Livv
Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ. A, 15 février 2007, n° 04-03048

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

D. Duchesne (SA), Biotonic (SA)

Défendeur :

Schilling

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Werl

Conseillers :

Mmes Mittelberger, Conte

Avocats :

Me Levy, SCP Wemaere & Leven-Edel

TGI Colmar, du 18 mai 2004

18 mai 2004

Mme Sylvie Schilling, domiciliée à Colmar a été destinataire au cours de l'année 1999 de multiples documents émanant d'une société TV Direct Distribution, sise à Wattignies, présentée comme enseigne commerciale de la SA Biotonic, sise à Mougins, qui la désignaient de façon nominative et répétitive comme la gagnante d'une somme de 100 000 F, sous réserve de retourner, successivement, une fiche de "préinscription définitive", une "fiche de réservation", une "confirmation de participation" et un "acte officiel de réponse", ce qu'elle a scrupuleusement fait, des avis de confirmation de gain lui étant ensuite à nouveau adressés.

Faute d'obtenir effectivement la somme gagnée, malgré mise en demeure, Mme Schilling a assigné en octobre 2002 ces deux sociétés devant le Tribunal de grande instance de Colmar aux fins de les condamner in solidum à lui payer la somme de 15 244,90 euro (100 000 F) avec intérêts légaux à compter de la lettre de mise en demeure, soit le 15 juillet 1999, Mme Schilling fondant son action à titre principal sur la responsabilité contractuelle des défenderesses, subsidiairement, sur leur responsabilité délictuelle. La société de droit belge D. Duchesne est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement prononcé le 18 mai 2004, le Tribunal de grande instance de Colmar, après avoir constaté que l'existence d'une société "TV Direct Distribution" n'était pas établie et qu'il s'agissait d'une enseigne commerciale utilisée par la SA Biotonic ainsi que par une société de droit belge, volontairement intervenue à l'instance, la SA Duchesne, a retenu sa compétence territoriale qui était contestée par les défenderesses. Le premier juge, après avoir écarté l'existence de relations contractuelles entre les parties, a en effet estimé qu'en matière délictuelle, Mme Schilling disposait de l'option de compétence offerte par l'article 46 du nouveau Code de procédure civile et qu'elle avait choisi à bon droit la juridiction du lieu de réalisation du dommage, soit Colmar.

Sur le fond, le tribunal a estimé que les conditions de l'article 1382 du Code civil étaient réunies, dès lors que les multiples lettres que lui ont adressées les défenderesses ont créé chez Mme Schilling non seulement un espoir de gain, mais surtout, compte tenu du caractère affirmatif de ces lettres, la certitude d'avoir gagné la somme de 100 000 F, alors qu'il n'en était rien. Le préjudice de la demanderesse étant à la mesure de l'illusion créée, c'est donc le montant de la somme gagnée mais non versée, qui lui a été allouée.

Le tribunal a en conséquence:

- rejeté l'exception d'incompétence,

- condamné solidairement la SA Biotonic et la SA D. Duchesne à payer à Mme Schilling la somme de 15 244,90 euro, portant intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 1999,

- ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration reçue le 18 juin 2004 au greffe, les sociétés Biotonic et Duchesne ont interjeté appel contre ce jugement, dans des conditions de recevabilité qui apparaissent régulières en la forme. Elles demandent à la cour, dans le dernier état de leurs conclusions du 14 décembre 2005, de:

A titre principal:

- in limine litis, vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile,

- constater que les juges de première instance ont prononcé une condamnation sur le fond alors que les sociétés concluantes n'ont pas été invitées à présenter leur défense sur ce point,

- en conséquence, prononcer la nullité du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Colmar du 18 mai 2004 pour violation du principe du contradictoire,

A titre subsidiaire:

- in limine litis, vu les articles 42 et 46 du nouveau Code de procédure civile,

- donner acte à la SA D. Duchesne de son intervention volontaire aux débats, en représentation de son enseigne commerciale TV Direct Distribution,

- constater que la demande de Madame Schilling vise des jeux promotionnels diffusés par la S.A. Biotonic, dont le siège social se situe à Mougins, dans le ressort du Tribunal de grande instance de Grasse,

- se déclarer territorialement incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Grasse,

A titre infiniment subsidiaire: sur le fond du litige:

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Colmar le 18 mai 2004,

- constater que le jeu publicitaire diffusé par la société Biotonic est parfaitement licite,

- constater qu'aucune faute ne peut être mise à la charge de la société Biotonic, qui a par ailleurs souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée,

- constater que la SA Biotonic a été soucieuse, par les envois des différents documents, de mettre en exergue l'existence d'un aléa,

- débouter Madame Schilling de ses demandes, fins et conclusions tant comme irrecevables que mal fondées,

- condamner Madame Schilling à payer la somme de 750 euro à chacune des sociétés défenderesses au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les appelantes soutiennent tout d'abord qu'elles n'ont jamais conclu au fond et n'ont jamais reçu injonction d'avoir à le faire, ce qui justifierait selon elles l'annulation du jugement entrepris par application des dispositions de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile.

Elles reprennent également leurs moyens tendant à démontrer l'incompétence du Tribunal de grande instance de Colmar, au profit du Tribunal de grande instance de Grasse dans le ressort duquel la SA Biotonic a son siège social, cette société ayant diffusé les documents adressés à Mme Schilling, qualifiés de jeux promotionnels par les défenderesses. Celles-ci estiment que le litige ne peut se situer que dans un cadre quasi-contractuel, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation avec ses arrêts du 6 septembre 2002 ce qui conduit à exclure l'option de compétence offerte par l'article 46 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile;

Sur le fond du litige, les appelantes font valoir que ce qui a été mis en œuvre, c'est un jeu promotionnel avec pré-tirage au sort du nom du gagnant, ce qui caractérise l'existence d'un aléa dont Mme Schilling avait parfaitement connaissance par les documents qui lui ont été adressés et exclut toute faute des défenderesses quelque soit le fondement juridique de la demande de Mme Schilling.

Les sociétés Biotonic et Duchesne rappellent en outre que le litige doit s'apprécier aussi au regard de l'existence ou non de la bonne foi de Mme Schilling qui, en consommateur normalement avisé, ne pouvait espérer réellement avoir bénéficié d'un gain de 100 000 F.

Par ses dernières conclusions du 20 octobre 2005, Mme Schilling demande à la cour de rejeter l'appel, de confirmer le jugement entrepris et de condamner les défenderesses et appelantes aux dépens ainsi qu'à lui payer 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle réfute la prétention des appelantes tendant à l'annulation du jugement, rappelant que celles- ci étaient en mesure de conclure au fond si elles le souhaitaient, le principe du contradictoire ayant été parfaitement respecté.

S'agissant de la compétence du Tribunal de grande instance de Colmar, Mme Schilling soutient que cette juridiction est compétente comme lieu d'exécution du contrat même si la livraison n'a pas été effective, si l'on retient le fondement de la responsabilité contractuelle ou quasi- contractuelle, et comme lieu du fait dommageable sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Devant la cour, Mme Schilling invoque à titre principal la responsabilité délictuelle des sociétés Biotonic et D. Duchesne, se ralliant ainsi à la solution adoptée par le premier juge dont elle reprend à son compte les motifs, et reprend à titre subsidiaire ses moyens tirés de la responsabilité contractuelle des appelantes, rappelant qu'il y a eu engagement unilatéral de celles-ci à l'égard de Mme Schilling qui, en retournant les documents complétés et, pour l'un d'eux, signé, a parfait le contrat. Elle estime qu'elle est fondée à réclamer au titre de son préjudice, la somme de 100 000 F promise mais non remise, et fait également valoir un préjudice moral, qu'elle ne chiffre cependant pas, ses conclusions tendant par ailleurs à la confirmation du jugement entrepris qui a exclu la réalité d'un tel préjudice.

Mme Schilling fait très subsidiairement valoir la responsabilité quasi-contractuelle des appelantes, sur le fondement de l'article 1371 du Code civil, s'inspirant sans doute de la jurisprudence de la Cour de cassation du 6 mai 2002, soutenant qu'en l'espèce les engagements des sociétés appelantes ne révélaient pas l'existence d'un aléa.

Vu l'ordonnance de clôture du 26 mai 2006;

Vu les conclusions susvisées, l'ensemble de la procédure et les pièces produites par les parties;

En cet état:

Attendu, en premier lieu, que les parties appelantes soutiennent que le jugement entrepris doit être annulé, au visa de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile, au motif qu'il emporte condamnation au fond de celles-ci alors qu'elles n'ont pas pu présenter leur défense au fond;

Attendu, cependant, que tant la SA Biotonic que la SA D. Duchesne ont eu connaissance des moyens au fond développés par Mme Schilling dès sa demande introductive d'instance du 5 juin 2002, ce qui n'est pas contesté ; qu'à la suite des conclusions d'incompétence déposées le 6 février 2003 par les défenderesses, Mme Schilling a conclu le 9 octobre 2003 en répliquant aux moyens d'incompétence soulevés par celles-là et en développant à nouveau ses moyens au fond ; que c'est dans ces conditions que la SA Biotonic et la SA D. Duchesne ont déposé le 9 février 2004 des "conclusions en réplique et récapitulatives" par lesquelles elles maintenaient et précisaient leurs moyens d'incompétence, tout en persistant à ne pas répliquer au fond, alors qu'il n'est pas discuté que les défenderesses n'ont jamais soumis leur exception d'incompétence au juge de la mise en état ; qu'il appartenait donc aux sociétés Biotonic et D. Duchesne de répliquer aux moyens de fond invoqués par Mme Schilling, ce qu'elles étaient en mesure de faire, dès lors qu'elles avaient connaissance depuis au moins octobre 2002 desdits moyens et des pièces produites par la demanderesse, l'ordonnance de clôture n'ayant été rendue que le 9 février 2004 après le dépôts des conclusions récapitulatives des défenderesses ; que la demande de ces dernières tendant à l'annulation du jugement dont appel pour violation du principe du contradictoire est donc dépourvue de fondement, dès lors qu'elles avaient choisi de ne pas conclure au fond; qu'elle sera dès lors rejetée;

Attendu, en second lieu, que le Tribunal de grande instance de Colmar a retenu sa compétence territoriale pour statuer sur l'action en responsabilité délictuelle qui était invoquée, à titre subsidiaire, par Mme Schilling, le premier juge considérant qu'à défaut d'engagement certain des défenderesses de payer une somme d'argent à la demanderesse, seules les règles de la responsabilité délictuelle pouvaient recevoir application ; que ce fondement délictuel a été repris à titre principal par Mme Schilling à hauteur de cour, l'intimée invoquant subsidiairement la responsabilité contractuelle et, très subsidiairement, la responsabilité quasi-contractuelle ;

Attendu que pour affirmer la compétence du Tribunal de grande instance de Colmar, quelque soit le fondement juridique de son action Mme Schilling fait valoir d'un part que celui-ci est compétent en raison du lieu d'exécution du contrat situé au domicile de la demanderesse où devait être assurée "la livraison de la somme d'argent litigieuse", les produits qu'elle avait par ailleurs commandés à la société Biotonic lui ayant été effectivement livrés à Colmar, d'autre part en raison du lieu du fait dommageable, faute de réception par Mme Schilling de la somme litigieuse qu'elle espérait; qu'enfin, elle soutient que "les quasi-contrats suivent les règles de compétence des contrats" ;

Attendu, en l'espèce, que Mme Schilling a participé courant 1999, dans le cadre d'une opération promotionnelle de la société Biotonic, à un jeu avec pré-tirage au sort du gagnant potentiel d'un chèque de 100 000 F parmi les destinataires des documents invitant ceux-ci à y participer et à chacun desquels un numéro était attribué ; que la demanderesse, qui était l'un de ces destinataires dénommés et qui avait confirmé sa participation à la société Biotonic, soutient que les documents qui lui ont été adressés étaient rédigés et présentés de telle manière qu'ils la désignaient avec certitude comme ayant gagné le lot de 100 000 F, lequel ne lui a pas été remis malgré mise en demeure;

Attendu que ces faits ne peuvent fonder une action délictuelle, mais uniquement une action en responsabilité quasi-contractuelle en raison du manquement des défenderesses à leur obligation de délivrance ; qu'en effet selon une jurisprudence désormais bien admise, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer (Cass. Ch. Mixte 6 septembre 2002 et Cass. Civ I 18 mars 2003);

Attendu, dès lors, que Mme Schilling ne disposait pas de l'option de compétence offerte par l'article 46 du nouveau Code de procédure civile et réservée, notamment, à la matière contractuelle et délictuelle, seul le fondement quasi-contractuel de l'article 1371 du Code civil trouvant à s'appliquer dans le présent litige et la matière quasi-contractuelle n'étant pas comprise dans le domaine de l'option offerte par cet article;

Qu'au surplus, à supposer l'option ouverte sur le fondement contractuel, il suffit de constater qu'en l'absence de livraison effective d'une chose ou d'exécution d'une prestation de service, le litige ne portant que sur le refus de paiement d'une somme de 100 000 F, Mme Schilling ne pourrait s'en prévaloir;

Attendu, par suite, que seule la juridiction du lieu du domicile du défendeur était compétente territorialement par application de l'article 42 du nouveau Code de procédure civile, soit en l'espèce le Tribunal de grande instance de Grasse où la SA Biotonic, qui a organisé la loterie publicitaire, a son siège social, au vu de l'extrait du 3 février 2004 du RCS qu'elle produit (1570 Chemin de la Plaine à 06250 Mougins);

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris sera infirmé ;

Attendu que l'issue du litige conduit à dire que Mme Schilling supportera les dépens de première instance et d'appel ; qu'en revanche l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit des appelantes.

Par ces motifs, Déclare l'appel recevable; Rejette la demande d'annulation du jugement entrepris; Infirme ce jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celle donnant acte à la société D. Duchesne de son intervention volontaire, et, statuant à nouveau: Déclare territorialement incompétent le Tribunal de grande instance de Colmar pour connaître du litige, au profit du Tribunal de grande instance de Grasse; Renvoie l'affaire et les parties devant le Tribunal de grande instance de Grasse; Condamne Mme Schilling aux entiers dépens de première instance et d'appel; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.