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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ., 10 janvier 2006, n° 04-00664

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coopérative Agricole Limagrain (Sté), Limagrain Verneuil Holding (SA)

Défendeur :

Agrileader (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Beuve (faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Cherbonnel, Ody

Avoués :

SCP Terrade Dartois, SCP Dupas-Trautvetter Ygouf Balavoine Levasseur

Avocats :

Mes Antoine & Benoliel, Ermeneux

TGI Coutances, du 12 févr. 2004

12 février 2004

Faits et procédure

Vu l'ordonnance de référé rendue le 12 février 2004 par le Président du Tribunal de grande instance de Coutances.

Vu les conclusions déposées pour le compte de :

- la société Coopérative Agricole Limagrain et la SA Limagrain Verneuil Holding le 16 novembre 2005,

- la SA Agrileader les 10 novembre 2005 et 17 novembre 2005 à 13 h 45,

Vu les conclusions de procédure déposées le 17 novembre 2005 par les sociétés Coopérative Agricole Limagrain et Limagrain Verneuil Holding

Sur quoi

- Sur la recevabilité des conclusions déposées le 17 novembre 2005 à 13 h 45 pour le compte de la SA Agrileader

Les conclusions déposées le 16 novembre 2005 par les sociétés Coopérative Agricole Limagrain et Limagrain Verneuil Holding n'ont été prises qu'en réplique aux écritures déposées le 10 novembre 2005 par la SA Agrileader, modifiant et complétant ses précédentes conclusions déposées le 4 novembre 2005. Elles n'appellent pas de réponse puisqu'elles ne comportent aucun élément nouveau sur lequel la SA Agrileader ne se serait pas expliquée.

Les conclusions déposées le 17 novembre 2005 à l'heure de l'ouverture de l'audience par la SA Agrileader sont irrecevables comme postérieures à l'ordonnance de clôture intervenue le 16 novembre 2005, l'existence d'une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture n'étant ni alléguée ni démontrée.

- Sur la recevabilité de l'action

a) de la société Coopérative Agricole Limagrain

Il résulte du certificat d'identité de marque délivré le 28 janvier 2004 que la société Coopérative Agricole Limagrain était bien propriétaire à la date de l'assignation, soit le 15 janvier 2004, de la marque semi-figurative LG par elle déposée le 2 février 2001.

Elle a ainsi justifié de ses droits sur la marque LG et de son intérêt à agir.

b) de la société Limagrain Verneuil Holding

La SA Force Limagrain a été absorbée par fusion par la SA Limagrain Verneuil Holding qui seule demeure sur la procédure d'appel.

La société Coopérative Agricole Limagrain a consenti un contrat de licence de marque à la SA Limagrain Verneuil Holding à effet du 1er juillet 2002.

La société Limagrain Verneuil Holding a consenti un contrat de distribution exclusive, à effet du 1er juillet 2002, à la SA Force Limagrain.

Ces deux contrats ont été publiés au registre national des marques le 12 novembre 2003.

La SA Agrileader soutient que l'édition et la diffusion du catalogue reproduisant la marque LG sont antérieures à l'enregistrement de celle-ci de sorte que les sociétés Limagrain Verneuil Holding et Force Limagrain n'ont ni qualité ni intérêt à agir. Toutefois, le catalogue d'octobre 2003 reproduisant la marque LG a manifestement vocation à servir et être diffusé d'octobre 2003 à octobre 2004 puisqu'il s'agit d'une publication annuelle. "L'édito" (page 2) précise qu'il s'agit du nouveau catalogue Maïs pour la campagne 2004.

De même, les lettres adressées par les distributeurs de produits Limagrain à la SA Force Limagrain, postérieures au 12 novembre 2003, démontrent la persistance de la diffusion du catalogue litigieux postérieurement à l'enregistrement de la marque.

Dès lors et sans qu'il soit besoin de recourir à l'examen de la régularité du procès-verbal de constat du 27 novembre 2003 dont la production est inutile, la SA Limagrain Verneuil Holding sera déclarée recevable à agir.

- Sur le bien-fondé de l'action

Selon l'article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle, lorsque le tribunal est saisi d'une action en contrefaçon, son président, saisi et statuant en la forme des référés, peut interdire, à titre provisoire, sous astreinte, la poursuite des actes argués de contrefaçon, ou subordonner cette poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation du propriétaire de la marque ou du bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation.

La demande d'interdiction ou de constitution de garanties n'est admise que si l'action au fond apparaît sérieuse et a été engagée dans un bref délai à compter du jour où le propriétaire de la marque ou le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation a eu connaissance des faits sur lesquels elle est fondée.

Pour juger du caractère sérieux de la demande au fond, il convient de rechercher si les moyens de défense qui sont opposés par le prétendu contrefacteur ne sont pas manifestement voués à l'échec et sont suffisamment pertinents pour priver cette demande au fond de la condition de sérieux requise par l'article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Pour s'opposer à la demande, la SA Agrileader se prévaut de la théorie de l'épuisement du droit de marque posée par l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle lequel dispose que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

En droit, si l'épuisement du droit de marque constitue un moyen de défense pour le tiers poursuivi par le titulaire de la marque, les conditions de cet épuisement doivent être prouvées par le tiers qui l'invoque.

Cependant, les exigences découlant de la protection de la libre circulation des marchandises, consacrée, notamment, aux articles 28 CE et 30 CE, peuvent nécessiter que cette règle de preuve subisse des aménagements.

Ainsi, dans l'hypothèse où le tiers parvient à démontrer qu'il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux si lui-même supporte la charge de cette preuve, en particulier lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l'Espace économique européen, il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'Espace économique européen. Si cette preuve est apportée, il incombe au tiers d'établir l'existence d'un consentement du titulaire à la commercialisation ultérieure des produits dans l'Espace économique européen.

En l'espèce, il appartient à la SA Agrileader de démontrer l'existence d'un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux de la part de la société Coopérative Agricole Limagrain. Celle-ci distribue les produits argués de contrefaçon, maïs grain et fourrage LG 22-65, maïs grain et fourrage LG 22.75, maïs Banguy et maïs Baltimore, par le biais d'un contrat de distribution exclusive.

La SA Force Limagrain absorbée par la SA Limagrain Verneuil Holding en mai 2005 bénéficiait en effet aux termes d'un contrat signé le 3 juin 2003 de la distribution exclusive du maïs :

- LG 22-65 en France, au Japon au Luxembourg et en Suisse

- LG 22-75 en France, Belgique, Suisse

- Banguy en France, Belgique, Luxembourg

- Baltimore en France et Belgique.

Le contrat précisait qu'en conséquence de cette exclusivité territoriale, la SA Limagrain Verneuil Holding s'interdisait de concéder ces produits sur les territoires ainsi définis à un tiers et s'engageait à approvisionner les concessionnaires de façon exclusive sur ce territoire.

La circonstance que le concessionnaire était autorisé à confier la distribution de tout ou partie des produits sur tout ou partie de territoire à tout tiers de son choix dans les limites des droits qui lui sont concédés, confirme l'organisation d'un réseau de distribution sélective, maîtrisé par la SA Force Limagrain et depuis la fusion intervenue en mai 2005 par la SA Limagrain Verneuil Holding. Les lettres de réclamation adressées par les sociétés Coopaval, Agrial, Corre Appro, par le Groupe Centre Lait et par Eolys à la suite de la publication du catalogue d'Agrileader confirment l'existence d'un réseau de distribution structuré et organisé par la SA Limagrain Verneuil Holding.

Les produits argués de contrefaçon étant commercialisés par le titulaire de la marque au moyen d'un système de distribution exclusive, il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux. Ce risque est d'autant plus avéré que la société Agrileader, qui a révélé ses sources d'approvisionnement, à savoir la société Belge BVBA Amando (cf. procès-verbal de constat de Me Duval du 23 mars 2004) pour les variétés de maïs concernés, s'est vue par la suite refuser la livraison de partie de sa commande pour une autre variété de maïs, qui est bien commercialisée par Limagrain, l'Anjou 258 (cf. pièce 43), la SA Brichard qui ne souhaitait pas avoir de problème avec la société Limagrain, selon les explications du gérant de son cocontractant direct la société Pierre Bernard, a exigé de celui-ci la reprise de partie des semences livrées à la société Amando BVBA et destinées à la société Agrileader (cf. procès-verbal de constat de la SCP Deszsz-Benoot, huissier de justice à Valenciennes des 8 juin et 7 septembre 2004).

Par ailleurs, alors que le catalogue Agrileader concerne la période d'octobre 2003 à octobre 2004, le procès-verbal de contrat dressé par Me Duval le 23 mars 2004 suffit à démontrer l'authenticité des produits LG concernés. Les palettes des quatre variétés de maïs, objet de l'action en contrefaçon, ont été inventoriées par l'huissier qui a reproduit leur date d'échantillonnage, les numéros des lots, les poids ou nombres de grains déclarés par sac.

Il convient d'observer qu'alors que les photographies annexées au constat et les précisions susvisées permettaient aux sociétés appelantes de repérer toute fraude éventuelle, elles ne dénoncent aucun élément permettant de mettre en doute l'authenticité des produits.

La société Agrileader ayant démontré que les produits qu'elle vend sont authentiques et qu'il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux, il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'Espace économique européen, ce qu'il ne fait pas.

Si les sociétés appelantes soutiennent, à titre subsidiaire, que la société Agrileader a utilisé la dénomination LG et reproduit son logo, donnant ainsi l'impression qu'il existe des liens commerciaux entre elles, la présentation des quatre produits Limagrain figurant dans le catalogue d'Agrileader n'est pas différente de celle des autres maïs proposés à la vente. En l'absence de commentaires particuliers, la reproduction de manière non ostentatoire du logo et de la dénomination LG en face des produits vendus, constitue pour le client potentiel la seule façon de les identifier en l'absence d'autre référence, et ne permet pas de présumer de relations commerciales spécifiques entre le titulaire de la marque et la société Agrileader. La publicité litigieuse ne peut dès lors constituer le motif légitime permettant au propriétaire de la marque de s'opposer à tout acte de commercialisation en dépit de l'épuisement du droit de marque. Enfin, à supposer que la marque Limagrain bénéficie d'une renommée suffisante, la circonstance que les tableaux associés à chacun des produits LG n'aient aucune valeur officielle n'est pas de nature à nuire à cette renommée dès lors qu'il n'est pas allégué que les indications qui y sont contenues soient fantaisistes ou inexactes. De même, la classification du maïs LG 22-75 en maïs demi-précoce alors qu'il s'agit d'un maïs précoce ne peut s'analyser en une atteinte sérieuse à la renommée de la société titulaire de la marque Limagrain alors qu'il n'est pas contesté que l'indice mentionné est exact et constitue l'information principale permettant à l'agriculteur de faire son choix.

Enfin, la simple erreur d'orthographe Bangui au lieu de Banguy est sans influence sur la renommée dont se prévalent les sociétés Limagrain.

Les moyens de défense opposés par la SA Agrileader à l'action en contrefaçon ne sont pas manifestement voués à l'échec et sont au contraire suffisamment pertinents pour priver cette demande au fond de la condition de sérieux requise par l'article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle.

La décision frappée d'appel qui a débouté les sociétés appelantes de leurs demandes mérite entière confirmation.

Les sociétés appelantes qui succombent supporteront les dépens d'appel. Par suite, elles seront déboutées de leur demande en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En équité, elles seront condamnées à payer à la SA Agrileader la somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Constate que la SA Force Limagrain a été absorbée par voie de fusion par la SA Limagrain Verneuil Holding. Confirme la décision frappée d'appel en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Déboute les sociétés Coopérative Agricole Limagrain et Limagrain Verneuil Holding de leur demande en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne les sociétés Coopérative Agricole Limagrain et Limagrain Verneuil Holding à payer à la SA Agrileader la somme de 1 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne les sociétés Coopérative Agricole Limagrain et Limagrain Verneuil Holding aux dépens d'appel et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.