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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 26 octobre 2006, n° 05-03269

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Chottin-Renard

Défendeur :

Theraform (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

SCP Laval-Lueger, Me Garnier

Avocats :

SCP Baylac-Ottavy, Me Merat

T. com. Tours, du 4 nov. 2005

4 novembre 2005

La société Theraform, qui anime un réseau de franchise exploitant des centres d'amincissement, a conclu le 23 septembre 2002 avec Madame Chottin-Renard un contrat lui concédant pour une durée de cinq ans le droit d'utiliser la marque " Theraform " pour l'exploitation d'un établissement situé à Saint-Avertin, moyennant une redevance initiale forfaitaire de 28 000 euro HT et une redevance mensuelle de 380 euro HT. Madame Chottin-Renard, ayant cessé son activité dès le 23 janvier 2004 en raison de l'absence de rentabilité, a assigné la société Theraform en nullité du contrat de franchise et paiement de diverses sommes. Le franchiseur a demandé reconventionnellement le versement des redevances jusqu'à l'échéance du contrat.

Par jugement du 4 novembre 2005, le Tribunal de commerce de Tours a débouté les parties de toutes leurs demandes.

Madame Chottin-Renard a relevé appel.

Par conclusions signifiées le 30 mars 2006, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, elle fait valoir que le franchiseur ne lui a pas transmis le savoir-faire correspondant aux définitions déontologiques et jurisprudentielles dans la mesure où la " méthode de plastithérapie " ne correspond qu'à l'application de techniques connues d'origine asiatique, le contrat s'avérant ainsi sans cause. Elle affirme que le franchiseur ne lui a dispensé ni les formations régulières prévues au contrat ni aucun support écrit. Elle ajoute que l'obligation de communication d'études prévisionnelles sérieuses est fondamentale et que la responsabilité du franchiseur est engagée lorsque les prévisions ne sont pas réalisées. Elle demande, en conséquence, de prononcer la résiliation du contrat de franchise et de condamner la société Theraform à lui rembourser la redevance initiale de 38 488 euro TTC et les redevances mensuelles payées, soit 1 363,74 euro, et à lui verser les sommes de 53 809,64 euro à titre de dommages et intérêts et de 7 000 euro en réparation de son préjudice moral, outre une indemnité de procédure de 2 000 euro.

Par ses écritures du 12 juin 2006, la société Theraform réplique que l'exécution volontaire du contrat de franchise par l'appelante emporte renonciation aux moyens et exceptions qu'elle aurait pu opposer à cet acte, au sens de l'article 1338 du Code civil. Subsidiairement, elle souligne que la méthode, objet de la franchise, est parfaitement définie dans le contrat et dans le document d'informations précontractuelles et constitue un véritable savoir-faire qui doit être jugé à l'aune d'une originalité relative et non pas absolue et ajoute que si aucune formation valable n'avait été dispensée, le réseau n'aurait pu atteindre 50 unités. Elle relève que la plupart des franchisés ont eu un démarrage difficile pendant quelques mois mais ont atteint rapidement des résultats raisonnables, et considère que l'échec de Madame Chottin-Renard résulte de son manque de rigueur et de diligence. Elle fait observer que le tableau prévisionnel est une simple projection de trésorerie, sans caractère contractuel, destinée à calculer les dépenses à partir d'un chiffre d'affaires théorique et que l'état du marché a été décrit sur cinq pages du document d'informations précontractuelles. Elle estime exagérés les préjudices allégués, dès lors que l'appelante a exercé pendant un an et perçu des ressources. Elle demande, enfin, par infirmation du jugement de ce chef, la condamnation de Madame Chottin-Renard à lui payer la somme de 18 240 euro correspondant aux quatre années de redevance à percevoir, ainsi que celle de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi

Attendu que par application de l'article 1338 du Code civil, la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer, et que tel n'est pas le cas en l'espèce, Madame Chottin-Renard n'ayant pu prendre conscience des défectuosités alléguées du contrat qu'après quelques mois d'activité;

Sur la responsabilité de la société Theraform

Attendu qu'en instituant un système précis d'information pré-contractuelle, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, devenu l'article L. 330-3 du Code de commerce, a mis à la charge du titulaire d'un nom commercial, d'une marque ou d'une enseigne qu'il met à la disposition d'une autre personne en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun, une obligation de faire : fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause; que l'article 1er du décret du 4 avril 1991 portant application de ce texte prévoit que les informations fournies doivent être complétées par une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché;

Que si la loi ne met pas à la charge du franchiseur une étude du marché local ou l'établissement de comptes prévisionnels, et qu'il appartient au franchisé, seul juge de l'opportunité de son investissement, de procéder lui-même à une analyse d'implantation précise, et de calculer ses risques, il n'en reste pas moins que dans le cas où ces informations sont données, avec remise d'un compte d'exploitation prévisionnel, l'article L. 330-3 précité ainsi que l'obligation de contracter de bonne foi propre au droit commun des contrats, imposent au franchiseur une présentation sincère du marché local ainsi que l'établissement de budgets raisonnables sur la base de chiffres non contestés ; qu'en effet, le franchiseur doit être d'autant plus attentif à la pertinence des informations prospectives que leur délivrance apparaît comme une incitation à contracter et que le caractère réalisable du chiffre d'affaires prévisionnel est un élément substantiel pour le candidat franchisé;

Qu'en l'espèce, le contrat de franchise porte sur une méthode d'amincissement, dite de " plastithérapie ", qui consisterait à mettre en œuvre "des techniques digitales associées à un encadrement alimentaire personnalisé, leurs actions conjuguées rétablissant un équilibre physiologique harmonieux en provoquant la perte de poids" ; qu'il apparaît, sans qu'il soit nécessaire d'apprécier la portée du savoir-faire prétendument inclus dans cette définition sibylline, alors que les techniques concurrentes sont largement décrites sur cinq pages, que la présentation du marché national de l'amincissement se borne à indiquer que " le marché est très important et en progression constante, tout en étant très concurrentiel..., concerne toute la population atteinte d'un surpoids généralisé ou localisé (20 %)..., et tous les âges à partir de l'adolescence " sans information sur la taille respective et les parts de marché de chacun des intervenants et sur leurs perspectives d'évolution; que l'annexe relative à l'état du marché local n'existe pas et qu'aucun renseignement n'est donc donné sur la consommation potentielle de soins d'amaigrissement dans la localité et de ses hypothèses de croissance et que l'on ne peut qu'être frappé par l'indigence et le caractère très général et imprécis des informations fournies au candidat franchisé;

Attendu, par ailleurs, que la société Theraform a remis à Madame Chottin-Renard un plan de trésorerie prévisionnel des douze premiers mois et de la deuxième année d'exercice fondé sur un chiffre d'affaires théorique réalisé à partir de 112 cures annuelles équivalentes à 204 séances par mois et représentant la moyenne du réseau (conclusions page 13, 1er paragraphe) ; que, néanmoins, les résultats des autres franchises mentionnés par le franchiseur démontrent que le chiffre " moyen " de 204 séances par mois n'est jamais atteint par les autres membres du réseau, même après plusieurs années d'exploitation, dès lors que la meilleure réalisation s'élève à 169 séances mensuelles au Mans en 2003, et que les autres adhérents stagnent autour de 100 à 130 séances par mois;

Que les résultats prévisionnels communiqués font état d'un chiffre d'affaires de 85 344 euro la première année (2003) porté à 91 957 euro l'année suivante, alors que Madame Chottin-Renard n'a enregistré qu'un chiffre d'affaires de 19 167 euro en 2003, avec une moyenne de séances mensuelles de 65 de sorte que les réalisations ont été inférieures de plus de 70 % aux prévisions du franchiseur ;

Attendu que si le franchiseur n'est tenu que d'une obligation de moyens lorsqu'il établit un compte prévisionnel, du fait des contingences commerciales et des aléas inhérents à la prospective, cette obligation n'en exige pas moins de ce dernier qu'il mette en œuvre les moyens statistiques, financiers et économiques qu'il possède déjà en sa qualité de professionnel de la franchise dans le commerce envisagé, ainsi que les méthodes d'investigation suffisantes pour la connaissance du marché local, aux fins de proposer une étude prévisionnelle sérieuse, tous éléments qui ne sont pas nécessairement de la compétence de l'éventuel candidat à la franchise;

Que l'ampleur des différences entre prévisions et résultats traduit la légèreté avec laquelle cette étude a été entreprise, alors qu'aucune faute de gestion expliquant les déboires du fonds de commerce n'est démontrée à l'encontre de Madame Chottin-Renard ; que le caractère fantaisiste et exagérément optimiste du compte de résultats prévisionnel, la société appelante s'étant contentée de recourir à ses ratios habituels au lieu de prendre en considération les particularités locales de l'implantation, caractérise l'existence d'une faute lourde et rend inapplicable la clause selon laquelle le franchiseur s'est exonéré par avance de toute responsabilité du chef des résultats de son franchisé;

Qu'il résulte de tout ce qui précède que les fautes commises par la société Theraform dans son obligation précontractuelle d'études et de renseignements à l'égard du futur franchisé, qui ont privé celui-ci des éléments d'appréciation lui permettant de se former valablement une opinion sur l'opportunité de son investissement, ont un lien de causalité directe avec les préjudices subis par Madame Chottin-Renard, et que le jugement sera infirmé de ce chef ; qu'il convient, dès lors, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de franchise, aux torts du franchiseur, à compter de la cessation d'activité de Madame Chottin-Renard, le 23 janvier 2004, ce dont il se déduit que la demande en paiement des redevances mensuelles formée par la société Theraform sera rejetée;

Sur l'indemnisation des préjudices

Attendu qu'en conséquence de la résiliation du contrat de franchise, à l'issue de la première année d'exploitation, la société Theraform sera condamnée à rembourser à Madame Chottin-Renard les quatre cinquièmes de la redevance initiale de 28 000 euro HT, soit 22 400 euro;

Que les autres demandes indemnitaires font en partie double emploi, puisque les financements accordés par le Crédit Agricole à concurrence de 24 000 euro et par le CEPME à hauteur de 8 000 euro, étaient destinés à financer la redevance initiale, les investissements physiques de 3 000 euro et le besoin en fonds de roulement de 9 000 euro ; que la cour, en fonction des éléments dont elle dispose, fixera donc à 12 000 euro l'indemnité supplémentaire qui sera allouée à Madame Chottin-Renard en réparation de son préjudice financier ; qu'enfin, le préjudice moral n'est pas caractérisé et il n'y aura pas lieu à dommages et intérêts de ce chef;

Attendu que la société Theraform supportera les dépens de première instance et d'appel, et versera, en outre, une somme de 2 000 euro à Madame Chottin-Renard au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort Infirme le jugement entrepris; Et statuant à nouveau; Prononce la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Theraform à compter du 23 janvier 2004; Rejette, en conséquence, la demande de la société Theraform en paiement de la redevance mensuelle jusqu'à l'échéance du contrat ; Condamne la société Theraform à rembourser à Madame Chottin-Renard la redevance initiale à concurrence de 22 400 euro et à lui payer la somme de 12 000 euro à titre de dommages et intérêts pour son préjudice financier; Déboute Madame Chottin-Renard de sa demande endommages et intérêts pour préjudice moral ; Condamne la société Theraform aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Madame Chottin-Renard la somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Accorde à la SCP Laval-Lueger, titulaire d'un office d'avoué, le droit reconnu par l'article 699 du même Code.