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Décisions

CA Lyon, ch. soc., 31 mai 2006, n° 04-01680

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Passport (SARL)

Défendeur :

Métral

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Joly

Conseillers :

M. Defrasne, Mme Guigue

Avocats :

Mes Maisonnas, Guérin

Cons. prud'h. Lyon, du 29 janv. 2004

29 janvier 2004

Exposé du litige

Par contrat du 15 octobre 1992, Mademoiselle Dominique Métral a été engagée en qualité de VRP multicartes par la SARL Passport. Son secteur couvrait les départements 54-55-57-67-68-88-25-39-21-70-52-90-71-08-51. Elle était rémunérée par une commission de 15 % et devait réaliser un chiffre d'affaires de 1 000 000 F HT (152 449,02 euro) la première année, accroître ce chiffre d'affaires de 20 % la seconde année;

Par contrat du 15 janvier 1995, avec effet rétroactif au 1er janvier de la même année, Mademoiselle Métral devenait VRP exclusif. Le secteur qui lui était affecté couvrait les départements 21-70-90-25-39-71-01-73-74-38-69-42. Elle percevait une commission fixée à 12 % du chiffre d'affaires réalisé mais qui pouvait être ramenée à 10 %, à 8 %, voire 6 % en cas de remise accordée au client;

Par lettre du 28 août 1995, la SARL Passport informait Mademoiselle Métral que le taux de commission était ramené de 12 à 8 % pour les commandes sur salon ou au siège social;

Par contrat du 1er septembre 1999, avec effet immédiat, le taux de commission était modifié en taux multiples définis ainsi:

- 12 % sur les ventes directes et 8 % sur les ventes indirectes pour les objets cadeaux-décoration-textile-ameublement-prêt-à-porter-accessoires,

- 15 % sur les ventes directes et 12 % sur les ventes indirectes pour les objets bijoux.

Mademoiselle Métral était chargée d'une nouvelle représentation de la gamme "meubles" pour laquelle elle devait percevoir une commission de 9 % pour les ventes directes et de 8 % pour les ventes indirectes;

Le 23 juillet 2001, l'employeur lui reprochait, faisant référence à de nombreux courriers précédents, une baisse de son volume d'affaires et une trop forte rotation de sa clientèle. Il lui demandait de donner son accord à une réduction de son secteur par abandon des départements 21-25-39-70-71-90;

Le 3 août 2001, Mademoiselle Métral répondait à son employeur que cette diminution de son secteur aboutirait à une diminution de 38 % de sa rémunération qu'elle ne pouvait accepter;

Par lettre recommandée avec avis de réception présentée le 14 décembre 2001, la société Passport a notifié à Mademoiselle Métral son licenciement en raison des faits suivants:

- insuffisance de prospection, de démarchage de clientèle et de chiffre d'affaires généré par rapport au potentiel de son secteur géographique,

- non-réalisation des objectifs contractuels concernant les nouveaux clients,

- méthode de prise de commandes non conforme aux obligations par recopiage de télécopies sur bon de commande permettant d'obtenir un commissionnement supérieur,

- manquements relatifs à l'information de la clientèle concernant les changements de tarif ou rupture de stock ou problèmes liés à l'activité.

Le 23 janvier 2002, Mademoiselle Métral a saisi le Conseil des prud'hommes de Lyon (section encadrement);

Par jugement du 29 janvier 2004, le Conseil des prud'hommes de Lyon (section encadrement) a:

- dit que le licenciement de Mademoiselle Métral est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Passport au paiement des sommes de:

- 50 000 euro de dommages et intérêts,

- 44 924 euro au titre de l'indemnité de clientèle,

- 9 185,93 euro au titre d'un rappel de commissions sur avoirs consentis à la clientèle,

- a ordonné le remboursement par l'employeur des allocations de chômage aux organismes concernés dans la limite de six mois d'indemnités,

- débouté Mademoiselle Métral de ses demandes d'indemnité spécifique de rupture, de commissions sur retour d'échantillonnage et d'arriéré de commissions,

- condamné la société Passport au paiement de la somme de 850 euro au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens;

La société Passport a interjeté appel du jugement. Mademoiselle Métral a formé appel incident;

Dans ses conclusions écrites reprenant ses observations orales visées par le greffe le 22 mars 2006, la société Passport sollicite l'infirmation du jugement de première instance;

Elle demande à la cour de dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse résultant principalement de l'insuffisance des visites en clientèle, de débouter Mademoiselle Métral de toutes ses demandes, d'ordonner le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire et de la condamner au paiement de la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Dans ses conclusions écrites reprenant ses observations orales visées par le greffe le 22 mars 2006, Mademoiselle Métral sollicite la confirmation partielle du jugement de première instance en ce qu'il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et admis le principe de l'indemnité de clientèle et du rappel de commissions;

Elle demande à la cour:

- de rejeter les pièces produites par l'appelante relative à l'indemnité de clientèle 28-1 à 8, 30-1, 30-5, 29-1 et 29-2,

- de condamner la société Passport à lui payer les sommes de:

- 152 000 euro à titre d'indemnité de clientèle,

- 77 000 euro de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 13 718,28 euro à titre de rappels de commissions avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil et capitalisation,

- 100 000 euro à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;

A titre subsidiaire sur l'indemnité de clientèle, elle demande l'organisation d'une expertise à ses frais avancés et sollicite dans ce cas une provision de 44 924 euro;

Très subsidiairement en cas de débouté de la demande d'indemnité de clientèle, elle sollicite la condamnation de la société Passport au paiement de la somme de 54 720 euro à titre d'indemnité spéciale de rupture;

Discussion

- Sur le motif du licenciement:

Attendu qu'il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige et de former sa conviction au vu des éléments fournis par les parties conformément aux dispositions de l'article L. 122-14-3 du Code du travail ; que le licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs;

Attendu sur le premier grief que la société Passport reproche à Mademoiselle Métral d'avoir effectué un nombre insuffisant de visites en clientèle générateur d'une perte de chiffres d'affaires par rapport au potentiel de son secteur géographique;

Qu'il résulte du débat et des pièces produites que le chiffre d'affaires de Mademoiselle Métral était, au moment du licenciement en décembre 2001, en croissance régulière depuis plus de cinq ans hormis un léger fléchissement de l'année 2000 en raison de sa maladie; que la société Passport reconnait, dans la lettre de licenciement, que le chiffre d'affaires de Mademoiselle Métral a augmenté de 4,6 millions de francs en 2000 à 6,150 millions de francs en 2001;

Que l'affirmation de l'employeur selon laquelle Mademoiselle Métral aurait en une insuffisance de prospection de clientèle et de chiffre d'affaires n'est pas sérieuse dès lors qu'il résulte des tableaux comparatifs établis par la société Passport elle-même que la représentante avait en 2001 un chiffres d'affaires la plaçant en troisième position sur les onze représentants et un nombre de clients supérieur à plusieurs de ses collègues;

Qu'en outre, la comparaison faite par l'employeur pour établir l'insuffisance alléguée de rentabilité entre des secteurs géographiques n'est pas pertinente au regard du seul critère retenu de la population;

Que surtout, la seule comparaison des résultats d'un représentant avec ceux d'un autre collègue ne permet pas de caractériser une insuffisance professionnelle;

Qu'en toute hypothèse, la société Passport ne démontre pas que l'insuffisance alléguée de visites en clientèle ait généré une perte de chiffre d'affaires par rapport à "un potentiel du secteur géographique confié à Mademoiselle Métral" que l'employeur ne définit pas de manière objective;

Que ce grief n'est pas justifié;

Attendu sur la non-réalisation des objectifs contractuels concernant les nouveaux clients que la société Passport invoque l'article 6 du contrat du 1er janvier 1999 stipulant que le représentant s'engage à obtenir au minimum huit nouveaux clients par trimestre;

Que les pièces produites par la société Passport concernant les années 2000 et 2001 établissent que Mademoiselle Métral a apporté un nombre de clients nouveaux supérieur à plusieurs des autres représentants de la société Passport et qu'aucun des représentants de la société Passport n'a rempli l'objectif de 32 nouveaux clients par an fixé à Mademoiselle Métral début 1999;

Que la société Passport ne démontre donc pas que les objectifs définis étaient raisonnables et compatibles avec le marché et que Mademoiselle Métral est responsable du fait de ne pas les avoir atteints;

Que ce grief ne sera pas retenu;

Attendu que le reproche fait à Mademoiselle Métral d'avoir recopié une commande par télécopie sur un bon de commande doit être écarté s'agissant d'un fait isolé, dont le contexte n'est pas précisé, insusceptible de justifier un licenciement;

Que le grief tiré du défaut d'information à la clientèle n'est pas justifié par les pièces versées au débat;

Que les autres griefs développés dans les conclusions et attestations ne sont pas énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige et ne doivent donc pas être examinés par la cour;

Attendu en conséquence que le licenciement de Mademoiselle Métral est sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement entrepris sera confirmé;

- Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Attendu que Mademoiselle Métral qui a été licenciée sans cause réelle et sérieuse alors qu'elle avait plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés peut prétendre, en application des articles L. 122-14-4 et L. 751-7 du Code du travail, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois;

Que l'intimée, qui a perdu son emploi de VRP du fait du licenciement et est actuellement salariée, avait une ancienneté importante dans l'entreprise ; que la cour trouve en la cause des éléments suffisants pour fixer à 77 000 euro le montant des dommages et intérêts dus à Mademoiselle Métral,

Attendu que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a ordonné le remboursement par l'employeur à l'ASSEDIC des indemnités de chômage versées au salarié dans les conditions prévues par l'article L. 122-14-4 du Code du travail dans la limite de six mois d'indemnités;

- Sur la demande au titre du harcèlement moral:

Attendu que si la relation contractuelle est caractérisée par des modifications successives du contrat de travail acceptées par Mademoiselle Métral et par une attitude de vigilance extrême de la société Passport à l'égard de sa représentante ainsi qu'en témoignent les nombreuses lettres recommandées adressées au fil des années, la cour considère que ces faits ne relèvent pas du harcèlement moral ou d'une inexécution fautive du contrat de travail imputable à l'employeur; que Mademoiselle Métral sera déboutée de sa demande nouvelle d'indemnisation de ce chef;

- Sur les rappels de commissions:

Attendu que selon l'article 9 du contrat, la commission est calculée sur le montant des factures émises ; que le contrat ne prévoit pas que les avoirs consentis par la société Passport à sa clientèle sont déduits de l'assiette des commissions, à la différence de la déduction des remises consenties par le représentant explicitement prévue par le contrat;

Que cet élément de rémunération variable ne peut être laissé à la seule appréciation de l'employeur comme le suggère le caractère non limitatif de l'énumération des déductions mentionnées au contrat par la mention " remises, frais...";

Que la société Passport ne pouvait donc diminuer les commissions du montant des avoirs qu'elle a volontairement consentis à ses clients indépendamment de l'activité de sa représentante; que le montant de 9 185,93 euro n'est pas discuté par la société Passport; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point;

Attendu que Mademoiselle Métral sollicite, en outre, une somme de 13 718,28 euro au titre des commissions non payées en 1999, 2000 et 2001 et produit un décompte précisant le nom des clients et les montants;

Que les commandes passées en salon mentionnées sur ce décompte à hauteur de 833,28 euro n'ouvrent pas droit à commission selon le contrat liant les parties ; que pour le surplus, la société Passport qui avait l'obligation d'établir le décompte des commissions lors du paiement de celles-ci et est en possession des bons de commandes et factures, ne fournit aucun élément probant de contestation des éléments avancés par l'intimée;

Que la société Passport sera donc condamnée à payer, au titre de l'arriéré de commissions, la somme de 12 885 euro avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2002, date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point;

- Sur la recevabilité des pièces produites concernant l'indemnité de clientèle:

Attendu que la société Passport verse aux débats des documents internes à la société Simex qui emploie désormais Mademoiselle Métral; que malgré la sommation délivrée par Mademoiselle Métral, la société Passport ne s'explique pas sur les conditions dans lesquelles elle a obtenu ces pièces comptables, documents bancaires et de connaissement maritime relevant incontestablement de la nouvelle activité professionnelle de l'intimée et donc, de sa vie privée;

Qu'en application de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et de l'article 9 du Code civil, il convient de déclarer irrecevables les pièces produites par la société Passport n° 28-1 à 28-8, 30-1, 30-5, 29-1 et 29-2 de son bordereau de communication de pièces;

- Sur l'indemnité de clientèle:

Attendu qu'aux termes de l'article L. 751-9 du Code du travail, en cas de résiliation d'un contrat à durée indéterminée par le fait de l'employeur et lorsque cette résiliation n'est pas provoquée par une faute grave du salarié, celui-ci a droit, en sus de l'indemnité allouée le cas échéant pour rupture abusive, à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l'importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui, compte tenu des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions qui pourraient être constatées dans la clientèle préexistante et provenant du fait de l'employé;

Attendu qu'il résulte du débat et des pièces produites, notamment du rapport établi à l'initiative de la société Passport que Mademoiselle Métral a personnellement développé une clientèle ayant un certain degré de stabilité depuis le début de son activité et notamment de 1998 à 2001 avec une augmentation du chiffre d'affaires des clients apportés par la représentante de 33 %;

Que la société Passport ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que Mademoiselle Métral ait continué à visiter la même clientèle pour présenter des articles similaires ni que la société Simex, nouvel employeur, exploite la clientèle antérieurement développée par la représentante au sein de la société Passport;

Qu'en effet, la société Passport produit seulement à l'appui de ses dires les témoignages de trois salariés de la société Passport relatant indirectement les propos de commerçants relatifs aux visites de l'intimée sans que les attestations de ceux-ci soient produites; que de même, les affirmations des témoins concernant la présence dans certaines boutiques d'objets similaires à ceux vendus par la société Passport ne sont pas probantes, compte tenu de la large diffusion nationale par des entreprises concurrentes de produits d'importation du Sud-Est asiatique du même type que ceux décrits par les témoins, commercialisés par l'appelante;

Que les conditions de l'article L. 751-9 du Code du travail sont réunies en l'espèce ; que la demande de Mademoiselle Métral est fondée en son principe ainsi que l'a jugé à bon droit le conseil de prud'hommes;

Attendu que le jugement entrepris a retenu une indemnité de clientèle de 44 924 euro sur la base du rapport établi à la demande de la société Passport; que les chiffres d'affaires annuels résultant des commandes effectivement passées par les clients et les commissions, nettes de frais professionnels conformément au contrat, sont établis par les pièces versées au débat et non discutés dans leur montant;

Que l'intimée critique à juste titre l'application d'une décote pour insuffisance d'implication personnelle et de performance qui n'est pas établie en fait et ne résulte pas de la définition légale de l'indemnité de clientèle;

Que sans qu'il soit besoin de recourir à une expertise, la cour trouve en la cause les éléments suffisants pour fixer l'indemnité de clientèle due par la société Passport, compte tenu de l'absence de rémunération spéciale et des commissions perçues sur les deux dernières années de collaboration, l'employeur n'ayant pas versé d'indemnité de licenciement, à la somme de 111 268 euro;

- Sur les frais irrépétibles:

Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de Mademoiselle Métral les frais qu'elle a dû exposer en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens; qu'une somme de 2 500 euro lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée par le conseil des prud'hommes sur le même fondement;

Par ces motifs, Déclare irrecevables les pièces produites par la société Passport n° 28-1 à 28-8, 30-1, 30-5, 29-1 et 29-2 de son bordereau de communication de pièces; Confirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions relatives au montant des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de clientèle et au rappel de commissions; Statuant à nouveau : Condamne la société Passport à payer à Mademoiselle Métral les sommes de : - soixante dix sept mille euro (77 000 euro) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - cent onze mille euro et deux cent soixante huit euro (111 268 euro) à titre d'indemnité de clientèle, - douze mille huit cent quatre vingt cinq euro (12 885 euro) à titre de rappel de commissions avec intérêts au taux légal à compter du 28 janvier 2002 et capitalisation des intérêts échus au taux légal par années entières en application de l'article 1154 du Code civil; Y ajoutant : Déboute Mademoiselle Métral de sa demande au titre du harcèlement moral; Condamne la société Passport à payer à Mademoiselle Métral la somme de deux mille cinq cents euro (2 500 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en sus de celle allouée en première instance; La condamne aux dépens d'appel.