Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 13 juillet 1993, n° C-42/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Thijssen

Défendeur :

Controledienst voor de verzekeringen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Joliet, Moitinho de Almeida, Grévisse, Edward

Avocats :

Mes van Hecke, Putzeys, Gehlen, Leurquin, Paines

CJCE n° C-42/92

13 juillet 1993

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par arrêt du 21 janvier 1992, parvenu à la Cour le 17 février suivant, le Raad van State van België a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 55, premier alinéa, de ce traité.

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Adrianus Thijssen au Controledienst voor de verzekeringen (Office de contrôle des assurances) au sujet d'un refus de l'accès aux fonctions de commissaire agréé, telles que celles-ci ont été instituées par les articles 38 à 40 de la loi belge du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances (Moniteur belge du 29 juillet 1975, ci-après la "loi de 1975").

3 Il ressort du dossier que, par lettre du 24 septembre 1986, M. Thijssen a posé sa candidature au poste de commissaire agréé, répondant ainsi à l'appel de candidatures émis par l'Office de contrôle des assurances (ci-après l'"OCA"). Les documents joints à la lettre de M. Thijssen faisaient apparaître que celui-ci était de nationalité néerlandaise. Par lettre du 6 novembre 1986, le président de l'OCA a répondu à M. Thijssen que sa candidature avait été rejetée parce qu'il ne satisfaisait pas à la condition de la nationalité fixée à l'article 2, paragraphe 1, 1 du règlement n 6 de l'OCA (Moniteur belge du 26 mars 1986, ci-après le "règlement n 6").

4 M. Thijssen a formé un recours en annulation contre cette décision devant le Raad van State en soutenant, par un moyen unique, que le rejet de sa candidature, pour le motif qu'il n'avait pas la nationalité belge, procédait d'une violation des articles 52 et 55 du traité. Le requérant au principal souligne à cet égard que selon l'arrêt de la Cour du 21 juin 1974, Reyners (2/74, Rec., p. 631), l'article 52 du traité est d'effet direct.

5 La partie défenderesse au principal fait valoir que, en vertu de l'article 55, premier alinéa, du traité, le droit d'établissement ne s'applique pas aux fonctions de commissaire agréé.

6 Considérant que la solution du litige dépendait de l'interprétation du droit communautaire, le Raad van State a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'exception à la liberté d'établissement inscrite à l'article 55, premier alinéa, du traité CEE s'applique-t-elle à la fonction de commissaire agréé telle que celle-ci est instituée par les articles 38 à 40 de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances?"

7 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8 Il y a lieu de rappeler à titre liminaire qu'en vertu de l'article 55, premier alinéa, du traité, sont exceptées de l'application des dispositions relatives à la liberté d'établissement les activités participant dans un État membre, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique. Toutefois, comme la Cour l'a relevé dans l'arrêt Reyners, précité, attendu 45, l'exception prévue à l'article 55 doit être restreinte aux activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l'exercice de l'autorité publique.

9 La question posée par la juridiction de renvoi porte donc sur le point de savoir si une activité telle que celle exercée par le commissaire agréé, conformément à la loi de 1975, comporte une participation directe et spécifique à l'exercice de l'autorité publique. Pour répondre à cette question, il convient de prendre en considération la nature des fonctions exercées par le commissaire agréé au titre de cette loi, telle qu'elle est décrite par la juridiction nationale.

10 A cet égard, il y a lieu de relever que l'article 29 de la loi de 1975, premier alinéa, porte création de l'OCA en tant qu'établissement public doté de la personnalité juridique et soumis à la tutelle du ministre chargé des Affaires économiques. En vertu du deuxième alinéa de cette même disposition, l'OCA est chargé de veiller à l'application de la loi et de ses règlements d'exécution. Selon l'article 29, quatrième alinéa, l'OCA a une compétence réglementaire. A ce titre, il détermine les obligations auxquelles doivent être soumises les entreprises d'assurance "afin que leurs opérations soient conformes à la technique des assurances, aux exigences de l'équité et à l'intérêt général des assurés et bénéficiaires de contrats d'assurance".

11 Il est constant que l'OCA participe à l'exercice de l'autorité publique. Sa mission de contrôle vise la protection des assurés et des intérêts de la collectivité. Il peut intervenir directement dans la gestion des entreprises d'assurances en édictant des ordres et en formulant des interdictions.

12 C'est en vertu de sa compétence réglementaire que l'OCA a adopté son règlement n 2, du 20 novembre 1978, relatif à l'agrément des commissaires agréés (Moniteur belge du 15 décembre 1978) et l'a ultérieurement abrogé par le règlement n 6, précité.

13 Contrairement au règlement n 2, qui habilitait, entre autres, les ressortissants d'autres États membres à exercer des fonctions de commissaire agréé, le règlement n 6, en son article 2, paragraphe 1, dispose comme suit:

"Pour pouvoir être agréé par l'Office en vue d'exercer les fonctions de commissaire agréé auprès des entreprises contrôlées, il faut:

1 être belge,

..."

14 Il y a donc lieu de constater que la condition de la nationalité, qui n'est pas mentionnée dans la loi de 1975, n'a été introduite qu'en 1986, et ce par un règlement de l'OCA.

15 Il y a lieu d'observer ensuite que le règlement n 6 ne contient aucune motivation quant à la nécessité d'une telle condition de nationalité. Le Gouvernement belge, pour sa part, en réponse à une question posée par la Cour, s'est borné à observer qu'il avait été jugé nécessaire en 1986 d'ajouter la condition de la nationalité belge. Selon l'article 20 du règlement n 6, les commissaires agréés, ressortissants d'un autre État membre, qui étaient déjà désignés lors de l'entrée en vigueur de ce règlement, conservent leur agrément.

16 Il y a lieu de relever enfin que, selon l'article 38 de la loi de 1975, les sociétés anonymes ou coopératives d'assurances belges doivent désigner au moins un commissaire parmi les membres de l'Institut des réviseurs d'entreprises, créé en vertu de la loi du 22 juillet 1953, qui auront été agréés par l'OCA. Il en est de même pour les entreprises belges constituées sous la forme d'associations d'assurance mutuelle ou d'associations sans but lucratif ainsi que pour les entreprises étrangères d'assurances qui sont tenues de désigner, pour la gestion de leurs opérations en Belgique, un commissaire agréé, choisi parmi les mêmes personnes.

17 Le commissaire agréé doit, selon l'article 39 de la loi de 1975, prêter un serment particulier par écrit. Aux termes de l'article 40,

"La mission du commissaire agréé s'exerce sous la surveillance de l'Office de Contrôle des Assurances.

Le commissaire agréé porte immédiatement à la connaissance des administrateurs, gérants ou mandataire général de l'entreprise, ainsi qu'à la connaissance de l'Office, toute violation de la présente loi et des règlements pris pour son exécution, de même que tout fait qui lui paraît de nature à compromettre la situation financière de l'entreprise.

Outre sa mission générale de commissaire, telle qu'elle est fixée par les lois sur les sociétés commerciales et les statuts sociaux, le commissaire agréé fait un rapport à l'Office sur la situation financière et la gestion de l'entreprise chaque fois que l'Office lui en fait la demande et, en l'absence d'une telle demande, au moins une fois par an.

Le commissaire agréé qui a connaissance d'une décision de l'entreprise dont l'exécution constituerait une infraction pénale, oppose son veto à cette exécution et en réfère d'urgence à l'Office. Le veto a un effet suspensif de huit jours."

18 Comme le Gouvernement belge l'a souligné dans ses observations, les activités du réviseur d'entreprises ou "commissaire ordinaire", comme le qualifie ce gouvernement, ne relèvent pas de l'exercice de l'autorité publique. La mission de celui-ci consiste en effet à contrôler la situation financière et les comptes annuels de la société et à présenter à l'assemblée générale un rapport sur les contrôles ainsi réalisés sur la base de tout document et de toutes les informations qu'il est en droit de demander auprès des responsables de l'entreprise.

19 Les commissaires agréés sont désignés librement et rétribués par les entreprises d'assurances parmi les commissaires dûment agréés par l'OCA. Ils jouissent de la confiance de l'entreprise d'assurances de même que de celle des autorités de contrôle.

20 S'agissant des obligations du commissaire, mentionnées ci-dessus au point 17, consistant à faire un rapport à l'OCA régulièrement ou à la demande de ce dernier, de porter à sa connaissance des faits particuliers et d'informer l'entreprise d'assurance d'éventuelles infractions et faits qui pourraient menacer la situation financière de celle-ci, il y a lieu de relever, comme la partie requérante au principal l'a indiqué à l'audience, que d'autres organes ont des obligations similaires sans, pour autant, que celles-ci soient considérées comme relevant de l'exercice de l'autorité publique. Il en va ainsi notamment des établissements de crédits et des institutions financières, qui, en vertu de l'article 6 de la directive 91-308-CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (JO L 166, p. 77) sont tenus d'informer les autorités de tout fait qui pourrait être l'indice d'un tel blanchiment.

21 En ce qui concerne le veto que le commissaire agréé peut opposer à l'exécution d'une décision de l'entreprise dont l'exécution constituerait une infraction pénale, il convient de noter que le commissaire agréé est tenu d'en référer d'urgence à l'OCA. Si son veto a un effet suspensif d'une durée de huit jours, la décision définitive sur ce point appartient exclusivement à l'OCA, qui n'est donc aucunement lié par le veto du commissaire agréé et prend, dans les limites de ses pouvoirs, toutes les mesures que requiert la situation. Il y a lieu enfin de souligner que, comme le précise l'article 40 de la loi de 1975, le commissaire agréé exerce ses fonctions sous la surveillance de l'OCA.

22 Il en résulte que le rôle auxiliaire et préparatoire dévolu au commissaire agréé vis-à-vis de l'OCA - qui, lui, exerce l'autorité publique en prenant la décision finale - ne saurait être considéré comme une participation directe et spécifique à l'exercice de l'autorité publique, au sens de l'article 55, premier alinéa, du traité.

23 Il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Raad van State van België que l'article 55, premier alinéa, du traité CEE doit être interprété en ce sens que l'exception au droit d'établissement, inscrite à cette disposition, ne s'applique pas à la fonction de commissaire agréé, telle que décrite dans l'arrêt de renvoi.

Sur les dépens

24 Les frais exposés par le Gouvernement belge, par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le Raad van State van België, par arrêt du 21 janvier 1992, dit pour droit:

L'article 55, premier alinéa, du traité CEE doit être interprété en ce sens que l'exception au droit d'établissement, inscrite à cette disposition, ne s'applique pas à la fonction de commissaire agréé, telle que décrite dans l'arrêt de renvoi.