CA Paris, 4e ch. B, 28 septembre 2007, n° 05-09322
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fédération française de tennis
Défendeur :
Sega Europe Ltd (SA), Sega France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Baufume-Galland-Vignes
Avocats :
Mes Andrieu, Gilbey de Hass, Vanner
Association reconnue d'utilité publique le 13 juillet 1923, la Fédération française de tennis (FFT) a notamment pour mission de développer le jeu de tennis en France et elle organise à ce titre les compétitions ayant lieu sur le territoire national, en particulier les Championnats internationaux de France de tennis, se déroulant chaque année au stade Roland Garros, qu'elle a reçu en concession depuis 1963, d'abord du préfet de la Seine, puis de la Ville de Paris. Ces compétitions sont connues sous les noms "French" ou "French Open".
La société de droit britannique Sega Europe Ltd et la société anonyme Sega France ont fabriqué et distribué un jeu vidéo destiné à leurs consoles "Dreamcast" intitulé "Virtua tennis". Dans la partie française du jeu ayant pour titre "French Cup", le joueur peut participer à des matchs de tennis sur un court correspondant à celui situé au stade Roland Garros, dénommé "Philippe Chatrier". Cette particularité a été abandonnée dans la nouvelle version "Virtua tennis 2" de ce jeu.
Reprochant à ces deux sociétés d'avoir porté atteinte tant à son droit d'exploitation des championnats susnommés, qu'à son droit à l'image du stade Roland Garros et aussi d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, la FFT les a fait assigner, par acte du 4 février 2003, devant le Tribunal de grande instance de Paris, lequel, aux termes du jugement contradictoire, rendu (en sa 3e chambre 3e section) le 16 mars 2005, aujourd'hui entrepris, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée aux dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 4 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Appelante de cette décision, la FFT demande à la cour, dans ses dernières conclusions, signifiées le 22 août 2005, de le réformer et en conséquence de :
- constater que les deux sociétés Sega ont délibérément repris dans leurs jeux vidéos "Virtua tennis" et "Virtua tennis 2" des éléments caractéristiques du stade Roland Garros et de la manifestation des internationaux de France qui s'y déroule, sans avoir préalablement requis son autorisation,
- dire que par ces actes elles ont porté atteinte à ses droits et se sont rendues envers elle coupable d'actes de parasitisme,
- dire que ces actes portent atteinte au droit d'exploitation qu'elle détient sur les Internationaux de France de tennis en application de l'article L. 18-1 de la loi de 1984 sur le sport,
- dire que la reproduction du stade Roland Garros sur le jeu "Virtua tennis" porte atteinte aux droits qu'elle détient sur l'image du bien immobilier dont elle est concessionnaire depuis 1963,
- dire que ces agissements lui causent un préjudice,
en conséquence,
- condamner solidairement les deux sociétés Sega à lui payer solidairement la somme de 200 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre, en sus des dépens, celle de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par leurs ultimes conclusions, en date du 22 mai 2007, les sociétés Sega prient la cour de débouter la société FFT de son appel et de toutes ses demandes, de confirmer le jugement entrepris et, y ajoutant, condamner la FFT, en sus des dépens, à leur payer la somme de 12 000 euro, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur le parasitisme
Considérant que les premiers juges ont rejeté la demande de la FFT au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ; que seul ce second point est critiqué devant la cour par l'appelante; que celle-ci fait valoir que ses contradictrices ont repris des éléments caractéristiques du tournoi de Roland Garros (reproduction du court central, choix d'un même calendrier pour les épreuves, reprise à peine modifiée du logo de l'ancien "sponsor" officiel du tournoi, choix non anodin du nom " French Cup " proche de "French Open") ; qu'elle ajoute qu'elle a engagé des investissements extrêmement importants, pécuniaires et sur le plan humain, pour donner au tournoi de Roland Garros une image de marque la plus populaire possible, ce qui a conféré à son image une valeur marchande qu'elle a la possibilité de commercialiser afin d'augmenter ses recettes ; que les sociétés Sega ont souhaité se placer dans son sillage et s'affranchir d'un éventuel contrat de licence afin de bénéficier de la notoriété du tournoi de Roland Garros, dont elles n'avaient aucunement la nécessité de reprendre les éléments caractéristiques ; qu'elles ont procédé dans la seconde version du jeu à des modifications aboutissant à la suppression de tous les éléments caractéristiques du court Philippe Chatrier, reconnaissant par là même qu'elles avaient conscience de la faute par elles commise;
Que les sociétés Sega répondent qu'elles n'ont commis aucune faute car, en supposant même que les reproductions reprochées correspondent réellement à des éléments caractéristiques du tournoi de Roland Garros, leur présence dans les jeux "Virtua tennis" ne saurait être considérée à elle-seule comme étant fautive, la FFT n'étant au demeurant pas détentrice d'un monopole sur la représentation d'éléments aussi ordinaires, en l'absence de tout droit privatif; que la FFT n'a pas justifié des investissements par elle invoqués et qu'elles n'ont quant à elles nullement profité d'investissements destinés au développement du tennis en France, alors qu'elles justifient avoir de leur côté effectué d'importants investissements, tandis que, selon elles, la FFT se borne à profiter de la notoriété plus que centenaire du tournoi de Roland Garros ; qu'elles n'ont pas reproduit à l'identique le court central de Roland Garros, ni même fait une quelconque allusion au tournoi qui s'y déroule; qu'il n'existe aucun rapport de concurrence entre elles et la FFT, qui point davantage ne commercialise de jeux vidéos qu'elles ne développent le jeu de tennis en France ;
Considérant toutefois que si les sociétés Sega établissent qu'elles doivent leur succès principalement à la qualité de leurs produits et si le simple fait de copier la prestation d'autrui ne suffit pas nécessairement à caractériser un acte de parasitisme, il n'en reste pas moins qu'en l'espèce la FFT a réalisé des investissements destinés à promouvoir les manifestations ayant lieu dans le cadre du tournoi de tennis de Roland Garros ; qu'elle a conclu le 31 mai 1999 avec la société Carapace, éditeur de jeux vidéos, un contrat d'exclusivité permettant à celle-ci de réaliser et commercialiser un jeu ayant pour thème le tournoi de Roland Garros ; que les sociétés Sega ont incorporé dans leur premier jeu, sans bourse délier, des éléments directement empruntés à ce tournoi et par rapport auxquels la FFT, qui a pu légitimement conférer des droits, demeure à même d'en consentir à nouveau ; qu'elles se sont placées dans son sillage et ont recueilli une partie des fruits de sa notoriété;
Que le parasitisme reproché est partant établi;
Considérant néanmoins que l'atteinte a été limitée dans le temps et dans son importance, le second jeu litigieux ne présentant plus les éléments condamnables ; que la cour eu égard aux éléments dont elle dispose, fixe à la somme de un euro le montant devant venir assurer la réparation du préjudice subi;
Sur l'atteinte au droit d'exploitation
Considérant que la FFT, après avoir rappelé les dispositions de l'article 18-1 de la loi du 16 juillet 1984 desquelles il résulte que le droit d'exploitation d'une manifestation ou d'une compétition sportive appartient à l'organisateur de cet événement, indique que toute exploitation des Championnats internationaux de France de tennis implique à tout le moins son accord ; qu'il ne saurait être ajouté à ce texte en imposant, comme l'ont fait à tort les premiers juges, que ce soient les images-mêmes du tournoi de Roland Garros qui aient été reproduites et que la simple reproduction virtuelle suffit;
Considérant cependant que les sociétés Sega n'ont exploité aucune manifestation ou compétition sportive ayant en lieu sous l'égide de la FFT, laquelle ne justifie d'aucune atteinte à son droit d'exploitation par le seul effet de la conception d'une fiction, même si de tels événements sont à l'origine de ce qui a pu inspirer la création de celle-ci;
Que la demande n'est dès lors pas fondée et que le jugement doit être sur ce point confirmé;
Sur l'atteinte au droit à l'image
Considérant que la FFT reprend devant la cour ses prétentions relatives à l'atteinte selon elle portée à son droit sur l'image du stade Roland Garros que le tribunal, dont la décision ne peut être sur ce point qu'approuvée, a rejeté, en relevant qu'elle est seulement concessionnaire des lieux en question, dont seul le propriétaire serait en droit d'agir sur le fondement précité;
Que la décision attaquée mérite, sur ce point également, d'être confirmée;
Sur les autres demandes
Considérant que le sens du présent arrêt conduit à mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge des sociétés Sega et d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait partiellement droit aux prétentions des sociétés Sega fondées sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Que des raisons d'équité commandent d'écarter l'application de ce texte, sollicitée par la FFT;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les prétentions de la Fédération française de tennis au titre des atteintes aux droits d'exploitation et à l'image; L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau : Dit que les sociétés Sega Europe et Sega France ont commis des actes de parasitisme à l'égard de cette fédération; Les condamne à ce titre in solidum à lui payer la somme de un euro à titre de dommages-intérêts; Rejetant toute autre prétention, les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement, en ce qui concerne ces derniers, pourra être poursuivi par la SCP Fisselier, Chiloux, Boulay, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.