CA Pau, 2e ch. sect. 1, 26 mars 2007, n° 1195-07
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rogez
Défendeur :
Créatis (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Larque
Conseillers :
MM. Fouasse, Darracq
Avoués :
SCP Longin, SCP de Ginestet-Duale-Ligney
Avocats :
Mes Blanco, Alias
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
Le 3 août 2001, Mme Françoise Maret a accepté une offre préalable de crédit émise par la société Créatis, d'un montant de 35 880 F, affectée au financement d'un contrat de prestation de service passé avec la société Panorimmo consistant dans la diffusion de la mise en vente d'un bien immobilier lui appartenant, au moyen de certains outils de communication.
Le prêt, consenti à taux zéro, était remboursable in fine en un seul terme payable à l'arrivée du terme du contrat principal, c'est-à-dire à la date de la vente du bien ou à l'expiration d'un délai de 24 mois à compter du démarrage de la période d'amortissement dudit prêt.
Par courrier du 28 août 2001, Mme Maret, alors hospitalisée, a sollicité l'annulation de ses engagements du fait des troubles psychologiques dont elle était atteinte au moment de leur souscription.
Cette demande n'a pas été acceptée.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 27 janvier 2003, réitérée le 13 février 2003, la société Créatis, constatant que le bien immobilier avait été vendu et considérant que l'obligation de remboursement n'avait pas été exécutée, a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure Mme Maret de régler une somme de 5 469,87 euro outre celle de 437,58 euro au titre de l'indemnité de rupture.
Sur opposition formée contre une ordonnance du 14 mai 2003 enjoignant Mme Maret de payer la somme de 5 469,87 euro outre intérêts au taux légal, et par jugement du 19 mai 2005, auquel il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample des faits, de la procédure suivie en première instance, comme des moyens et prétentions initiaux des parties, le Tribunal d'instance de Pau a condamné, avec exécution provisoire, Mme Maret au paiement de la somme de 5 469,87 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 17 février 2003, outre l'euro au titre de la clause pénale.
Mme Maret a relevé appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la cour le 24 juin 2005, dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas contestées et à l'égard desquelles les seuls éléments portés à la connaissance de la cour ne font pas ressortir qu'elles seraient contraires à l'ordre public.
Mme Maret étant décédée pendant l'instance d'appel, et suivant exploit du 23 mars 2006, la société Créatis a attrait dans la procédure M. Franck Rogez, en qualité d'héritier du de cujus.
Par conclusions déposées le 27 avril 2006, M. Franck Rogez, mais aussi M. Sébastien Rogez, intervenant volontaire en sa qualité d'héritier de sa mère prédécédée, ont demandé à la cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- déclarer irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt l'action de la société Créatis,
- prononcer la nullité du contrat sur le fondement de l'article 1108 du Code civil,
- condamner la société Créatis au paiement d'une somme de 7 500 euro à titre de dommages-intérêts,
- condamner la société Créatis aux dépens et au paiement d'une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Messieurs Rogez font valoir que:
- le seul et unique contrat souscrit par Mme Maret, portant mention des sociétés Créatis et Panorimmo, est unique et doit être apprécié dans sa globalité (sic),
- ce contrat, qui est un contrat d'entremise destiné à la recherche d'un acquéreur, est contraire aux dispositions de la loi Hoguet du 2 janvier 1970,
- d'autre part, il résulte des documents médicaux qu'au mois d'août 2001, Mme Maret ne présentait pas une capacité suffisante lui permettant de s'engager dans un contrat de la complexité de celui qui lui est opposé,
- le contrat est donc nul en application des dispositions de l'article 489 du Code civil, et compte tenu de l'existence établie de troubles antérieurs et postérieurs à l'acte, il incombe à la société Créatis de démontrer l'existence d'un intervalle lucide au moment de l'acte,
- la société Créatis ne justifie pas avoir remis à Mme Maret les fonds dont elle demande la restitution, en sorte qu'elle ne justifie ni d'un droit ni d'un intérêt à agir,
- la société Créatis a commis une faute en faisant souscrire à une personne atteinte de troubles manifestement apparents, un contrat des plus opaques, tandis que Mme Maret a encore dû souffrir des tracas supplémentaire d'un procès.
Par conclusions déposées le 4 décembre 2006, la société Créatis a demandé à la cour de confirmer le jugement déféré et de:
Principalement:
- constater l'irrecevabilité de la demande de nullité du contrat de crédit accessoire au contrat de prestation de service dans la mesure où la société Panorimmo n'a pas été attraite dans la procédure,
- débouter les consorts Rogez de leurs demandes,
- condamner in solidum les consorts Rogez à lui payer la somme de 5 469,87 euro majorée des intérêts au taux légal à compter du 17 février 2003 et la somme de 1 euro au titre de la clause pénale outre les intérêts légaux à compter du 14 mai 2003.
Subsidiairement:
- ordonner la remise en état antérieur des parties en raison de l'effet rétroactif de la nullité,
- condamner la solidum les consorts Rogez à rembourser la somme de 5 469,87 euro, outre la somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles, et aux entiers dépens.
La société Créatis fait valoir que:
- l'offre de crédit et le contrat de prestation de service, quoique interdépendant au sens du Code de la consommation, forment deux contrats distincts,
- en l'absence de mise en cause de la société Panorimmo, il ne peut être prononcé sur la nullité du contrat de prestation de service, en sorte que le contrat de crédit, accessoire à ce contrat, ne peut être annulé,
- en tout état de cause, le contrat de prestation de service ne relève pas de la loi Hoguet du 2 janvier 1970,
- s'agissant de l'altération des facultés mentales de Mme Maret, les pièces médicales versées aux débats n'établissent pas la réalité de cet état au moment de la souscription du prêt et, au contraire, les documents contractuels montrent qu'elle s'est engagée en toute connaissance de cause,
- la demande de dommages-intérêts n'est pas fondée,
- en cas d'annulation du contrat de prestation de service entraînant celle du prêt, en application des dispositions de l'article L. 311-21 du Code de la consommation, les consorts Rogez n'en sont pas moins tenus au remboursement du prêt pour le montant du capital emprunté,
- elle justifie de la remise des fonds à la société Panorimmo pour le compte de sa cliente.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 5 décembre 2006.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'action de la société Créatis
La société Créatis, prêteur professionnel, en fondant son action en paiement sur une offre préalable de crédit acceptée par Mme Maret, contrat consensuel relevant des dispositions des articles L. 312-7 du Code de la consommation, justifie nécessairement de sa qualité et de son intérêt à agir, le moyen pris de l'absence de preuve de la remise des fonds prêtés constituant, en tout état de cause, un moyen de défense au fond et non une fin de non recevoir;
Sur la recevabilité de l'action en nullité
Contrairement à ce que soutiennent les consorts Rogez, le double engagement contracté par Mme Maret à l'égard de la société Panorimmo et à l'égard de la société Créatis ne forme pas un engagement unique mais relève en réalité de deux actes juridiques distincts aux termes desquels le crédit souscrit a été spécialement affecté, au sens des dispositions de l'article L. 311-20 du Code de la consommation, au financement du contrat de prestation de service conclu avec la société Panorimmo dont une annulation entraînerait alors de plein droit l'annulation du contrat de crédit en application des dispositions de l'article L. 311-21 du même Code;
Il ressort du corps et du dispositif de leurs écritures que les appelants invoquent deux moyens de nullité à l'encontre du prétendu "contrat unique" : celui pris de sa non conformité avec les dispositions de la loi du 2 juillet 1970, et celui pris du vice du consentement pour insanité d'esprit;
Le premier moyen ne peut être dirigée qu'à l'encontre du contrat Panorimmo, et s'il était admis, il entraînerait la nullité du prêt en application de l'article L. 311-21 précité;
En revanche, le second moyen vise simultanément et indifféremment chacun des deux engagements souscrits;
Aux termes de l'article 14 du nouveau Code de procédure civile, nulle partie ne pouvant être jugée sans avoir été entendue ou appeler, la demande de nullité du contrat Panorimmo, quel que soit son fondement juridique, doit être déclarée irrecevable en l'absence de mise en cause de la société Panorimmo, en la personne de son liquidateur judiciaire;
Les consorts Rogez seront seulement déclarés recevables en leur action en nullité du contrat de prêt pour vice du consentement pour insanité d'esprit;
Sur la nullité du contrat de crédit
Il ressort des pièces médicales versées aux débats, que Mme Maret a été hospitalisée à compter du 21 août 2001 pour des troubles du comportement liés à un syndrome confusionnel avec propos décousus, désorientation temporo-spatiale, troubles mnésiques, anxiété, labilité de l'humeur;
Le bilan établi en mars 2002, souligne le peu d'évolution des performances marquées par un dysfonctionnement exécutif ou déficit de contrôle attentionnel avec tout d'abord une perte de l'objectif du discours à plusieurs reprises au cours des échanges, Mme Maret s'égarant et ne répondant pas de façon adaptée à la question de départ;
Ce tableau clinique est apparu en réalité à compter de l'année 1997 où Mme Maret a été hospitalisée pour des épisodes confuso-délirants, soit dépressifs associés à une discrète détérioration mentale, tandis qu'un syndrome parkinsonien est apparu en 1998 et qu'elle a subi une AVC avec lacune du TC en 2000;
Lors de son hospitalisation en août 2000, le praticien devait conclure à un état confusionnel avec notion de dégradation cognitive;
Entre deux hospitalisations, Mme Maret rejoignait son domicile mais suivait un lourd traitement médicamenteux;
Dans une attestation du 12 août 2006 (bordereau du 21/08/2006), M. Pommiez, concierge de la résidence où vivait Mme Maret, rapporte qu'au cours de l'année 2001, "il avait dû, plusieurs fois par semaine, ouvrir la porte de l'appartement de cette dernière car elle perdait souvent ses clés et se trompait souvent d'étage, son comportement laissant penser qu'elle était malade" ;
Les attestations des membres de la famille de Mme Maret, corroborent la réalité de la fragilité du comportement quotidien de cette dernière et l'accentuation des ses difficultés en période estivale;
Il suit des constatations qui précèdent qu'au moment de l'acte litigieux, Mme Maret présentait une pathologie mentale avérée qui, si elle ne la privait pas d'une certaine autonomie, limitait ses capacités intellectuelles et ne lui permettait pas d'appréhender, pour en mesurer la portée, les mécanismes de l'opération commerciale et juridique complexe, assortie de la signature de nombreux documents juridiques, qui lui a été proposée au cours d'un démarchage à domicile;
Par cette circonstance même, Mme Maret n'a pu signer en pleine connaissance de cause "l'acte de reconnaissance de consentement éclairé", qui ne comporte que sa signature au bas d'un long texte dactylographié, ni exercer librement le droit de rétractation rappelé au bas de l'offre de crédit;
En définitive, les consorts Rogez rapportent la preuve que Mme Maret présentait au moment de l'acte litigieux une pathologie mentale incompatible avec l'expression d'un consentement éclairé quant à l'engagement souscrit;
En conséquence, il convient d'annuler l'acte de crédit;
Sur la remise des fonds
La preuve de la remise des fonds prêtés par virement direct à la société Panorimmo, en exécution des termes du contrat de crédit, est rapportée par les pièces versées aux débats;
Aussi, en l'état des moyens de défense opposés par les consorts Rogez, il convient de condamner ces derniers à restituer, en conséquence de l'annulation du contrat, la somme de 5 469,87 euro;
Sur la demande de dommages-intérêts
Il s'évince des constatations médicales qui précédent et des attestations produites que le préposé de la société Panorimmo, chargé de proposer les offres de crédit pour le compte de la société Créatis, a nécessairement perçu au cours de son démarchage au domicile de Mme Maret, par la durée et la nature de l'entretien qu'il implique, la fragilité mentale apparente de son interlocutrice;
Fn poursuivant et finalisant, dans de telles conditions, une opération juridique portant sur un engagement important tant du point de vue pécuniaire que des obligations mises à la charge du client, ce préposé a commis une faute d'imprudence, de nature précontractuelle, préjudiciable à Mme Maret par ses conséquences financières et judiciaires;
La société Créatis, qui doit répondre des agissements de ce préposé, sera condamnée à payer aux consorts Rogez une somme de 5 500 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par leur mère;
La société Créatis sera condamnée aux dépens et à payer aux consorts Rogez une somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare la société Créatis recevable en ses demandes, Déclare les consorts Rogez irrecevables en leur demande de nullité du contrat Panorimmo, Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Et statuant à nouveau, Annule le contrat de crédit souscrit le 3 août 2001 par Mme Maret auprès de la société Créatis, Condamne les consorts Rogez à restituer à la société Créatis la somme de 5 469,87 euro (cinq mille quatre cent soixante neuf euro quatre-vingt sept centimes) au titre du capital prêté, Condamne la société Créatis à payer aux consorts Rogez la somme de 5 500 euro (cinq mille cinq cents euro) à titre de dommages-intérêts, Ordonne la compensation, à due concurrence, des condamnations réciproques qui précèdent, Condamne la société Créatis aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer aux consorts Rogez, la somme de 1 000 euro (mille euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Autorise la SCP Longin, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.