CJCE, 28 janvier 1992, n° C-300/90
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
Royaume de Belgique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Joliet, Schockweiler, Grévisse
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Kakouris, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco, Zuleeg
Avocat :
Me Ignace Maselis
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 1er octobre 1990, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en soumettant la déductibilité des revenus imposables des cotisations d'assurance complémentaire contre la vieillesse ou le décès prématuré à la condition que ces cotisations soient versées à des entreprises établies en Belgique ou à l'établissement belge des entreprises d'assurance étrangères, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48 et 59 du traité CEE et de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).
2 Selon l'article 54, point 2, du code des impôts sur les revenus (Moniteur belge du 10 avril 1964, p. 3809, ci-après "CIR "), sont déduites du total des revenus professionnels, les cotisations d'assurance complémentaire contre la vieillesse et le décès prématuré que le contribuable a versées à titre définitif en Belgique, et en dehors de toute obligation légale, en vue de la constitution d'une rente ou d'un capital en cas de vie ou en cas de décès.
3 L'arrêté royal d'exécution du 4 mars 1965 (Moniteur belge du 30 avril 1965, p. 4722) dispose que "Les primes uniques ou périodiques versées par le contribuable en exécution de contrats d'assurance sur la vie qu'il a conclus individuellement ne sont ... déduites du total des revenus professionnels de l'assuré que si : 1) les contrats sont souscrits auprès d'entreprises belges ou d'établissements belges d'entreprises étrangères, qui contractent des obligations dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine, y compris les institutions publiques ou privées de prévoyance régies par des lois spéciales ..." (article 45, devenu article 44, depuis l'arrêté royal du 7 janvier 1989, Moniteur belge du 10 janvier 1989, p. 999). S'agissant de cotisations d'assurance complémentaire versées par les employeurs par voie de retenue sur les rémunérations, l'article 33 sexies du même arrêté royal prévoit que la déduction des revenus imposables est soumise, entre autres, à la condition que les cotisations soient "versées à une société d'assurance sur la vie ou à un fonds de pension, ayant en Belgique son siège social, son principal établissement ou son siège de direction ou d'administration ou à un établissement dont dispose en Belgique une telle société ou un tel fonds ayant son siège ou son principal établissement à l'étranger ...".
4 L'article 54 du CIR ayant été abrogé par l'article 35, paragraphe 1, point 6, de la loi du 7 décembre 1988 (Moniteur belge du 16 décembre 1988, p. 17312), cette matière est actuellement réglée par les articles 12, paragraphe 2, point 1, et 13, paragraphe 1, point 1, de cette loi, aux termes desquels :
"Sont considérées comme charges professionnelles :
1) les cotisations d'assurance complémentaire contre la vieillesse et le décès prématuré que le contribuable a versées à titre définitif, en Belgique, et en dehors de toute obligation légale, en vue de la constitution d'une rente ou d'un capital en cas de vie ou en cas de décès, à l'intervention de son employeur, par voie de retenue sur ses rémunérations" (article 12, paragraphe 2);
"Sont déduites du total des revenus professionnels ...:
1) les cotisations d'assurance complémentaire contre la vieillesse et le décès prématuré que le contribuable a versées à titre définitif, en Belgique, et en dehors de toute obligation légale, en vue de la constitution d'une rente ou d'un capital en cas de vie ou en cas de décès en exécution d'un contrat d'assurance vie qu'il a conclu individuellement" (article 13, paragraphe 1).
5 Pour un plus ample exposé des faits, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la violation de l'article 48 du traité et de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68
6 Le Gouvernement belge fait valoir que les dispositions litigieuses s'appliquent sans distinction de nationalité aux travailleurs belges et aux travailleurs ressortissants des autres États membres qui choisissent de conserver le bénéfice des contrats souscrits antérieurement à l'étranger, et que l'affirmation de la Commission selon laquelle ces dispositions jouent plus particulièrement au détriment des contribuables ressortissants des autres États membres est dénuée de tout fondement.
7 A cet égard, il y a lieu de relever que les travailleurs ayant exercé une activité professionnelle dans un État membre et qui, par la suite, occupent un emploi dans un autre État membre, ou y sont à la recherche d'un emploi, ont normalement souscrit leurs contrats d'assurance vie auprès d'assureurs établis dans le premier État. Il s'ensuit que les dispositions en cause risquent de jouer en particulier au détriment de ces travailleurs qui, en règle générale, sont des ressortissants d'autres États membres.
8 Le Gouvernement belge observe en outre que, si les ressortissants des autres États membres occupant un emploi en Belgique, qui sont bénéficiaires de contrats d'assurance vie souscrits antérieurement dans un autre État membre, ne peuvent pas déduire leurs cotisations du total des revenus imposables, en contrepartie, les pensions, rentes, capitaux ou valeurs de rachat qui leur sont versés par les assureurs en exécution desdits contrats ne constituent pas des revenus imposables, ainsi qu'il résulte de l'article 32 bis, inséré dans le CIR par la loi du 5 janvier 1976 (Moniteur belge du 5 février 1976, p. 81). Si, en retournant dans leur pays d'origine, ils doivent payer un impôt sur de tels montants, cela ne découle pas d'une entrave à la libre circulation des travailleurs créée par la loi belge, mais du défaut d'harmonisation des législations fiscales des États membres.
9 Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, ce sont normalement les ressortissants d'autres États membres qui, après avoir occupé un emploi en Belgique, retournent dans leur État d'origine où les sommes dues par les assureurs font l'objet d'impositions, et se trouvent ainsi dans l'impossibilité de compenser la non-déductibilité des cotisations en matière d'impôt sur le revenu par la non-imposition des montants dus par les assureurs. Il est vrai qu'une telle situation résulte du défaut d'harmonisation des législations fiscales des États membres, mais cette harmonisation ne saurait être érigée en préalable de l'application de l'article 48 du traité.
10 Le Gouvernement belge fait valoir que, en tout état de cause, les dispositions litigieuses sont justifiées par des raisons d'intérêt général. D'une part, il serait difficile, sinon impossible, de contrôler le versement des cotisations dans les autres États membres, et, d'autre part, de telles dispositions seraient nécessaires pour assurer la cohérence du régime fiscal en cause.
11 En ce qui concerne l'efficacité des contrôles fiscaux, il y a lieu de relever que la directive 77-799-CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15, ci-après "directive ") peut être invoquée par un État membre afin de contrôler si des versements ont été effectués dans un autre État membre, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, l'établissement correct de l'impôt sur le revenu doit tenir compte desdits versements (article 1er, paragraphe 1).
12 Le Gouvernement belge fait toutefois valoir que certains États membres ne disposent d'aucune base juridique pour exiger des assureurs les renseignements nécessaires aux contrôles des versements effectués sur leur territoire.
13 Il y a lieu de relever, à cet égard, que l'article 8, paragraphe 1, de la directive n'impose pas la collaboration des autorités fiscales des États membres lorsque leur législation ou leur pratique administrative n'autorisent l'autorité compétente ni à effectuer des recherches ni à recueillir ou à utiliser des informations pour les propres besoins de cet État. Toutefois, l'impossibilité de demander une telle collaboration ne saurait justifier la non-déductibilité des cotisations d'assurance. En effet, rien n'empêcherait les autorités fiscales belges d'exiger de l'intéressé les preuves qu'elles jugent nécessaires et, le cas échéant, de refuser la déduction si ces preuves ne sont pas fournies.
14 En ce qui concerne la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal en cause, il y a lieu de constater qu'il existe, dans la réglementation belge, un lien entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des sommes dues par les assureurs en exécution des contrats d'assurance contre la vieillesse ou le décès. En effet, selon l'article 32 bis du CIR, précité, les pensions, rentes, capitaux ou valeurs de rachat des contrats d'assurance vie sont exemptés de l'impôt lorsque la déduction des cotisations prévue à l'article 54 n'a pas été obtenue.
15 Il s'ensuit que, dans le régime fiscal belge en cause, la perte de recettes qui résulte de la déduction des cotisations d'assurance vie du revenu total imposable est compensée par l'imposition des pensions, rentes ou capitaux dus par les assureurs. Dans les cas où la déduction de telles cotisations n'a pas été obtenue, ces sommes sont exemptées de l'impôt.
16 La cohérence de ce régime fiscal, dont la conception appartient à l'État belge, suppose donc que, dans le cas où cet État serait obligé d'accepter la déduction des cotisations d'assurance vie versées dans un autre État membre, il puisse percevoir l'impôt sur les sommes dues par les assureurs.
17 A cet égard, il convient de constater qu'un engagement de l'assureur de payer ledit impôt ne saurait constituer une garantie suffisante. En effet, si un tel engagement n'était pas respecté, il serait nécessaire de le faire exécuter dans l'État membre d'établissement, et, en dehors même de la difficulté pour un État de connaître l'existence et le montant des versements effectués par des assureurs établis dans un autre État, il n'est pas exclu que des raisons d'ordre public puissent alors être invoquées pour empêcher le recouvrement de l'impôt.
18 Un tel engagement pourrait certes être, en principe, assorti du dépôt d'une caution par l'assureur, mais il en résulterait des charges supplémentaires pour celui-ci qui devraient être répercutées sur les primes d'assurance, de sorte que les assurés, qui pourraient en outre être soumis à une double imposition sur les sommes dues en exécution des contrats, n'auraient plus aucun intérêt à maintenir ces derniers.
19 Il est vrai que des conventions bilatérales existent entre certains États membres, qui admettent la déduction fiscale des cotisations versées dans un État contractant autre que celui qui accorde un tel avantage, et reconnaissent à un seul État le pouvoir d'imposer les sommes dues par les assureurs en exécution de leurs contrats. Une telle solution n'est toutefois possible que par cette voie ou par l'adoption, par le Conseil, des mesures de coordination ou d'harmonisation nécessaires.
20 Il s'ensuit que, en l'état actuel du droit communautaire, la cohérence du régime fiscal en cause ne peut pas être assurée par des mesures moins restrictives que celles prévues par les dispositions litigieuses, et que toute autre mesure permettant de garantir le recouvrement par l'État belge de l'impôt prévu dans sa législation sur les sommes dues par les assureurs en exécution de leurs contrats aboutirait à des conséquences semblables à celles qui résultent de la non-déductibilité des cotisations.
21 Au vu de ce qui précède, il y a lieu d'admettre que les dispositions litigieuses de la loi belge sont justifiées par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal en cause et que, dès lors, elles ne violent pas l'article 48 du traité. Il en est de même en ce qui concerne l'article 7 du règlement n° 1612-68.
Sur la violation de l'article 59 du traité
22 Il convient de constater, à cet égard, que les dispositions en cause constituent une restriction à la libre prestation des services. En effet, des dispositions qui impliquent l'établissement de l'assureur dans un État membre pour que les assurés puissent bénéficier, dans cet État, de certaines déductions fiscales découragent les assurés de s'adresser aux assureurs établis dans un autre État membre et, partant, constituent, pour ces derniers, un obstacle à la libre prestation des services.
23 Selon la jurisprudence de la Cour (voir, entre autres, arrêt du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne, point 52, 205-84, Rec. p. 3755), l'exigence d'un établissement est toutefois compatible avec l'article 59 du traité si elle constitue une condition indispensable pour atteindre l'objectif d'intérêt général recherché. Or, ainsi qu'il résulte des considérations ci-avant développées, tel est le cas en l'espèce.
24 Il s'ensuit que les dispositions litigieuses ne sont pas contraires à l'article 59 du traité et que, dès lors, le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
25 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La Commission est condamnée aux dépens.