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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. B, 17 mars 2006, n° 04-06813

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Thévenin (SA)

Défendeur :

Exare

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cadiot

Conseillers :

M. Astier, Mme Bourrel

Avoués :

SCP Boissonnet-Rousseau, SCP Blanc Amsellem-Mimran Cherfils

Avocat :

Me Lefèvre

T. com. Tarascon, du 6 févr. 2004

6 février 2004

Faits et procédure

Le 1er décembre 1998 M. Bourgoin, agent commercial de la société Thévenin, a cédé les droits et obligations qu'il détenait en vertu du contrat d'agence à M. Hervé Exare pour le prix de 350 000 F, ultérieurement ramené à un peu plus de 270 000 F;

Le 4 janvier 1999 la société Thévenin et Mme Nathalie Exare ont signé un contrat d'agent commercial exclusif sur le secteur 04-06-13-20-30-34-83-84 d'une durée indéterminée; il n'est pas contesté qu'y était annexé un document intitulé "Tableau cumul conditions magasins" fixant un taux de commissionnement variable selon le pourcentage des remises consenties au client (remise de fin d'année-RFA, remise pour non reprise d'invendu-NRI, accord de coopération commerciale sur chiffre d'affaires ou sur mise en avant-ACC);

A la suite de regroupements intervenus dans la grande distribution et de la création de super centrales d'achats Carrefour-Continent et Casino-Cora, les remises ACC jusqu'alors accordées par les agents commerciaux ont été négociées directement par le mandant, et leur pourcentage ayant augmenté le taux de commissionnement des mandataires a baissé;

N'acceptant pas cette situation et estimant que l'attitude de la société Thévenin rendait la poursuite des relations impossible, Mme Exare l'a avertie qu'elle cesserait de représenter ses produits à compter de la présentation d'une lettre recommandée AR du 23 octobre 2000, puis elle l'a assignée en paiement d'un arriéré de commissions, d'une indemnité de rupture et d'une indemnité de préavis;

Par jugement du 6 février 2004 le Tribunal de commerce de Tarascon, considérant que la cessation du contrat d'agence résultait de circonstances imputables à la société Thévenin, l'a condamnée à payer à Mme Exare la somme de 19 992,25 euro à titre d'indemnité de rupture, celle de 1 992,56 euro à titre d'indemnité de préavis, et celle de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La société Thévenin a relevé appel de cette décision le 29 mars 2004;

Au terme de conclusions du 26 juillet 2004 qui sont tenues pour intégralement reprises ici, elle fait valoir:

- qu'elle n'est pour rien dans la disparition du droit de négociation des remises ACC par les agents commerciaux avec les directeurs de magasins Continent et Casino;

- que Mme Exare a été concernée comme tous les autres mandataires;

- que si son taux de commissionnement a baissé en application de l'annexe du contrat, sa propre marge a également diminué;

- que la cessation des relations résulte de la seule initiative de l'agent et n'est pas justifiée par des circonstances imputables au mandant;

- que Mme Exare n'a pas droit à une indemnité de rupture;

- que c'est elle qui doit une indemnité pour non-respect du préavis;

- qu'elle a été négligente dans l'exécution du mandat;

La société Thévenin demande à la cour:

- d'infirmer le jugement entrepris;

- de débouter Mme Exare de ses prétentions;

- de la condamner à lui payer la somme de 2 341 euro à titre d'indemnité de préavis, celle de 11 575 euro à titre de dommages et intérêts, et celle de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Mme Exare n'avait pas conclu lorsque l'ordonnance de clôture a été rendue le 10 janvier 2006;

Elle en demande la révocation au motif qu'une instance en référé aux fins de suspension de l'exécution provisoire ayant opposé les parties, elle était persuadée d'avoir conclu au fond alors qu'il n'en était rien; la société Thévenin s'y oppose et demande le rejet des conclusions signifiées par Mme Exare le 13 janvier 2006;

Motifs de la décision

La recevabilité de l'appel n'est pas discutée; les éléments soumis à la cour ne permettent pas d'en relever d'office l'irrégularité;

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date prévue et préalablement communiquée aux parties ; aucune cause grave au sens de l'article 784 du nouveau Code de procédure civile ne justifie de la révoquer; les conclusions de Mme Exare sont donc irrecevables ;

En droit, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; cette réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ; en fait, l'expert judiciaire Ripert relève que d'une part : "La politique commerciale suivie par les Etablissements Thévenin est concevable. Désirant conserver les parts de marché réalisées avec les super centrales, qu'ils considèrent comme importantes, et sur la pression de celles-ci ils ont accepté d'accorder à ces centrales des remises maximum", ce qui a eu pour conséquence, en application de l'annexe du contrat, "la diminution automatique des remises (commissions ?) pour leurs agents sur le chiffre d'affaires réalisé avec ces magasins", d'autre part "Mme Exare n'a pas accepté la modification au contrat proposée par les Etablissements Thévenin alors que d'autres agents l'ont acceptée" ; la cessation du contrat à l'initiative de Mme Exare ne résulte donc pas de circonstances imputables au mandant, mais d'un choix du mandataire qui a préféré ne pas poursuivre une activité qu'il n'estimait plus rentable ; le jugement entrepris sera en conséquence infirmé;

La société Thévenin elle-même souhaitait modifier le contrat ; elle ne saurait donc valablement reprocher à Mme Exare d'avoir mis fin aux relations sans respecter le délai de préavis, d'autant que d'une part leurs discussions ont duré plusieurs mois, d'autre part elle n'a rien fait pour la retenir (cf. la lettre de son conseil du 25 novembre 2000) ; par ailleurs, la société Thévenin ne démontre pas que la baisse du chiffre d'affaires réalisé par Mme Exare par rapport à son prédécesseur est due à sa défaillance, et non à des causes extérieures qui ne lui sont pas imputables ; elle sera en conséquence déboutée de ses demandes;

Aucune considération d'équité ne commande de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; il convient de laisser chaque partie supporter la charge de ses frais et dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Reçoit l'appel de la société Thévenin; Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture; Infirme le jugement entrepris; Rejette toutes autres demandes; Dit que chaque partie supportera la charge de ses frais et dépens.