CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 28 février 2008, n° 07-05611
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Delor Vincent (SARL)
Défendeur :
Renault Agriculture (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mandel
Conseillers :
Mmes Valantin, Lonne
Avoué :
SCP Debray-Chemin
Avocats :
Mes Malard, Assemat, SCP Vogel & Vogel
La société Renault Agriculture développe et fabrique des tracteurs agricoles et leurs pièces de rechange. Elle en a assuré (au moins jusqu'au 1er octobre 2004) la commercialisation par un réseau de concessionnaires exclusifs.
La société Delor Vincent, qui indique entretenir des relations commerciales avec la société Renault Agriculture depuis 1960, était concessionnaire exclusif Renault Agriculture pour un territoire défini à l'intérieur du département de la Lozère, en vertu d'un contrat de concession exclusive de vente et de services.
Ce contrat régissant les relations entre les parties a été conclu le 7 mai 2001 et suivi d'un avenant du 7 juin 2001.
Il prévoyait en son article XI qu'il était conclu pour une durée indéterminée et en son article XII qu'il pourra être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties, sans devoir fournir aucun motif à l'autre partie, sous réserve pour elle d'en aviser l'autre 12 mois à l'avance par lettre recommandée avec avis de réception.
La société Renault Agriculture explique:
- qu'en 2004, elle a entamé un processus de rapprochement avec la société Claas France en vue de transférer à cette dernière son activité de commercialisation en France de tracteurs agricoles et de pièces de rechange, ainsi que le service après-vente auprès d'un réseau primaire de concessionnaires,
- que ce transfert d'activité a été réalisé au moyen d'un contrat de location-gérance conclu entre elle et Claas France,
- qu'à partir du 1er octobre 2004, Renault Agriculture (qui continue de développer et construire des tracteurs agricoles et des pièces de rechange) n'a plus assuré la commercialisation de ces produits, laquelle est désormais réalisée par Claas France, sous la marque Claas.
En tout état de cause, par un courrier du 7 septembre 2004, la société Renault Agriculture a informé la société Delor Vincent en ces termes :
"Dans le cadre des opérations de rapprochement des sociétés Renault Agriculture et Claas France, il a été convenu que l'activité commerciale de Renault Agriculture devait être reprise par Claas France. Cette reprise s'effectuera sous forme de location-gérance du fonds de commerce de commercialisation France de tracteurs neufs, pièces de rechange, accessoires et services, à effet au 1er octobre 2004.
Concrètement, ceci signifie que l'activité de commercialisation France de Renault Agriculture, réalisée au travers d'un réseau dont vous êtes membre, va être transférée à Claas France.
" Dans le cadre de ce transfert d'activité, les contrats de distribution n'étant pas cessibles, votre contrat signé avec Renault Agriculture prendra fin au 30 septembre 2004. Dans ce contexte, il est prévu de vous présenter, dans le courant du mois de septembre 2004, un nouveau contrat de distribution type avec Claas France. Le contrat avec avenant vous sera proposé à la signature courant octobre 2004 ".
Par courrier du 30 novembre 2004, la société Delor Vincent répondait que la brusque rupture des relations lui causait un préjudice important qu'elle entendait voir réparer.
Le 6 septembre 2005, la société Delor Vincent a assigné la société Renault Agriculture sur le fondement de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce devant le Tribunal de commerce de Versailles aux fins de voir constater que la société Renault Agriculture avait procédé à la rupture brutale du contrat de concession exclusive la liant à la société Delor Vincent, sans prendre en considération des relations commerciales nouées depuis plus de quarante ans.
La société Delor Vincent a sollicité la condamnation de la société Renault Agriculture à lui payer les sommes suivantes:
- 251 730 euro au regard du manque à gagner en matière de vente de tracteurs neufs,
- 403 345 euro au regard du manque à gagner en matière de vente de pièces détachées,
- 131 569 euro au titre du préjudice inhérent au stock important de pièces détachées,
- 175 130 euro en réparation du préjudice subi du fait de la sous-utilisation des bâtiments et des charges accrues de fonctionnement liées aux investissements,
- 50 000 euro en réparation du préjudice subi du fait de la détérioration de l'image de sérieux de la société Delor Vincent,
- 50 000 euro au titre du préjudice du fait de la désorganisation commerciale,
- 7 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Renault Agriculture a soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce de Versailles au profit du Tribunal de commerce de Paris, en application de la clause attributive de compétence prévue à l'article XIV-2 du contrat de concession du 7 mai 2001.
Pour s'opposer à cette exception d'incompétence, la société Delor Vincent a fait valoir qu'en application de l'alinéa 3 de l'article 46 du Code de procédure civile, elle peut saisir en matière délictuelle la juridiction du lieu où demeure le défendeur ; qu'en effet, les agissements qu'elle reproche à la société Renault Agriculture constituent des manquements aux règles d'ordre public du droit de la concurrence, édictées par l'article L. 442-6 du Code de commerce ; que quand bien même ces pratiques prohibées s'inscrivent dans un cadre contractuel, elles engagent la responsabilité délictuelle de l'auteur de pratiques considérées comme abusives dans le cadre de relations commerciales en sorte qu'elle est fondée à assigner devant le Tribunal de commerce de Versailles, juridiction du lieu où demeure la société défenderesse, en application de l'alinéa 3 de l'article 46 du Code de procédure civile.
Par jugement du 29 juin 2007, le Tribunal de commerce de Versailles s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris.
Il a considéré que le litige était de nature contractuelle et relevait de l'article 1134 du Code civil et que conformément à l'article 48 du Code de procédure civile, l'article XIV-2 du contrat de concession devait recevoir application.
Par déclaration déposée au greffe le 11 juillet 2007, la société Delor Vincent a formé contredît et demande à la cour de dire que le Tribunal de commerce de Versailles est compétent pour se prononcer sur les demandes qu'elle a formées à l'encontre de la société Renault Agriculture.
Elle sollicite la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 4 000 euro au titre du Code de procédure civile.
A l'appui de son contredit et aux termes des observations contenues dans ses conclusions du 9 janvier 2008, elle reprend les moyens ci-dessus développés devant les premiers juges, tendant à démontrer qu'elle a engagé une action en responsabilité délictuelle et qu'elle ne forme aucune demande relative aux stipulations du contrat.
A l'appui de son argumentation, elle invoque plusieurs arrêts de la Cour de cassation, dont un arrêt du 6 février 2007 de la Chambre commerciale, financière et économique, pour conclure que l'auteur d'une rupture brutale d'une relation commerciale, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale, engage sa responsabilité délictuelle, conformément aux dispositions de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce.
Aux termes de ses conclusions du 8 novembre 2007, la société Renault Agriculture conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la société Delor Vincent au paiement de la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir:
- que la clause attributive de compétence convenue par les parties au contrat de concession doit s'appliquer,
- qu'en effet, le litige porte sur l'application et l'interprétation de contrat, puisque la question posée n'est pas de savoir si la société Renault Agriculture a rompu les relations contractuelles avec un préavis suffisant mais de savoir si les dispositions du contrat sur son caractère intuitu personae justifiaient la résiliation immédiate du contrat,
- que depuis l'entrée en vigueur du règlement n° 44-2001 du 22 décembre 2000, les clauses attributives de compétence doivent trouver application, quel que soit le fondement juridique de l'action; que son article 23 prévoit : " Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un Etat membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents. Cette compétence est exclusive ".
En ce sens, la société Renault Agriculture fait état d'un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 6 mars 2007 où le demandeur invoquant le caractère délictuel de l'action intentée sur le fondement de l'article L. 442-6-1° du Code de commerce pour contester l'application d'une clause attributive de compétence, la Cour de cassation aurait approuvé les juges du fond d'avoir appliqué cette clause.
- que plusieurs arrêts de la Cour de cassation confirment le caractère contractuel des actions relatives à la rupture des relations commerciales.
- que même si la cour devait retenir le caractère délictuel de l'action, il n'y a aucune raison de ne pas faire application de la clause attributive de compétence convenue entre les parties ; que l'article 48 du Code de procédure civile autorise les clauses dérogeant aux règles de compétence territoriale, sans que cela soit limité à la matière contractuelle.
Sur ce
Considérant que la société Delor Vincent a assigné la société Renault Agriculture afin d'être indemnisée pour le préjudice lié à la cessation des relations contractuelles avec la société Renault Agriculture et plus particulièrement pour le préjudice subi du fait de la perte de marge sur les ventes et la sous-utilisation de ses investissements à la suite de la fin brutale en septembre 2004 du contrat de concession exclusive conclu avec la société Renault Agriculture alors que l'exécution de ce contrat aurait dû, selon elle, se poursuivre, et du fait du non-respect du préavis, non seulement du préavis contractuel de 12 mois mais d'un préavis de 24 mois dont elle estime devoir bénéficier;
Que la société Renault Agriculture a opposé d'une part le caractère intuitu personae consacré par l'article 1 du contrat de concession du 7 mai 2001 et le caractère non-transmissible et non-cessible des droits qui en résultent pour faire valoir que le contrat de concession ne pouvait pas être poursuivi au delà du 1er octobre 2004 en raison du transfert à cette date de son activité de commercialisation au profit de la société Claas France mais qu'un nouveau contrat a été proposé à la société Delor Vincent pour poursuivre immédiatement son activité avec la société Claas France, et d'autre part le respect par elle du préavis d'un an prévu par le contrat de concession;
Considérant que le litige qui porte donc sur le point de savoir si la rupture des relations contractuelles entre les parties est intervenue dans le respect des dispositions du contrat revêt une nature contractuelle;
Considérant que la clause attributive de compétence prévue à l'article XIV-2 du contrat de concession du 7 mai 2001, ainsi libellée :
"Les parties conviennent d'attribuer compétence au Tribunal de commerce de Paris pour le règlement de toute contestation relative à l'application ou l'interprétation du présent contrat, même en cas de demande incidente en garantie et de pluralité de défendeurs", doit recevoir application, ainsi que l'ont retenu les premiers juges;
Que le jugement entrepris doit être confirmé en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Paris;
Considérant que l'équité ne commande pas d'allouer de somme au titre des frais non compris dans l'instance sur contredit;
Considérant que la société Delor Vincent doit supporter les dépens de l'instance sur contredit;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, sur contredit, - Confirme le jugement entrepris, et Y ajoutant, - Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne la société Delor Vincent aux dépens de l'instance sur contredit.