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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 11 mai 2006, n° 04-07366

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Danone France (SAS)

Défendeur :

Yoplait France (SAS), La Fermière (SA), Productos Lacteos Sarelegui SL (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mandel

Conseillers :

Mme Valantin, M. Chapelle

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis & Boccon-Gibod, SCP Bommart-Minault, SCP Tuset-Chouteau

Avocats :

Mes Bretzner, Utzeghneider, Couecou

T. com. Nanterre, du 8 sept. 2004

8 septembre 2004

A partir de 1998, Yoplait a commercialisé un yaourt dénommé "Saveur d'autrefois" dans un pot en grès bi-colore. Ce yaourt était fabriqué par La Fermière et les pots étaient fournis par la société espagnole Ceramica Meridiano. En vertu des accords pris avec La Fermière, celle-ci commercialisait ce produit sous sa propre marque auprès de la GMS (grandes et moyennes surfaces) tandis que Yoplait le commercialisait dans le circuit CHD (consommation hors domicile) sous la marque "Saveur d'autrefois". Dans le dernier état, cinq parfums étaient proposés à la clientèle.

Le produit rencontrant un succès certain, Yoplait a décidé d'étendre sa gamme à des crèmes desserts au chocolat et à la vanille conditionnées dans des pots en grès légèrement plus bombés que les pots de yaourt et elle en a confié la fabrication à la société espagnole Goshua.

Courant 2003, les relations entre Yoplait et La Fermière se sont dégradées de même que celles avec Goshua. En octobre 2003, La Fermière informait Yoplait qu'elle avait conclu un accord de sous-traitance pour travailler avec Danone en GMS. Goshua, quant à elle, rompait toute relation commerciale avec Yoplait à compter du 31 août 2003.

Yoplait ayant découvert dans le courant du mois de septembre 2003, la mise sur le marché par Danone d'un yaourt en pot de grès bi-colore vendu sous la marque "1919" et ayant eu également connaissance des accords de sous-traitance conclus entre Danone d'une part, et La Fermière et Goshua d'autre part, a fait procéder le 27 octobre 2003 à un constat d'huissier après y avoir été autorisée par ordonnance du 23 octobre 2003. Par ordonnance en date du 30 décembre 2003 confirmée par arrêt du 14 septembre 2004, le Président du Tribunal de commerce de Marseille a rétracté sa précédente ordonnance et fait interdiction à Yoplait d'utiliser en justice les pièces obtenues dans les locaux de La Fermière.

C'est dans ces circonstances que le 29 janvier 2004, Yoplait a été autorisée à assigner à jour fixe devant le Tribunal de commerce de Nanterre les sociétés Danone, La Fermière et Goshua. Elle sollicitait leur condamnation pour actes de concurrence déloyale et parasitaire, manœuvres d'éviction de la GMS et la CHD et de désorganisation. Elle reprochait également à Goshua une rupture brutale de relations commerciales établies. Yoplait sollicitait le paiement d'une somme de 8 532 000 euro à titre de dommages et intérêts, de celle de 100 000 euro par Danone et Goshua et 50 000 euro en vertu de l'article 700 du NCPC, des mesures de publication, d'interdiction, de confiscation et destruction.

La Fermière concluait au rejet des demandes et sollicitait la condamnation de Yoplait à lui payer la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre celle de 35 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Goshua concluait également au rejet des prétentions de Yoplait et réclamait sa condamnation à lui payer la somme de 15 000 euro pour procédure abusive, 60 000 euro à titre de dommages et intérêts et 15 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.

Danone concluait à ce que Yoplait soit déboutée de ses demandes et condamnée à lui verser la somme de 500 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 50 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC.

Par jugement en date du 8 septembre 2004 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, le Tribunal de commerce de Nanterre a dit que Danone s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale au préjudice de Yoplait en imitant ses produits, en profitant des études et investissements réalisés par Yoplait, en se "coulant" dans les choix opérés par Yoplait (même fournisseur de pots, mêmes sous-traitants), en invitant la Fermière à rompre avec Yoplait. Il a condamné Danone à lui verser la somme de 400 000 euro à titre de dommages et intérêts. En revanche, il a débouté Yoplait du surplus de ses demandes à l'encontre de Danone estimant notamment que Yoplait ne pouvait prétendre avoir été évincée du secteur de la restauration et de la GMS et que l'invitation de Danone faite à La Fermière de rompre ses relations avec Yoplait était restée jusqu'à présent sans suite. Il a également rejeté les demandes pour actes de concurrence déloyale formées à l'encontre des sociétés La Fermière et Goshua ainsi que la demande formée à l'encontre de la seule société Goshua pour violation des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce estimant que les relations ayant duré 2 ans, le préavis de 3 mois donné par Goshua était suffisant.

Enfin, le tribunal n'a pas fait droit aux mesures de confiscation, d'interdiction et de publication et il a rejeté les demandes reconventionnelles. Au titre de l'article 700 du NCPC, Danone a été condamnée à payer à Yoplait une somme de 50 000 euro et cette dernière a été condamnée à payer à Goshua une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC. Le jugement était assorti de l'exécution provisoire.

Danone qui a interjeté appel de cette décision, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures (conclusions du 10 janvier 2006) de l'infirmer en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 400 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 50 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC. Elle sollicite la restitution de la somme de 400 000 euro assortie des intérêts au taux légal à compter du paiement opéré ainsi que la capitalisation des intérêts et le versement d'une somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC. Par ailleurs, elle conclut au rejet des demandes formées par Yoplait dans le cadre de son appel incident.

Danone soutient qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être imputé dans la mesure où le pot de Yoplait est banal et dépourvu de toute originalité, où il existe des différences sensibles entre les pots litigieux qui rendent impossible tout risque de confusion et qu'en outre, l'hypothétique identité ayant existé entre les deux pots pendant un mois résulte de circonstances indépendantes de sa volonté. Danone allègue par ailleurs qu'elle n'a pas eu un comportement parasitaire envers Yoplait tant en ce qui concerne les conditionnements qu'elle a successivement adoptés que les choix qu'elle a opérés pour faire fabriquer son yaourt. Sur ce dernier point, Danone fait essentiellement valoir que Yoplait n'a pas fait d'investissements significatifs et qu'elle-même a développé des efforts au moins comparables à ceux de Yoplait. Elle ajoute qu'elle est étrangère aux difficultés rencontrées par Yoplait avec La Fermière et Goshua et qu'elle a conquis loyalement les deux anciens clients de Yoplait : Wagon Lits et Compass. Enfin, elle soutient que Yoplait n'a subi aucun préjudice et qu'à supposer même qu'elle justifie d'un préjudice, celui-ci prend sa source dans des circonstances extérieures au comportement de Danone.

Yoplait poursuit la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu que Danone s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et avait eu un comportement parasitaire. Formant appel incident pour le surplus, elle demande à la cour de prononcer des mesures d'interdiction et de confiscation sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à l'encontre des sociétés Danone, La Fermière et Goshua, de les condamner solidairement à lui verser la somme de 3 558 776 euro en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'elle a subis. Elle sollicite par ailleurs des mesures de publication de la décision à intervenir. Enfin elle réclame la restitution de la somme de 5 000 euro qu'elle a versée à la société Goshua et le versement d'une somme de 150 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Yoplait fait valoir qu'en imitant son produit "Saveur d'autrefois" et notamment en adoptant un conditionnement reprenant l'ensemble des éléments caractéristiques du conditionnement du produit Yoplait, fortement évocateurs de ce produit et non nécessaires du point de vue technique, Danone s'est rendue coupable de concurrence déloyale avec l'aide active des sociétés La Fermière et Goshua. Elle souligne qu'il existe un risque de confusion entre les produits et ce même si l'existence d'un risque de confusion n'est pas une condition sine qua non à l'établissement d'un acte déloyal et parasitaire. Elle ajoute qu'elle a fourni des efforts et des investissements importants pour concevoir et commercialiser le yaourt "Saveur d'autrefois" et que Danone a mis en place une "stratégie" déloyale pour n'avoir à fournir aucun effort de conception grâce à l'aide des sociétés La Fermière et Goshua qui étaient les deux sous-traitants de Yoplait et qui ont mis à la disposition de Danone l'ensemble des connaissances techniques et processus de fabrication acquis grâce à la collaboration nouée avec Yoplait. Par ailleurs, Yoplait expose que Danone, La Fermière et Goshua ont cherché à l'évincer de la GMS, l'ont empêchée de commercialiser des crèmes au chocolat, ont capté deux de ses clients. En ce qui concerne son préjudice. Yoplait développe les différents postes de son préjudice : trouble commercial, préjudice en CHD (perte de clients et chute des ventes) éviction de la GMS, perte des investissements promotionnels.

La Fermière poursuit la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts. Formant appel incident de ce chef, elle sollicite le paiement d'une somme de 100 000 euro, outre une indemnité de 35 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elle conteste avoir été le sous-traitant de Yoplait et soutient que dès janvier 1998, elle commercialisait des yaourts dans des pots en grès et que dès 1952, elle commercialisait ses yaourts dans tous les circuits de distribution et n'avait donc pas besoin pour ce faire de l'autorisation de Yoplait. Elle soutient que c'est elle qui a entièrement conçu le produit et qui l'a proposé à Yoplait au cours du second trimestre 1998 et l'a fabriqué par la suite pour Yoplait. Elle ajoute que c'est Yoplait qui n'a pas donné suite aux négociations engagées quant à l'entrée possible de Yoplait en GMS sur le pot grès. La Fermière dénie tout concert frauduleux avec Danone et fait valoir que dès août 2003, Yoplait avait été informée des discussions entre La Fermière et Danone. Sur les griefs de concurrence déloyale, elle expose que Yoplait s'est contenté d'utiliser le pot de La Fermière et précise que les pots " Danone fondé en 1919 " fabriqués par La Fermière ne sont pas référencés en RHD et qu'en conséquence, le risque de confusion est inexistant. La Fermière poursuit en exposant qu'aucun acte de parasitisme ou d'éviction ne peut lui être imputé, que Yoplait ne communique aucun justificatif tendant à démontrer ses efforts intellectuels et autres investissements et n'a jamais pris la moindre disposition pour entrer en GMS avec le produit "Saveur d'autrefois".

Goshua régulièrement assignée à sa personne, n'a pas constitué avoué.

Sur ce, LA COUR,

I. Sur les demandes de Yoplait

A. Sur les actes de concurrence déloyale

Considérant que Yoplait fondant son action sur les articles 1382 et 1383 du Code civil et non sur le droit d'auteur, elle n'a pas à rapporter la preuve de ce que le conditionnement dont elle se prévaut est original mais doit démontrer d'une part qu'elle l'a adopté avant les sociétés poursuivies pour concurrence déloyale, d'autre part que son conditionnement n'est pas banal et enfin que les sociétés poursuivies ont eu recours à des procédés contraires aux usages loyaux du commerce;

Considérant que les premiers pots de yaourt commercialisés par Danone au début du 20e siècle étaient certes en grès mais les reproductions photographiques mises aux débats établissent que ce pot ressemblait à une terrine plate et qu'il a été rapidement remplacé par un pot en porcelaine ayant une forme plus arrondie et de deux couleurs fond marron, haut blanc avec inscription de la marque Danone; que par la suite Danone n'a pas repris ce type de conditionnement;

Que Yoplait, en commercialisant en France en 1998, un yaourt dans un conditionnement en grès a donc précédé Danone, ce que cette dernière reconnaît au demeurant dans ses écritures (conclusions page 36 paragraphe 110);

Considérant que la société La Fermière ne peut pas davantage soutenir que les pots de grès utilisés par Yoplait sont ceux qu'elle-même utilisait en 1997 avant de débuter ses relations commerciales avec Yoplait;

Considérant en effet que les pièces produites démontrent que si Yoplait a choisi de faire fabriquer son produit fini par La Fermière plutôt que par Sodiber, filiale espagnole, qui fabriquait déjà le produit dénommé "cuajada", c'est Yoplait et non La Fermière qui a choisi le conditionnement en terre cuite ; que les différentes télécopies mises aux débats établissent que Yoplait s'est adressée à sa filiale Sodiber pour connaître les prix de fabrication du pot en grès de la cuajada et que dès le 24 septembre 1997, Sodiber lui a adressé l'offre de prix de Ceramica Meridiano qui était son propre fabricant pour les pots de "cuajada"; que le 24 octobre 1997 Yoplait communiquait à La Fermière des informations en ce qui concerne les prix des pots tels que proposés par Emile Henry, autre fabricant, et par Ceramica Meridiano, étant précisé qu'une note interne révèle qu'à la même date, Yoplait avait décidé d'écarter Emile Henry qui facturait ce type de pot à un prix plus élevé; que le 30 octobre 1997, Yoplait a demandé à Sodiber de faire parvenir 50 pots sans étiquette de "cuajada Yoplait" à La Fermière ; que cette dernière société ne saurait donc s'appuyer sur un tarif daté du 1er janvier 1998 et sur une lettre de Ceramica Meridiano du 14 décembre 1997 pour prétendre qu'elle a proposé un produit fini à Yoplait (contenant et contenu) et qu'elle s'était adressée à Ceramica Meridiano pour la fabrication de pots en grès identiques aux pots en cause avant que ne le fasse Yoplait ; que la facture émise le 15 avril 1998 par Ceramica Meridiano à l'adresse de La Fermière qui comporte la dénomination "Tarro barro Yoplait" fait clairement référence au pot grès de Yoplait;

Que de même, il est établi que Yoplait a obtenu dès le 3 décembre 1997 des renseignements techniques de Ceramica Meridiano en ce qui concerne les étiquettes du produit et a contrôlé le suivi du processus de gravure des pots en demandant notamment le 13 mai 1998 à la société Duwood d'adresser à Ceramica Meridiano les documents d'exécution pour la gravure des pots et en donnant dans le même temps des instructions à Ceramica Meridiano quant au positionnement de la marque "Saveur d'autrefois" et du logo Yoplait ; que les documents produits par La Fermière pour établir que l'étiquette et l'opercule sont le fruit de sa réflexion étant datés d'avril à juin 2000 sont dénués de tout caractère pertinent;

Considérant enfin que Yoplait justifie avoir suivi le processus de fabrication du produit;

Considérant en deuxième lieu que le conditionnement adopté par Yoplait pour son produit "Saveur d'autrefois" ne saurait être qualifié de banal;

Considérant en effet que si au début du 20e siècle des yaourts à base de lait de vache étaient commercialisés dans des pots en grès puis plus tard dans des pots de verre, le choix d'adopter à la fin du 20e siècle pour ce type de produit, un pot en grès de forme conique, marron clair à la base et marron foncé à la partie supérieure, alors que la majorité des concurrents optent pour des pots en plastique ou en carton, dénote une volonté de se démarquer des autres présentations de produits laitiers de grande consommation; que si la société de droit espagnol Ceramica Meridiano propose ce modèle depuis ses débuts à ses clients du secteur laitier, il n'est pas démontré que ceux-ci commercialisaient leurs produits en France ; que les produits Esne Ora et Hegora cités par Danone sont à base de lait de brebis ; que Goshua ne commercialise pas ses produits sous sa marque en France et que de plus il ne s'agit pas de yaourts mais de crèmes dessert; que si La Fermière a mis son produit sur le marché GMS quelques mois avant Yoplait, il a été démontré plus haut que c'est après être entrée en relation avec Yoplait à propos précisément du lancement d'un produit en pot de grès ; qu'il ne peut donc être prétendu qu'il s'agit d'un conditionnement courant dans l'industrie du yaourt à base de lait de vache;

Considérant que Danone a mis successivement sur le marché deux types de pot différents ; qu'elle ne conteste pas que le premier pot est strictement identique au pot de Yoplait quant à sa forme; que ce pot en grès provient de Ceramica Meridiano ; que dans un deuxième temps Danone a fait modifier légèrement la forme de son pot en lui donnant une forme légèrement évasée à la base et une contenance légèrement inférieure à la précédente;

Mais considérant qu'ainsi que l'a relevé le tribunal les deux pots en cause et le pot Yoplait sont fabriqués dans la même matière, la terre cuite revêtue d'une couche de vernis, avec le même dégradé de couleurs brunes, une étiquette opercule en aluminium dorée, dotée de deux pattes en papier venant fermer le pot; que les pots eux-mêmes ne sont recouverts d'aucune étiquette mais comportent simplement la marques Yoplait et "Saveur d'autrefois" ou la marque "Danone" gravées ; que ces pots servent de conditionnement pour le même type de produit à savoir un yaourt à l'ancienne au lait entier et à la crème fraîche ; que Yoplait et Danone proposent le produit nature ou à la vanille et que pour cette Saveur, Danone reproduit tout comme Yoplait des gousses de vanille entrelacées sur l'opercule avec une fleur ; que ces yaourts rentrent dans la catégorie des yaourts haut de gamme;

Considérant que les pots Danone reproduisent l'ensemble des éléments caractéristiques du pot Yoplait identifiant aux yeux de public ce conditionnement dans ce qu'il a de spécifique et d'attractif;

Qu'il n'existe aucune nécessité technique à adopter un pot en grès se fermant par un opercule en aluminium pour ce type de yaourt ; que Ceramica Meridiano fabriquant des pots dans d'autres couleurs, notamment jaune, blanc, noir, Danone avait la possibilité d'opter pour une autre couleur que le marron; que par ailleurs rien n'imposait de fermer le pot par un opercule épousant exactement le bord supérieur du pot et deux languettes en papier;

Considérant que Danone ne peut pas davantage soutenir qu'elle s'est trouvée contrainte d'une part, d'avoir recours à Ceramica Meridiano, d'autre part d'adopter dans un premier temps un pot strictement identique à celui de Yoplait ; qu'ainsi que le démontre Yoplait, Ceramica Meridiano n'est pas le seul fabricant de pots en grès, qu'il en existe d'autres tels qu'Emile Henry en France, Regas et Arbresa en Espagne auxquels Danone ne démontre pas s'être adressée pour connaître à tout le moins leur capacité de production; que par ailleurs, à supposer même que l'outil de production de La Fermière n'ait pas permis à Danone d'utiliser dès l'origine le pot légèrement évasé à la base, il lui appartenait d'en différer le lancement; que s'il est démontré qu'elle avait effectivement annoncé le lancement de ce produit, elle ne justifie pas en revanche que ses clients lui en avaient déjà passé commande en novembre 2003 ;

Considérant qu'en toute hypothèse, le deuxième pot reproduit tout comme le premier les éléments caractéristiques du pot de Yoplait et que seul un oeil avisé est à même de percevoir que ce pot se différencie du premier par un aspect plus évasé à la base;

Considérant que les similitudes des conditionnements étant ainsi démontrées et n'étant le résultat d'aucune contrainte technique ou économique, il convient de rechercher si elles sont propres à générer dans l'esprit du public pertinent un risque de confusion;

Que ce public, contrairement à ce que soutient Danone, n'est pas constitué des professionnels, à savoir en l'occurrence les responsables des achats qui exercent au sein des grandes sociétés opérant sur le marché CHD (consommation hors domicile comme les restaurants ou les cantines) ; qu'en effet, il convient de se placer par rapport au consommateur final, c'est-à-dire celui qui consomme le yaourt au restaurant ou dans une cantine ou qui l'achète dans une grande ou moyenne surface; que c'est la même personne qui va acheter et consommer un yaourt dans son restaurant d'entreprise et qui, si elle est satisfaite, va chercher à le trouver sur le linéaire d'une grande surface ; que ce consommateur qui est une personne d'attention moyenne et qui n'a pas la possibilité de procéder à une comparaison simultanée des deux produits, sera amené à confondre les deux conditionnements et à croire qu'ils émanent de la même entreprise ; que le conditionnement de Yoplait se distinguant des autres conditionnements de yaourt au lait de vache par la forme de son pot, sa matière et sa couleur, le consommateur qui cherche à le retrouver sur un linéaire ou à la cantine gardera en mémoire ces aspects ; que les légères différences quant à la forme générale des pots (s'agissant du 2e pot Danone) et quant aux mentions portées sur l'étiquette opercule ne sont pas de nature à prévenir ce risque de confusion dès lors qu'il s'agit de différences de détail, peu perceptibles surtout lorsque les pots sont placés sur des linéaires ;

Considérant que l'apposition de la marque Danone est insuffisante pour écarter le comportement fautif résultant de la reprise des éléments attractifs du produit Yoplait, ce d'autant plus que la marque n'apparaît de manière distincte que sur l'opercule et non sur le corps du pot, seul visible lorsque le produit est placé sur un linéaire ; que la gravure sur les pots des marques Danone et Yoplait ne se détachant pas dans une couleur différente de celle du pot, n'est pas de nature à frapper l'oeil du consommateur ; que de plus de nombreux yaourts étant commercialisés sous les deux marques, Danone et Yoplait le consommateur mémorisera ce produit davantage par son emballage que par la marque Yoplait ou Danone;

Que l'adoption par Danone de la sous-marque "1919" n'est pas suffisante pour écarter le risque de confusion dès lors qu'elle n'est mentionnée que sur l'opercule et qu'elle évoque le passé tout comme la marque "Saveur d'autrefois";

Considérant enfin que, même si on se place au niveau des professionnels, à savoir ceux qui achètent le produit avant de le proposer à la vente aux consommateurs, il s'avère qu'au niveau de la CHD où les deux produits étaient cumulativement présentés par Danone et Yoplait, il existe également un risque de confusion; que Yoplait rapporte ainsi la preuve par le constat dressé le 5 août 2005 que le restaurant d'entreprise "Arcs de Seine" vendait sous l'appellation "Saveurs d'autrefois" des yaourts "1919" de Danone, la mention "Saveur d'autrefois" étant portée sur le ticket de caisse et sur la carte des desserts;

Considérant en conséquence que la commercialisation par Danone d'un yaourt du même type que celui de Yoplait, dans un conditionnement reproduisant les éléments caractéristiques fortement évocateurs aux yeux du public du produit de son concurrent, sans aucune nécessité technique, sur un marché haut de gamme et par nature restreint, tendant à renouer avec les traditions, a indéniablement créé un risque de confusion dans l'esprit du consommateur ; qu'un tel comportement constitue une faute au sens de l'article 1382 du Code civil et caractérise un acte de concurrence déloyale;

Considérant que si la société La Fermière n'était pas liée contractuellement avec Yoplait, il apparaît que dans le cadre de ses relations commerciales avec cette société, elle a eu un comportement contraire aux usages loyaux du commerce ;

Considérant en effet que les courriers, courriels et comptes rendus produits par Yoplait pris dans leur ordre chronologique démontrent qu'au printemps et à l'été 2003, alors que Yoplait et La Fermière étaient toujours en partenariat en ce qui concerne le pot "Saveur d'autrefois" et envisageaient le lancement d'un produit en pot de grès fabriqué pour Yoplait et destiné à la GMS (étant rappelé que Yoplait ne commercialisait le produit "Saveur d'autrefois" qu'en CHD), La Fermière a parallèlement négocié puis signé le 22 juillet 2003 un accord de partenariat exclusif avec Danone ayant pour objet la fabrication par La Fermière de yaourts en pots grès, déclinés selon deux variétés nature et saveur vanille (à savoir le pot incriminé) et destinés à la GMS sur le marché français et prévus pour un lancement en novembre 2003 ; qu'il est établi par un courriel du 30 juin 2003 et par le compte rendu d'une réunion du 1er septembre 2003 qui s'est tenue entre Yoplait et La Fermière que cette dernière a délibérément dissimulé à Yoplait l'existence de l'accord qu'elle avait conclu avec Danone le 22 juillet 2003 et a attendu le 8 octobre 2003 pour l'en informer en lui indiquant faussement que cet accord avait été "validé" le 2 octobre 2003 ;

Considérant qu'à supposer même que Yoplait ait eu connaissance au cours de l'été 2003 par d'autres sources, de l'arrivée de Danone sur le marché avec un pot en grès, il apparaît qu'elle croyait que le fournisseur du produit en était Goshua et que La Fermière s'est abstenue de fournir tous autres éclaircissements ;

Que le comportement déloyal adopté par La Fermière engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;

Considérant en revanche qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être imputé à Goshua; que cette société qui fabriquait pour Yoplait des crèmes dessert en pot en grès depuis juin 2001 a rompu ses relations commerciales avec Yoplait par lettre du 9 juin 2003 ; que Danone ne lui a pas confié la fabrication du même type de produits mais celle du yaourt "1919" pour le marché CHD dans la mesure où La Fermière a continué à fabriquer pour Yoplait et pour ce marché, le yaourt en pot de grès "Saveur d'autrefois"; que cette relation ne s'est terminée que le 1er décembre 2004 ;

B. Sur le comportement parasitaire

Considérant que Yoplait fait valoir que Danone a eu un comportement parasitaire en choisissant les mêmes sous-traitants et le même fournisseur de pot, en profitant de l'expérience acquise par ces derniers du fait de leurs relations antérieures, notamment en ce qui concerne le process industriel mis au point en commun entre Yoplait et La Fermière ; qu'elle ajoute que Danone a profité des études et investissements fournis par Yoplait pour concevoir et commercialiser le yaourt "Saveur d'autrefois";

Mais considérant que ces griefs ne font que reprendre pour partie sous un autre qualificatif et sous une formulation légèrement différente ceux déjà invoqués par Yoplait au titre de la concurrence déloyale et retenus plus avant; que pour le surplus ils sont mal fondés;

Que le yaourt en tant que tel n'est que la reprise d'une recette élaborée par La Fermière et sur laquelle Yoplait ne pouvait revendiquer aucun droit de propriété;

Que Yoplait qui ne démontre pas que Danone disposait de deux usines susceptibles de lui permettre de produire un yaourt en pot de grès, ne saurait lui faire grief de s'être adressée à La Fermière; qu'outre, le fait que La Fermière ne fabriquait les yaourts "Saveur d'autrefois" pour Yoplait que sur le marché CHD et commercialisait déjà le même produit sous sa marque sur le marché GMS en vertu des accords de partenariat conclus entre La Fermière et Yoplait, Danone rapporte la preuve que d'autres opérateurs tels que la coopérative Les Laitiers du Contentin et Baiko étaient en 2003 dans l'incapacité de produire des yaourts en pots de grès dans les quantités souhaitées par Danone;

Considérant qu'en ce qui concerne les efforts de création et les frais d'investissements, Yoplait ne saurait faire grief à Danone de s'être épargné les frais de création du pot en grès dès lors qu'elle-même n'a fait que reprendre le pot de Ceramica Meridiano sans y apporter la moindre modification ; que Danone qui est un des leaders mondiaux en matière de produits laitiers n'a manifestement pas cherché à profiter des investissements publicitaires réalisés par Yoplait et justifie avoir engagé des frais de publicité pour le lancement de son propre produit (pièce 21) ;

Considérant en conséquence que Danone justifiant d'efforts au moins comparables à ceux mis en œuvre par Yoplait, il ne peut lui être reproché d'avoir cherché à tirer profit du travail de Yoplait et le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de Danone sur ce point;

Considérant que l'attitude adoptée par la société La Fermière dans le cadre de la négociation de ses accords avec Danone a déjà été sanctionnée au titre de la concurrence déloyale;

Considérant qu'il ne peut pas davantage être fait grief à Danone d'avoir confié à Goshua la fabrication du produit " 1919 " pour le marché CHD, cette société fabriquant pour le compte de Yoplait des crèmes dessert chocolat et vanille en pots en grès et non des yaourts ; que pour le même motif aucun comportement fautif ne peut être imputé à Goshua, ce d'autant plus que Yoplait n'avait pas atteint les objectifs de vente prévus.

C. Sur l'éviction de Yoplait et la captation de clients

Considérant tout d'abord que Yoplait ne peut prétendre avoir été évincée du marché CHD dans la mesure où ses relations avec La Fermière se sont poursuivies sur ce secteur jusqu'en décembre 2004 alors même que Yoplait accusait en 2003 un arriéré important dans le règlement de ses factures ; que ces relations ont manifestement été rompues à l'initiative de Yoplait par lettre du 15 septembre 2004 ;

Considérant qu'en ce qui concerne les clients en RHD, à savoir les Wagons Lits et Compass, faute de justifier de la mise en œuvre de manœuvres contraires aux usages loyaux du commerce pour convaincre ces clients de rompre leurs relations avec elle et s'adresser à Danone, Yoplait sera déboutée de sa demande sur ce point ; qu'il y a lieu de relever que par lettre en date du 8 janvier 2004, la société Accor (Wagons Lits) a indiqué avoir opté pour l'offre financièrement la mieux placée ; que la vente à un prix inférieur ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ;

Considérant en troisième lieu que Yoplait ne peut pas davantage soutenir que Danone et La Fermière ont cherché à l'évincer du marché GMS;

Que s'il est certain, ainsi qu'exposé plus haut au paragraphe A, qu'au cours de l'été 2003, Yoplait et La Fermière avaient engagé des pourparlers en vue de l'entrée de Yoplait en GMS avec le yaourt en pot en grès, il résulte du compte rendu établi par Monsieur Tarpinian (La Fermière) que c'est à l'initiative de La Fermière et non de Yoplait ; que cette dernière sans rejeter cette suggestion a répondu le 21 juillet 2003 qu'elle souhaitait attendre septembre 2003 ; qu'à la date du 22 juillet 2003, lorsque Danone a conclu un accord avec La Fermière pour la mise sur le marché GMS du produit " 1919 ", aucun projet précis n'avait été élaboré entre La Fermière et Yoplait ; qu'en septembre 2003, Yoplait qui ne justifie pas avoir effectué la moindre étude de rentabilité du projet GMS, n'est pas revenue de manière concrète sur cette éventualité ; qu'il résulte de la correspondance de Monsieur Smilovitz qu'elle cherchait davantage à développer son implantation sur le CHD en atteignant 15 millions de pots;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Yoplait de sa demande sur ce point;

D. Sur le préjudice

Considérant que Danone et La Fermière ne sauraient valablement soutenir que Yoplait n'a subi aucun préjudice du fait des actes de concurrence déloyale dont elles se sont rendues coupables;

Que Danone en mettant dans le commerce le yaourt "1919" a banalisé le produit de Yoplait et lui a fait perdre l'avantage concurrentiel dont elle bénéficiait sur la marché des yaourts haut de gamme de par la spécificité de son produit;

Considérant qu'alors que le taux de progression des ventes réalisées par Yoplait en CHD avec le produit "Saveur d'autrefois" avait toujours été positif depuis son lancement fin 1998, le taux de croissance a chuté de 50 % en 2003, année de lancement du produit de Danone et a présenté pour la première fois une baisse de 17 % en 2004 par rapport à 2003 ; que le chiffre d'affaires qui était de 6 241 601 euro en 2003 a été de 5 432 000 euro en 2004 ; qu'il existe une corrélation évidente entre la mise sur le marché du produit "1919" et la perte de chiffre d'affaires subie par Yoplait avec le produit "Saveur d'autrefois" alors même que cette société avait consacré en 2004 un pourcentage plus important de son chiffre d'affaires aux dépenses publicitaires et promotionnels qu'en 2003 ; que ces résultats s'expliquent manifestement par la présence sur le même marché du produit de Danone;

Considérant en revanche que Yoplait ne peut pour les motifs ci-dessus énoncés solliciter une indemnisation au titre du marché GMS;

Que compte tenu des éléments dont elle dispose, la cour considère que le préjudice commercial et moral subi par Yoplait du fait des actes de concurrence déloyale imputables à Danone sera exactement réparé par le versement d'une somme de 400 000 euro ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point;

Considérant que même si Yoplait ne distribuait pas son produit en GMS, La Fermière en dissimulant à Yoplait la teneur des négociations et de l'accord qu'elle avait conclu avec Danone pour la fabrication et la commercialisation d'un yaourt en pot en grès, saveurs nature et vanille, en GMS a nécessairement perturbé le développement du marché consacré au produit "Saveur d'autrefois" et contribué à la détérioration des relations commerciales qu'elle entretenait avec Yoplait et à l'arrêt de la distribution de ce produit à la fin de l'année 2004 ; que même si La Fermière a continué pendant un an à fournir Yoplait en yaourts en pot en grès pour le marché CHD, il est certain que les engagements qu'elle avait pris vis-à-vis de Danone (3 000 tonnes en 2004) privaient Yoplait de la possibilité d'augmenter sa production en CHD;

Que le préjudice subi par Yoplait du fait de ce comportement fautif sera exactement réparé par le versement d'une somme de 200 000 euro;

Considérant qu'aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire n'étant imputable à Goshua le jugement sera confirmé en ce qu'aucune condamnation n'a été prononcée de ces chefs à son encontre;

Considérant par ailleurs que pour prévenir la poursuite des actes de concurrence déloyale, il convient de faire droit aux mesures d'interdiction dans les conditions précisées au dispositif y compris à l'encontre de la société Goshua mise en connaissance de cause par la présente décision;

Considérant que les produits en cause étant des produits périssables, les mesures de destruction et de confiscation sollicitées ne sont pas nécessaires;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause, il n'y a pas lieu de faire droit aux mesures de publication;

II. SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE:

Considérant que La Fermière qui succombe pour partie ne saurait qualifier d'abusive la procédure diligentée à son encontre ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts;

III. SUR L'ARTICLE 700 DU NCPC:

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC aux sociétés Danone et La Fermière;

Que la mise hors de cause de Goshua étant confirmée, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande en restitution de la somme de 5 000 euro que le tribunal lui a allouée au titre de l'article 700 du NCPC;

Considérant qu'il convient de condamner in solidum Danone et La Fermière à verser à Yoplait au titre des frais hors dépens par elle engagés en appel une somme complémentaire de 20 000 euro;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire : - Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a retenu à l'encontre de Danone un comportement parasitaire, sauf en ce qu'il a débouté la société Yoplait de ses demandes à l'encontre de la société La Fermière et en ce qu'il a rejeté les mesures d'interdiction, Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant, - Dit que la société La Fermière s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'encontre de la société Yoplait, - La condamne à payer à la société Yoplait la somme de 200 000 euro (deux cent mille euro) à titre de dommages et intérêts, - Fait interdiction aux sociétés Danone, La Fermière et Goshua sous astreinte de 100 euro par infraction constatée de fabriquer et commercialiser le yaourt vendu sous la marque "Danone 1919" et conditionné dans un pot de grès identique aux deux pots faisant l'objet du présent litige (pot objet du constat d'huissier du 19 novembre 2003 et pot utilisé à compter de décembre 2003) et ce dans un délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt, - Déboute les parties du surplus de leurs demandes, - Condamne in solidum les sociétés Danone et La Fermière à payer à la société Yoplait une somme complémentaire de 20 000 euro (vingt mille euro) au titre de l'article 700 du NCPC. - Les condamne aux dépens d'appel et admet la SCP Bommart-Minault, avoués, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.