces relations n'existent qu'avec la société Husaberg qui a signé le contrat du 15/19 juin 2000, qu'ensuite la société MCC Motos sollicitant le règlement de différentes sommes d'argent et faisant valoir une créance de paiement, doit être appliqué l'article 5-1 a) et qu'en droit français les créances étant quérables, le lieu d'exécution de cette demande se trouve au siège de la prétendue débitrice, soit au siège social de KTM Group en Autriche,
- que si par extraordinaire la cour estime que le Tribunal de commerce de Lyon est compétent ratione loci malgré les dispositions des articles 2 et 5 du Règlement communautaire, et que la société KTM Group GmbH est venue aux droits de la société Husaberg Motor qui a rompu le contrat de distribution par courrier en date du 21 novembre 2002, elle devra faire application de la clause d'arbitrage que contient le contrat exclusif de vente en date des 15/19 juin 2000, qu'en effet, le fait que la demande de la société MCC Motos soit fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, même d'ordre public, ne fait pas obstacle à l'application de la clause d'arbitrage, que la question de savoir selon quelles lois la juridiction arbitrale désignée par le contrat doit rendre sa décision et si elle doit faire application de l'article L. 442-6 du Code de commerce sont des questions qui n'interfèrent nullement sur les questions de procédure.
S'agissant des demandes de la DGCCRF, dont elle invoque d'abord la nullité des écritures, la société KTM Group GmbH soutient que la cour devra constater que le tribunal de commerce n'est pas compétent pour statuer sur les pratiques alléguées par la DGCCRF ; elle demande à la cour de constater l'irrecevabilité des demandes de la DGCCRF pour défaut de compétence et à titre subsidiaire de surseoir à statuer sur les demandes de la DGCCRF dans l'attente de la décision des juridictions compétentes.
La société MCC Motos, défenderesse au contredit, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en déboutant la société KTM Group GmbH de toutes ses demandes et en la condamnant à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En réponse à l'argumentation adverse, elle soutient que le contrat de distribution en date du 19 juin 2000 a été transféré par la société Husaberg Motor AB à la société KTM Group GmbH ou, à tout le moins, que cette société était contractuellement liée avec la société MCC Motos, que dans ces conditions seul l'article 5 du Règlement CE peut recevoir application, que sa demande a pour base l'inexécution par la société KTM Group GmbH de son obligation de livraison dans le ressort du Tribunal de commerce de Lyon et que la compétence de ce tribunal ne peut être remise en cause sur le fondement de l'article 5.1 a) du Règlement, que le Tribunal de commerce de Lyon est aussi compétent sur le fondement des dispositions de l'article 5.1 b) puisqu'il y a eu vente de marchandises livrées en France par la société KTM Group GmbH au profit de la société MCC Motos.
Elle ajoute que la clause d'arbitrage ne peut s'appliquer à la présente procédure car les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce sur lesquelles elle fonde son action et qui ont pour objectif la protection des entreprises subissant un préjudice du fait des pratiques interdites par ce texte constituent une loi de police au sens du droit international privé et s'appliquent aux situations juridiques pouvant avoir une incidence sur le territoire français, le texte offrant au ministre de l'Economie chargé d'exercer une mission de police juridique la faculté de demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques illicites et de solliciter le prononcé d'une amende civile.
Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, représenté par le Directeur Départemental de Lyon, a déposé des conclusions, qui ont été développées oralement par M. Bridier, commissaire, dans lesquelles après avoir retracé l'historique de l'affaire, il observe que la rupture brutale des relations commerciales entre la société MCC Motos et son fournisseur porte atteinte au fonctionnement naturel du marché et crée un trouble à l'ordre public économique sur le territoire français, qu'en France le droit à un préavis suffisant résulte d'un texte d'ordre public, que la rupture en cause constitue un délit civil en raison du fait dommageable constaté sur le territoire français, les clauses du contrat et notamment sa clause d'arbitrage n'ayant pas à être débattues pour engager la responsabilité de l'auteur de la rupture, que le délit civil entraîne la compétence de la juridiction du lieu du fait dommageable, que le ministre de l'Economie assure la protection générale d'un ordre public économique notamment lié au respect des règles de concurrence exclusivement sur le territoire français et que la lésion d'un ordre public économique appelle une réparation distincte de la simple réparation du préjudice causé à un partenaire économique.
Motifs et décision
Sur l'incompétence de la juridiction lyonnaise fondée sur les dispositions des articles 2 et 5 du Règlement du Conseil du 22 décembre 2000
Attendu que les deux parties étant toutes deux domiciliées sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne, sont applicables pour la détermination de la compétence territoriale les articles 2 et suivants du Règlement du 22 décembre 2000;
Qu'en vertu de l'article 2 énonçant les Dispositions générales, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre ;
Qu'en vertu de l'article 5 relatif aux Compétences spéciales, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre en matière contractuelle devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande étant, selon l'alinéa b, pour la vente de marchandises le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées et pour la fourniture de services le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
Attendu que la société française MCC Motos a signé un contrat de distribution exclusive de motos en date des 15/19 juin 2000 avec la société de droit suédois Husaberg Motor AB Sweden pour une période expirant le 30 juin 2003, le contrat stipulant qu'il pourra faire l'objet d'une reconduction sauf résiliation par l'une ou l'autre partie par préavis écrit d'au minimum trois mois pour prise d'effet au 30 juin 2003 ;
Attendu qu'il ressort des documents produits et conclusions échangées que la société Husaberg fait partie depuis 1995 du groupe KTM, d'origine autrichienne, et qu'à compter de septembre 2002 la société KTM a fabriqué au moins une partie de la gamme des motos Husaberg ; que des relations contractuelles se sont alors établies entre la société MCC Motos d'une part, et la société KTM Group GmbH d'autre part, puisque c'est la société KTM Group à Mattighofen qui procédait à la facturation des motos livrées à la société MCC Motos et c'est à cette société que la société MCC Motos adressait ses règlements ;
Attendu qu'en conséquence, seules les dispositions spéciales de l'article 5-1 applicables à la matière contractuelle peuvent recevoir application ;
Attendu que l'obligation qui sert de base à la demande au sens de l'article 5-1 n'est pas l'obligation au paiement mais celle en vertu de laquelle le paiement est réclamé ;
Attendu que la société MCC Motos entend obtenir réparation pour le préjudice résultant des conditions dans lesquelles a été exécuté le préavis de rupture (qu'elle estime notamment insuffisant) ; que le préavis dans le cadre duquel s'inscrivait l'obligation de livraison des motos devait être exécuté dans le ressort du Tribunal de commerce de Lyon;
Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu la compétence de la juridiction lyonnaise sur le fondement de l'article 5.1 du Règlement ;
Sur la demande subsidiaire tendant à l'application de l'article 1458 du nouveau Code de procédure civile
Attendu que la demande de la société MCC Motos ne repose pas sur les dispositions du contrat à proprement parler - au demeurant régi par le droit suédois - mais sur celles de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, disposition résultant de la loi du 15 mai 2001 en vertu de laquelle engage la responsabilité de son auteur la rupture brutale, même partielle, de relations commerciales établies, la victime des agissements pouvant demander à la juridiction civile ou commerciale compétente des dommages-intérêts en réparation des préjudices subis et le ministre de l'Economie ou le Ministère public, lesquels ont la faculté d'introduire l'action, ayant quant à eux la possibilité de demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques discriminatoires et abusives, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de l'indû et le prononcé d'une amende civile ;
Attendu que les dispositions législatives fondant la demande tendent à la protection des entreprises subissant un préjudice du fait des pratiques qu'elles répriment ; qu'elles constituent une loi de police au sens du droit international privé ayant vocation à s'appliquer à l'ensemble des pratiques dommageables, aux effet économiques et/ou concurrentiels défavorables, constatés sur le territoire national ;
Qu'elles donnent de plus au ministre de l'Economie, dont la position est comparable à celle du Ministère public, une mission de protection générale d'un ordre public économique lié au respect des règles de concurrence ;
Qu'il apparaît donc que la clause d'arbitrage figurant au contrat exclusif de vente signé par la société MCC Motos, et dont se prévaut la société KTM Group GmbH, est sans application dans le cas où la demande repose sur la violation des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du Code de commerce, dont les finalités échappent en tout état de cause aux prévisions contractuelles ;
Attendu qu'il convient, en conséquence, de rejeter le contredit comme mal fondé et de confirmer le jugement entrepris ;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société MCC Motos ; qu'il lui sera alloué une somme de 1 500 euro pour compenser les frais irrépétibles qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance ;
Par ces motifs, LA COUR, Déclare la société KTM Group GmbH mal fondée en son contredit. Confirme le jugement. Condamne la société KTM Group GmbH à payer à la société MCC Motos la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la société KTM Group GmbH aux dépens.