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Décisions

CA Agen, ch. soc., 23 mai 2006, n° 05-00168

AGEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Deauze

Défendeur :

Tradesco (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Roger (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Latrabe, M. Mornet

Avocats :

SCPA Lagaillarde, SCP Aubert & Associés

Cons. prud'h. Auch, du 17 janv. 2005

17 janvier 2005

Faits et procédure

Yves Deauze, né le 20 octobre 1947, a été embauché le 1er janvier 1990 d'abord en qualité de représentant multicartes, puis exclusif à partir de juillet 1997, le 1er janvier 1990.

Le 31 décembre 2002 après plusieurs avertissements, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 13 janvier 2003 ;

La procédure de licenciement a été suspendue à la suite de l'entretien du 15 janvier 2003 selon lettre recommandée du 17 janvier 2003 ; Yves Deauze s'était effectivement engagé à établir des rapports d'activité à compter du 2 février 2003 et ce devant témoins choisis par lui ; cet engagement avait été confirmé par ses soins le 25 janvier 2003;

Le 24 février 2003, il a été convoqué à un nouvel entretien préalable fixé au 10 mars 2003, auquel il ne s'est pas rendu;

Il a été licencié pour faute grave par lettre du 21 mars 2003 dans les termes suivants :

"... Nous sommes au regret de vous notifier par la présente, votre licenciement pour faute grave pour les raisons suivantes :

- insubordination,

- refus réitéré de vous conformer aux règles internes de la société et notamment votre refus avéré de nous adresser vos rapports hebdomadaires.

Ce contrat vous imposait de rendre compte de votre activité " par des rapports circonstanciés hebdomadaires ".

Dès l'envoi de ce nouveau contrat, nous attirions votre attention sur le fait que votre nouvelle activité de représentant exclusif imposait de votre part une discipline accrue telle qu'expédition des rapports journaliers, visites du chef des ventes, etc...

Dès 1999, nous étions contraints de vous adresser un avertissement (8 février 1999) pour vous reprocher votre comportement lors d'une réunion avec tous les commerciaux le 3 février 1999, réunion au cours de laquelle vous avez déclaré ne pas vouloir recevoir d'ordres du directeur commercial et refuser les tournées accompagné d'un chef des ventes.

Votre comportement ne s'est pas amélioré, pas plus que vos résultats commerciaux et nous vous avions rappelé, oralement, à maintes reprises, la nécessité de nous adresser vos rapports hebdomadaires.

En novembre 2002, nous avons appris que vous aviez fait l'objet d'un retrait de permis de conduire d'un mois alors que, contractuellement, il vous appartient de nous en avertir.

Le 22 novembre 2002, nous vous adressions une lettre circonstanciée faisant le point de votre activité commerciale, nous amenant à constater votre manque de résultat sur les secteurs pourtant importants qui vous étaient confiés.

Votre totale inefficacité à prospecter ce secteur s'établit en deux chiffres:

- le potentiel client est de 3 212

- le nombre de clients visités, qui ont pris au moins une commande entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2002 est de 132.

Cette comparaison est édifiante et confirme votre absence totale d'implication dans votre activité.

Dans ce même courrier, nous vous rappelions l'obligation de nous adresser vos rapports hebdomadaires afin de nous permettre " d'analyser ensemble, la meilleure méthode pour faire évoluer votre chiffre d'affaires ".

Curieusement, lors d'un entretien le 14 novembre précédent, vous nous avez affirmé vouloir réduire volontairement votre chiffre d'affaires, démarche incohérente pour un représentant exclusif.

Ce courrier du 22 novembre constituait un rappel à l'ordre impératif qui est resté sans effet puisque le 6 décembre suivant, nous vous adressions un nouvel avertissement au motif que nous n'avions toujours pas reçu vos rapports hebdomadaires, demande réitérée une nouvelle fois le 17 décembre suivant.

Lors de ce dernier courrier, nous vous rappelions les termes de votre contrat et le fait que le non-respect de cette obligation était constitutif d'une faute grave.

Le 30 décembre 2002, nous apprenions que vous vous étiez mis d'office en vacances du 20 décembre 2002 au 6 janvier 2003 alors que, par courrier précédent du 22 novembre, nous vous informions que vos vacances étaient fixées au mois d'août 2003 et après accord avec nous, une semaine en dehors de cette période.

Nous constatons, là encore, que vous agissez à votre guise au mépris des consignes qui vous sont données, laissant votre employeur dans l'ignorance de votre situation professionnelle, il s'agit là d'un nouvel acte d'insubordination.

Malheureusement, votre comportement ne s'est pas modifié, vos rapports hebdomadaires ne nous sont toujours pas parvenus, ce que vous ne niez puisque, le 13 février 2003, vous écriviez à M. Limousin, président directeur général de la société, que vous le considériez comme votre seul interlocuteur refusant obstinément votre lien hiérarchique avec le directeur commercial.

Compte tenu des éléments qui précèdent, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave".

Le 10 juillet 2003 Yves Deauze a saisi le Conseil de prud'hommes d'Auch qui par jugement du 17 janvier 2005 lui a alloué la contrepartie financière de la clause de non-concurrence à hauteur de 12 312 euro et l'a débouté de ses autres demandes.

Yves Deauze a relevé appel de cette décision.

Moyens et prétentions des parties

Yves Deauze demande tout d'abord la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il lui a alloué la contrepartie pécuniaire de l'obligation de non-concurrence; dans le cadre d'un dossier parfaitement argumenté, et dans des conclusions auxquelles la cour se réfère pour plus ample informé, Yves Deauze rappelle les termes de la clause contractuelle prévoyant la possibilité de lui imposer une obligation de non-concurrence pendant une durée d'un an, et demande à la cour d'écarter cette clause plus défavorable que celle prévue au statut professionnel des VRP qui doit trouver application.

Il fait valoir en effet que la clause au terme de laquelle l'employeur se réserve la faculté, après la rupture du contrat de travail, d'imposer au salarié une obligation de non-concurrence, est contraire au principe selon lequel la lettre de licenciement qui opère rupture du contrat de travail, fixe les droits des parties résultant de la rupture.

Il demande en conséquence l'application de l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 d'un montant de deux tiers de mois pendant deux ans soit 24 602,71 euro.

Subsidiairement, Yves Deauze estime que la SARL Tradesco a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard et doit être en conséquence condamnée à lui payer 20 000 euro de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant pour lui du fait de s'être vu imposer une clause illicite.

Sur le licenciement Yves Deauze affirme tout d'abord que les griefs justifiant la mesure dont il a fait l'objet sont dépourvus de gravité, fallacieux car ils ne constituent pas les véritables raisons pour lesquelles il a été exclu de l'entreprise et dépourvus de caractère réel et sérieux en raison du contexte dans lequel ces griefs ont été formulés et le licenciement prononcé.

Yves Deauze explique que la SARL Tradesco était concurrencée par une société JCD Ava qui avait la même activité de commerce de gros d'équipement automobile et était dirigée par le même gérant soit Jean-Claude Limousin ; que ces deux établissements se trouvaient dans le même bâtiment et que les produits de la société JCD Ava, qui étaient les mêmes que ceux commercialisés par la SARL Tradesco dont elle était le fournisseur, étaient proposés aux clients à de meilleures conditions que celles que Tradesco permettait à ses commerciaux d'offrir;

Il estime avoir été désavantagé par rapport à une concurrence émanant de l'employeur et conteste formellement les affirmations de l'employeur selon lesquelles les clients des deux sociétés sont différents.

Il souligne que ces deux sociétés ont un objet social identique, qu'il résulte des documents produits que Jean-Claude Limousin est dirigeant de quatre sociétés exerçant le commerce en gros d'équipement automobile dont trois exercent leur activité sur le même site ; qu'il s'agit là de l'explication de la baisse de résultats commerciaux qui lui est reprochée.

Il fait valoir devant la cour que ces protestations contre cette situation sont la véritable cause de son licenciement.

S'agissant des autres griefs, Yves Deauze explique qu'il exerçait son activité pour la SARL Tradesco depuis plus de treize années, que les rapports exigés par le directeur commercial étaient parfaitement inutiles puisque les bons de commande constituent un élément d'analyse suffisamment précis ; qu'il ne conteste pas avoir refusé de remettre des rapports d'activité mais indique s'y être refusé en dépit des injonctions renouvelées du directeur commercial en raison du fait que ses écrits relatifs à la situation commerciale sur le terrain étaient quant à eux totalement ignorés;

Il rappelle qu'aucune clause du contrat de travail ne peut valablement décider qu'une circonstance quelconque constituera une cause de licenciement et estime abusive la rupture de son contrat de travail.

Il demande en conséquence à la cour de lui allouer l'indemnité compensatrice de préavis soit 4 613 euro bruts outre les congés payés correspondants soit 461,30 euro,

Il sollicite l'indemnité conventionnelle de rupture soit 3 997,94 euro, l'indemnité spéciale de rupture à hauteur de 12 762,66 euro et 61 506 euro de dommages et intérêts correspondants à 40 mois de salaires ainsi que 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Selon la SARL Tradesco, le grief majeur visé à la lettre de licenciement est l'absence d'envoi de rapports hebdomadaires et le refus réitéré volontaire d'Yves Deauze de se plier à cette obligation contractuelle;

L'employeur fait valoir que le salarié reconnaît ce grief, rappelle qu'il s'agissait d'une obligation contractuelle indispensable à la gestion commerciale des départements confiés à Yves Deauze, les nombreux rappels à l'ordre dont il a fait l'objet et soutient que son refus réitéré constitue un acte d'insubordination caractérisé et constitue l'expression d'un défi à l'égard de l'employeur.

L'employeur rappelle qu'Yves Deauze avait pris l'engagement d'envoyer ses rapports, qu'il ne l'a jamais fait et s'est ainsi obstiné dans ses refus;

L'employeur fait valoir que le simple fait de s'être abstenu de produire ces rapports hebdomadaires pendant de nombreuses années n'enlève pas à ce fait le caractère de faute grave à partir du moment où il a été préalablement rappelé au salarié que désormais, compte tenu de ses résultats commerciaux, cette nécessité s'imposait.

La SARL Tradesco conclut en conséquence à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Yves Deauze de son recours contre le licenciement.

S'agissant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, l'employeur fait valoir que l'article 15 du contrat de travail d'Yves Deauze est libellé de telle sorte qu'elle ne trouve application que si l'employeur notifie dans les 15 jours de la rupture quelle qu'en soit la cause l'application de ladite clause ; qu'en l'absence de toute confirmation de la clause de non-concurrence elle n'a pas vocation à s'appliquer.

L'employeur estime qu'aucune contrepartie financière n'est due à Yves Deauze et demande à la cour d'infirmer le jugement la condamnant à payer à ce titre la somme de 12 312 euro.

Elle demande en conclusion la condamnation du salarié au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Attendu que le contrat de travail est caractérisé par le lien de subordination dans lequel se trouve un salarié vis-à-vis de son employeur;

Attendu que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné;

Attendu qu'au regard de cette obligation il apparaît que le licenciement d'Yves Deauze est justifié;

Attendu en effet qu'il est incontesté que, confronté à l'exigence du directeur commercial de déposer des rapports d'activité, ce qu'il n'avait pas fait depuis douze ans, Yves Deauze s'y est fortement opposé et n'a jamais remis aucun rapport malgré la suspension de la procédure de licenciement suivant l'entretien du 15 janvier 2003 et malgré ses engagements à établir lesdits rapports à compter du 2 février 2003 lors du même entretien; qu'il a confirmé cet engagement par lettre recommandée avec avis de réception du 25 janvier 2003 et ne pouvait ainsi refuser les instructions qui lui étaient données de déposer des rapports d'activité ;

Attendu qu'il est en outre établi qu'il a pris quinze jours de vacances sans autorisation du 20 décembre 2002 au 6 janvier 2003, alors que par une lettre précise, il avait été informé qu'il disposait de vacances au mois d'août, une semaine supplémentaire pouvant lui être accordée après accord de l'employeur;

Attendu que ce comportement est la négation de la subordination qui le lie à l'employeur et justifie ainsi la rupture du contrat de travail.

Mais attendu que force est à la cour de constater que si les rapports lui ont été demandés, c'est en raison d'une insuffisance d'activité qui n'est en rien démontrée par le dossier produit ; qu'il apparaît que le salaire d'Yves Deauze était sensiblement identique d'une année à l'autre, que l'employeur ne donne aucune explication convaincante sur les faits de concurrence existant entre plusieurs des sociétés dont il est le gérant et qu'il apparaît au contraire que cette concurrence existait bien même si Yves Deauze ne peut justifier de manière précise en avoir été victime;

Qu'il invoque lui-même le maintien des rémunérations qui lui étaient servies ;

Attendu que le comportement de l'employeur, qui s'est refusé depuis le mois d'octobre 2002 à répondre aux nombreuses missives d'Yves Deauze faisant état de fait qu'il ne pouvait ignorer, a concouru à la cristallisation d'une situation poussant Yves Deauze dans ses retranchements et le conduisant à adopter une attitude qui ne pouvait que conduire à la rupture du contrat de travail à ses torts.

Attendu dès lors que la cour ne retient pas la faute grave mais seulement la cause réelle et sérieuse et qu'il y a lieu d'allouer à Yves Deauze les indemnités de rupture qui lui sont dues et qui ne sont pas contestées par la SARL Tradesco.

Attendu, sur la clause de non-concurrence, que le contrat de travail prévoyait bien l'application du statut professionnel des VRP ; que cette convention ayant réglementé la clause de non-concurrence, le contrat de travail ne pouvait valablement contenir des dispositions plus défavorables pour le salarié ;

Or, attendu que la clause incluse dans un contrat de travail aux termes de laquelle l'employeur se réserve la faculté après la rupture qui fixe les droits des parties, d'imposer au salarié une obligation de non-concurrence, est nulle ; qu'elle crée pour le salarié une incertitude qui lui est préjudiciable ;

Qu'il convient dès lors de faire application des dispositions de la convention collective y compris en celles prévoyant la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui s'applique de plein droit dès lors que le contrat de travail, qui comporte une clause de non-concurrence, se réfère à cet accord;

Attendu en conséquence que c'est à juste titre que les premiers juges ont statué ainsi qu'ils l'ont fait ;

Mais attendu qu'Yves Deauze est mal fondé à solliciter la contrepartie financière sur une durée de 2 ans ; qu'en effet l'article 17 indique que l'interdiction contractuelle de concurrence après la rupture du contrat de travail n'est valable que pendant une durée maximale de deux années à compter de cette rupture ; qu'il apparaît que la clause contenue au contrat de travail était inférieure puisqu'elle n'était que d'une durée d'un an et que c'est donc à juste titre que les premiers ont alloué à Yves Deauze la somme de 12 312 euro à ce titre.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge d'Yves Deauze ceux des frais non compris dans les dépens dont il a fait l'avance ; qu'il convient de condamner la SARL Tradesco à lui payer la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes d'Auch du 17 janvier 2005 en ce qu'il a condamné la SARL Tradesco à payer à Yves Deauze au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence la somme de 12 312 euro. Le réformant pour le surplus, Déclare pourvu d'une cause réelle et sérieuse mais non d'une faute grave le licenciement dont Yves Deauze a fait l'objet. Condamne en conséquence la SARL Tradesco à lui payer les sommes suivantes : - indemnité de préavis : 4 613 euro plus les congés payés correspondants : 461,30 euro - indemnité conventionnelle de licenciement : 3 997,94 euro - indemnité spéciale de rupture 12 762,66 euro - article 700 du nouveau Code de procédure civile : 2 000 euro ; Condamne la SARL Tradesco aux dépens.