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Décisions

CJCE, 1re ch., 20 avril 1988, n° 204-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Bekaert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bosco

Avocat général :

M. Da Cruz Vilaca

Juges :

MM. Joliet, Schockweiler

CJCE n° 204-87

20 avril 1988

LA COUR (première chambre),

1. Par arrêt avant dire droit du 22 juin 1987, parvenu à la Cour le 6 juillet suivant, la Cour d'appel de Rennes a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle visant à savoir si "la législation française relative à l'urbanisme commercial et tout spécialement les articles 28 a 36 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 sont compatibles avec les dispositions du traité de Rome et les directives de la Communauté économique européenne".

2. Cette question a été soulevée dans le cadre de poursuites pénales engagées contre M. Guy Bekaert, directeur de société à Saint-Lo, prévenu de s'être fait délivrer par la Commission départementale d'urbanisme de la Manche, sur la base de faux renseignements et au moyen de fausses déclarations, une autorisation pour agrandir son commerce, telle qu'exigée par la loi française du 27 décembre 1973 sur l'urbanisme commercial.

3. M. Bekaert s'est défendu en faisant valoir que la réglementation française en matière d'autorisation d'ouverture et d'extension de grandes surfaces est contraire aux textes communautaires énonçant les principes de la liberté de commerce et de concurrence et, par voie de conséquence, de la liberté d'établissement et a demandé à la Cour d'appel de Rennes de soumettre à la Cour la question préjudicielle susmentionnée.

4. Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des observations soumises à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5. Eu égard au libellé de la question, il convient tout d'abord de rappeler que, si la Cour n'a pas compétence, aux termes de l'article 177 du traité, pour appliquer la règle communautaire à une espèce déterminée et, partant, pour qualifier une disposition de droit national au regard de cette règle, elle peut cependant, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée par cet article, à partir des éléments du dossier, fournir à une juridiction nationale les éléments d'interprétation du droit communautaire qui pourraient lui être utiles dans l'appréciation des effets de cette disposition.

6. Si la question posée peut donc être entendue comme visant l'interprétation du droit communautaire, son libellé, qui se borne à mentionner "les dispositions du traité de Rome et les directives de la Communauté économique européenne", n'indique pas la disposition ou les dispositions du droit communautaire auxquelles il est fait référence.

7. Dans des circonstances similaires, la Cour a déjà précisé qu'il lui incombe d'extraire de l'ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de l'acte portant renvoi, les éléments de droit communautaire qui appellent une interprétation, compte tenu de l'objet du litige (arrêt du 29 novembre 1978, Pig Marketing Board, 83-78, Rec. p. 2347).

8. Il ressort de la motivation de l'arrêt de renvoi que la Cour d'appel de Rennes estime que l'exigence d'une autorisation préalable aux fins de l'exploitation en France, par un commerçant, d'une surface de vente supérieure à 1 000 m2 ou à 1 500 m2, selon la population de la commune concernée, "constitue une restriction à la liberté d'établissement, même si cette restriction est dictée par le souci de protéger une catégorie de commerçants menacés de disparition ".

9. A la lumière de ces considérations, il apparaît que la juridiction nationale vise à savoir si le principe de la liberté d'établissement s'oppose à une réglementation nationale telle que la loi française sur l'urbanisme commercial. La question posée à la Cour doit donc être reformulée en ce sens qu'elle vise l'interprétation des dispositions communautaires relatives à la liberté d'établissement, plus précisément l'article 52 du traité CEE, ainsi que les directives 68-363 et 68-364 du Conseil, du 15 octobre 1968 (JO L 258, p. 1 et 6), prises pour sa mise en œuvre dans le domaine des activités non salariées relevant du commerce de détail.

10. En vue de la réponse à donner à cette question, il est important de souligner que, comme il ressort du dossier de l'affaire, M. Bekaert est de nationalité française et réside en France, où il gère une société anonyme qui exploite un établissement commercial, comme concessionnaire d'une marque d'automobiles française. Tous ces éléments font qu'on se trouve en l'espèce en présence d'une situation purement interne à un Etat membre.

11. Or, ainsi que la Cour l'a précisé dans son arrêt du 12 février 1987 (221-85, Commission/Royaume de Belgique, Rec. p. 719), en se référant justement au principe de la liberté d'établissement énoncé à l'article 52 du traité CEE, l'article 52 vise à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d'un Etat membre qui s'établit, ne serait-ce qu'à titre secondaire, dans un autre Etat membre pour y exercer une activité non salariée, et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité en tant que restriction à la liberté d'établissement.

12. L'absence de tout élément sortant d'un cadre purement national dans une espèce déterminée a ainsi pour effet, en matière de liberté d'établissement, que les dispositions du droit communautaire ne sont pas applicables à une telle situation.

13. Il y a donc lieu de répondre à la question posée par la Cour d'appel de Rennes en ce sens que ni l'article 52 du traité CEE ni les directives 68-363 et 68-364 du Conseil prises pour sa mise en œuvre dans le domaine des activités non salariées relevant du commerce de détail ne s'appliquent à des situations purement internes à un Etat membre, telles que celle d'un ressortissant d'un Etat membre qui n'aurait jamais résidé ou travaillé dans un autre Etat membre.

Sur les dépens

14. Les frais exposés par le Gouvernement de la République française, par le Gouvernement du Royaume d'Espagne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Rennes, par arrêt du 22 juin 1987, dit pour droit :

Ni l'article 52 du traité CEE ni les directives 68-363 et 68-364 du Conseil prises pour sa mise en œuvre dans le domaine des activités non salariées relevant du commerce de détail ne s'appliquent à des situations purement internes à un Etat membre telles que celle d'un ressortissant d'un Etat membre qui n'aurait jamais résidé ou travaillé dans un autre Etat membre.