Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 7 décembre 2006, n° 05-06885

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Godart (SARL), Bellevue Janville (SCI), Godart (Epoux)

Défendeur :

BP France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

MM. Fedou, Coupin

Avoués :

SCP Bommart Minault, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod

Avocats :

Mes Ricci, Foyard

T. com. Chartres, du 21 juin 2005

21 juin 2005

Faits et procédure:

La société Etablissements Godart exploite depuis le 20 août 1979 un garage situé route de Toury à Janville (28) ; elle avait été auparavant distributrice de carburants et de lubrifiants sous la seule marque Mobil Oil jusqu'au 26 mai 1997, date à laquelle la société BP France a repris les obligations de la société Mobil Oil en ce qui concerne la vente de carburants.

Selon contrat de commission du 22 décembre 1999, la société BP France a confié à la SARL Etablissements Godart la vente au détail de carburants BP pour une durée de quarante-huit mois ayant pris effet à compter du 1er janvier 2000, moyennant le versement de commissions.

Auparavant, par acte notarié du 27 mars 1999, la SCI Bellevue-Janville, Monsieur Joseph Godart et Madame Etiennette Legay épouse Godart s'étaient engagés vis-à-vis de la société BP France, en qualité de caution solidaire de la société Godart, à la sûreté et garantie "de toutes sommes en capital, intérêts, frais et autres accessoires, que la SARL Godart peut ou pourra devoir à BP France dans le cadre et en exécution des conventions énoncées en l'exposé qui précède..., ainsi que de tous nouveaux contrats commerciaux qui pourront être le cas échéant souscrits...", ce jusqu'à concurrence de 1 000 000 F (152 449,02 euro), avec renonciation aux bénéfices de discussion et de division.

Par courrier du 18 septembre 2003, la société BP France a fait part à la société Etablissements Godart de sa décision de ne pas renouveler le contrat du 22 décembre 1999, à son échéance du 31 décembre 2003.

Par courrier recommandé du 26 mars 2004, la société BP France a mis la SARL Godart en demeure de régler la somme de 20 584,91 euro, au titre de factures de ventes de carburants impayées; par lettre recommandée du 8 avril 2004, elle a mis les cautions en demeure de verser la même somme.

C'est dans ces circonstances que la société BP France a, par acte du 7 juin 2004, assigné la SARL Etablissements Godart, la SCI Bellevue-Janville et Monsieur et Madame Godart en paiement de la somme de 20 584,91 euro TTC, augmentée des intérêts au taux légal et d'une indemnité de procédure.

Par jugement réputé contradictoire du 21 juin 2005, le Tribunal de commerce de Chartres a condamné solidairement la SARL Etablissements Godart, la SCI Bellevue-Janville et Monsieur et Madame Godart au paiement de la somme principale de 20 584,91 euro, avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2004 pour la SARL Etablissements Godart, à compter du 14 avril 2004 pour la SCI Bellevue-Janville et à compter du 10 avril 2004 pour Monsieur et Madame Godart, et majorée d'une indemnité de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Etablissements Godart, la SCI Bellevue-Janville, Monsieur Joseph Godart et Madame Etiennette Legay épouse Godart ont interjeté appel de cette décision.

Ils invoquent le caractère brutal de la rupture des relations commerciales auxquelles la société BP France a mis fin par courrier recommandé du 18 septembre 2003 moyennant un préavis limité à trois mois et demi, alors que ces relations commerciales ont duré pendant vingt-cinq ans, la société BP France étant intervenue en substitution de la société Mobil avec laquelle la société Etablissements Godart était contractuellement liée depuis 1979.

Ils expliquent que le préavis de trois mois et demi octroyé par la partie adverse était insuffisant pour permettre à la société Etablissements Godart de se réorganiser et de retrouver un niveau d'activité comparable à celui qui existait avant la rupture.

Ils constatent que c'est seulement à compter du 19 mai 2004 que la société Etablissements Godart a pu reprendre, sous la nouvelle enseigne Total, la distribution de carburants, et ils en déduisent que le préavis auquel elle pouvait prétendre aurait dû atteindre une durée d'au moins huit mois.

Ils font valoir qu'au regard de la formulation de l'article L. 442-6 du Code de commerce, il est indifférent que les relations commerciales se soient poursuivies sur la base de contrats prévoyant des modalités distinctes d'exécution.

Ils allèguent que la société BP France ne saurait se prévaloir d'une clause figurant au contrat conclu, postérieurement à la rupture, entre les sociétés Godart et Total, et réservant dans une hypothèse spécifique la possibilité pour cette dernière de résilier ce contrat moyennant un préavis de trois mois.

Ils relèvent que la partie adverse ne peut davantage tirer parti d'un protocole signé le 12 janvier 1994 entre différents organes représentatifs de la profession et incluant un préavis d'un mois, dès lors que ce protocole n'a vocation à régir que l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de station-service.

Ils précisent que les termes du courrier du 18 septembre 2003 font clairement apparaître que l'initiative de la rupture incombe à la société intimée, et ils soulignent que cette dernière excipe à tort de la lettre du 25 avril 2003 par laquelle la société Godart aurait manifesté le souhait de ne pas renouveler le contrat de distribution de carburants, dans la mesure où cet écrit porte uniquement sur la distribution de lubrifiants.

Ils considèrent qu'en réparation du préjudice résultant de cette rupture brutale, la société Etablissements Godart est bien fondée à obtenir, non seulement l'indemnisation du manque à gagner subi par elle pendant la période de préavis de quatre mois et demi qui aurait dû lui être consentie, mais également le remboursement des frais et investissements qu'elle a dû réaliser en urgence.

Ils ajoutent qu'ils sont en droit de solliciter la compensation judiciaire entre la créance de la partie adverse, afférente aux sommes restant dues en exécution du contrat de commission la liant à la société Etablissements Godart, et la créance de dommages-intérêts de cette dernière, laquelle trouve son origine dans les conditions dans lesquelles ce contrat a pris fin sans être renouvelé et en l'absence d'un préavis suffisant.

Par voie de conséquence, ils demandent à la cour, en infirmant le jugement entrepris, de leur donner acte que la société Etablissements Godart ne conteste pas être redevable de la somme de 20 584,91 euro au titre de la reddition de compte, de condamner la société BP France à payer à cette dernière les sommes de:

- 25 150,14 euro, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait du manque à gagner résultant de la rupture anticipée,

- 122 777,67 euro, à titre de dommages-intérêts, au titre des frais engendrés par la rupture anticipée, et d'ordonner la compensation judiciaire entre les créances respectives des parties.

Ils réclament en outre pour chacun d'eux la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société BP France conclut à la confirmation du jugement déféré, hormis en ce qu'il a mis à sa charge les dépens de première instance.

Elle fait valoir que, dans l'appréciation de la durée du préavis à laquelle la société Etablissements Godart peut prétendre consécutivement à la rupture qui lui a été notifiée par courrier du 18 septembre 2003, il doit être tenu compte de ce que la cessation des relations commerciales résulte du non-renouvellement d'un contrat à durée déterminée, et non d'une rupture en cours d'exécution du contrat.

Elle relève qu'il n'existe aucune continuité, ni identité de parties et de stipulations entre la convention du 3 mai 1996 qui liait les sociétés Godart et Mobil Oil et le contrat du 22 décembre 1999 conclu entre les parties au présent litige et ayant duré seulement quarante-huit mois.

Elle se prévaut des clauses assortissant les accords interprofessionnels dans le secteur pétrolier, ainsi que de celles insérées dans le contrat ultérieurement conclu par la société Godart avec la société Total, pour conclure qu'un délai de préavis de trois mois et demi était légitime et conforme aux usages du commerce dans le domaine d'activité de la distribution de carburants quand il s'agit de mettre fin à la relation contractuelle.

Elle invoque les termes du courrier de la société Godart en date du 25 avril 2003, mettant en évidence que celle-ci était consciente du risque de non-renouvellement du contrat de fourniture de carburants, au cas où elle rejetait les conditions du contrat Lubrifiants qui lui avaient été proposées par la société intimée.

Elle en déduit qu'un préavis de trois mois et demi, conforme aux usages du commerce, et supérieur à la durée prévue par les accords professionnels du secteur pétrolier, était proportionnel à la durée écoulée du contrat, et ne revêt aucun caractère dérisoire.

Elle conteste les divers chefs de préjudice revendiqués par la société Godart, dans la mesure où celle-ci se fonde à tort sur la perte de chiffre d'affaires, et non sur la perte de marge bénéficiaire brute pendant la période de préavis non exécutée, et passe sous silence les résultats de son exploitation depuis la signature du contrat conclu avec la société Total dès le 6 février 2004.

Elle précise que la société appelante ne saurait lui faire supporter la charge de travaux de confort ou d'amélioration sans lien direct avec la cessation des relations commerciales.

Elle ajoute que les conditions de la compensation judiciaire sollicitée par la partie adverse ne sont pas remplies.

Elle demande à la cour, en ajoutant à la décision entreprise, de débouter les appelants de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts, d'ordonner la capitalisation des intérêts des sommes dues à compter du 9 décembre 2005, date de la demande formée en cause d'appel, et de condamner solidairement les appelants à lui payer chacun la somme complémentaire de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 septembre 2006.

Motifs de la décision:

Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie:

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6 I du Code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à l'époque de la notification de la cessation des relations à effet au 31 décembre 2003, "Engage la responsabilité de son auteur, et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords professionnels" ;

Considérant qu'en application de cette disposition, l'exigence d'un préavis est requise même dans l'hypothèse où la cessation des relations commerciales intervient à l'occasion du non-renouvellement de la convention à durée déterminée liant les parties;

Considérant qu'à titre préalable, il s'infère des termes non ambigus de la lettre de notification de la rupture en date du 18 septembre 2003 que l'initiative du non-renouvellement du contrat de commission incombe incontestablement à la société BP France;

Considérant qu'il est également constant qu'aux termes de cet écrit, la société intimée a assorti sa décision de non-renouvellement d'un préavis de trois mois et demi, expirant à l'échéance du contrat le 31 décembre 2003;

Considérant que, selon les appelants, les relations commerciales entre les parties doivent s'apprécier sur une période de vingt-cinq années, puisque la société Etablissements Godart était depuis 1979 distributrice de carburants et de lubrifiants sous la marque Mobil, et qu'elle est ultérieurement devenue commissionnaire de la société BP France pour la vente de carburants, ce à compter de l'acte de substitution régularisé entre ces dernières par avenant du 26 mai 1997 et jusqu'au 31 décembre 2003, date de prise d'effet de la rupture;

Mais considérant qu'il apparaît que la société Godart n'a lié des relations commerciales avec la société BP France qu'à partir de l'année 1997, et que ces relations se sont poursuivies sur la base d'un contrat de commission en date du 22 décembre 1999, lequel constitue, non le renouvellement des contrats antérieurs, mais un nouveau contrat de distribution;

Considérant qu'il doit être également observé que ce nouveau contrat est assorti de conditions financières entièrement renégociées et différentes de celles figurant sur le contrat précédemment souscrit le 3 mai 1996 entre la société Godart et la société Mobil Oil;

Considérant qu'à cet égard, la société intimée relève à juste titre que la clause d'exclusivité insérée dans la convention antérieure, contraignant la société Godart à ne vendre que les produits Mobil dans un rayon de dix kilomètres, ne se retrouve pas dans la nouvelle convention régularisée le 22 décembre 1999;

Considérant qu'au surplus, si la durée de ces deux contrats est identiquement fixée à quatre ans, en revanche, le premier d'entre eux contient une clause de reconduction tacite à son expiration par période de trois mois, alors même que cette clause n'est pas reproduite dans le contrat le plus récent;

Considérant que, dans la mesure où, au regard de ce qui précède, la convention du 22 décembre 1999 a succédé à des conventions antérieures auxquelles la société BP France n'était pas partie et qui comportaient des conditions distinctes de celles négociées avec cette dernière, il s'ensuit que les relations commerciales entre les sociétés Godart et BP France n'ont pas excédé une durée de quarante-huit mois ayant commencé à courir le 1er janvier 2000 et ayant pris fin le 31 décembre 2003;

Considérant que la société intimée ne conteste pas qu'il ait existé entre les parties, pendant ces quatre années, des relations commerciales établies, caractérisées par un volume suffisamment important d'opérations traitées entre elles de manière effective et continue au cours de la période concernée;

Considérant que, par ailleurs, il s'infère des dispositions légales susvisées que la durée du préavis dû par l'auteur de la rupture doit être déterminée en tenant compte de l'ancienneté de la relation commerciale, des circonstances de la cessation de cette relation et des usages reconnus par les accords professionnels en vigueur;

Considérant qu'un délai de trois mois apparaît également conforme aux usages de la profession, au regard des stipulations du protocole du 12 janvier 1994 relatif à l'exploitation en location-gérance d'un fonds de commerce de station-service de société pétrolière, imposant le respect d'un préavis limité à un mois en cas de non-renouvellement du contrat à l'initiative de ladite société pétrolière;

Considérant qu'au demeurant, la société Godart n'ignorait pas que la convention liant les parties était susceptible de n'être pas renouvelée à son échéance, ainsi que le met en évidence son courrier adressé par elle le 25 avril 2003, soit quelques jours après son refus de signer un contrat portant sur la distribution de lubrifiants, et aux termes duquel elle a rappelé à la société BP France que "les accords de distribution carburant se terminent le 31 décembre 2003";

Considérant qu'en fonction de l'ensemble de ces éléments, et compte tenu d'une ancienneté des relations commerciales égale à quatre années, un préavis de trois mois et demi avant la prise d'effet de la rupture de ces relations commerciales a constitué un délai raisonnable et, en toute hypothèse, suffisant pour permettre à l'exploitant de réorganiser ses activités ;

Considérant que, par voie de conséquence, il convient, en ajoutant à la décision entreprise, de débouter les appelants de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts du chef de rupture brutale des relations commerciales.

Sur les autres demandes:

Considérant qu'il doit être donné acte à la société Etablissements Godart qu'elle ne conteste pas être redevable envers la société BP France de la somme de 20 584,91 euro, au titre de la reddition des comptes ;

Considérant qu'il y a donc lieu, en confirmant la décision entreprise, de condamner solidairement la SARL Etablissements Godart, la SCI Bellevue-Janville et Monsieur et Madame Godart, ces derniers en leur qualité de caution des engagements souscrits par la société Godart, à payer à la société intimée la somme principale de 20 584,91 euro, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2004 pour la SARL Etablissements Godart, à partir du 14 avril 2004 pour la SCI Bellevue-Janville, et à compter du 10 avril 2004 pour Monsieur et Madame Godart;

Considérant que les conditions de la capitalisation des intérêts ne sont pas remplies, puisqu'au jour du prononcé de l'arrêt, une année entière ne s'est pas écoulée depuis la demande présentée de ce chef pour la première fois par conclusions de la société intimée en date du 9 décembre 2005 ;

Considérant que, dans la mesure où la demande reconventionnelle en dommages-intérêts présentée par les appelants est écartée, la demande de compensation judiciaire est sans objet;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société BP France la somme complémentaire de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que les appelants conservent la charge des frais non compris dans les dépens exposés par eux dans le cadre de la présente instance ;

Considérant que le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a condamné la société BP France aux dépens de première instance;

Considérant qu'il convient de condamner les appelants solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs, Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Déclare recevable l'appel interjeté par la SARL Etablissements Godart, la SCI Bellevue-Janville, Monsieur Joseph Godart et Madame Etiennette Legay épouse Godart, le dit mal fondé; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, hormis en ce qu'il a statué sur les dépens de première instance; Y ajoutant : Déboute les appelants de leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts; Dit n'y avoir lieu à capitalisation des intérêts; Condamne in solidum la SARL Etablissements Godart, la SCI Bellevue-Janville, Monsieur et Madame Godart à verser à la société BP France la somme complémentaire de 800 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne solidairement la SARL Etablissements Godart, la SCI Bellevue-Janville, Monsieur et Madame Godart aux dépens de première instance et d'appel, et Autorise la SCP Lissarrague Dupuis Boccon-Gibod, société d'avoués, à recouvrer directement la part la concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.