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Décisions

Cass. com., 26 février 2008, n° 07-14.126

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Brenntag (SA)

Défendeur :

Gaches Chimie (SAS), Ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie, Président du Conseil de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Beaudonnet

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

Me Le Prado, SCP Peignot, Garreau

Cass. com. n° 07-14.126

26 février 2008

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 mars 2007), que, saisi par la société Gaches Chimie (Gaches), le Conseil de la concurrence (le Conseil) a, par décision n° 06-D-12 du 6 juin 2006, dit non établies les pratiques d'abus de position dominante sur le marché de la distribution de gros de commodités chimiques reprochées par la société Gaches à la société Brenntag ; qu'après avoir annulé la décision du Conseil, la cour d'appel a renvoyé l'affaire au Conseil pour instruction complémentaire;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Brenntag reproche à l'arrêt d'avoir annulé la décision du Conseil, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article 3 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, les pièces et documents mentionnés dans la déclaration de recours sont remis au greffe de la cour d'appel en même temps que la déclaration; que, pour exercer le pouvoir d'annulation des décisions rendues par le Conseil que la loi lui attribue, la Cour d'appel de Paris ne saurait se fonder sur des pièces et documents irrecevables; qu'après avoir pointé les insuffisances de la décision du Conseil et constaté que la société Gaches lui avait, pour compléter le dossier, soumis force documents destinés à étayer la thèse qu'elle soutient, procédant ainsi à une production massive de pièces, la cour d'appel a affirmé qu'il s'évince de ces constatations que l'instruction menée par le Conseil est insuffisante, étant observé à cet égard que les brefs délais régissant la procédure suivie devant la cour, tenue d'écarter toutes les pièces produites tardivement, seraient-elles utiles à la manifestation de la vérité, ne lui permettent pas d'y procéder en ses lieu et place; que, dans ses observations du 15 décembre 2006, le Directeur Général de la DGCCRF a fait observer, à partir de l'analyse des pièces produites tardivement par la société Gaches, que les parts de marché détenues par les sociétés intervenant sur le marché spécifique de la distribution des commodités chimiques devaient être reconsidérées au regard de celles retenues par le Conseil de la concurrence (points 29 à 37 de se décision), pour conclure à la nécessité d'un renvoi à l'instruction ; que, dans ses observations du 18 décembre 2006, le Conseil a, de même, fait observer, que la société Gaches contestait l'analyse faite par lui du marché, eu égard à l'analyse nouvelle des chiffres d'affaires des sociétés intervenant sur le marché des commodités chimiques, le Conseil s'étant, pour apprécier les parts de marché détenues par cas sociétés, fondé sur leur chiffre d'affaires global, pour en déduire que, dans le cadre de son recours, la société Gaches produit donc des éléments que le Conseil n'a pu examiner ; que, dans ses conclusions du 30 janvier 2007, le Ministère public a fait lui aussi référence aux éléments nouveaux introduits par la société Gaches, tirés de la comptabilité analytique que la société Univar a dû produire en exécution de l'ordonnance présidentielle du 1er août 2006, pour conclure à l'annulation de la décision du Conseil; qu'il ressort de ces éléments, ainsi que des constatations et énonciations de l'arrêt, que ce n'est qu'à partir des pièces et documents produits tardivement par la société Gaches et dont la société Brenntag demandait qu'ils soient écartés des débats, que la cour d'appel a pu retenir les insuffisances qui auraient entaché la décision rendue par le Conseil ; qu'en se fondant ainsi pour annuler la décision qui lui était déférée, sur l'insuffisance de l'instruction menée par le Conseil, nécessairement révélée par les pièces produites tardivement par la société Gaches, la cour d'appel a violé l'article L. 464-8 du Code de commerce, ensemble l'article 3 du décret du 19 octobre 1987; 2°) que, dans ses observations en réponse du 22 janvier 2007, la société Brenntag s'est attachée à démontrer que les pièces produites par la société Gaches, l'eussent-elles été tardivement, étaient sans utilité pour éclairer la cour sur sa position sur le marché local pertinent et encore moins sur les contours de ce marché ; qu'elle avançait que le marché de la distribution des commodités chimiques est un marché nécessairement local dans la mesure où il s'agit d'un marché de distribution-répartition avec services associés de proximité, et que les limites de ce marché se situent dans un rayon d'au plus 200 km autour des dépôts des distributeurs, ce dont avaient convenu les enquêteurs, la société Gaches et le Commissaire du gouvernement; qu'elle rappelait que, dans sa décision, le Conseil s'était interrogé sur l'existence d'un marché national pertinent résultant de l'agrégation des marchés régionaux, considérant que la délimitation uniquement régionale du marché pertinent est confortée par le rayon géographique dans la limite duquel s'effectue la majorité de la demande des industriels; que la société Brenntag en concluait que, du moment que le marché pertinent était nécessairement local, la question de l'isolement, au sein du chiffre d'affaires de la société Univar, et de son propre chiffre d'affaires, de l'activité distribution de commodités n'avait aucune pertinence, dès lors que, sur le marché local considéré, sur les trois opérateurs présents, les sociétés Brenntag, Gaches et Univar, elle réalisait la part de marché la moins importante, et que la société Gaches reconnaissait elle-même que sa part de marché s'évaluait è 50 % : qu'il est constant que, dans se décision, le Conseil s'était interrogé sur l'existence d'un marché pertinent national, qu'il n'a envisagée qu'à titre d'hypothèse ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était invitée, si les éléments nouveaux apportés par la société Gaches, avaient une incidence sur la délimitation du marché géographique pertinent, à savoir la zone Midi-Pyrénées, les dits éléments reposent, comme cela ressort des propres constatations de l'arrêt, sur la distinction, dans le chiffre d'affaires des entreprises opérant dans ce secteur, de la part relative à leur activité de distribution des spécialités de celle afférente à la distribution des commodités chimiques, seule en cause, et donc auraient été de nature à permettre l'imputation à la société Brenntag d'un abus de position dominante sur ce marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-8 du Code de commerce, ainsi que l'article L. 420-2 du même Code ; 3°) que, dans sa décision, le Conseil a relevé que les éléments du dossier rendent vraisemblable l'existence de marchés pertinents régionaux mais n'ont pas permis de démontrer que le marché résultant de l'agrégation de ces marchés régionaux conservait son caractère pertinent, la délimitation uniquement régionale du marché pertinent étant confortée par le rayon géographique dans la limite duquel s'effectue la majorité de la demande des industriels, à savoir un rayon inférieur à 200 km autour des dépôts dans le prix de vente des commodités, ce qui rend peu vraisemblable que les offres émanant de régions différentes soient substituables pour satisfaire la même demande, pour en conclure que l'ensemble de ces éléments conduit donc à s'interroger sur l'existence d'un marché pertinent de la distribution des commodités de dimension nationale et pour n'envisager ainsi l'existence d'un marché pertinent national qu'à titre d'hypothèse; qu'en décidant cependant d'annuler la décision rendue par le Conseil sans dire en quoi, le marché national aurait été un marché pertinent, condition nécessaire à l'imputation d'un abus de position dominante à la société Brenntag sur ce marché, et donc seule de nature à remettre en cause l'instruction menée par le Conseil au vu des pièces nouvellement produites par la société Gaches, relatives au seul marché national, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-8 du Code de commerce, ainsi que l'article L. 420-2 du même Code; 4°) que, dans ses écritures du 29 janvier 2007, la société Brenntag avait demandé à la cour d'écarter des débats les divers éléments produits par la société Gaches et obtenus par elle frauduleusement ; qu'en laissant sans réponse ce chef de conclusion, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile;

Mais attendu, en premier lieu, que, pour dire insuffisante l'instruction menée par le Conseil, l'arrêt relève que celui-ci, qui n'a pas pris parti sur la dimension géographique, nationale ou régionale, du marché pertinent de la distribution en gros de commodités chimiques, s'est prononcé sur l'absence de position dominante de la société Brenntag sur le marché de produits considéré à partir d'un dossier ne permettant pas de déterminer les parts de marché de cette société et de ses concurrents sur la base de chiffres d'affaires correspondant aux seuls produits en cause; qu'il retient que, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la recevabilité discutée des pièces produites dans le cadre du recours, il convient d'annuler la décision du Conseil et de lui renvoyer le dossier pour instruction complémentaire; que le moyen manque en fait en ce qu'il soutient que la cour d'appel a déduit l'insuffisance de l'instruction du Conseil de pièces produites par la société Gaches ;

Attendu, en second lieu, que les moyens qui reprochent, fusse à tort, à la cour d'appel à la fois d'avoir statué au vu de pièces irrecevables et de ne pas avoir effectué des recherches fondées sur ces mêmes pièces ou sur les conditions de leur obtention, sont contradictoires et dès lors irrecevables;

Qu'il s'en déduit que le moyen n'est pas fondé;

Sur le second moyen : - Attendu que la société Brenntag reproche à l'arrêt, après avoir annulé la décision du Conseil, d'avoir renvoyé l'affaire pour instruction complémentaire au Conseil, alors, selon le moyen : 1°) que, saisie par des parties en cause d'un recours en annulation ou en réformation d'une décision du Conseil, la cour d'appel, après avoir annulé cette décision, est tenue de statuer en fait et en droit sur les demandes des parties; que, pour décider du renvoi de l'affaire devant le Conseil pour instruction complémentaire, la cour d'appel a retenu que l'instruction menée par le Conseil était insuffisante, et que, tenue d'écarter toutes pièces produites tardivement, elle ne pouvait y procéder en ses lieux et place; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles L. 464-8 du Code de commerce, et 561 et 562 du Code de procédure civile; 2°) qu'aux termes de l'article 3 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, les pièces et documents mentionnés dans la déclaration de recours sont remis au greffe de la cour d'appel en même temps que la déclaration; que, sous prétexte de donner au litige sa solution, la Cour d'appel de Paris saisie d'un recours en annulation ou en réformation à l'encontre d'une décision du Conseil ne pouvait renvoyer l'affaire devant le Conseil, pour faire écarter les effets du principe de l'irrecevabilité des pièces et documents invoqués par la société Gaches pour compléter le dossier à partir duquel le Conseil s'est prononcé sans avoir été remises au greffe de la cour en même temps que la déclaration de recours; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé la disposition susvisée ; 3°) que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties; et qu'il a le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles; que, pour décider du renvoi de l'affaire devant le Conseil pour instruction complémentaire, la cour d'appel a retenu que l'instruction menée par le Conseil était insuffisante, et que, tenue d'écarter toutes pièces produites tardivement, elle ne pouvait y procéder en ses lieux et place; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 5 du Code civil, ensemble l'article 10 du Code de procédure civile;

Mais attendu que si la cour d'appel, saisie d'un recours en annulation d'une décision du Conseil est en principe tenue, après avoir annulé cette décision, de statuer en fait et en droit sur les griefs notifiés et maintenus par le rapport, il n'en est pas ainsi lorsque la cour d'appel, qui ne dispose ni des pouvoirs, ni des moyens de procéder à l'instruction d'une saisine du Conseil dans les conditions prévues paries articles L. 450-1 et suivants du Code de commerce, annule, en raison de l'insuffisance de l'instruction du Conseil, une décision ayant dit non établies les pratiques reprochées ; que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, n'est pas fondé;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.