CA Aix-en-Provence, 5e ch. corr., 6 décembre 2006, n° 2006-695
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
James (Epoux), Rouquie (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jardel
Conseillers :
M. Lacan, Mme Michel
Avocats :
Mes Gontard, Krikorian
Rappel de la procédure:
La prévention:
Andrée Y épouse X et Raymond X sont prévenus pour:
- avoir à Vitrolles, entre le 10 mars 1997 et le 3 juin 1998, effectué une publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur les résultats attendus de biens ou de services, en l'espèce en faisant paraître dans deux périodiques, des publicités contenant des indications fausses sur la rentabilité d'un fonds de commerce de boulangerie ambulante conduisant les époux James puis les époux Rouquie à acheter ledit fonds;
Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 et L. 123-1 du Code de la consommation.
- avoir à Vitrolles courant 1997 et 1998, en employant des manœuvres frauduleuses, en l'espèce en recourant à des publicités fausses et en tenant des propos mensongers, avaient trompé les époux James puis les époux Rouquie et déterminé ceux-ci, à leur préjudice, à remettre des fonds, en l'espèce la somme de 200 000 F chacun;
Faits prévus et réprimés par les articles 313-1, 313-3, 313-7 et 313-8 du Code pénal.
- d'avoir à Vitrolles et sur le territoire national entre le 31 mai et le 30 octobre 2000, étant saisis, détourné une salle à manger renaissance espagnole comprenant un buffet, un bahut, une table, six chaises, un vaisselier, un canapé et deux fauteuils en cuir, une table en bois, un téléviseur de marque Thomson et une voiture de type Deawoo, saisis entre leurs mains en garantie des droits des créanciers et confié à leur garde et ce au préjudice des époux Rouquie,
Faits prévus et réprimés par les articles 314-6 et 314-11 du Code pénal. Andrée Y épouse X est prévenue:
- d'avoir à Vitrolles et sur le territoire national, le 12 mars 1998, par quelque moyen que ce soit, altéré frauduleusement la vérité d'un écrit ou tout autre support de la pensée destiné à établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, en l'espèce en falsifiant un bordereau acheteur, en date du 12 mars 1998, délivré par la SCP Hours-LR Hugues de Valaurie, Commissaires-priseurs, et fait usage du dit faux, en l'espèce en demandant l'annulation d'une saisie-vente, en date du 28 octobre 1999, devant le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence,
Faits prévus et réprimés par les articles 441-1, 441-9, 441-10 et 441-11 du Code pénal.
Le jugement:
Par jugement contradictoire à l'égard des deux prévenus, en date du 29 septembre 2004, le Tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence a relaxé X Raymond des fins de la poursuite, a relaxé Y Andrée épouse X des chefs de publicité trompeuse, d'escroquerie et de détournement d'objets saisis, l'a déclarée coupable pour le surplus (faux et usage de faux) et l'a condamnée à une peine prévue par la loi.
Statuant sur l'action civile, le tribunal a débouté les époux James de leur constitution de partie civile, a débouté les époux Rouquie de leur constitution de partie civile, en ce qu'elle était dirigée contre X Raymond, et a condamné Y Andrée épouse X à leur payer la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts.
Les appels:
Les époux James et les époux Rouquie ont interjeté appel de ce jugement, par déclarations au greffe du tribunal, le 29 septembre 2004.
Décision:
Rappel succinct des faits:
Le 1er mars 2000, les époux James-Canal et les époux Rouquie-Moutet ont, par l'intermédiaire de leur avocat commun, porté plainte avec constitution de partie civile devant le Juge d'instruction d'Aix-en-Provence contre X Raymond et Y Andrée épouse X, pour publicité trompeuse et escroquerie, et contre Y Andrée épouse X seule, pour faux, faux certificat et usage de ces faux, et tentative d'escroquerie au jugement.
Sous les premiers chefs de leur plainte, les plaignants reprochaient aux époux X de leur avoir vendu leur fonds de commerce de livraison de panification, confiseries et viennoiseries, plus communément qualifié de boulangerie ambulante, sis à Vitrolles (13), au moyen de publicités mensongères parues dans la presse locale, exagérant la rentabilité dudit fonds, et de les avoir ainsi déterminés à en payer un prix injustifié. Une partie du fonds, correspondant à une tournée avec une clientèle propre, avait été vendue, par acte sous seing privé du 18 mars 1997, aux époux James. L'autre partie, correspondant à une autre tournée avec le reste de la clientèle, avait été vendue, par acte sous seing privé du 11 juin 1998, aux époux Rouquie.
Sous les derniers chefs de leur plainte, les époux Rouquie reprochaient à Y Andrée épouse X seule d'avoir falsifié un bordereau acheteur délivré par un commissaire-priseur, de manière à présenter comme appartenant à sa fille Ludivine, une table basse qui était en fait sa propriété, et d'avoir produit ce bordereau falsifié devant le juge de l'exécution, dans une procédure en annulation d'une saisie-vente qu'eux-mêmes avaient fait diligenter à son encontre.
Enfin, par une plainte additionnelle du 2 mai 2001, les époux Rouquie ont dénoncé au juge d'instruction des faits de détournement d'objets saisis, qu'auraient commis X Raymond et Y Andrée épouse X en ne représentant pas des meubles meublants (dont la table basse susvisée) ainsi qu'un véhicule automobile, ayant fait l'objet d'un procès-verbal de saisie-vente en date du 31 mai 2000 et dont ils avaient été constitués gardiens.
Motifs de la décision:
En la forme,
Attendu que X Raymond et Y Andrée épouse X, cités à personne le 31 août 2006, comparaissent assistés de leur conseil;
Que Rouquie Yves, cité à personne le 6 octobre 2006, comparaît assisté de son conseil
Que les époux James et Moutet Annie épouse Rouquie, cités à personne le 6 octobre 2006, sont représenté par leur conseil;
Qu'il sera statué par arrêt contradictoire à l'égard de toutes les parties
Attendu que les appels formés par les parties civiles sont recevables pour avoir été interjetés dans les formes et délais légaux.
Au fond,
Sur les éléments constitutifs des infractions
1- Sur la publicité trompeuse,
a) Sur l'annonce parue dans le journal "Le 13", édition Marignane, du 10 mars 1997:
Attendu que, le 10 mars 1997, les époux X ont fait publier une annonce, dans l'édition Marignane du journal gratuit "Le 13", rédigée comme suit : "Cède aff à pers. ser. dyn. grosse rent. trav. agréab. px except. 25U clts assurés";
Qu'au regard des termes de la prévention, une telle annonce, par la généralité et l'imprécision de l'indication qu'elle comporte relative à la rentabilité du fonds, seulement qualifiée de "grosse", ne peut constituer l'élément matériel du délit de publicité trompeuse;
b) Sur l'annonce parue dans le journal "Aix Hebdo", du 3 juin 1998:
Attendu que, le 3 juin 1998, les époux X ont fait publier une annonce, dans le journal gratuit "Aix Hebdo", rédigée comme suit : "Vs disposez de 250MF Devenez votre patron (ss local ni charges) et gagnez 12 à 15 MF Travail 4h/j Clients sûrs curieux s'abst" ; que, par ces termes abrégés, l'annonce indiquait une rentabilité du fonds de 12 000 à 15 000 F par mois pour l'exploitant;
Que l'ordonnance de renvoi a fait ressortir que cette rentabilité annoncée était très supérieure aux revenus déclarés, de 61 000 F pour l'année 1996, par les époux X;
Que, pour écarter la culpabilité des prévenus, le tribunal correctionnel a relevé que leur déclaration de revenus pour l'année 1996 était minorée et qu'à la suite d'un redressement fiscal, ces revenus avaient été évalués à 164 036 F, montant compatible avec la rentabilité annoncée par voie de presse;
Attendu, cependant, que la rentabilité indiquée dans l'annonce susvisée ne concernait que la moitié de l'activité du fonds, dès lors que n'était proposée à la vente que l'activité correspondant à une des deux tournées ; que, sur la base des indications contenues dans l'annonce, le revenu des époux X aurait dû se situer entre 288 000 F et 360 000 F par an;
Qu'en promettant par voie de presse - par l'annonce susvisée - aux acquéreurs potentiels de leur fonds, des revenus environ deux fois supérieurs à ceux qu'ils réalisaient eux-mêmes dans le cadre de leur exploitation, les époux X ont commis le délit de publicité trompeuse;
2- Sur l'escroquerie,
Attendu que les époux X ont vendu aux époux James puis aux époux Rouquie un fonds de commerce sur la base d'une rentabilité annoncée de l'ordre de deux fois supérieure à sa rentabilité réelle ; qu'en ce qui concerne en particulier les époux James, qui ont acquis la moitié du fonds le 18 mars 1997, si la publicité figurant dans le journal "Le 13" ne donnait pas d'indication chiffrée sur la rentabilité de l'activité proposée à la vente, il n'est pas discuté qu'une rentabilité de l'ordre de 15 000 F par mois leur a été promise lors des discussions ayant précédé la signature de l'acte de cession ;
Attendu que les déclarations mensongères des époux X quant à la rentabilité du fonds, confortées par les annonces qu'ils avaient fait passer dans la presse et par leur omission volontaire d'énoncer, dans l'acte de cession, le montant du chiffre d'affaires et des bénéfices commerciaux réalisés au cours de chacune des trois dernières années d'exploitation, malgré les dispositions de l'article 12 de la loi du 29 juin 1935 (devenu l'article L. 141-1 du Code de commerce), sont constitutives de manœuvres frauduleuses, lesquelles ont déterminé tant les époux James que les époux Rouquie à payer les deux parties du fonds qu'ils ont successivement acquises un prix disproportionné par rapport à leur valeur réelle ;
Que le délit d'escroquerie est ainsi constitué ;
3- Sur le détournement d'objets saisis,
Attendu que, selon procès-verbal de saisie vente en date du 31 mai 2000, Me de Marans, huissier de justice à Martigues, agissant à la requête des époux Rouquie, a saisi plusieurs meubles meublants ainsi qu'un véhicule automobile au domicile des époux X, dont il a constitué gardiens ces derniers ;
Que, par procès-verbal de vérification, transformé en procès-verbal de détournement, en date du 30 octobre 2000, l'huissier a constaté que le mobilier n'était pas représenté ;
Que le délit de détournement d'objets saisis est ainsi constitué ;
4- Sur le faux et l'usage de faux,
Attendu que le tribunal a déclaré Y Andrée épouse X coupable de faux et d'usage de faux ; que celle-ci n'a pas fait appel ; que le délit est ainsi constitué ;
Sur l'action civile:
Attendu que les différentes infractions commises par les époux X ont causé des dommages aux époux James et aux époux Rouquie, consistant pour l'essentiel en l'excès du prix de cession de chacune des deux parties du fonds et, pour les époux Rouquie, en le préjudice moral résultant des artifices utilisés par les prévenus pour se soustraire à leurs condamnations civiles ;
Qu'il convient d'évaluer ces dommages, toutes causes de préjudice confondues, à la somme de 20 000 euro pour les époux James et à celle de 22 000 euro pour les époux Rouquie.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard des prévenus et des parties civiles, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme, Reçoit les appels formés par les époux James et par les époux Rouquie. Au fond, Infirme le jugement déféré. Condamne les époux X solidairement à payer aux époux James la somme de 20 000 euro et aux époux Rouquie celle de 22 000 à titre de dommages-intérêts. Les condamne en outre à payer aux époux James la somme de 3 000 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et aux époux Rouquie la même somme sur le même fondement. Le tout conformément aux articles visés au jugement et au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de procédure pénale.