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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 6 juin 2007, n° 05-13400

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

UFC Que Choisir

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cabat

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

Me Bodin-Casalis, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Erkia Nasry, Tajan, Covillard, SCP Lamy & Associés

T. com. Paris, du 13 mai 2005

13 mai 2005

Entendant s'opposer à la mention, sans autorisation, dans des publicités réalisées par la SAS Distribution Casino France des résultats d'une enquête de prix effectuée par ses soins, l'UFC Que Choisir a, par acte du 7 février 2005, assigné pour concurrence déloyale la SAS Distribution Casino France devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 13 mai 2005, cette juridiction a condamné la SAS Distribution Casino France à payer un euro de dommages et intérêts à UFC et ordonné la publication du jugement aux frais de la SAS Distribution Casino France, également condamnée à payer 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à UFC.

Par déclaration du 20 juin 2005, UFC a fait appel de cette décision et conclut le 3 octobre 2005 à l'infirmation du jugement mais seulement en ce qu'il n'a pas retenu de préjudice matériel, 100 000 euro étant réclamés de ce chef, et en ce qui concerne les mesures de réparation au titre du préjudice d'image. A ce titre, il est demandé la condamnation de Casino, sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard ou par manquement constaté à compter de la signification du présent arrêt, à publier dans les quotidiens nationaux ayant diffusé la publicité litigieuse et sur la page d'accueil du site internet de l'intimée ainsi qu'à l'entrée et dans l'enceinte des hypermarchés Géant (pendant 15 jours pour ce qui concerne le site et les magasins) la mention suivante :

"Par jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 13 mai 2005 et par arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du..., la société distribution Casino France a été condamnée pour avoir utilisé les résultats de l'étude comparative publiée dans la revue que Choisir de janvier 2005, cette utilisation ayant été effectuée sans l'autorisation de l'association UFC Que choisir.

A la demande de l'association UFC Que Choisir, le tribunal rappelle que toute exploitation commerciale des résultats des tests et enquêtes publiés dans la revue Que Choisir est strictement prohibée".

4 500 euro sont réclamés au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions du 26 janvier 2006, la SAS Distribution Casino France réplique en sollicitant que le jugement querellé soit réformé et UFC déboutée, ses attestations devant être déclarées irrecevables comme non conformes aux prescriptions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile.

Il est demandé à la cour de dire qu'UFC a commis une faute en utilisant indûment la marque Casino et en dénigrant celle-ci ainsi qu'en contraignant la SAS Distribution Casino France à retirer sa publicité. 1 euro de dommages et intérêts est réclamé de ce chef outre la condamnation de UFC à payer à la SAS Distribution Casino France l'équivalent des dépenses de publicité engagées et 2 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

Sur l'irrecevabilité des attestations de l'UFC

Considérant que pour voir déclarer irrecevables les pièces 18 à 25 produites par l'UFC, la SAS Distribution Casino France fait valoir qu'elles ne sont pas conformes aux prescriptions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile, qu'elles sont entachées de partialité, les photos prises ne l'ayant pas été de façon loyale et non clandestine;

Considérant que l'appelante rappelle que cinq attestations sur sept sont conformes aux prescriptions susvisées et que les photographies présentent, ainsi que le tribunal l'a relevé, un caractère de véracité suffisant;

Considérant que les griefs de l'intimée concernant les attestations ainsi que les autres pièces litigieuses portent non sur la recevabilité formelle de celles-ci mais sur la réalité des faits relatés ou constatés;

Considérant qu'il importe, dès lors, d'examiner cette question sous l'angle de la valeur probante des dites pièces avec l'examen au fond des faits litigieux, qu'il n'y a donc pas lieu de les déclarer irrecevables;

Sur la faute reprochée à la SAS Distribution Casino France

Considérant qu'au soutien de son appel. l'UFC fait valoir que son étude a été exploitée sans son accord, que celle-ci est de nature à tromper le consommateur et usurpe les investissements financiers et humains mis en œuvre par l'UFC, qu'elle subit donc tant un préjudice matériel que moral;

Considérant que la SAS Distribution Casino France conteste, d'une part, la possibilité pour l'appelante de lui interdire d'utiliser l'enquête litigieuse et estime, d'autre part, non établi le parasitisme dès lors que les données en cause constituent une information déjà placée dans l'espace public, et que le parasitisme, en l'absence de concurrence, suppose un comportement parasitaire inexistant en l'espèce;

Considérant qu'il est constant et non contesté que la société intimée a organisé au début de l'année 2005 une campagne publicitaire de grande envergure, tant par publicités dans plusieurs titres nationaux que par insertion sur son site internet et affichage dans les magasins à l'enseigne Géant Casino, à partir de résultats d'une analyse comparative faisant suite à une enquête approfondie réalisée par l'UFC et publiée dans le numéro de janvier 2005 de sa revue "Que Choisir";

Considérant qu'en utilisant, non pour permettre l'information du public mais au bénéfice de la promotion de son activité commerciale, les résultats du travail réalisé par les salariés et membres de l'UFC, la SAS Distribution Casino France s'est ainsi accaparée, sans bourse délier, les efforts menés par l'UFC et destinés à assurer la pérennité de sa notoriété ainsi que le succès de sa revue;

Considérant que par cet agissement, la SAS Distribution Casino France s'est volontairement placée dans le sillage d'un univers particulier dont la notoriété a une valeur commerciale, fruit du développement tant de l'image de l'UFC que de sa revue "Que Choisir", peu importe à cet égard que l'UFC et la SAS Distribution Casino France ne soient pas en concurrence dès lors que le comportement de cette dernière ainsi caractérisé, a été déloyal;

Considérant qu'il découle nécessairement de la réalité de ces faits de concurrence déloyale par parasitisme, l'existence d'un préjudice matériel - eu égard aux investissements humains et financiers consentis par l'UFC pour mener sa recherche, ainsi qu'au regard des bénéfices attendus pour la revue "Que Choisir"- et d'un préjudice d'image, l'action de parasitisme ayant porté atteinte à l'image d'indépendance de l'association et de sa revue;

Considérant qu'au vu de la diversité et de l'importance des moyens de diffusion, la campagne publicitaire ainsi réalisée par la SAS Distribution Casino France, même limitée dans le temps, a causé à l'appelante un préjudice qui sera justement réparé, toutes causes de préjudice confondues, par l'allocation d'une somme de 30 000 euro;

Considérant que les constatations ainsi faites sur l'importance de la campagne publicitaire litigieuse justifient qu'il soit ordonné, dans la limite de 10 000 euro par insertion à la charge de la SAS Distribution Casino France, la publication d'extraits du présent arrêt dans les journaux suivants : Libération, La Tribune, Les Echos, Le Figaro, Le Monde et L'Equipe;

Sur l'existence d'une faute de l'UFC

Considérant qu'à titre reconventionnel, la SAS Distribution Casino France reproche à l'UFC la contrefaçon de sa marque et le dénigrement de son groupe ainsi que la suppression de la campagne publicitaire et lui réclame à ce titre un euro de dommages et intérêts ;

Considérant cependant que la SAS Distribution Casino France ne démontre pas en quoi la représentation de sa marque dans l'enquête publiée par "Que Choisir" lui aurait créé un préjudice et ce d'autant que toute la campagne publicitaire qu'elle a mise en place à la suite de cette enquête met en exergue un élément essentiel de cette enquête, élément éminemment valorisant pour la SAS Distribution Casino France puisqu'elle lui permet de proclamer : "Selon la revue "Que Choisir" Géant est l'enseigne la moins chère en France" ;

Considérant que le grief tenant à la suppression de la campagne publicitaire ne saurait pas plus perdurer dès lors, ainsi qu'il a été dit plus haut, que cette campagne s'inscrit dans le cadre d'agissements de parasitisme de la SAS Distribution Casino France au dépens de l'UFC;

Considérant, en conséquence, qu'il convient de débouter celle-ci de sa demande reconventionnelle;

Considérant que l'équité commande de condamner la SAS Distribution Casino France à payer 4 000 euro, au titre des frais irrépétibles d'appel exposés par l'UFC;

Par ces motifs, LA COUR, Rejette la fin de non-recevoir; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu la responsabilité de la SAS Distribution Casino France pour concurrence déloyale à l'encontre de l'UFC et l'a condamnée à lui payer 4 000 euro au titre des frais irrépétibles en laissant les dépens de première instance à la charge de la SAS Distribution Casino France; L'infirme pour le surplus et condamne la SAS Distribution Casino France à payer 30 000 euro à l'UFC à titre de dommages intérêts; Ordonne, dans la limite de 10 000 euro par insertion à la charge de la SAS Distribution Casino France, la publication d'extraits du présent arrêt dans les quotidiens Libération, Le Figaro, Le Monde, La Tribune, L'Equipe et Les Echos; Condamne la SAS Distribution Casino France à payer 4 000 euro à l'UFC au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la SAS Distribution Casino France aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Chantal Bodin-Casalis, titulaire d'un office d'avoué.