CA Besançon, 2e ch. com., 21 novembre 2007, n° 07-00559
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fromagerie Badoz (SAS)
Défendeur :
Crelerot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Sanvido
Conseillers :
MM. Polanchet, Vignes
Avoués :
SCP Leroux, SCP Dumont-Pauthier
Avocats :
Mes Burkard, Christiaen
Faits et prétentions des parties
Bruno Crelerot, exploitant sous l'enseigne Cancoillotte Poitrey - Bruno Crelerot Successeur une entreprise de fabrication et commercialisation du produit fromager dénommé cancoillotte, en deux gammes distinctes (la plus ancienne d'entrée de gamme dite Cancoillotte La Belle Etoile, la plus récente de haut de gamme dit Cancoillotte Gourmande), a assigné le 13 juillet 2006 devant le Tribunal de commerce de Besançon la SAS Fromagerie Badoz aux fins de condamnation de celle-ci pour contrefaçon de modèles déposés et artistiques (pour les contenants de la gamme Cancoillotte Gourmande) et pour concurrence déloyale et parasitaire (pour les mêmes et les contenants de la gamme La Belle Etoile) après avoir fait procéder, autorisé par ordonnances du 29 juin 2006 à des opérations de saisie-contrefaçon et de constat, relativement à la diffusion par cette société depuis novembre 2005 de 2 séries de cancoillottes.
Par jugement du 19 février 2007, considérant pour l'essentiel que l'action ainsi introduite n'était pas une action en contrefaçon de marque, que Bruno Crelerot était recevable à agir en contrefaçon de deux modèles déposés seulement et que la SAS Badoz avait intentionnellement copié les pots de son concurrent et commis ainsi une contrefaçon et une faute constitutive de concurrence déloyale, la juridiction saisie a statué comme suit:
- reçoit en la forme le contenu de l'assignation du 13 juillet 2006,
- dit le tribunal de commerce de céans compétent pour connaître du litige,
- déclare que Monsieur Crelerot a qualité à agir en contrefaçon des modèles français de coupelles et de couvercle déposés sous le n° 98.4393 sous références POC 020 pour la coupelle basse et CCC020 pour le couvercle bombé,
- déclare en revanche l'action en contrefaçon irrecevable en ce qui concerne le modèle non déposé référence POC 060,
- dit que la société Badoz a commis des actes de contrefaçon et concurrence déloyale à l'encontre des produits Poitrey,
- ordonne une expertise en nommant Monsieur Jean-Marc Krieger, expert près la Cour d'appel de Colmar, 4 rue de la Montagne - BP 116 - 68052 Mulhouse Cedex avec pour mission de :
- apprécier si l'entreprise Poitrey apporte des preuves matérielles de baisse de ses ventes, de perte de marchés ou de clients et de dépréciation de son image en raison de la vente de produits concurrents par la société Badoz,
- dans l'affirmative, estimer les pertes financières subies par l'entreprise Poitrey, du fait de l'arrivée des produits contrefaits par la société Badoz,
- dire s'il est opportun de faire retirer de la vente les modèles contrefacteurs de la société Badoz,
- de manière générale, suggérer toute mesure utile de nature à réparer le trouble créé dans l'esprit des consommateurs,
- établir les comptes entre les parties,
Par déclaration reçue au greffe le 13 mars 2007, la SAS Fromagerie Badoz a interjeté appel.
L'appelante a conclu en dernier lieu par mémoire du 4 septembre 2007 à voir:
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit l'intimé irrecevable à agir sur le fondement des modèles non déposés,
- dire que l'intimé n'a pas qualité à agir sur le fondement du Livre I du Code de la propriété intellectuelle,
- dire que l'intimé n'a pas qualité à agir sur le fondement du Livre V du Code de la propriété intellectuelle,
Subsidiairement,
- dire que la société Badoz n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale au détriment de l'intimé,
- dire que la procédure engagée par Monsieur Crelerot à l'encontre de la société Badoz a un caractère abusif,
- condamner Monsieur Crelerot à verser à la société Badoz une somme de 20 000 euro à titre de réparation,
- condamner Monsieur Crelerot à verser à la société Badoz la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- le condamner aux entiers frais et dépens, dont le montant sera recouvré par la SCP Leroux, avoués, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Bruno Crelerot, intimé et appelant incident, ci-après aussi désigné comme l'entreprise Poitrey, a conclu en dernier lieu par mémoire du 26 juillet 2007 à voir:
- confirmer le jugement n° 2000 004623 rendu le 19 février 2007 par le Tribunal de commerce de Besançon, sauf en ce qu'il:
- n'admet pas la contrefaçon du modèle non déposé référencé POC 060.
- et confie à l'expert désigné le soin d'apprécier:
* le préjudice résultant des faits incriminés uniquement en termes de pertes financières, tous faits - contrefaçon, agissements déloyaux et parasitaires - confondus,
* l'opportunité d'ordonner le retrait de la vente des modèles contrefaisants
Y statuant,
- débouter la société Fromagerie Badoz de ses demandes reconventionnelles,
- dire Monsieur Bruno Crelerot recevable à agir en contrefaçon de son modèle non-déposé référencé POC 060,
- dire et juger que la société Fromagerie Badoz s'est rendue coupable de contrefaçon des modèles français de coupelle et couvercle déposés n° 984393 ainsi que du modèle non déposé POC 060, propriété de Monsieur Bruno Crelerot,
- dire et juger que la société Fromagerie Badoz s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de l'exploitation des produits haut de gamme et d'entrée de gamme de Monsieur Bruno Crelerot,
- faire défense à la société Fromagerie Badoz se fabriquer et diffuser les modèles contrefaisant les modèles français de coupelle et de couvercle déposés n° 984393 ainsi que le modèle non-déposé référencé POC, ainsi que les emballages d'entrée de gamme et de haut de gamme concurrençant de manière déloyale et parasitaire ceux utilisés par Monsieur Bruno Crelerot, sous quelques formes et à quelques titres que ce soit, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, étant précisé que chaque fait de fabrication et d'utilisation constituerait une infraction distincte,
- condamner la société Fromagerie Badoz à payer à Monsieur Bruno Crelerot la somme de 1 537 681 euro à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon de modèles déposés et artistique, sauf à parfaire,
- condamner la société Fromagerie Badoz à payer à Monsieur Bruno Crelerot la somme de 3 033 933 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire, sauf à parfaire,
- ordonner le retrait immédiat (mesure confiée, à tort, à l'expert désigné, par le jugement dont appel) et la confiscation de tous les articles, emballages et documents notamment publicitaires reproduisant les modèles et emballages de Monsieur Bruno Crelerot ainsi que leur destruction devant huissier de justice, aux frais exclusifs de la société Fromagerie Badoz, et ce, indépendamment des résultats de l'expertise,
- si une mission d'expertise devait effectivement être de nouveau ordonnée,
* la confier à l'expert nommé par le jugement dont appel, Monsieur Jean-Marc Krieger, expert près la Cour d'appel de Colmar,
* et étendre sa mission à l'ensemble des sources de préjudices subis par Monsieur Bruno Crelerot incluant celui généré par la contrefaçon de son modèle non-déposé référencé POC 060, en prenant bien soin de distinguer le préjudice double résultant de la contrefaçon (la contrefaçon en elle-même et le manque à gagner) du préjudice double résultant de la concurrence déloyale et parasitaire (le trouble commercial et le manque à gagner),
- ordonner la publication, par extraits, du jugement à intervenir dans cinq journaux ou périodiques au choix de Monsieur Bruno Crelerot et aux frais exclusifs de la société Fromagerie Badoz, à concurrence de 5 000 euro HT par insertion, et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts provisionnels complémentaires,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, notamment en ce qui concerne la mesure de défense de récidiver et le paiement des dommages et intérêts, nonobstant appel et sans constitution de garantie,
- condamner la société Fromagerie Badoz à verser à Monsieur Bruno Crelerot la somme de 60 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en ce inclus les frais irrépétibles sollicités en première instance,
- condamner la société Fromagerie Badoz aux entiers frais et dépens de l'instance, en ce compris les dépens et de première instance incluant les frais d'études techniques ainsi que ceux de saisie-contrefaçon et de constat d'huissiers, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Il est expressément référé aux mémoires susvisés pour l'exposé complet des prétentions et des moyens des parties, en application de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile.
La clôture a été prononcée le 11 septembre 2007.
Sur ce,
Vu les pièces régulièrement produites;
La recevabilité de l'appel présenté dans les formes et délais légaux n'est ni discutée ni discutable.
Il en est de même de l'appel incident.
Encore que la SAS Fromagerie Badoz sollicite l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré Bruno Crelerot irrecevable à agir sur le fondement du modèle non déposé, elle ne maintient pas devant la cour l'exception d'incompétence matérielle soulevée en première instance, que l'article 79 du nouveau Code de procédure civile ne l'empêche pas de faire valoir si elle estime que le litige doit être tranché en application du droit des marques - au demeurant écarté à juste titre par les premiers juges car si Bruno Crelerot est titulaire des marques Cancoillotte La Belle Etoile en 3 coloris, il ne se prévaut pas d'une atteinte à celles-ci et la recherche de la faute alléguée n'implique pas l'examen des droits respectifs des parties sur les conditionnements en cause au regard du droit des marques, la SAS Fromagerie Badoz ne prétendant pas pour sa part être titulaire de marques sur ceux-ci.
Il y a donc lieu d'examiner les faits et prétentions des parties sous l'angle de la contrefaçon des œuvres protégées et de la concurrence déloyale.
Sur la contrefaçon
Bruno Crelerot revendique la protection issue du droit de la protection intellectuelle pour les modèles de la gamme Cancoillotte Gourmande, à savoir la coupelle basse ou bol de 200 g, le pot évasé de grande hauteur de 500 g et leur couvercle bombé commun.
La coupelle référencée POC 020 et le couvercle CCC 020 ont fait l'objet d'un dépôt à l'INPI du 27 novembre 1998 sous le n° 984393, qui fait présumer de la qualité de propriétaire du déposant, et de la nouveauté du modèle déposé.
Ces présomptions ne sont pas utilement combattues par la SAS Fromagerie Badoz:
- en ce qui concerne la propriété les pièces produites par Bruno Crelerot pour justifier du processus de fabrication (annexe 1.1 à laquelle la cour se réfère en son intégralité) révèlent que la société Europlastiques a été chargée de créer et élaborer ces objets précisément, sous les mêmes références POC 020 et CC 020, dans des conditions contractuelles emportant transfert à l'entreprise Poitrey de la propriété des outillages (moules) et des droits d'usage de ceux-ci; au surplus, la cession des droits intellectuels pouvant être verbale (sauf exception dans des domaines non concernés par l'espèce), ou confirmée par écrit même après sa réalisation, cette confirmation est intervenue par l'acte de cession à Bruno Crelerot des droits patrimoniaux d'auteur de la société Europlastiques sur la coupelle et le couvercle, daté du 11 juin 1998 et dont la ratification postérieure a été explicitée par Bruno Crelerot dans des conditions crédibles, étant observé que la SAS Badoz, tout en arguant de faux cet acte, n'a donné aucune suite pénale à ces allégations ni sollicité l'audition du dirigeant de la société Europlastiques ; de plus cet acte est renforcé par le document intitulé "clause relative à la cession de droits patrimoniaux sur un modèle" établi quant à lui sur un papier à en-tête correspondant à la forme de la société Europlastiques au 11 juin 1998, et reprenant sous la signature de M. Barberot Président-Directeur Général de cette société le même engagement de cession au profit certes de "la société Cancoillotte Poitrey", mais il faut faire preuve de malice pour en déduire que le bénéficiaire n'en serait pas Bruno Crelerot, exploitant sous cette dénomination;
- en ce qui concerne la nouveauté, laquelle ne se confond pas nécessairement avec la condition d'originalité, propre au droit d'auteur qui sera ci-après étudié la SAS Badoz ne démontre, ni même n'allègue aucune antériorité de toutes pièces, et tant la coupelle que le couvercle, fruits de la recherche d'une société spécialisée dans la conception et l'industrialisation d'emballages alimentaires, constituent une création de formes nouvelles dans le domaine de la commercialisation de la cancoillotte, et même des spécialités fromagères, formes qui n'étaient en rien limitées par les exigences techniques de la conservation du produit (précisément parce que, jusque là, la cancoillotte était vendue en pots en plastique standards, type pots de crème).
Bruno Crelerot revendique aussi la protection générale du droit d'auteur au titre de la coupelle et du couvercle précités, et du pot POC 060 de 500 g.
La SAS Fromagerie Badoz oppose à Bruno Crelerot le moyen tiré de ce qu'elle nomme la règle de l'exclusion de l'effet technique, ci-dessus écarté, les caractéristiques protégeables des contenants Poitrey n'étant pas liés à des impératifs fonctionnels.
Elle ajoute que sous couvert du droit d'auteur invoqué, Bruno Crelerot entend faire protéger un genre en général, celui de tous bols, pots ou coupelles en matière plastique destinés à contenir des fromages, et que le pot évasé de grande hauteur lancé en 2002 n'est autre qu'un gobelet, dont un modèle de forme identique a été déposé le 10 janvier 2001 sous le n° DM/054874.
Mais la protection du droit d'auteur n'est pas exclue pour des objets qui, ne prétendant pas à l'art ressortissent des arts appliqués, dès lors qu'ils sont inspirés par une interprétation originale, dans le genre du contenant industriel, du bol en grès dans lequel est traditionnellement servie la cancoillotte de fabrication familiale ou artisanale (forme évasée de plus ou moins grande hauteur, couleur beige, petit socle), accompagnée d'un couvercle bombé qui accentue la rondeur de l'ensemble, le tout présentant un design attractif particulièrement adapté à une gamme présentée de qualité supérieure (Cancoillotte Gourmande) ; de plus, quoique de hauteur similaire à celle du modèle cité par la SAS Fromagerie Badoz, le pot POC 60, toujours couvert, n'a rien d'un gobelet.
Ainsi, même fondées sur une idée générale connue et une forme usuelle (bol, et plus précisément bol en grès), les créations dont Bruno Crelerot a acquis les droits, par leurs formes, leurs dimensions et leur aspect d'ensemble, constituent des œuvres de l'esprit protégeables.
La comparaison entre les produits Cancoillotte Gourmande de l'entreprise Poitrey (lesquels sont, pour la coupelle et le couvercle, identiques aux modèles déposés contrairement à ce que soutient l'appelante, les différences ne concernant que les inscriptions) et les produits vendus par la SAS Fromagerie Badoz sous la dénomination Cancoillotte de Fromager et La Marmite, n'est pas à l'avantage de cette société.
En effet la coupelle de 200 g (la Cancoillotte de Fromager) est la copie quasi-servile de la coupelle Poitrey, les différences infimes de dimensions (diamètre à la base 5,2 cm pour la première, 5,7 cm pour la seconde, hauteur de 5,4 cm pour la première, 5,2 pour la seconde, incurvation plus haute de la première) n'étant pas de nature à effacer l'impression d'ensemble de ressemblance qui procède de l'utilisation d'une forme et d'une couleur identique.
La même imitation se retrouve dans le couvercle qui reprend les liserés en relief en bordure, et l'impression de rondeur, même si, pour y parvenir, le couvercle Poitrey est bombé en son pourtour avec un creux en milieu, tandis que le couvercle Badoz comporte une protubérance au milieu.
Enfin, si le pot de 200 g La Marmite n'est pas la copie servile du pot POC 060 - celui-ci contenant 500 g, l'impression immédiate qui se dégage du pot Badoz est celle de la déclinaison du pot Poitrey à la taille inférieure, s'agissant ici encore quasiment de la même forme et du même coloris.
Il résulte de ces ressemblances que les deux pots Badoz précités et leur couvercle contrefont les pots et couvercles Poitrey protégés.
Sur la concurrence déloyale
La SAS Fromagerie Badoz, libre de se lancer sur le marché de la cancoillotte, a fait le choix - qui n'est pas en soi critiquable de se positionner immédiatement sur les marchés de l'entrée de gamme et du haut de gamme, où elle fait concurrence à l'entreprise Poitrey.
Sur le haut de gamme, il ressort qu'au delà de la similitude des contenances (courantes pour cette spécialité), des calligraphies (partagées par d'autres concurrents), des zones de texte (que la forme des pots conduit à centrer) et des mentions diverses (qui relèvent de l'information nécessaire des consommateurs), la SAS Fromagerie Badoz a délibérément opté pour un code couleur qui, contrairement à ses dires n'est ni général ni imposé par la nature du contenu ; plus exactement si l'usage de la couleur jaune pour la spécialité au vin jaune était explicable, il n'en était pas de même de la couleur rouge pour la spécialité à l'ail (fût-il rose) et de la couleur bleue pour la cancoillotte nature, car d'une part tous les fabricants de cancoillotte n'appliquent pas ce code (exemple : Raguin vend en pot rouge sa cancoillotte au beurre, et la marque U commercialise en pot vert sa cancoillotte à l'ail), d'autre part l'usage ancien du bleu et du rouge pour les produits laitiers permet de différencier lait entier et lait demi-écrémé, ce qui n'a aucun intérêt ici.
Il découle du recours systématique au même Code de couleurs, de manière particulièrement visible (les zones de couleur jaune, rouge et bleue des pots Badoz étant plus denses que sur les pots Poitrey), que la SAS Fromagerie Badoz a ajouté aux faits de contrefaçon ci-dessus retenus des faits parasitaires, constitutifs de concurrence déloyale.
Sur l'entrée de gamme, les mêmes observations s'imposent chacune des entreprises utilisant des pots standards ne faisant pas l'objet d'une protection spéciale, il appartient cependant à la SAS Fromagerie Badoz, entrant sur le marché, de se comporter loyalement; or non seulement cette société a repris le code de couleur décliné par l'entreprise Poitrey (et encore une fois non général dans la branche d'activité comme il ressort de la figuration, en pages 74 et 75 des écritures de Bruno Crelerot, des produits concurrents), mais encore elle y a ajouté des caractéristiques graphiques (fond strié, médaillon blanc sur la face principale) similaires ; le tout, indépendamment des autres reprises dénoncées par Bruno Crelerot mais non convaincantes, et malgré des différences certaines (position des stries et texte du médaillon évidemment différent en ce qu'il porte la dénomination de chaque entreprise), donne une impression d'ensemble propre à créer un risque de confusion de la part du consommateur normalement vigilant dans les conditions habituelles d'achat en linéaires.
En conséquence, Bruno Crelerot est fondé à reprocher à la SAS Fromagerie Badoz une concurrence déloyale.
Sur le préjudice
Les premiers juges ont à juste titre désigné un expert aux fins de fournir des éléments d'appréciation du préjudice allégué par Bruno Crelerot tant financier que commercial.
En revanche, c'est à tort que le Tribunal de commerce de Besançon a chargé l'expert de "dire s'il est opportun de retirer de la vente les modèles contrefaisants de la société Badoz" - car cette mesure s'impose dès lors que les faits reprochés à la SAS Fromagerie Badoz sont retenus, qu'il s'agisse de contrefaçon ou de concurrence déloyale -, et même de "suggérer toute mesure utile de nature à réparer le trouble créé dans l'esprit des consommateurs - ce qui ne relève pas de la mission d'un technicien.
A cet égard, il apparaît nécessaire à la réparation du préjudice causé par l'attitude fautive de la SAS Fromagerie Badoz, même si l'appréciation matérielle de ce préjudice est réservée, d'ordonner les publications sollicitées.
Mais il convient aussi de préciser que la cessation de la commercialisation des produits contrefaisants et/ou constitutifs de concurrence déloyale ne vaudra que pour l'avenir, et sera assurée par une astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à l'expiration d'un délai de 8 jours suivant la signification du présent arrêt outre que la confiscation ne peut être ordonnée que dans les cas prévus par la loi (ce qui n'est pas le cas en matière de concurrence déloyale), il suffira de tenir compte, pour l'appréciation du préjudice de Bruno Crelerot, de l'ensemble des ventes réalisées par la SAS Fromagerie Badoz jusqu'à la cessation de la commercialisation de ces produits, dont le contenu est en tout état de cause de conservation limitée.
Déclarée fondée en son principe, la demande de Bruno Crelerot n'est pas abusive et n'ouvre donc pas droit à dommages et intérêts.
Les frais et dépens sont réservés jusqu'à l'issue de la procédure.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré, Reçoit la SAS Fromagerie Badoz en son appel et Bruno Crelerot sous la dénomination Cancoillotte Poitrey - Bruno Crelerot Successeur en son appel incident; Et statuant dans les limites de ces recours, Confirme le jugement prononcé par le Tribunal de commerce de Besançon le 19 février 2007 en ce qu'il a : dit que Bruno Crelerot avait qualité à agir en contrefaçon des modèles de coupelle et de couvercle déposés sous le n° respectif 98.4393, références POC 020 et CCC 020; - déclaré la SAS Badoz coupable de contrefaçon desdits modèles et de concurrence déloyale quant aux mêmes produits, - désigné J.M. Krieger, 4 rue de la Montagne - BP 116 - 68052 Mulhouse, en qualité d'expert, aux frais avancés par Bruno Crelerot, - fixé la consignation nécessaire à l'exécution de la mesure d'expertise à cinq mille euro (5 000 euro), Reformant ledit jugement pour le surplus et y ajoutant, Dit que Bruno Crelerot est recevable à agir en contrefaçon du modèle de pot non déposé référencé POC 060, sur le fondement de Livre I du Code de la propriété intellectuelle, Dit que la SAS Fromagerie Badoz a commis des actes de contrefaçon des modèles déposés et du modèle non déposé précités, lesquels bénéficient de la protection du Livre I du Code de la propriété intellectuelle (coupelle POC 020, couvercle CCC 020, pot POC 060) et du Livre V du même Code (coupelle POC 020, couvercle CCC 020), Dit que la SAS Fromagerie Badoz a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de l'exploitation des produits d'entrée de gamme et de haut de gamme de Bruno Crelerot - cancoillotte Poitrey, Fait défense à la SAS Fromagerie Badoz de fabriquer et diffuser les modèles contrefaisants des modèles de coupelles, pot et couvercle contrefaits, ainsi que les emballages d'entrée de gamme concurrençant de manière déloyale et parasitaire, sous astreinte de mille euro (1 000 euro) par infraction constatée à l'issue d'un délai de 8 jours suivant la signification du présent arrêt, Autorise Bruno Crelerot à faire publier le présent arrêt dans 5 journaux ou périodiques de son choix, aux frais de la SAS Fromagerie Badoz, sans que chacune de ces publications puisse dépasser cinq mille euro (5 000 euro HT), Dit que Monsieur J.-M. Krieger, expert désigné, aura pour mission de rechercher, commenter et analyser les éléments d'appréciation de l'ensemble du préjudice financier et commercial allégué par Bruno Crelerot, Dit que l'expert commis, saisi par le greffe de la cour d'appel, devra accomplir sa mission en présence des parties ou celles-ci dûment appelées, les entendre en leurs dires, explications et réclamations et y répondre et, lorsque ces observations seront écrites, les joindre à son rapport si les parties le demandent tout en faisant mention de la suite qu'il leur aura donnée; Rappelle qu'en application de l'article 276 du nouveau Code de procédure civile, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au Magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise; Rappelle également que lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement et qu'à défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties; Dit que si l'expert se heurte à des difficultés qui font obstacle à l'accomplissement de sa mission ou si une extension de celle-ci s'avère nécessaire il en rendra compte au Magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise; Dit que l'expert devra déposer le rapport de ses opérations en quatre exemplaires au greffe de la Cour d'appel de Besançon dans un délai de quatre mois à compter du jour où il aura été avisé de la réalisation de la consignation, sauf prorogation de délai expressément accordée par le Magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise; Dit que l'expert indiquera sur la page de garde de son rapport le numéro du rôle de l'affaire et de la chambre; Dit que l'expert adressera à chacun des avoués des parties une copie de son rapport; Dit que l'expert devra procéder personnellement à ses opérations ; qu'il pourra néanmoins recueillir l'avis d'un autre technicien mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne, lequel avis sera joint à son rapport; Dit également que l'expert pourra se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui interviendra sous son contrôle et sa responsabilité, et que dans ce cas son rapport mentionnera les noms et qualités des personnes qui ont prêté leur concours; Désigne le Magistrat de la mise en état de la deuxième chambre pour surveiller les opérations d'expertise; Subordonne l'exécution de la présente décision en ce qui concerne l'expertise à la consignation au greffe de la Cour d'appel de Besançon par Bruno Crelerot d'une avance de cinq mille euro (5 000 euro) dans un délai d'un mois à compter de la présente décision; Dit qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque en vertu de l'article 271 du nouveau Code de procédure civile; Dit que lors de la première ou, au plus tard, de la deuxième réunion des parties, l'expert dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours; Dit qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au Magistrat chargé du contrôle des opérations d'expertise la somme globale qui lui parait nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire; Dit qu'en cas d'empêchement, retard ou refus de l'expert commis il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête; Reserve les dépens; Ordonne le renvoi de l'affaire à l'audience de mise en état du 17 janvier 2008.