CA Douai, 2e ch. sect. 2, 29 juin 2006, n° 04-05152
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Comyn et Fils (SARL)
Défendeur :
La Redoute (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Fossier
Conseillers :
MM. Zanatta, Reboul
Avoués :
SCP Levasseur-Castille-Levasseur, Me Quignon
Avocats :
Mes Salmon, Lebas, Doussot
Vu le jugement en date du 24 juin 2004 du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing ayant débouté la société Comyn et Fils de ses demandes et l'ayant condamnée à payer à la société La Redoute la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'appel formé par la SARL Comyn et Fils le 29 juillet 2004.
Vu les conclusions déposées le 14 mars 2006 pour la SA Comyn et Fils demandant en application de l'article L. 442-6 I 4° du Code de commerce :
- voir constater la rupture brutale et sans préavis de la relation commerciale ayant existé avec la société La Redoute
- constater que les articles étaient distribués sous marque distributeur
- condamner la société La Redoute à lui payer la somme de 851 003 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2002
- la condamner à lui payer la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions déposées le 7 décembre 2005 pour la SA La Redoute demandant la confirmation de la décision, la condamnation de la société Comyn à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, la publication de l'arrêt dans cinq publications au choix de la société La Redoute et aux frais de la société Comyn, la condamnation à la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 10 mai 2006.
La société Comyn est spécialisée dans la production de sous-vêtements et tee-shirts à destination des sociétés de vente par correspondance, activité marquée par les cycles des collections saisonnières. Elle ne dispose pas de moyens de production et sous-traite la réalisation des commandes à plusieurs sociétés, notamment la SARL Touvière dont le gérant, Monsieur Coucke, est le même que celui de la société Comyn.
La société Comyn a été en relation commerciale depuis de nombreuses années avec la société La Redoute pour ses collections été et hiver, lesquelles sont sélectionnées et référencées un an avant la période de vente pour être livrées au cours du semestre précédant celle-ci.
Le montant du chiffre d'affaires réalisé avec La Redoute serait de 20 à 30 MF chaque année depuis 1996 et représenterait 63 à 70 % du chiffre d'affaires de la société Comyn.
Cette relation n'avait pas fait l'objet d'un contrat écrit sauf en mai 2000 où la société Comyn a signé avec la société La Redoute un contrat annuel de référencement et d'achat, valable uniquement pour une saison commerciale et pour la période allant de la signature du contrat et/ou l'acceptation de la commande jusqu'à la fin du catalogue concerné soit au 31 mars 2001 pour le catalogue automne-hiver et au 30 septembre 2001 pour celui printemps-été, les parties convenant qu'aucune reconduction tacite, prorogation ou renouvellement ne trouve à s'appliquer. Ce contrat précise également que le contractant doit informer officiellement La Redoute au cas où cette dernière représenterait plus de 25 % du chiffre d'affaires.
La société Comyn soutient qu'à l'occasion d'une réunion de février 1999, elle a été informée verbalement pour la collection Hiver 2000 du déréférencement total de ses sous-vêtements classiques Interlok Coton et Taillissime et également de la réduction à un seul modèle des références tee-shirts femmes ; qu'en mai 1999, elle a de nouveau été informée verbalement pour la collection Eté 2000 d'un déréférencement important des produits d'été, 9 références étant retenues sur 37 ; qu'elle a donc subi une première diminution conséquente de son chiffre d'affaires sur les collections de l'année 2000 soit 28 % pour la collection hiver 1999 et 65,50 % pour la collection été 2000 (baisse de 80 % en nombre de pièces commandées).
Il est à noter que le 26 février 1999, la société Comyn a signé avec PPR Marketing Services SA (Pinault Printemps Redoute) un accord international de coopération visant à apporter au fournisseur un appui dans ses relations avec les sociétés du groupe PPR dont La Redoute.
Ce contrat sera dénoncé dès le 8 février 2000 par PPR Marketing "dans un contexte de baisse du CA et d'un désengagement des enseignes".
Une réunion du 30 juin 2000 entre Comyn et PPR Marketing constatera : "la baisse très forte dans le référencement de ces 2 enseignes (La Redoute et Movitex) chez Comyn a entraîné une baisse de son CA avec les enseignes PPR d'environ 70 %".
Le 8 septembre 2000, la société Comyn a fait savoir à La Redoute que son façonnier en tricotage, la société Tovière, était mise en liquidation judiciaire et que cette situation la mettait dans l'impossibilité de faire face aux réassortiments de la saison d'hiver.
Le 12 septembre 2000, la société Comyn l'a informée que, suite à l'arrêt d'activité de son atelier de tricotage (société Tovière) elle se voyait obligée de terminer les commandes en cours dans les meilleures conditions mais que les derniers réassorts en "CV" et "FT" ainsi qu'une commande 3594564 FT616 ne seraient pas honorés.
Après ce dernier événement, la société La Redoute n'a plus donné suite au contrat du 29 mai 2000 relatif aux collections 2001. La société Comyn a licencié son personnel en septembre 2000.
Selon le rapport du 3 novembre 2004 de l'expert amiable, Monsieur Duponchelle, requis par la société Comyn pour évaluer son préjudice économique, le chiffre d'affaires de cette société a évolué comme suit : 30 KF en 1996 et 1997, 25 KF en 1998, 24 KF en 1999 et 9,9 KF en 2000, l'arrêt de l'activité a été décidé avec effet immédiat par assemblée générale du 27 octobre 2000 et les matériels vendus en mars 2001.
Par LRAR du 12 juillet 2001, la société Comyn a demandé à La Redoute une indemnisation en raison de la perte du chiffre d'affaires consécutif aux déréférencements au motif de la rupture brutale des relations commerciales. En application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, elle l'a assignée le 21 janvier 2002 sur ce moyen en réparation de son préjudice.
Le premier juge a débouté la société Comyn en retenant qu'il s'agissait de contrats annuels uniques à exécution instantanée négociés pour chaque catalogue ; que la baisse du chiffre d'affaires sur les collections 2000 était conjoncturelle ; que le nombre de références retenues ne peut être une constante mais le fruit d'une négociation annuelle ; que cette baisse reconduite pour 2001 s'est accompagnée de la reconnaissance par le fournisseur de l'impossibilité de tenir une partie du contrat du fait de la déconfiture de son sous-traitant Tovière.
Sur ce :
Il n'est pas contestable que la société Comyn entretenait depuis longtemps avec la société La Redoute des relations commerciales établies ; qu'à ce titre elle était référencée auprès de cette société, c'est-à-dire qu'elle était autorisée moyennant des contreparties financières à lui proposer ses produits à la revente ; que cette relation ancienne n'était pas concrétisée par un contrat écrit jusqu'en mai 2000 où il a été rédigé un contrat annuel non-reconductible valable uniquement pour la saison commerciale allant de la fin du catalogue concerné, soit au 31 mars 2001 pour le catalogue automne-hiver et au 30 septembre 2001 pour celui printemps-été.
Il n'est pas contesté que les relations ont cessé définitivement entre les parties après que la société Comyn ait informé La Redoute en septembre 2000 ne plus être en mesure d'assurer les réassortiments de la saison d'hiver et de se trouver obligée de terminer les commandes en cours dans les meilleures conditions suite à la liquidation judiciaire de son sous-traitant Touvière.
La rupture brutale des relations commerciales dont se prévaut la société Comyn prend naissance, selon cette dernière, avec le déréférencement partiel annoncé verbalement en février et mai 1999 respectivement pour les catalogues hiver 1999 et été 2000 pour s'achever en septembre 2000 par l'arrêt définitif des relations sans qu'un préavis écrit soit donné.
Il convient donc de dire si la rupture a été brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et d'examiner ces relations de façon chronologique et dans leur ensemble.
Concernant le déréférencement partiel annoncé en février et mai 1999 pour les catalogues hiver 1999 et été 2000, période pour laquelle le contrat signé en mai 2000 n'était pas encore applicable, il convient de rappeler qu'en principe, même quand elle est partielle, la rupture brutale peut donner lieu à réparation sous certaines conditions ; que cependant, le fait d'être référencé n'entraîne pas une garantie de maintien du chiffre d'affaires annuel lequel peut évoluer en fonction du marché et de la mode.
Sur le premier déréférencement annoncé en février 1999 pour l'hiver 1999/2000, celui-ci a entraîné une baisse du chiffre d'affaires sur la collection hiver 1999 limitée à 28 % (diminution de 14,8 MF à 10,5 MF, pièce 7/2 Comyn) soit un pourcentage d'une importance non négligeable mais inscrite dans la marge de manœuvre que doit pouvoir conserver tout donneur d'ordres soumis lui aussi aux critères et impératifs du marché du textile.
Sur le second déréférencement annoncé en mai 1999 pour l'été 2000, celui-ci a entraîné une baisse de 65 % du chiffre d'affaires sur la collection été 2000 (diminution de 13,7 MF à 4,7 MF, pièce 7/2 Comyn) soit un pourcentage certes important mais annoncé au cours de la période de sélection allant d'avril à juin 1999 soit bien avant la période de livraison de l'été 2000 s'échelonnant de janvier à juin 2000 et à une date où le fournisseur peut encore tenter de retrouver d'autres marchés à livrer sur l'été 2000.
Si cette baisse apparaît importante, elle doit cependant être pondérée sur la période annuelle des deux collections été et hiver car la baisse cumulée des pertes de chiffre d'affaires sur les deux collections hiver 1999/2000 et été 2000 est de 13,3 MF sur un chiffre d'affaires antérieur de 28,5 MF (pièce 7/2 Comyn) ce qui la réduit sur la période annuelle considérée à moins de 50 %.
Elle doit être pondérée également en fonction de la suite donnée aux relations pour les collections postérieures. En signant avec La Redoute, en mai 2000 et pour la première fois, un contrat écrit de référencement et d'achat pour les collections hiver 2000/2001 et été 2001, la société Comyn s'est trouvée confirmée dans sa position de fournisseur et potentiellement en mesure, par ses propositions commerciales, de retrouver ses parts de marché antérieures.
Il s'ensuit que, suite à un chiffre d'affaires annuel réalisé sur 2 collections en baisse de moins de 50 % et à la poursuite du contrat en 2000, ce déréférencement partiel de la collection été 2000 annoncé en mai 1999 ne peut s'analyser en une rupture brutale des relations commerciales ni être considéré comme la cause de la cessation d'activité de la société Comyn en septembre 2000.
Sur la rupture de fait et sans préavis écrit survenue en septembre 2000, date à laquelle le contrat du 29 mai 2000 était applicable, il ressort des termes mêmes des deux correspondances des 8 et 12 septembre 2000, que la société Comyn a reconnu d'une part être dans l'impossibilité de faire face aux réassortiments de la saison d'hiver suite à la liquidation judiciaire de son façonnier en tricotage, la société Tovière, et d'autre part être obligée de terminer les commandes en cours dans les meilleures conditions sauf l'une d'entre elles ainsi que les derniers réassorts en "CV" et "FT" ; que ces propos annonçaient sans ambigüité une cessation des relations commerciales tant pour l'achèvement des commandes anciennes (réassortiments) que pour celles à venir au titre du nouveau contrat ainsi que l'absence de recherche d'un nouveau façonnier sous-traitant ; que cette cessation était déjà programmée dans les faits puisque le personnel de la société Comyn a été licencié pour raison économique dès ce mois de septembre 2000, cette situation ayant été entérinée par la décision de l'assemblée générale du 27 octobre 2000 mettant officiellement fin à l'activité de la société le même jour.
Il s'ensuit que la société Comyn a reconnu en septembre 2000 être dans l'incapacité d'honorer complètement les commandes passées, d'exécuter les obligations du contrat en cours et de poursuivre les relations commerciales à venir, arrêtant dès lors totalement son activité, d'où il suit que le moyen soulevé n'est pas fondé.
La société La Redoute sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts supplémentaires pour procédure abusive.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser supporter par la société La Redoute les frais irrépétibles engagés à l'occasion de la présente instance aussi une somme de 5 000 euro lui sera attribuée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, en dernier ressort, Confirme le jugement en date du 24 juin 2004 du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing. Déboute la société La Redoute de sa demande de dommages et intérêts supplémentaires ; Condamne la société Comyn à payer à la société La Redoute la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Comyn aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.