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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ. B, 15 mars 2007, n° 06-01495

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Maisons et Tradition (SA)

Défendeur :

Village Rhônalpin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flise

Conseillers :

Mme Devalette, M. Maunier

Avoués :

SCP Junillon-Wicky, Me Barriquand

Avocats :

Mes Renaud, Tronel, Rocher, Rodamel

T. com. Lyon, du 9 févr. 2006

9 février 2006

En 1992 la société Maisons et Tradition est devenue locataire d'une maison d'exposition située dans le Village Rhônalpin, créée en 1980 dans le domaine public aéroportuaire de Lyon-Bron, pour proposer aux constructeurs de maisons individuelles un site d'exposition grandeur nature.

Par acte du 5 décembre 1995, elle a signé avec la société Village Rhônalpin, gérante du site, une nouvelle convention dite de "sous-occupation temporaire" aux termes de laquelle elle continuait à occuper l'emplacement n° 9 "pour une durée de trois années commençant le 1/01/1996 et finissant le 1/12/1998, et ensuite à partir de cette date pour une durée de trois années renouvelable par tacite reconduction", "chaque partie (ayant) la faculté de faire cesser cette convention à l'expiration de chaque période en prévenant l'autre trois mois à l'avance par pli recommandé avec accusé de réception".

A la suite de la signature de cette convention, la société Maisons et Tradition a érigé sa propre maison sur l'emplacement loué.

Le 30 septembre 2004, elle a reçu une lettre de la société Village Rhônalpin l'informant de sa volonté de mettre fin à la convention le 31 décembre 2004.

Elle a saisi le Tribunal de commerce de Lyon aux fins d'indemnisation du préjudice résultant pour elle de la rupture brutale des relations contractuelles.

Par jugement du 9 février 2006, le tribunal l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, et fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Village Rhônalpin.

La société Maisons et Tradition a interjeté appel par déclaration au greffe le 6 mars 2006.

Par conclusions uniques déposées au greffe le 4 juillet 2006, et expressément visées par la cour, elle sollicite la condamnation de la société Village Rhônalpin à lui payer:

- la somme de 210 000 euro en indemnisation de son préjudice commercial,

- la somme de 3 588 euro au titre de ses frais de déménagement,

- la somme de 4 102,40 euro au titre des frais de publicité,

- une indemnité pour frais d'instance outre les dépens.

Elle reproche à la société Village Rhônalpin d'avoir manqué à son obligation de loyauté et usé abusivement de son droit de résilier la convention de manière unilatérale, en attendant le dernier jour du délai pour notifier son intention, pourtant arrêtée de longue date, et en tout cas depuis le mois de juin 2004, ce qui a enlevé à la société concluante la possibilité de négocier afin de conserver sa maison d'exposition, située de manière privilégiée, et l'a privée de site d'exposition "du jour au lendemain".

A titre subsidiaire, elle fonde sa demande sur la rupture brutale de relations commerciales établies, prévue par l'article L. 442-6-5 du Code de commerce, dont elle dit qu'il est applicable même quand un délai de préavis contractuel a été fixé et respecté par la partie qui a pris l'initiative de la rupture.

Elle évalue à 9 mois au minimum le délai de préavis qui aurait dû être respecté.

Elle justifie son refus de la proposition de repli qui lui a été faite, par le standing inférieur et l'état déplorable des maisons proposées, alors que la sienne avait été refaite en 2002.

Elle allègue comme préjudices:

- un préjudice commercial correspondant à 6 mois de marge nette sur le chiffre d'affaires réalisé sur le site (2 100 000 x 6 / 12 x 20 %) 210 000 euro

- le coût du déménagement : 3 588 euro TTC

- les frais de publicité du second semestre 2004 : 4 102,40 euro.

Elle précise que son bilan 2004 comporte une ligne présentant un résultat exceptionnel négatif de 25 209 euro, consécutif à la perte des immobilisations du fait de la destruction de la maison d'exposition, qui rentre dans son préjudice, et qu'en janvier 2005 elle n'a vendu que 2 maisons au lieu d'une dizaine habituellement le premier mois de l'année.

Par conclusions uniques déposées au greffe le 28 septembre 2006, et expressément visées par la cour, la société Village Rhônalpin demande la confirmation du jugement entrepris et l'octroi de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité pour frais d'instance.

Elle se prévaut du respect du délai de préavis contractuel, du caractère suffisant de ce délai eu égard au contexte des événements, de l'absence d'abus de droit, et du fait que la société Maisons et Tradition a refusé les propositions de replacement qui lui ont été faites.

Elle justifie le non-renouvellement par la situation économique dégradée du Village Rhônalpin consécutive à la baisse constante de constructeurs présents sur le site, qui l'a conduite à rechercher de nouvelles solutions, et ainsi à répondre favorablement à la demande du magasin Botanic, installé en face et qui souhaitait étendre son parking, et que c'est ainsi que la parcelle n° 9 occupée par la société Maisons et Tradition s'est finalement trouvée incluse dans la zone concernée.

Elle précise que le plan définitif ne s'est orienté vers la parcelle n° 9, entre autres, que fin juillet 2004, début août 2004, quand les locataires des parcelles n° 8 et 11, également concernées, ont annoncé leur départ, et qu'elle n'a guère eu le choix du moment pour notifier sa décision.

Elle insiste sur le fait que la société Maisons et Tradition connaissait dès l'origine le caractère précaire de la sous-location, et la possibilité d'un non-renouvellement passés trois ans.

Subsidiairement, elle conteste les préjudices allégués, comme n'étant pas justifiés, et notamment le chiffre d'affaires annuel de 2 100 000 euro annoncé pour le site de Bron, dont elle ne voit pas comment l'expert comptable qui l'atteste a pu le déterminer. Elle relève en outre que les sommes sollicitées ne représentent pas moins que l'équivalent de 14 années de location. Elle remarque que les frais de déménagement auraient dans tous les cas été exposés. Enfin elle rappelle que les sommes versées pour frais de publicité du second semestre 2004 ont été utilisées conformément à leur objet, que les opérations publicitaires ont profité à la société Maisons et Tradition jusqu'au 31 décembre 2004, et qu'il n'y a donc pas lieu à remboursement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2006.

A l'appui de son affirmation, selon laquelle la société Village Rhônalpin avait pris depuis longtemps la décision de mettre fin au contrat, et a manqué à son obligation de loyauté en attendant le dernier jour du délai contractuellement prévu pour donner le préavis, la société Maisons et Tradition se prévaut de l'établissement fin juin 2004 du plan de masse du futur parking de la société Botanic.

Cependant, la société Village Rhônalpin explique, et il est justifié par la production du plan correspondant, qu'il existait auparavant un premier projet d'extension n'incluant pas la parcelle de la société Maisons et Tradition, et que ce n'est qu'au début de l'été 2004 qu'un second projet englobant cette fois la parcelle n° 9 et six autres parcelles contigües, a été élaboré. Elle justifie ensuite avoir été avisée par les sociétés occupantes de la libération des parcelles n° 8 et n° 10 par la production des lettres de notification datées du 19 juillet 2004, et en conséquence s'être à partir de là seulement orientée définitivement vers le plan n° 2.

Il en ressort que la décision de retenir le projet n° 2 a été prise deux mois environ avant la notification du préavis. En tout cas, il n'est pas démontré qu'elle avait été prise avant.

Dans ces circonstances, le fait que le préavis donné fin septembre aurait pu l'être fin juillet ou début août 2003, n'établit pas un manquement de la société Village Rhônalpin à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat, dès lors qu'il n'est pas démontré, ni même soutenu, que dans le courant de l'été celle-ci aurait annoncé une poursuite de la convention au-delà de l'année 2004 ayant conduit la société Maisons et Tradition à réaliser des investissements sur la parcelle.

La demande n'est donc pas fondée en ce qu'elle est fondée sur le manquement à l'obligation de loyauté.

La société Maisons et Tradition se prévaut subsidiairement de l'article L. 442-6, 5° du Code de commerce, qui interdit aux partenaires économiques de rompre brutalement des relations commerciales établies, et soutient que le préavis de trois mois qui lui a été donné, bien que respectant les stipulations contractuelles, était insuffisant du fait que le site était privilégié, et que dans ce délai il lui était impossible de retrouver un nouveau site et de reconstruire une maison sur celui-ci.

Cependant, en 1995 la qualification du contrat, dit "de sous-occupation précaire" et la limitation de sa durée à trois années, attiraient clairement l'attention de la société Maisons et Tradition sur le caractère temporaire, voire fragile, des relations nouées. Le délai de préavis de trois mois fixé par le contrat, et que la société Village Rhônalpin a respecté, apparaît donc approprié aux circonstances.

En conséquence, la société Maisons et Tradition sera déboutée de l'ensemble de ses demandes, et le jugement critiqué confirmé en toutes ses dispositions.

La société Village Rhônalpin ne démontre pas le caractère abusif de l'action engagée à son encontre, ni en quoi le droit d'appel aurait dégénéré en abus. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Il sera fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à son profit.

Par ces motifs, LA COUR, Déboute la société Maisons et Tradition de l'ensemble de ses demandes, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré; Déboute la société Village Rhônalpin de sa demande de dommages-intérêts; Condamne la société Maisons et Tradition à lui payer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Maisons et Tradition aux dépens, qui seront distraits au profit de Maître Barriquand, avoué, sur son affirmation de droit.