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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ., 9 mars 2006, n° 04-03706

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Transport Norbert Dentressangle (SAS), TND Nord (SNC)

Défendeur :

Fombaron, Lafuma (SA), Groupama Transport région Rhône-Alpes (SA), Helvetia (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Robert

Conseillers :

M. Santelli, Mme Clozel-Truche

Avoués :

SCP Dutrievoz, SCP Aguiraud Nouvellet, Mes Barriquand, Morel

Avocats :

Mes Rambaud, Rodamel, Le Bourgeois, SCP Baverez Rubellin Bertin Petitjean-Domec

T. com. Lyon, du 18 mai 2004

18 mai 2004

Faits et procédure antérieure:

Selon confirmation d'affrètement du 20 mars 2001, la société Lafuma a confié à la société TND le transport vers le Royaume-Uni de cinq palettes de marchandises d'un poids de 700 kilos. Il était prévu que le chargement intervienne le 20 mars après-midi et la livraison le 23 mars entre 8 et 14 heures.

La société TND, intervenue en qualité de commissionnaire de transport, a elle-même affrété la société TND Nord (dont la qualification de commissionnaire intermédiaire ou de transporteur est discutée). Cette dernière a confié l'exécution du transport entre ses entrepôts de Saint-Priest et Calais à Claude Fombaron, entrepreneur indépendant de transport lié avec elle par un contrat de location de véhicule avec conducteur en date du 1er octobre 2000; à cette fin, elle lui a confié une semi-remorque bâchée lui appartenant, déjà chargée, destinée à être tractée par le camion de Claude Fombaron, conduit par ce dernier.

Pendant la nuit du 21 au 22 mars 2001, alors que son conducteur avait stationné l'ensemble routier sur une aire en bordure de la RN 67, près de Saint-Dizier (Haute-Marne), a été commis un vol portant sur trois palettes de marchandises Lafuma, la bâche de la semi-remorque ayant été découpée.

La compagnie Groupama Transport a indemnisé son assurée, la société Lafuma à hauteur de 59 251,26 euro, celle-ci conservant la charge de la franchise de 381,12 euro.

N'ayant pu obtenir le remboursement de ces sommes auprès de la société TND, la compagnie Groupama et son assurée l'ont assignée, ainsi que Claude Fombaron et son assureur la société Helvetia devant le Tribunal de commerce de Lyon. De leur côté, les sociétés TND et TND Nord, cette dernière intervenant volontairement, ont appelé en garantie Claude Fombaron et son assureur ; Claude Fombaron s'est lui-même porté demandeur reconventionnel pour obtenir de la société TND Nord des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 2° du Code de commerce.

Par un jugement du 18 mai 2004, le Tribunal de commerce de Lyon a, pour principales dispositions :

- rejeté comme mal fondées l'action de la société Lafuma et de la compagnie Groupama Transport et celle des sociétés TND et TND Nord à l'encontre de Claude Fombaron,

- retenant l'existence d'une faute lourde commise par les sociétés TND et TND Nord, condamné in solidum celles-ci à payer à la compagnie Groupama Transport la somme de 59 251,26 euro, outre intérêts au taux légal à compter du 27 février 2002, capitalisés, et à la société Lafuma celle de 381,12 euro, avec les mêmes intérêts,

- débouté les sociétés TND et TND Nord de leur appel en garantie dirigé contre Claude Fombaron et son assureur,

- condamné la société TND Nord au paiement d'une somme de 75 000 euro à Claude Fombaron à titre de dommages-intérêts pour abus de position dominante,

- mis à la charge des mêmes sociétés diverses indemnités de procédure,

- ordonné l'exécution provisoire,

- donné acte à la société TND Nord de ce qu'elle garantirait la société TND de toute condamnation prononcée à son encontre.

Les sociétés TND et TND Nord ont relevé appel le 26 mai 2004.

Prétentions et moyens des parties:

Par conclusions récapitulatives du 12 janvier 2006, les sociétés TND et TND Nord demandent à la cour, infirmant le jugement en toutes ses dispositions, de rejeter les prétentions de la société Lafuma et de la compagnie Groupama, ou de limiter en tout état de cause à 3 829,88 DTS le montant de l'indemnité qui pourrait leur être due. Elles sollicitent le rejet des prétentions de Claude Fombaron, les estimant irrecevable pour celle, formée en cause d'appel, tendant à l'allocation d'une somme de 120 000 euro au titre de la rupture de leurs relations commerciales, et mal fondée pour celle accueillie par les premiers.

Elles entendent obtenir restitution des sommes versées ou séquestrées en exécution du jugement et requièrent l'attribution d'une indemnité de procédure.

Soutenant qu'en leur qualité de commissionnaire de transport, n'ayant commis aucune faute personnelle, elles ne peuvent voir leur responsabilité engagée qu'à raison de la faute de leur substitué, mais en fonction des exonérations ou limitations de responsabilité que celui-ci peut opposer.

Observant que le transport litigieux est soumis aux dispositions de la CMR, elles se prévalent de la limitation de responsabilité prévue à l'article 23 de cette Convention qui, en fonction du poids de la marchandise perdue, aboutirait à une indemnité de 3 829,88 DTS. Elles contestent en effet l'existence d'une faute lourde de leur part, rappelant les circonstances du vol : elles estiment en particulier n'avoir commis aucune négligence coupable en ayant eu recours à un véhicule bâché, conformément à une pratique courante que l'expéditeur Lafuma n'ignorait pas. Elles soutiennent que si Claude Fombaron devait interrompre son trajet, il lui appartenait de préparer cette interruption puisqu'il était entièrement maître des opérations de conduite ainsi qu'il est prévu au contrat passé entre eux: elle considère qu'à défaut d'avoir elle-même reçu d'instructions de la société Lafuma, elle n'avait pas de consigne particulière à donner à Claude Fombaron de sorte que ne serait nullement caractérisée l'existence d'une faute lourde.

Au soutien de leurs demandes en garantie formée contre Claude Fombaron et la société Helvetia, elles font valoir qu'en application de l'article 13 de son contrat, Claude Fombaron est présumé responsable de tout dommage concernant la marchandise transportée dans le véhicule du locataire, sauf à établir l'existence d'un cas de force majeure et qu'en application de l'article 15, il s'est engagé à souscrire une assurance garantissant cette responsabilité d'une manière suffisante. La société TND Nord conteste l'analyse effectuée par le tribunal pour exonérer Claude Fombaron de toute responsabilité, par une simple référence à la réalité économique du contrat et aux conditions dans lesquelles il a été signé ; la société FND Nord considère que rien dans le contrat ne permet de caractériser un quelconque déséquilibre entre les parties, qui avaient la faculté d'y mettre un terme chaque année, dans les mêmes conditions de dénonciation; elle ajoute que la loi du 30 décembre 1982 et notamment son article 34 prévoit seulement que le contrat de location doit comporter des clauses précisant les obligations respectives des parties dans les conditions d'emploi du conducteur et l'exécution des opérations de transport, sans imposer de contrat-type, celui-ci ne s'appliquant qu'à défaut de convention écrite ou en cas de nullité de cette dernière.

La société TND Nord observe encore, à titre subsidiaire, que le contrat-type, s'il devait en être fait une application supplétive, prévoit que le loueur répond des dommages résultant d'une faute de conduite et que selon le même contrat, relève des opérations de conduite la protection du véhicule contre le vol dans des conditions normales de diligence. Elle estime donc que la cour devra retenir à la charge de Claude Fombaron une faute de conduite qui engagera sa responsabilité de loueur ou qu'à défaut elle devra dire que les circonstances du vol ne sont pas constitutives d'une faute lourde permettant d'échapper aux limitations de responsabilité de la CMR.

Estimant tardive et injustifiée la contestation de sa garantie par la compagnie Helvetia, la société TND Nord soutient que les dispositions de la police ne subordonnent pas la garantie à l'équipement d'un dispositif antivol mais seulement à la mise en œuvre du dispositif existant. Subsidiairement, elle estime que la garantie de l'assureur resterait néanmoins acquise à hauteur de 60 % des dommages comme il est prévu lorsque les instructions de prévention n'ont pas été respectées.

Sur la demande reconventionnelle de Claude Fombaron, la société TND Nord conteste l'abus de dépendance économique qui lui est imputé ; elle soutient d'abord que la notion de dépendance implique l'absence de solution alternative pour l'une des parties ce qui, selon elle, n'était pas le cas pour Claude Fombaron, même si elle en était le client exclusif: elle rappelle que l'intéressé pouvait dénoncer le contrat chaque année, ce qui lui permettait de le renégocier, et donc d'exercer un choix, comme il l'a fait en 2004 en décidant de ne pas engager une nouvelle collaboration avec elle.

Elle considère qu'en aucun cas les obligations mises à la charge du loueur n'étaient injustifiées et elle relève enfin que ne sont établies ni la réalité du préjudice de Claude Fombaron ni l'existence d'un lien de causalité entre ce prétendu préjudice et l'abus allégué.

Pour s'opposer à la demande formée par Claude Fombaron au titre de la rupture abusive des relations commerciales, elle la prétend d'abord irrecevable en application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile et en souligne le caractère contradictoire avec la prétention précédente. Elle conteste avoir brutalement rompu la relation commerciale au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce en expliquant que Claude Fombaron a cessé d'exécuter le contrat à la suite d'un accident de juin 2002, constituant un cas de force majeure et que c'est après avoir reçu sa proposition de nouvelle collaboration du 20 août 2004 qu'il l'a informée de sa décision de ne pas y donner suite ; ainsi, selon elle, c'est en toute hypothèse sur l'initiative de Claude Fombaron que la rupture a eu lieu.

Aux termes de leurs écritures du 17 janvier 2005, la compagnie Groupama Transport et la SA Lafuma recherchent la condamnation ni solidum des sociétés TND et TND Nord, de Claude Fombaron et de son assureur la compagnie Helvetia à leur payer respectivement les sommes de 59 251,26 euro et 381,12 euro majorées des intérêts, capitalisés, au taux de 5 % à compter de l'assignation, ainsi qu'une indemnité de procédure de 2 500 euro.

Elles font valoir que, quel que soit la qualification retenue pour TND Nord et Claude Fombaron elles peuvent prétendre à une entière indemnisation de leur préjudice dès lors qu'une faute lourde a été commise par le transporteur, dont doit également répondre le commissionnaire de transport, TND. La société Groupama explique qu'elle est régulièrement subrogée dans les droits de son assurée pour l'avoir indemnisée à hauteur de 59 251,26 euro selon quittance du 3 septembre 2001.

Elles estiment d'abord la responsabilité du commissionnaire, la société TND engagée, comme celle du sous-commissionnaire TND Nord, sur le fondement des articles L. 132-6 et suivants du Code de commerce ; elles se prévalent à l'égard de Claude Fombaron, s'il est retenu comme voiturier, des dispositions de l'article 17 de la CMR en considérant qu'aucune limitation de responsabilité ne lui bénéficie du fait de la faute lourde commise. À titre subsidiaire si la cour estimait TND Nord et Claude Fombaron liés par un contrat de location, les sociétés Groupama et Lafuma lui demandent de constater que selon l'article 13 du contrat de location, le loueur est présumé responsable de tous dommages concernant la marchandise transportée ; elles estiment avoir vocation à invoquer ce contrat pour agir directement contre Claude Fombaron. Elles déclarent par ailleurs s'en rapporter aux développements des sociétés TND et TND Nord relatifs à la responsabilité du loueur en application du contrat-type mettant à sa charge une obligation de sécurité et de protection du véhicule et de son chargement dans des conditions normales de vigilance.

Elles soutiennent que la faute lourde permettant d'échapper à la limitation prévue à la CMR est largement démontrée en l'espèce où le transporteur n'a pas pris les précautions nécessaires ni les mesures de surveillance adaptées pour assurer la conservation des marchandises, comme il ressortirait du rapport d'expertise du cabinet Bouvet ; elles soulignent à ce propos que la semi-remorque, bâchée, n'était ni cadenassée ni plombée et qu'elle a été arrêtée sur une aire qui n'était pas adaptée au stationnement de nuit, où ne s'exerçait aucune surveillance ; elles observent que Claude Fombaron aurait pu rester sur l'autoroute pour choisir un lieu de stationnement convenant à des ensembles routiers.

À propos de la garantie de la compagnie Helvetia, elles relèvent le caractère contradictoire de ses prétentions.

De son côté, par conclusions récapitulatives du 15 décembre 2005, Claude Fombaron sollicite la confirmation du jugement mais aussi la condamnation de la société TND Nord à lui payer la somme de 120 000 euro en réparation de son préjudice économique résultant de la rupture brutale et abusive de la relation commerciale établie, ainsi qu'une somme de 15 000 euro en compensation de son préjudice moral.

À titre subsidiaire il conclut à son absence de toute faute dans le cadre des opérations de conduite et en conséquence au rejet de l'appel en garantie formé contre lui par les sociétés TND et TND Nord, plus subsidiairement à l'absence de toute faute lourde, et donc à l'application des limitations de responsabilités prévues à l'article 23 de la CMR. Il recherche en tout état de cause la garantie de la compagnie Helvetia et la condamnation des sociétés Lafuma, Groupama Transport, TND et TND Nord à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il s'oppose d'abord aux demandes dirigées contre lui par les sociétés Lafuma et Groupama au motif qu'elles ne disposent d'aucune action contre lui, puisqu'il n'est pas transporteur, et qu'elles-mêmes sont des tiers au contrat de location conclu avec la société TND Nord.

À l'égard de cette dernière, il se prévaut du caractère abusif de la clause lui imposant de souscrire une assurance de dommages aux marchandises transportées et prévoyant un régime de responsabilité présumée ; après avoir analysé les éléments contractuels permettant de retenir la qualification de contrats de location, il soutient que la présomption de responsabilité pour tous dommages concernant la marchandise est inconciliable avec la nature même de ce contrat puisque cela revient à lui faire assumer les opérations de conduite et une partie des opérations de transport. Il ajoute que l'insertion de la clause de l'article 13 procède d'une exploitation abusive de son état de dépendance économique.

Claude Fombaron affirme par ailleurs qu'aucune faute ne peut lui être reprochée à l'occasion du vol dès lors que la seule obligation mise à sa charge consistait à s'assurer de la mise en œuvre des moyens de prévention, inexistants en l'espèce puisque la semi-remorque n'était ni cadenassée ni plombée : il considère que c'est la société TND Nord, qui connaissait la nature et la valeur de la marchandise transportée, qui est responsable de ce défaut d'équipement et du choix de semi-remorque avec une simple bâche alors qu'elle ne lui a donné aucune instruction mais lui a imposé un emploi du temps qui l'a conduit à s'arrêter, pour respecter les temps de repos, sur l'aire de stationnement de Saint-Dizier.

A propos de la garantie de la compagnie Helvetia, Claude Fombaron relève d'abord qu'elle a entendu renoncer à la clause d'exclusion qu'elle invoque désormais ; il l'estime au surplus inapplicable dès lors qu'elle imposait seulement la mise en œuvre du dispositif antivol existant sur la semi-remorque sans subordonner la garantie à l'existence d'un tel équipement. Il estime à titre très subsidiaire que l'assureur doit être tenu au moins à hauteur de 60 % du montant des dommages en application de l'article 4 de la clause vol.

Au visa de l'article L. 442-6 2° du Code de commerce, Claude Fombaron soutient que la relation de dépendance est suffisamment caractérisée par la soumission du partenaire le plus faible à des obligations injustifiées ; il estime d'abord caractérisée la situation de dépendance, alors que 100 % de son chiffre d'affaires étaient réalisés avec la société TND lors et qu'il n'avait aucune latitude pour faire supprimer du contrat les clauses estimées abusives ; il considère que la société TND Nord a inséré aux contrats successifs diverses obligations à sa charge, alors qu'elles lui incombaient en sa qualité de locataire.

Sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, il soutient que la responsabilité de la société TND Nord est engagée à son égard pour ne lui avoir pas laissé de préavis tenant compte de la durée de leurs relations et lui permettant de prendre ses dispositions en temps utile pour réorienter ses activités ; il indique qu'elle a subordonné la poursuite de la relation à la signature d'un contrat identique à celui sanctionné par le tribunal, ce qu'il n'a pu que refuser. Il en déduit que la rupture du contrat, suspendu à la suite de l'accident du travail dont il a été victime, est donc intervenue aux torts de la société TND Nord; il s'estime recevable en application de l'article 564 in fine, et fondé, à obtenir une indemnisation du préjudice subi pendant l'exécution du contrat, à raison de 75 000 euro, et lors de sa rupture, estimé à 120 000 euro en fonction de son chiffre d'affaires sur la dernière année d'exercice, mais également au titre d'un préjudice moral, eu égard à l'ancienneté de la collaboration.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 14 décembre 2005, la société Helvetia sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les actions principales ou en garantie dirigées contre elle et lui a alloué une indemnité de procédure. Elle requiert la condamnation in solidum des sociétés TND et TND Nord et/ou des sociétés Lafuma et Groupama à lui payer une somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

À titre principal, elle demande à la cour de dire que la responsabilité contractuelle de Claude Fombaron n'est pas engagée ; observant que les sociétés TND ne contestent plus en cause d'appel qu'il soit intervenu en qualité de loueur de véhicules, elle soutient ainsi que seule la société TND Nord doit répondre comme voiturier à l'égard du donneur d'ordre. Elle fait valoir que la responsabilité du loueur ne peut être engagée, aux termes du contrat-type de location, qu'en cas de vice du véhicule, ou de faute dans le cadre des opérations de conduite dont il a la maîtrise, les opérations de transport relevant en revanche de la responsabilité du locataire transporteur: selon elle, aucune défaillance de Claude Fombaron n'est établie, alors qu'il incombait en réalité à la société TND Nord de lui donner des instructions sur l'itinéraire à emprunter et le lieu de stationnement à choisir, mais aussi d'organiser le transport en toute sécurité.

La compagnie Helvetia considère que l'article 13 du contrat de location ne peut recevoir application dès lors qu'il est contraire à l'économie du contrat et notamment à la définition des opérations de conduite et des opérations de transport donnée aux chapitre deux et trois du même contrat; selon elle, l'interprétation des premiers juges qui ont considéré que les articles 14 et 15 du contrat de location avaient été abusivement imposés par la société TND Nord du fait de l'état de dépendance économique de Claude Fombaron doit être retenue en ce qu'elle permet de limiter sa responsabilité à celle qu'il avait contractuellement acceptée d'assumer, au titre de ses seules fautes de conduite prouvées.

Elle s'associe à l'argumentation développée par Claude Fombaron pour s'opposer aux demandes des sociétés Lafuma et Groupama Transport.

À titre subsidiaire, la compagnie Helvetia soutient que sa garantie n'est pas acquise, dès lors que l'article deux de la police la subordonne à la double condition que le tracteur et la semi-remorque soient équipés d'un dispositif antivol et que celui-ci soit mis en œuvre, les portes étant fermées à clef et tous les accès verrouillés ; rappelant que selon une jurisprudence constante, les règles de prévention figurant à la clause vol constituent des conditions de la garantie, elle considère que celle-ci ne peut jouer puisque la remorque n'était pas fermée à clef ni ses accès verrouillés.

Elle ajoute que les dispositions de l'article 4 limitant la garantie en cas de vol à 60 % en fonction de la durée du stationnement lorsque le préposé n'a pas respecté les instructions de son employeur pour la mise en œuvre du système antivol sont sans application en l'espèce, en l'absence de telles instructions.

Sur ce, LA COUR:

Attendu que si les sociétés TND prétendent encore qu'elles se seraient substituées Claude Fombaron comme voiturier pour l'exécution du transport litigieux entre Saint-Priest et Calais, elle ne développent plus aucun moyen au soutien de cette affirmation, qui est démentie par l'examen des documents de transport et la lecture du contrat du 1er octobre 2000 ; que celui-ci apparaît dépourvu de toute équivoque à ce propos, notamment en ce qu'il prévoit que seul le locataire aura la maîtrise des opérations de transport comprenant la détermination de la nature et de la qualité des marchandises et la fixation des points et jours de chargement et de déchargement;

Qu'aucun autre élément de la cause ne permet de considérer que les parties aient entendu modifier la nature de leurs relations contractuelles ainsi définies; qu'il sera donc considéré que la société TND est intervenue en qualité de commissionnaire de transport et la société TND Nord comme transporteur, ayant eu recours à la location d'un véhicule tracteur auprès de Claude Fombaron;

Attendu, sur l'existence d'une faute lourde de nature à exclure la limitation de responsabilité résultant de l'article 23 de la CMR, que le vol s'est produit pendant la nuit du 21 au 22 mars 2001, alors que, comme il ressort du rapport de mission du cabinet Bouvet dont les constatations ne sont nullement contestées, l'ensemble routier était stationné sur une aire aménagée en bordure de la RN 67, près de Saint-Dizier (Haute-Marne) où Claude Fombaron s'était arrêté pour dormir de 22 h 30 à 6 h 30 environ;

Que cette aire, où étaient déjà arrêtés deux ou trois autres camions, ne dispose ni d'éclairage public ni de grillage de protection en empêchant l'accès à partir du chemin vicinal qui en borde la partie latérale aménagée en zone de détente; qu'il importe toutefois de relever que le rapport de mission et les clichés photographiques annexés ne permettent pas d'établir qu'arrivé de nuit sur les lieux, le chauffeur ait pu prendre conscience de l'existence de ce chemin vicinal, ni, ainsi, de celle d'un moyen d'approche du véhicule plus discret que par la route nationale;

Que le vol, qui a porté sur quatre palettes de marchandises dont trois confiées par la société Lafuma a été commis en coupant sur environ un mètre la bâche au niveau de l'essieu arrière droit de la semi-remorque ; que celle-ci n'était ni cadenassée ni plombée;

Attendu que pour apprécier l'existence d'une faute lourde imputable au transporteur c'est-à-dire la société TND Nord, il convient de considérer que celle-ci connaissait la nature de la marchandise transportée, rendue sensible au vol en raison de la facilité de revente des articles de marque Lafuma et que, pas davantage, il ne pouvait ignorer que Claude Fombaron, parti des entrepôts TND de Saint-Priest (Rhône) vers 15 heures serait amené à interrompre son trajet durant la nuit puisqu'il n'était pas en mesure de rejoindre Calais, sa destination finale, avant la fin de la soirée, notamment pour respecter la réglementation sur les temps de conduite; qu'en faisant le choix d'une remorque seulement bâchée, dépourvue de système de fermeture à clef de ses portes arrière, la société TND Nord, qui n'a donné aucune instruction particulière au loueur quant au lieu de stationnement, a donc commis une négligence d'une particulière gravité traduisant son inaptitude à remplir sa mission de transporteur, dont elle maîtrisait pourtant tous les éléments ; que la décision de Claude Fombaron de s'arrêter sur l'aire de la RN 67 n'est en revanche pas fautive en elle-même, dans la mesure où une pause nocturne lui était imposée par les horaires déterminés par le transporteur et où il n'est pas établi qu'ait existé dans un périmètre assez proche une zone de stationnement présentant un risque de vol significativement moindre; que la société TND Nord ne peut donc se prévaloir de la faute du loueur pour atténuer la gravité de la sienne qui constitue bien, dans ces circonstances, une faute de nature à permettre l'indemnisation intégrale de l'expéditeur et de l'assureur partiellement subrogé dans ses droits;

Attendu qu'il convient donc de condamner in solidum des sociétés TND et TND Nord, respectivement en qualité de commissionnaire et de transporteur, au paiement des sommes de 59 151,26 euro à la compagnie Groupama Transport et de 381,12 euro à la société Lafuma, qui a conservé à sa charge la franchise contractuelle ; que ces sommes porteront intérêt au taux de 5 % l'an prévu à l'article 27 de la CMR, à compter de l'assignation du 27 février 2002;

Attendu, que, compte tenu de la seule qualité de loueur qui a été reconnue à Claude Fombaron, la demande directement dirigée contre lui par les sociétés Groupama et Lafuma doit être examinée sur le seul fondement subsidiaire adoptée par ces sociétés, c'est-à-dire l'application à leur bénéfice des stipulations de l'article 13 du contrat de location présumant le loueur responsable de tout dommage concernant la marchandise transportée;

Que toutefois Claude Fombaron relève à bon droit que la société Lafuma et son assureur sont des tiers au contrat de location et ne peuvent donc bénéficier directement de ses dispositions, et en particulier de la présomption de responsabilité édictée au bénéfice du locataire, ici la société TND Nord ; que dès lors que les sociétés Lafuma et Groupama ne recherchent pas la responsabilité quasi-délictuelle de Claude Fombaron, dont la faute aurait pu résulter à leur égard d'un manquement à ses obligations de loueur, leur demande ne peut être admise, en raison de l'effet relatif des contrats;

Attendu, sur la demande en garantie formée par les sociétés TND à l'encontre de Claude Fombaron et de la société Helvetia, que le contrat de location conclu le 1er octobre 2000 entre la société TND Nord et Claude Fombaron dispose en son article 13 que le loueur est présumé responsable de tout dommage concernant la marchandise transportée dans le véhicule du locataire, sauf s'il établit que ces dommages ou pertes proviennent d'un cas de force majeure;

Que Claude Fombaron n'indique pas sur quel fondement les dispositions de cet article 13 devraient lui être déclarées inopposables ; qu'il est en effet constant que le contrat-type de location défini par voie réglementaire pour régir les relations entre loueur de véhicules de transport et locataire n'est pas d'ordre public et que les parties peuvent librement y déroger par un contrat écrit ; que par ailleurs le caractère éventuellement abusif au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce de la stipulation d'une présomption de responsabilité ne pourrait être sanctionnée que par l'allocation de dommages-intérêts - cette question sera examinée ci-après -; que pour sévère qu'elle soit à l'égard du loueur, la clause de l'article 13 n'apparaît pas contraire à l'économie générale du contrat dans la mesure où il est envisageable que, moyennant un prix de location éventuellement majoré, le locataire se décharge sur le loueur du soin de contracter une assurance pour la garantie des marchandises transportées;

Qu'en conséquence, il convient de faire application du contrat et d'accueillir la demande en garantie formée par la société TND Nord en condamnant Claude Fombaron à relever celle-ci des condamnations prononcées au profit des sociétés Groupama et Lafuma;

Attendu, sur la garantie de la compagnie Helvetia que la clause 9203 A de la police d'assurance, dont l'application en la cause n'est pas contestée, prévoit, en cas de vol de marchandises commis dans un véhicule routier en stationnement, que la garantie est acquise seulement lorsque deux conditions ont été respectées simultanément ; que la seconde est la suivante:

"2. Le dispositif antivol est mis en œuvre, les portes et portières du véhicule routier sont fermées à clef les glaces entièrement levées, les bâches mises en place et soigneusement fixées, tous autres accès étant verrouillés, aucune clef ne devant rester à bord pendant l'absence du conducteur."

Qu'il ressort suffisamment du rapport Bouvet que tous les accès à la semi-remorque n'étaient pas verrouillés, puisqu'elle n'était ni cadenassée ni plombée et que Claude Fombaron, pas davantage que la société TND Nord n'établissent ni même n'allèguent l'existence d'un dispositif de verrouillage des portes arrière de l'ensemble routier ; que contrairement à ce que soutient cette dernière société, il appartient à ceux qui entendent bénéficier de la garantie, et en ont d'ailleurs seuls les moyens comme propriétaire ou utilisateur du véhicule, de démontrer que celui-ci disposait des équipements exigés pour le jeu de la garantie vol ; que cette preuve n'étant pas rapportée, il convient de rejeter les demandes formées contre la compagnie Helvetia;

Attendu sur la demande en dommages-intérêts pour abus de la relation de dépendance économique, qu'en premier lieu, quant à l'existence de cet état de dépendance, il apparaît que Claude Fombaron, propriétaire d'un seul tracteur qu'il conduit lui-même, a travaillé pour l'une ou l'autre des sociétés du groupe TND pendant 17 années, dans le cadre juridique de contrats de location annuels ; que s'il disposait, à l'égal de la société TND Nord d'une faculté de mettre fin à ce contrat sous réserve de respecter le préavis d'un mois, sa situation économique rendait largement théorique l'exercice d'une telle liberté alors qu'à l'inverse la possibilité pour la société TND Nord de rompre le contrat avec un aussi bref préavis le plaçait dans une situation de précarité particulièrement marquée ; que la modicité du résultat de l'entreprise (24 317 euro pour l'exercice 2000-2001) limitait les la facultés de reconversion de Claude Fombaron dont il importe de souligner qu'il réalisait 100 % de son chiffre d'affaires avec la société TND Nord; que si l'on tient compte encore de la surface financière de cette dernière, qui pouvait sans réelle incidence pour elle prendre à tout moment le risque d'une rupture de ses relations avec Claude Fombaron (contractuellement sanctionnée, même en cas d'abus, par le versement d'une indemnité égale à une seule mensualité du terme fixe de la rémunération : article 29), il apparaît que la situation de dépendance économique de ce dernier, au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce est largement démontrée, en l'absence pour lui de solution alternative économiquement praticable;

Qu'en second lieu, il apparaît que dans le contrat de location du 1er octobre 2000 passé entre la société TND Nord et Claude Fombaron, ont été stipulées:

- une définition particulièrement restrictive des opérations de transport dont le locataire a la maîtrise et à l'inverse une définition très large, et de caractère résiduel, des opérations de conduite,

- une présomption de responsabilité pour tout dommage concernant la marchandise transportée, quelle qu'en soit l'origine, et le règlement de l'indemnité par le loueur dans un délai de 30 jours du sinistre avec, à défaut, faculté de compensation au bénéfice du locataire,

- la responsabilité du loueur pour tout dommage subi par le matériel roulant appartenant au locataire, même en l'absence de tout manquement de sa part dans les opérations de conduite,

- l'obligation pour le loueur de souscrire une assurance pour l'ensemble des risques mis à sa charge, avec, en particulier, un capital marchandise garantie d'au moins 2 millions de francs,

Attendu qu'il s'agit là d'obligations injustifiées au sens de l'article L. 442-6 I 2° b) du Code de commerce en ce qu'elles sont imposées au loueur sans la contrepartie d'une rémunération particulièrement favorable, qui permette notamment de compenser la charge substantielle de l'assurance transport (5 882 euro dans le dernier bilan de Claude Fombaron) ni d'une quelconque autonomie dans l'organisation du transport, ainsi que le démontrent sans équivoque les circonstances de celui au cours duquel a été commis le vol litigieux ; qu'en outre, comme l'a également révélé l'application du contrat Helvetia, dont la clause "Vol" correspond à un type de police courant, le loueur peut se trouver privé de garantie du fait du choix d'un type de semi-remorque à la discrétion du seul transporteur locataire et contraint ainsi de choisir entre le risque de travailler sans assurance ou le refus d'exécuter son obligation essentielle et exclusive de mise à disposition d'un véhicule avec personnel de conduite;

Attendu qu'il convient donc d'accueillir la demande en dommages-intérêts de Claude Fombaron, en lui allouant la somme nécessaire à la réparation de son préjudice causé par l'exécution des obligations injustifiées résultant du contrat passé avec la société TND Nord ; que ce préjudice comprend d'abord le montant de l'indemnité qui a été mise à sa charge en vertu de ce contrat mais aussi celui des primes d'assurance qu'il a réglées sans contrepartie utile ; qu'il y a donc lieu de fixer son indemnisation à la somme globale de 75 000 euro;

Attendu, sur la demande en dommages-intérêts pour rupture abusive de la relation commerciale, que sa recevabilité doit être admise en application de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que cette nouvelle prétention tend à faire juger une question née d'un événement postérieur au jugement du 18 mai 2004, la rupture étant intervenue aux termes d'un échange de courrier du mois d'août 2004;

Attendu, sur le fond, que c'est Claude Fombaron qui a pris l'initiative, par sa lettre du 25 août 2004, de ne pas poursuivre avec la société TND Nord la relation contractuelle antérieure dont celle-ci avait expressément accepté qu'elle fut prorogée dans les termes du dernier contrat en vigueur ; que ce n'est pas cette société qui se trouve à l'origine de la rupture de la relation, dont on ne peut ainsi lui imputer la responsabilité sur la base de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; qu'en effet ce texte sanctionne seulement la rupture brutale d'une relation commerciale établie c'est-à-dire le refus par l'une des parties de reconduire une situation contractuelle préexistante; qu'un tel refus n'est pas caractérisé de la part de la société TND Nord à laquelle le prononcé du jugement du 18 mai 2004, frappé d'appel, ne pouvait imposer d'offrir à Claude Fombaron la conclusion d'un nouveau contrat plus favorable à ses intérêts, ce que l'intéressé lui-même n'a jamais demandé ni même suggéré lors de l'échange de correspondances d'août 2004;

Que les conditions de fait de l'application de l'article L. 442-6 I 5° n'était ainsi pas réunies, la réclamation formée sur ce fondement par Claude Fombaron sera rejetée;

Qu'il en sera de même de sa demande relative à son préjudice moral, à laquelle, malgré l'ambiguïté résultant à ce sujet de la rédaction du dispositif de ses dernières conclusions, il ne donne pas d'autre fondement dans les motifs de ses écritures que les conditions, selon lui brutales et iniques, de la rupture de sa collaboration avec la société TND Nord;

Attendu que les sociétés TND et TND Nord d'une part, et Claude Fombaron d'autre part, qui succombent pour partie en leurs prétentions, supporteront les dépens de première instance et d'appel dans la proportion respective des deux tiers et d'un tiers ; qu'il sera fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure dans les conditions précisées au dispositif;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement du 18 mai 2004 en ce qu'il a : - débouté la société Lafuma et la compagnie Groupama Transport de leurs demandes dirigées contre Claude Fombaron; - débouté les sociétés TND et TND Nord de leur demande dirigée contre la compagnie Helvetia, - condamné la société TND Nord au paiement à Claude Fombaron d'une somme de 75 000 euro à titre de dommages-intérêts, - mis diverses indemnités de procédure à la charge, in solidum, des sociétés TND et TND Nord au profit de la compagnie Groupama Transport, de Claude Fombaron et de la compagnie Helvetia; Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau : Condamne in solidum les sociétés TND et TND Nord à payer à la compagnie Groupama Transport la somme de 59 251,26 euro avec intérêts au taux annuel de 5 % à compter du 27 février 2002 et à la société Lafuma celles de 381,12 euro avec mêmes intérêts; Ordonne la capitalisation de ces intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil ; Condamne Claude Fombaron à garantir la société TND Nord de ces condamnations; Déboute Claude Fombaron de sa demande dirigée contre la compagnie Helvetia; Y ajoutant : Déclare recevable mais mal fondée la demande de Claude Fombaron tendant à l'allocation de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale et abusive de la relation commerciale établie avec la société TND Nord et de la réparation de son préjudice moral ; l'en déboute; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés TND et TND Nord à payer : - à la compagnie Groupama Transport une indemnité de procédure de 2 000 euro, - à la compagnie Helvetia une indemnité de procédure de 1 000 euro, - à Claude Fombaron une indemnité de procédure de 2 000 euro; Rejette le surplus des demandes; Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés dans la proportion respective des deux tiers et du tiers par les sociétés TND et TND Nord d'une part et par Claude Fombaron d'autre part; Accorde dans cette limite aux avoués de la cause le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.