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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 16 janvier 2008, n° 07-01634

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage Girodo Le Clézio (SAS)

Défendeur :

Nissan West Europe (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frank

Conseillers :

Mmes Louys, Andrich

Avoués :

SCP Jupin & Algrin, SCP Jullien Lecharny, Rol, Fertier

Avocats :

Me Bertin, Selas Vogel & Vogel

CA Versailles n° 07-01634

16 janvier 2008

Faits et procédure

La société Nissan France et la société Garage Girodo Le Clézio étaient liées par un contrat de concession automobile signé en 1995 qui prévoyait, en son article 6, être conclu pour une durée indéterminée, prendre effet le 27 décembre 1995 et être résilié à tout moment moyennant un préavis de deux ans.

Le 24 septembre 2002, la société Nissan France a résilié le contrat de concession par lettre recommandée avec accusé de réception avec effet au 24 septembre 2004.

La société Garage Girodo Le Clézio a assigné la société Nissan France pour voir, en application des articles 872 et suivants du nouveau Code de procédure civile, condamner la société Nissan France sous astreinte de 45 000 euro par jour de retard à poursuivre ses relations contractuelles avec elle, en lui livrant des véhicules neufs de marque Nissan et en lui fournissant des pièces détachées, équipements accessoires de cette marque, en lui restaurant la ligne d'encours habituellement consentie aux conditions convenues, afin de lui permettre d'assurer le service des réparations et d'après-vente et ce, jusqu'à ce que, par une décision définitive, le juge du fond se soit prononcé sur son intégration dans le réseau de distribution Nissan.

Par une ordonnance en date du 22 septembre 2004, le président du Tribunal de commerce de Versailles a:

- donné acte à la société Nissan France qu'elle n'est pas opposée à signer un contrat de réparateur agréé avec la société Garage Girodo Le Clézio, sous réserve que la procédure d'agrément révèle que ladite société respecte l'ensemble des critères qualitatifs déterminés;

- débouté la société Garage Girodo Le Clézio de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Nissan France une somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le premier juge a relevé que la société Nissan France avait respecté les termes du contrat de concession applicable entre les parties qui avait été résilié conformément aux clauses visées à l'article 6 et qui dès lors, devait prendre fin le 24 septembre 2004 de manière licite.

Il ajoutait que le dommage imminent ne pouvait être retenu à l'encontre de la société Nissan France que dans la mesure où celle-ci aurait commis une faute, ce qui n'était pas le cas, de telle sorte qu'il n'existait pas de trouble illicite.

Sur appel interjeté par la société Girodo Le Clézio, la Cour d'appel de Versailles, par arrêt en date du 15 décembre 2004, a infirmé l'ordonnance de référé et condamné la société Nissan France à poursuivre ses relations contractuelles avec la société Garage Girodo Le Clézio et à lui verser une somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur un pourvoi formé par la société Nissan France, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 28 novembre 2006, a cassé et annulé l'arrêt rendu le 15 décembre 2004 en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles autrement composée.

La Cour de cassation a retenu qu'en ordonnant à la société Nissan France, la poursuite des relations contractuelles avec la société Garage Girodo Le Clézio, alors qu'elle relevait que le contrat de distribution avait été régulièrement résilié, sans constater la conclusion d'un nouveau contrat entre les parties, la cour d'appel avait violé l'article 873 du nouveau Code de procédure civile.

Devant la cour d'appel saisie sur renvoi après cassation, la société Garage Girodo Le Clézio conclut à l'infirmation de l'ordonnance de référé du 22 septembre 2004.

Elle demande à la cour d'appel de constater qu'elle justifie d'arguments et, qu'en application de l'article 873, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile, le juge des référés est compétent pour ordonner toute mesure conservatoire susceptible de prévenir un dommage imminent et de faire cesser un trouble illicite et en conséquence de condamner la société Nissan France à poursuivre ses relations contractuelles avec elle.

A titre subsidiaire, elle sollicite qu'il soit dit qu'elle était, à la date du 24 septembre 2004, titulaire d'un contrat de réparation et de distribution de véhicules neufs Nissan qui n'avait pas été résilié postérieurement à son entrée en vigueur au 1er octobre 2003, et en conséquence de condamner la société Nissan France dans les mêmes termes.

Plus subsidiairement, elle fait valoir qu'elle a intégré depuis le 1er octobre 2003, le nouveau réseau de réparateurs agréés et de distributeurs agréés et bénéficie d'un droit intangible à être, en l'absence de faute grave ou de carence avérée et alors qu'elle justifie, par un audit, respecter les critères de sélectivité, maintenue en son sein ; plus subsidiairement encore, elle soutient que la situation résulte des seuls agissements fautifs de la société Nissan France qui a commis un abus en lui refusant son agrément à compter du 25 septembre 2004, ce qui justifie le maintien des relations contractuelles en référé.

Elle conclut au débouté de la société Nissan France de toutes ses demandes reconventionnelles, qu'elle s'engage subsidiairement à déposer l'intégralité de ses signes distinctifs Nissan dans un délai d'un mois de la notification de l'arrêt. Elle sollicite une somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, la société Garage Girodo Le Clézio, fait valoir que les dispositions explicites de l'article 873, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile permettent au président statuant en référé de prescrire des mesures conservatoires même en présence d'une contestation sérieuse, ce qui exclut l'obligation de trancher lesdites contestations dès lors qu'il s'agit de prévenir un dommage ou faire cesser un trouble manifestement illicite. Elle retient que la Cour d'appel de Versailles qui a jugé que l'existence d'une contestation sérieuse ne fait pas obstacle à ce pouvoir puisque celle-ci est le fondement même de l'intervention du juge des référés en application de l'article 873, alinéa 1, du nouveau Code de procédure civile, a satisfait aux conditions d'application de ce texte.

Elle expose encore qu'elle ne conteste pas la régularité formelle de la résiliation du 24 septembre 2002 à effet au 24 septembre 2004, mais que certains événements postérieurs sont de nature à remettre en cause les effets de cette résiliation.

Elle se prévaut de la survenance du règlement CE n° 1400-2002 du 31 juillet 2002, entré en vigueur au 1er octobre 2003, règlement d'exemption dont la société Nissan West Europe a pourtant librement revendiqué le bénéfice, puisque, d'une part, lors de l'entrée en vigueur, d'un premier règlement d'exemption CE n° 1475-1995, cette société a résilié l'ensemble des anciens contrats de concession pour en substituer de nouveaux et lors de l'entrée en vigueur du règlement 1400-2002, elle a rédigé et fait régulariser à son réseau de nouveaux contrats de réparateurs et de distributeurs agréés, intégrant l'ensemble des prescriptions dudit règlement et que d'autre part, par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 septembre 2003, elle a relevé la société Garage Girodo Le Clézio de l'ensemble de ses obligations contractuelles non exemptées par le nouveau règlement communautaire, pour les mois restant à courir, après le 1er octobre 2003, ce qu'elle-même a accepté.

Elle en conclut, que de ce fait, les parties ont décidé, postérieurement à la résiliation de 2002, par engagement synallagmatique ayant force obligatoire de modifier le contenu du contrat de concession qui existait sous l'empire du règlement 1475-1995 pour le mettre en conformité avec le nouveau règlement 1400-2002 et que la société Nissan West Europe ne peut, dès lors, prétendre à une échéance au 24 septembre 2004 du contrat ainsi modifié, dès lors que celle-ci est contraire et incompatible avec les dispositions de l'article 3 § 5 de ce règlement.

Elle oppose aux arguments de la société Nissan West Europe que celle-ci ne peut prétendre que l'accord modifié entré en vigueur le 1er octobre 2003 ne soit exécuté que pendant douze mois, dès lors qu'il n'existe que deux alternatives possibles, soit le contrat est modifié et sa durée doit être conforme aux prescriptions de l'article 3 § 5, soit le contrat n'est pas modifié et l'exclusivité territoriale absolue qui lui avait été concédée aurait du être maintenue.

Elle soutient que dans la mesure où la société Nissan West Europe l'a intégrée dans le réseau de distribution sélective qu'elle a mis en place à compter du 1er octobre 2003, ce qui est, en outre, attesté par de nombreux courriers postérieurs la qualifiant de "membre du réseau agréé", quelle que soit la durée déterminée ou non de son ancien contrat et la date d'effet d'une résiliation notifiée antérieurement, elle dispose d'un droit automatique et intangible à bénéficier immédiatement d'un nouveau contrat et à être maintenue au sein du réseau de distribution des véhicules neufs Nissan à compter du 25 septembre 2004.

La société Nissan West Europe anciennement Nissan France demande de dire n'y avoir lieu à référé en l'absence de relations contractuelles d'aucune sorte entre elle-même et la société Garage Girodo Le Clézio et subsidiairement, de débouter l'appelante.

A titre reconventionnel, elle demande à la cour d'appel de condamner la société Garage Girodo Le Clézio à lui verser une provision de 165 832 euro en application de l'article 9 du contrat de concession, ainsi que 216 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

Elle sollicite, en tout état de cause, qu'il soit ordonné à l'appelante, la dépose des panneaux sous astreinte et sa condamnation à lui verser une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle oppose aux prétentions de la société Garage Girodo Le Clézio que l'entrée en vigueur du règlement 1400-2002 est sans incidence sur la résiliation du contrat de concession et ne peut avoir pour effet de créer un nouveau contrat entre les parties, dès lors que, selon une jurisprudence communautaire arrêtée depuis l'arrêt 10-86 de la Cour de justice européenne en date du 18 décembre 1986, un règlement d'exemption "n'établit pas de dispositions contraignantes affectant la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat" et que c'est à bon droit que le juge des référés du Tribunal de commerce de Versailles a retenu que ce règlement n'avait pas pour effet la nullité des accords qui n'y seraient pas conformes, ni d'imposer de nouvelles clauses à un contrat existant.

Elle dénie qu'il y ait eu un nouveau contrat passé avec la société Garage Girodo Le Clézio dès lors qu'aucun avenant au contrat de concession n'a été signé en cours du préavis, et soutient que le seul effet de la lettre du 8 septembre 2003 dont se prévaut la société Garage Girodo Le Clézio est, que celle-ci a été avisée de ce que la société Nissan West Europe n'exigerait pas d'elle le respect de certaines obligations contractuelles stipulées à son profit, décision qui n'emportait aucune modification des droits de la société Garage Girodo Le Clézio ni aucune augmentation de ses obligations et ne la rendait pas titulaire d'un contrat de distribution sélective, dès lors que le seul contrat qui s'est appliqué jusqu'au 24 septembre 2004 est le contrat de concession du 27 décembre 1995.

Elle soutient qu'en outre, à la lecture de l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation ayant cassé la première décision de la Cour d'appel de Versailles, le seul fait qu'un nouveau contrat n'existe pas fait obstacle à ce que le juge des référés en ordonne la poursuite et que, c'est à titre surabondant qu'elle expose que la société Garage Girodo Le Clézio a refusé de devenir réparateur agréé, malgré une première demande à laquelle il a été répondu par une proposition de suivre la procédure d'agrément et de prise de rendez-vous pour un audit par la société choisie dans le cadre de cette procédure, sans que l'appelant y ait donné suite.

Elle ajoute qu'elle était en droit de ne pas choisir la société Garage Girodo Le Clézio comme distributeur agréé de véhicules neufs, ainsi qu'il résulte d'un système de distribution sélective quantitative laissant la liberté au fournisseur de décider de fixer un nombre maximum de points de vente de voitures neuves particulières géographiquement répartis.

Elle relève qu'en l'espèce, il n'y a pas lieu d'ordonner la poursuite de relations contractuelles au delà de la date d'expiration du délai de préavis dans la mesure où la société Garage Girodo Le Clézio ne justifie pas de l'existence d'un trouble manifestement illicite qui se définit comme celui créé par une violation de la règle de droit et qu'aucune irrégularité manifeste ne peut être relevée, pas plus que de la réalité d'un dommage imminent, dès lors que la société Garage Girodo Le Clézio a attendu trois mois après l'arrêt de cassation mettant fin à la poursuite forcée des relations contractuelles pour saisir la cour d'appel de renvoi, n'a vendu au cours de l'année 2006 que quatorze véhicules de marque Nissan continuant néanmoins à faire usage de l'enseigne lui permettant d'attirer des clients auxquels elle revend des véhicules d'autres marques, a laissé se périmer la procédure au fond et que la cessation de son activité de service après-vente ne résulte que de son refus de suivre la procédure d'agrément proposée.

Motifs de l'arrêt :

Considérant que la régularité formelle de la résiliation du contrat de concession signé le 27 décembre 1995 n'est pas contestée par la société Garage Girodo Le Clézio qui soutient qu'un nouveau contrat s'est formé postérieurement à la résiliation à l'initiative de la société Nissan France devenue Nissan West Europe;

Considérant d'une part, qu'il y a lieu de constater qu'aucun écrit attestant la rencontre de la volonté des parties n'a été établi postérieurement à la résiliation et que la lettre du 8 septembre 2003 déchargeant la société Garage Girodo Le Clézio de l'ensemble de ses obligations contractuelles non exemptées par le nouveau règlement communautaire, précisait que cette décharge ne remettait pas en cause la date d'effet de la rupture des relations contractuelles;

Considérant d'autre part, que si l'entrée en vigueur du règlement communautaire 1400-2002 n'emporte pas nullité des conventions contenant des clauses contraires et n'oblige pas les parties à mettre en conformité les accords, la société Garage Girodo Le Clézio soutient que la société Nissan West Europe a librement décidé de revendiquer le bénéfice de ce règlement d'exemption lui conférant ainsi force obligatoire;

Considérant à cet égard, que la société Garage Girodo Le Clézio qui se prévaut de l'absence de respect par la société Nissan West Europe de la clause d'exclusivité territoriale postérieurement à la mise en conformité au règlement 1400-2002 induite par la dite lettre, n'apporte aucun élément de nature à établir que les droits qu'elle détenait en vertu du contrat de concession aient été modifiés ou ignorés par la société Nissan West Europe ou que ses charges aient été accrues postérieurement au 1er octobre 2003;

Qu'il apparaît dès lors, que la société Nissan West Europe n'a renoncé qu'à certaines obligations qui pouvaient incomber à son cocontractant;

Considérant que la décharge d'obligations contractuelles stipulées au profit de la partie qui unilatéralement y renonce, ne peut à elle seule opérer novation du contrat;

Considérant encore, qu'il résulte des échanges entre les parties et, notamment, des lettres adressées pendant le préavis, que la société Nissan West Europe n'était pas opposée à ce que la société Garage Girodo Le Clézio sollicite son agrément en qualité de réparateur du réseau qu'elle a mis en place;

Que la société Garage Girodo Le Clézio qui a refusé de se soumettre à la procédure, telle qu'arrêtée par la société Nissan West Europe pour l'ensemble des candidats à l'intégration au réseau, en sollicitant un audit extérieur, ne peut soutenir sérieusement qu'elle remplit toutes les conditions pour être agréée et bénéficie de plein droit d'un contrat de réparateur agréé;

Que force est de constater qu'elle n'établit pas non plus avec l'évidence requise en référé, que la société Nissan avait obligation de l'agréer en tant que distributeur de véhicules neufs;

Qu'il y lieu de constater que le terme ultime du seul contrat liant les parties, est le 24 septembre 2004 et qu'aucune violation ne peut être imputée à la société Nissan West Europe qui pourrait occasionner un trouble illicite;

Considérant que, afin que le dommage imminent avancé par la société Garage Girodo Le Clézio ne constitue que la conséquence de la cessation de son activité en rapport avec le contrat de concession régulièrement rompu par la société Nissan;

Que la contestation formée par la société Garage Girodo Le Clézio à la régularité de la rupture des relations commerciales initiée par la société Nissan en 2002 n'étant pas sérieuse, celle-ci doit produire ses effets ;

Que l'ordonnance rendue par le président du Tribunal de commerce de Versailles sera confirmée en toutes ses dispositions

Considérant que les demandes de la société Nissan tendant à la dépose des enseignes, à la réparation du préjudice né des actes de concurrence déloyale et à l'octroi de somme en application de l'article 9 du contrat de concession qui n'ont pas été soumises au premier juge sont irrecevables comme nouvelles en cause d'appel ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Nissan West Europe l'intégralité des frais exposés à l'occasion de la présente instance; qu'il y a lieu de faire droit à sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans la limite de 4 000 euro;

Par ces motifs, Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort; Confirme l'ordonnance de référé rendue entre les parties par le Tribunal de commerce de Versailles le 22 septembre 2004; Y ajoutant; Déclare irrecevables comme nouvelles les demandes de la société Nissan West Europe tendant à ce que la dépose des enseignes soit ordonnée et que la société Garage Girodo Le Clézio soit condamnée à lui verser diverses sommes au titre de la réparation du préjudice né des actes de concurrence déloyale et de l'application de l'article 9 du contrat de concession; Condamne la société Garage Girodo Le Clézio à verser à la société Nissan West Europe, la somme de 4 000 euro (quatre mille euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société Garage Girodo Le Clézio aux dépens, autorisation étant donnée, à la SCP Jullien-Lecharny-Rol-Fertier, de les recouvrer conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.