CA Paris, 1re ch. H, 4 mars 2008, n° ECEC0814189X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
José Alvarez (SAS), Nethub (SA), Caviglioli (ès qual.), Revaxion (Sté), Sofretin (Sté), Cycles et Sports Tilly (SARL), Bicicletas de Alava (SA), Look Cycle International (Sté), Time Sport International (Sté), Time Sport International (Sté)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, Président du Conseil de la concurrence
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avoués :
SCP Monin d'Auriac de Brons, SCP Bommart-Forster & Fromantin
Avocats :
Mes Puget, Hallel, Foucard
LA COUR,
Vu les recours formés :
- le 15 janvier 2007 par la société de droit espagnol Bicicletas de Alava,
- le 15 janvier 2007 par la SAS José Alvarez, la SA Nethub, M. Christian Caviglioli, ès qualités d'administrateur judiciaire des sociétés José Alvarez et Nethub, la SARL Revaxion, la SARL Sofretin et la SARL Cycles et Sport Tilly,
- le 17 janvier 2007 par la SA Time Sport International,
- le 17 janvier 2007, par la SA Look Cycle International,
contre la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-37 du 7 décembre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des cycles et produits pour cyclistes ;
Vu les mémoires déposés au greffe de la cour :
- le 15 février 2007 : par la SARL Cycles et Sport Tilly, par la SARL Sofretin, par la SARL Revaxion, par la SA Nethub et M. Christian Caviglioli, ès qualités, par la SAS José Alvarez et M. Christian Caviglioli, ès qualités.
- le 16 février 2007, par la SA Look International, soutenu par ses observations en réplique déposées le 15 novembre 2007,
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence du 2 juillet 2007,
Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, du 2 juillet 2007,
Les parties ou leurs conseils, qui ont été en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, le représentant du Conseil de la concurrence et celui du ministre chargé de l'Economie et le Ministère publique entendus à l'audience publique du 15 janvier 2008 ;
Sur quoi,
Considérant que le Conseil de la concurrence, saisi par le ministre chargé de l'Economie, qui, à la suite d'une plainte d'une société de distribution de cycles dénonçant les pressions exercées par un concurrent sur les fournisseurs communs afin que ceux-ci cessent de l'approvisionner, avait procédé à une enquête montrant que ces pratiques étaient généralisées contre une nouvelle forme de distribution utilisant la vente par correspondance ou pratiquant des prix inférieurs aux prix conseillés, a notifié le 26 septembre 2005 26 griefs à 46 entreprises et finalement retenu l'existence de pratiques d'ententes horizontales et verticales tendant à exclure certains distributeurs de cycles, notamment au sein du réseau Bouticycles et entre le GIE Master Cycles et son fournisseur Bicicletas de Alava et relevé l'insertion, dans les contrats de distribution de plusieurs fournisseurs, de clauses de prix imposé, d'interdiction d'importation et d'interdiction de rétrocession entre distributeurs ; que des sanctions ont été infligées à vingt-deux sociétés, dont les requérantes, lesquelles contestent le bien-fondé des griefs retenus à leur encontre et critiquent le caractère disproportionné des sanctions ;
Sur le recours de la société Bicicletas de Alava :
Considérant qu'il est apparu au cours de l'enquête que, courant 2001, des membres du réseau de distribution constitué par le GIE Master Cycles, dans lequel étaient notamment vendus les vélos de marque BH, fabriqués par la société Bicicletas de Alava, se sont inquiétés de la présence, dans certains magasins de la chaîne spécialisée Supersport, de vélos de cette marque, proposés à la clientèle à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les membres du réseau ;
Que Master Cycles a fait part de cette préoccupation à Bicicletas de Alava dans une lettre du 13 avril 2001 dans les termes suivants :
" Nous avons été alertés par certains membres du réseau Master et particulièrement par les cycles C.., sur le fait que "Supersport " communiquait avec des produits BH d'une part et avec des prix cassés d'autre part et ceci de plus dans des régions où vous avez garanti une distribution sélective et propre.
[...]
Si vous ne prenez pas les décisions qui s'imposent vis-à-vis de cette distribution, nous pourrions être amenés à remettre en cause notre implication envers BH et dans tous les cas votre capital confiance pourrait rejoindre très rapidement celui de vos concurrents sur le marché français, et vous subiriez comme eux les conséquences immédiates de ces actes " ;
Que Bicicletas de Alava, le 17 mai 2001, annonçant une modification de ses relations commerciales avec Supersport de nature à rassurer Master Cycles, a ainsi répondu :
" Nous avons commencé une collaboration commerciale avec Super sport au début de l'an 2000 avec une série limitée de pas plus de 10 produits de la marque BH, par contre nous reconnaissons que peu à peu la relation commerciale a beaucoup prospéré et comme résultat nous arrivons à la situation actuelle de concurrence dans certaines villes. Afin de pouvoir contrôler cette situation, nous nous sommes adressés à la centrale de Supersport pour leur exiger d'arrêter des ventes de vélos BH dans tous les points où l'on puisse trouver un conflit parmi d'autres clients. " ;
Considérant que Bicicletas de Alava pouvait ainsi rassurer Master Cycles avec d'autant plus de sincérité qu'elle allait en effet infléchir sensiblement sa politique commerciale envers Supersport, comme le montre sa lettre adressée à cette chaîne le 21 septembre 2001, ainsi rédigée :
" Comme je vous l'avais annoncé lors de notre réunion du 12/06/01, puis dans le courrier du 03/07/01, la société BH, afin de continuer sa progression en France et d'y asseoir sa distribution, se doit d'avoir une politique commerciale très précise.
Cette expansion a été réalisée dans sa plus grande majorité par la mise en place d'une manière très réfléchie, de la gamme dans le réseau des spécialistes cycles en respectant les zones de chalandises de nos partenaires [...].
Nous nous devons donc de continuer à progresser dans le réseau de spécialistes du sport dans la mesure où la zone de chalandise n'est pas couverte par un spécialiste Cycle, sauf accord de ce dernier.
Nous vous demandons donc :
d'arrêter complètement la représentation et la vente de la marque BH dans les magasins suivants :
* Châlons-en-Champagne
* Bayeux
* Mont-de-Marsan
* Tarbes
* Chambéry
* Chartres
de ne pas pratiquer en aucun cas la rétrocession de produits BH vers ces magasins non référencés.
de demander l'acceptation de la société BH pour l'ouverture d'une relation commerciale avec tout nouveau magasin de votre enseigne " ;
Considérant qu'il a été rendu compte de cette inflexion à Master Cycles comme en témoignent, d'une part, ces notes figurant dans le cahier de la coordinatrice du réseau :
" Rendez-vous BH 21/10/2001
Dès lundi, rapatriement des vélos BH présents dans les magasins Supersport. Supersport a accepté la proposition BH - interdiction de vendre des vélos BH dans les magasins Super sport de Châlons, Bayeux, Mont-de-Marsan, Tarbes, Chambéry et Chartres ",
d'autre part, un document émanant de Master Cycles adressé le 24 octobre 2001 à tous les membres du réseau dans lequel il est indiqué :
" A de multiples reprises, suite à des dérapages de prix, la société BH est intervenue par courrier auprès des magasins ou centrales multisports concernés pour affirmer sa volonté de distribuer ses produits en priorité chez des professionnels et sa détermination à ne tolérer aucune gêne tarifaire de la part de ces derniers. Par conséquent, les secteurs concernés par ces pollutions de prix décalés devaient être fermés.
Comme vous pourrez le lire dans les pages suivantes, la société BH a été très transparente en nous informant, au fur et à mesure que nous faisions remonter nos doléances et nos informations, des échanges de courriers ou des solutions élaborées pour répondre à nos attentes. Cette année, c'est Supersport qui a été le plus concerné par ces problèmes.
Monsieur Aracama nous assure qu'il sélectionnera progressivement les Supersport distributeurs de BH jusqu'à disparition complète de la distribution dans cette enseigne " ;
Considérant qu'il est constant que le chiffre d'affaires de la société BH avec les magasins Supersport a évolué comme suit : en 2000 : 170 371 euro, en 2001 : 307 827 euro, en 2002 : 55 248 euro. En 2003 et 2004, la société BH n'a rien vendu à la société Supersport.
Considérant que, sur la base de ces constatations, le Conseil a retenu à l'encontre de Bicicletas de Alava le grief " d'avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en se concertant, entre 2000 et 2004, pour que les magasins Super sport ou certains de ces magasins ne commercialisent pas les vélos de marque BH " ;
Considérant que, à la lumière de la lettre de Bicicletas de Alava à Supersport du 21 septembre 2001, du déclin en 2002 puis de la cessation, à partir de 2003, de toute relation commerciale entre Bicicletas de Alava et Supersport, la lecture des pièces dont le contenu a été précédemment exposé suffit à démontrer que la requérante s'est soumise aux injonctions précises, assorties de pressions explicites de Master Cycles pour cesser d'approvisionner les magasins de cette chaîne ; que le comportement de Bicicletas de Alava à l'égard de Supersport prouve que ses lettres à Master Cycles n'avaient pas seulement, comme elle entend le faire accroire, pour but de leurrer ce réseau sur ses véritables intentions, mais bien de le convaincre qu'elle allait obéir à ses injonctions, ce qui s'est en effet produit ;
Considérant qu'aucune des pièces versées au débat par Bicicletas de Alava ne vient conforter sa thèse d'une insuffisance de qualité des prestations des magasins Supersport qui aurait, à suivre les explications figurant dans son recours, été le seul motif de sa rupture avec cette chaîne ;
Que la circonstance qu'elle ait pu établir et poursuivre des relations commerciales avec d'autres chaînes de magasins multisport, ni le fait que Supersport n'ait apparemment pas protesté contre l'attitude de Bicicletas de Alava à son égard ne changent rien à la nature des agissements qui lui sont reprochés et qui ont consisté, de concert avec un distributeur, à en écarter un autre pour protéger le premier d'une concurrence dont il ne voulait pas ;
Considérant que le grief est ainsi caractérisé et a été retenu à juste titre par le Conseil ;
Considérant que l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce dispose que les sanctions pécuniaires doivent être proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'entreprise et déterminées individuellement et de façon motivée ;
Considérant que, pour infliger à la société Bicicletas de Alava une sanction pécuniaire de 110 000 euro, le Conseil a souligné la particulière gravité de l'entente conclue entre cette société et Master Cycles et pris en compte, dans l'appréciation du montant de la sanction, la durée limitée de la pratique anticoncurrentielle reprochée et le faible dommage causé à l'économie ; qu'il a ainsi, par des motifs exacts, complets et pertinents que la cour adopte, satisfait aux obligations de proportionnalité et d'individualisation définies par le texte susvisé ;
Considérant, par ailleurs, que le Conseil, en retenant le chiffre d'affaires mondial comme base de calcul du montant de la sanction, s'est conformé aux dispositions de l'article L. 464-2, alinéa 4, du Code de commerce ;
Considérant que le recours de Bicicletas de Alava sera en conséquence rejeté ;
Sur les recours formés par les sociétés Nethub, José Alvarez et M. Caviglioli, ès qualités, et les sociétés Cycles et Sport Tilly, Sofretin et Revaxion :
Considérant que la société José Alvarez et sa société mère Nethub ont constitué avec plus d'une centaine de détaillants indépendants le réseau Bouticycles auquel appartenaient les sociétés Cycles et Sport Tilly, Sofretin et Revaxion ;
Sur les clauses interdisant la rétrocession :
Considérant que, en adhérent au réseau Bouticycles, les détaillants signaient un contrat par lequel ils s'engageaient à effectuer 60 % de leurs achats auprès de la société José Alvarez ;
Considérant qu'il est apparu que les conditions de vente de la société José Alvarez aux détaillants du réseau Bouticycles pour les vélos de marque Vitus, GT et BMX, entre le 1er septembre 2002 et le 31 août 2003, contenaient la clause suivante :
" Chaque contrat [...] est accordé pour un et un seul point de vente déterminé par la raison sociale et l'adresse mentionnée sur ce présent contrat. Cet engagement est sous la responsabilité du responsable du magasin qui signe le contrat. Chaque magasin s'engage avec la marque [...] par l'intermédiaire de l'un de ses contrats, s'engage aussi à ne pas redistribuer de produits [...] sous forme de rétrocession ou d'échange à d'autres magasins sous contrat [...] ou non " ;
Considérant que, à ce titre, le Conseil a retenu contre les sociétés requérantes le grief " d'avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en mettant en place des conditions de vente, pour les vélos Vitus, GT et BMX, applicables entre le 1er septembre 2002 et le 31 août 2003, qui interdisent aux détaillants du réseau de redistribuer des produits sous forme de rétrocession ou d'échange à d'autres magasins, sous contrat ou non " ;
Considérant que les requérantes reprennent devant la cour, pour l'essentiel, les moyens développés devant le Conseil pour affirmer que les clauses incriminées, en ce qu'elles n'intéressent pas seulement les membres d'un réseau de distribution sélective, bénéficient de l'exemption prévue par le règlement CE 2790-99 et sont en toute hypothèse justifiées car elles ont pour objet d'assurer le respect des normes de sécurité applicables aux cycles ;
Considérant, sur le premier point, que, conformément au § 3 de l'article 81 du traité CE, l'article 2 du règlement CE 2790-99 déclare le § 1 du même article du traité " inapplicable aux accords ou pratiques concertées qui sont conclus entre deux ou plus de deux entreprises dont chacune opère, aux fins de l'accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et qui concernent les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services (ci-après dénommés "accords verticaux") " ;
Considérant qu'il résulte de l'article 4, b, du même règlement que les accords verticaux qui " ont pour objet la restriction concernant [...] la clientèle à laquelle l'acheteur peut vendre [...] les biens contractuels " ne bénéficient pas de l'exemption prévue par l'article 2 sauf, notamment, s'il s'agit d'une restriction des ventes par les membres d'un système de distribution sélective aux distributeurs non agréés ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que les sociétés José Alvarez, d'une part, Cycles et Sports Telly, Sofretin et Revaxion, d'autre part, opèrent, pour l'exécution des contrats en cause, à des niveaux différents de la chaîne de distribution des cycles et accessoires pour cycles ;
Considérant que les sociétés requérantes font valoir sans pertinence que les contrats contenant la clause litigieuse n'étaient pas seulement signés par les membres du réseau Bouticycles, mais aussi par des distributeurs ne faisant pas partie de ce réseau, de sorte qu'ils ne peuvent être regardés comme des contrats de distribution sélective ; que ce moyen va au rebours de la réglementation précédemment rappelée puisque celle-ci profite, au contraire, aux réseaux de distribution sélective qui sont, par l'effet de l'article 4, b, susvisé, exclus de l'exception à l'exemption ;
Considérant, sur le second point, que, s'il est vrai que les cycles sont des produits techniques qui doivent, pour être vendus aux consommateurs, obéir à des normes réglementaires de sécurité, spécialement celles prévues par le décret du 24 août 1995, le scrupule dont se flatte la société José Alvarez de n'avoir introduit les clauses litigieuses que dans le souci d'assurer le respect de ces normes de sécurité ne peut être une justification à la clause restrictive de ventes incriminée puisque, comme l'a exactement observé le Conseil, ce résultat pouvait être atteint par le moyen, licite celui-là, de la mise en place d'un réseau de distribution sélective ;
Considérant qu'il est constant que les clauses incriminées figuraient dans les conditions de vente de la société José Alvarez, lesquelles étaient annexées aux contrats d'adhésion au réseau Bouticycles conclus entre la société Nethub et les détaillants ; que la société Nethub n'est donc pas fondée à soutenir qu'elle serait étrangère à ces clauses et que le grief tiré de leur existence lui serait, dès lors, inapplicable ;
Considérant qu'il est acquis au débat que le réseau Bouticycles s'était donné un organe de réflexion, le Conseil supérieur du réseau Bouticycles, ou CSRB, chargé de " conseiller le directoire de Nethub sur les orientations générales du réseau et sur la stratégie de développement du groupe formé par Nethub et ses adhérents, débattre et émettre un avis sur les litiges éventuels entre Nethub et un adhérent, veiller à l'éthique de l'organisation et au respect de la charte du réseau ainsi qu'à l'harmonie des rapports entre ses membres " ; que ce conseil, en cohérence avec sa mission, était composé de représentants, non seulement des sociétés Nethub et José Alvarez, animatrices du réseau, mais aussi de représentants des détaillants qui en étaient membres ; qu'il est donc vain de prétendre, comme le font les requérantes, que, si les dirigeants des sociétés Cycles et Sports Tilly, Revaxion et Sofretin avaient pris part aux réunions du CSRB, c'était, non en leur qualité de représentants des sociétés, mais en leur nom personnel, alors que, n'étant pas à titre personnel membres du réseau, ils n'avaient aucun intérêt à faire valoir en leur nom au sein du CSRB, aux délibérations desquels seules les sociétés adhérentes étaient intéressées ;
Considérant que la mission du CSRB, telle que précédemment définie, impliquait nécessairement un examen des contrats de distribution, sans lequel une réflexion sur " les orientations générales du réseau et sur la stratégie de développement du groupe " n'aurait eu aucun contenu ; que les sociétés requérantes, en qualité de membres du CSRB, ont donc de toute évidence étudié la portée des clauses incriminées et les ont entérinées ; que leurs explications suivant lesquelles ces clauses leur auraient été imposées dans le cade d'un contrat d'adhésion sont en contradiction avec la raison d'être et les principes d'organisation du réseau qu'elles ont constitué et ne peuvent être retenues ;
Considérant enfin que les clauses incriminées, en ce qu'elles tendent à restreindre la liberté des acheteurs de revendre, ont un objet anticoncurrentiel, prohibé en soi ; que l'infraction à cette interdiction est constituée par la seule présence de la clause, indépendamment de ses effets, lesquels, théoriquement certains, sont cependant impossibles à mesurer exactement puisqu'il est logiquement impossible d'attribuer avec certitude l'éventuelle absence des reventes proscrites à l'obéissance aux clauses incriminées plutôt qu'à d'autres motifs ; qu'il serait au demeurant hasardeux d'affirmer que tous les adhérents du réseau Bouticycles, ayant accepté ces clauses, se seraient néanmoins regardés comme libres de revendre sans restriction à qui bon leur semblerait, seule condition qui permettrait de prétendre que la clause litigieuse n'aurait eu aucun effet ;
Considérant qu'il en est de même de la circonstance que les clauses incriminées ont été supprimées spontanément par les parties pour tenir compte du débat qui s'était élevé sur leur licéité ;
Considérant, en conséquence de ce qui précède, que c'est à juste titre que le Conseil a retenu contre les sociétés requérantes le grief tiré de l'existence des clauses interdisant la rétrocession ;
Sur la concertation horizontale à l'intérieur du réseau Bouticycles sur les prix et coefficients moyens de marge des détaillants :
Considérant qu'il est avéré qu'il était rendu compte des travaux du CSRB -sur la composition et la mission duquel il est renvoyé aux motifs qui précèdent - au moyen d'une lettre d'information hebdomadaire intitulée Tandem hebdo, diffusée à tous les membres du réseau Bouticycles ;
Que, dans son édition du 12 novembre 2001, Tandem hebdo comportait un article conçu dans les termes suivants :
" Les remises consommateurs... attention à l'escalade !
Vendre ses prix, garder ses marges, ou comment résister au consommateur qui n'hésite plus lors de son passage à la caisse à demander de plus en plus [...].
Une remise ne doit jamais être banalisée et acquise sans contrepartie car sinon ce n'est plus un avantage mais un abandon de marge [...]
Soyons solidaires dans la tenue des prix. Pour rester longtemps au service de nos clients, il faut que nos entreprises demeurent rentables " ;
Que figurait dans le numéro du 12 mai 2002 le compte rendu de la réunion du CSRB du 15 mars 2002 rédigé comme suit :
" Débats et résolutions :
Résolution CSRBI :
En 2005, au plus tard, le coefficient moyen d'un adhérent Bouticycles sera de 2 " ;
Que, enfin, dans le Tandem hebdo du 20 juin 2003, il était rendu compte de la réunion du CSRB du 6 janvier 2003 ainsi :
" Compétitivité.
Construire une partie de nos activités en marque propre.
Nous avons à l'intérieur du réseau ETC des gens qui ne se comportent pas comme ils le devraient. Nous lancerons des actions pour faire respecter des tarifications qui permettent à tout le monde de vivre. Attention de ne pas se faire une réputation de remise dans les magasins - se servir de la carte de fidélité " ;
Considérant que, sur le fondement des informations contenues dans ces documents, le Conseil a retenu comme établi contre les sociétés requérantes le grief " d'avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en se concertant sur la détermination de coefficients dans les conditions de vente de la société José Alvarez aux détaillants du réseau, sur la résolution adoptée au cours de la réunion du CSRB du 15 mars 2002 selon laquelle en 2005, au plus tard, le coefficient moyen d'un adhérent Bouticycles devait être de 2 ainsi que sur la décision prise au cours de la réunion du CSRB du 20 janvier 2003 de lancer des actions pour faire respecter les prix conseillés " ;
Considérant qu'aucune conséquence ne peut être tirée du fait que le rapporteur du Conseil ait finalement conclu à l'abandon de ce grief ; qu'il n'est pas contesté que celui-ci a été régulièrement notifié aux sociétés requérantes ; qu'aucune atteinte aux droits de la défense ni violation du contradictoire n'est établie dès lors que ces sociétés ont eu connaissance des faits qui leur était reprochés et qu'elles ont été en mesure de faire valoir leur moyens de défense qui ont été examinés dans le cadre d'un débat contradictoire et qu'elles savaient, en toute hypothèse, que le Conseil statue sur les griefs notifiés ;
Considérant que la matérialité des faits relevés par le Conseil pour asseoir le grief n'est pas contestée ; que les extraits cités de la lettre d'information Tandem hebdo prouvent que le CSRB avait tenu des réunions ayant successivement abouti, dans un premier temps (15 mars 2002), à l'adoption d'une résolution tendant à ce que le coefficient moyen d'un adhérent Bouticycles s'établisse à 2 en 2005, dans un second temps (6 janvier 2003), à manifester l'intention de prendre des mesures pour faire respecter les tarifs qu'un tel coefficient impliquait ;
Considérant qu'il résulte des éléments relevés par le Conseil, et non contredits par les requérantes, que le CSRB était animé par le président et trois membres du directoire de la société Nethub, par le Président, le Directeur général et le Directeur commercial de la société José Alvarez et que, en 2002 et 2003, les dirigeants des sociétés Cycles et Sports Tilly, Revaxion et Sofretin comptaient parmi les détaillants adhérents du réseau qui en faisaient partie ;
Considérant, de ce qui précède, que les sociétés en cause ne peuvent raisonnablement soutenir qu'elles n'étaient pas impliquées dans le CSRB ;
Considérant qu'il ne peut être plus sérieusement prétendu que la résolution adoptée le 15 mars 2002 n'avait pas pour objet d'inviter les adhérents du réseau, destinataires de la lettre d'information Tandem hebdo, à calculer leurs prix de revente en sorte qu'ils correspondent au coefficient 2 ; que le CSRB, en annonçant explicitement son intention " de lancer des actions pour faire respecter les prix conseillés ", entendait bien que cette résolution n'en restât pas au stade d'un vœu, mais fût réellement appliquée ; que, à la lumière des autres éléments du débat révélateurs de l'inquiétude manifestée par les membres du réseau Bouticycles devant le constat des prix inférieurs pratiqués par d'autres distributeurs, ces résolutions ne peuvent se comprendre autrement que comme une action concertée pour maintenir un certain niveau de prix, ayant donc un objet anticoncurrentiel par lui-même ; que, l'intention des auteurs étant bien d'atteindre cet objet, le grief est établi indépendamment des effets de l'entente, quand même celle-ci n'aurait pas produit entièrement ceux qui étaient recherchés ;
Considérant, sans qu'il y ait lieu d'examiner si les coefficients figurant dans les conditions de vente de la société José Alvarez préexistaient aux résolutions examinées ou en ont été la conséquence ni si le coefficient 2 était économiquement justifié, que le grief a en définitive été retenu ajuste titre par le Conseil ;
Sur les sanctions :
Considérant que le Conseil a infligé, au titre de ce grief, les sanctions pécuniaires suivantes aux sociétés requérantes :
- Nethub : 10 300 euro,
- José Alvarez : 173 300 euro,
- Cycles et Sport Tilly : 3 400 euro,
- Revaxion : 10 400 euro,
- Sofretin : 8 200 euro ;
Considérant que l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce dispose que la sanction doit être proportionnée, notamment, à la gravité des faits reprochés et à l'importance du dommage causé à l'économie ; que le deuxième critère ne se confond pas avec le premier, de sorte que si, comme en l'espèce, le dommage causé à l'économie peut être qualifié de limité, les faits peuvent en eux-mêmes revêtir un caractère certain de gravité, comme c'est présentement le cas ainsi que l'a souligné le Conseil qui n'a donc pas méconnu l'obligation de proportionnalité ;
Considérant que, en se référant au chiffre d'affaires mondial, le Conseil a fait une juste application de l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce ;
Considérant enfin que, prenant en compte les éléments relatifs à la situation des entreprises, comprenant les procédures de sauvegarde ouvertes à l'égard des sociétés Nethub et José Alvarez, le Conseil a exactement apprécié les montants des sanctions prononcées contre ces sociétés ;
Considérant que les recours des sociétés Nethub, José Alvarez et de M. Caviglioli, ès qualités, et des sociétés Cycles et Sport Tilly, Sofretin et Revaxion seront en conséquence rejetés ;
Sur le recours de Time Sport International :
Considérant que Time Sport International ne conteste pas que la clause indiquant " Nos produits ne peuvent en aucun cas être exportés " a figuré dans ses conditions générales de vente en vigueur jusqu'au 11 avril 2005, date à laquelle cette clause a été supprimée ; que la matérialité des faits constitutifs du grief qui lui a été notifié d'avoir enfreint de ce chef les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du traité CE n'est donc pas discutée ;
Considérant que la requérante se borne à faire valoir devant la Cour, comme elle l'avait fait devant le Conseil, que la clause litigieuse, copiée sur le modèle d'un contrat appliqué par une société tierce, n'avait été fortuitement laissée dans ses propres conditions générales de vente que par simple négligence et qu'il existait de nombreux exemples d'exportation qui démontraient qu'elle n'avait au demeurant entraîné aucune limitation aux exportations ou aux échanges communautaires ;
Mais considérant que ces circonstances ne sont pas de nature à retirer le caractère anticoncurrentiel, en soi, de la clause litigieuse, laquelle, porteuse d'une interdiction d'exporter, entre de ce seul fait dans les prévisions de l'article L. 420-1,1°, du Code de commerce en ce qu'elle a pour objet, en elle-même, de limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
Considérant que le Conseil, eu égard au chiffre d'affaires annuel réalisé par Time Sport International, de loin inférieur à 40 millions d'euro, et à la part totale de cette entreprise sur le marché communautaire, inférieure à 5 %, a exactement jugé que le grief retenu contre cette société n'était pas susceptible de l'être au titre de l'article 81 du traité CE;
Considérant, de ce qui précède, que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a reconnu comme établi que la société Time Sport International avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'elle sera en revanche réformée par voie de rectification en ce que, en contradiction avec les justes motifs précédemment rappelés, et par suite d'une erreur purement matérielle, son dispositif mentionne également comme établie une infraction à l'article 81-1 du traité CE, étant observé que le Conseil n'a retenu à l'égard d'aucune des autres sociétés requérantes un grief au titre de l'article 81-1 du traité CE ;
Considérant, sur la sanction pécuniaire infligée, de 36 800 euro, que le Conseil, ayant souligné la gravité des faits reprochés, noté que le dommage à l'économie avait été limité, examiné la situation de Time Sport International et relevé qu'elle avait réalisé au cours de l'exercice clos au 31 juillet 2005 un chiffre d'affaires en France et mondial hors taxe de 14 719 721 euro, en a exactement apprécié le montant ; que les allégations de la requérante au sujet de la précarité de sa rentabilité et de sa trésorerie ne suffisent pas à justifier la réformation de la décision déférée sur ce point ;
Sur le recours de la société Look Cycle International :
Considérant qu'il est acquis au débat que, entre le 1er juillet 2003 et le 1er juillet 2004, les contrats de distribution dénommés D2, D1 ou " Corner " conclus entre la société Look Cycle International et ses distributeurs comportaient une clause rédigée comme suit : " Attention : chaque contrat Look D2, D1 ou Corner est accordé pour un et un seul point de vente déterminé par la raison sociale et l'adresse mentionnée sur ce présent contrat. Cet engagement est sous la responsabilité du responsable du magasin qui signe le contrat. Chaque magasin s'engage avec la marque Look par l'intermédiaire de l'un de ses contrats. Il s'engage aussi à ne pas redistribuer de produits Look sous forme de rétrocession ou d'échange à d'autres magasins (sous contrat Look ou non) " ;
Considérant que Look Cycle International fait valoir que, ayant voulu reprendre en direct, à partir de juillet 2003, la commercialisation de ses produits qu'elle distribuait jusque-là par l'intermédiaire de la société José Alvarez, elle n'a fait que recopier à l'identique dans ses propres modèles de contrats, par négligence et à tort, la clause incriminée qui figurait dans les contrats élaborés par la société José Alvarez ;
Considérant, dès lors, le caractère illicite de ladite clause au regard des dispositions du règlement CE 2790-99 ayant déjà été examiné à propos du recours de la société José Alvarez, il est renvoyé sur ce point aux motifs correspondants ;
Considérant que c'est sans pertinence que la société Look Cycle International, qui n'est d'ailleurs pas en contradiction avec la décision du Conseil sur ce point, souligne que les contrats contenant la clause litigieuse n'étaient pas des contrats de distribution sélective ; qu'il résulte en effet des dispositions ci-dessus analysées du règlement que, si cette caractéristique avait été présente, l'exemption aurait profité aux contrats litigieux, ce qui n'autorise pas à conclure que, en son absence, l'exemption se trouverait de ce seul fait applicable ;
Considérant, au demeurant, que les explications de la société Look Cycle International selon lesquelles elle a spontanément supprimé la clause critiquée montrent qu'elle s'est rendu compte que cette clause entrait en effet dans le champ d'application des interdictions de pratiques anticoncurrentielles ;
Considérant que la société Look Cycle International doit répondre des clauses contenues dans les contrats qu'elle propose à ses distributeurs et ne peut donc utilement soutenir que telle d'entre elles s'y trouverait fortuitement ; que la recherche de la volonté réelle des parties à laquelle la société Look Cycle International invite la cour par application de l'article 1156 du Code civil ne s'imposerait que si la clause litigieuse comportait une ambiguïté, une contradiction ou une obscurité qui en dissimulerait le sens exact ; que tel n'est pas le cas en l'espèce où l'objet de la clause ressort clairement du texte comme l'interdiction faite au cocontractant de revendre et n'appelle aucune interprétation ;
Considérant enfin qu'une telle clause, qui tend à restreindre la liberté des acheteurs de revendre, a nécessairement un objet anticoncurrentiel, prohibé en soi ; que l'infraction à cette interdiction est constituée par la seule présence de la clause, indépendamment de ses effets, ainsi que cela résulte de la conjonction alternative " ou " dans le texte de l'article L. 420-1 du Code de commerce qui interdit les ententes qui " ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché " ; qu'il serait au demeurant hasardeux d'affirmer que tous les cocontractants de la société Look Cycle International se seraient, malgré cette clause, regardés comme absolument libres de revendre sans restriction à qui bon leur semblerait, seule condition qui permettrait de prétendre que la clause litigieuse n'aurait eu aucun effet ; que si ces effets sont restés limités, cette réalité ne peut être prise en compte que dans l'appréciation de la sanction ;
Considérant que c'est donc ajuste titre que le Conseil a retenu comme établie l'infraction à l'article L. 420-1 du Code de commerce reprochée à la société Look Cycle International;
Considérant que le Conseil, eu égard au chiffre d'affaires annuel réalisé par la société Look Cycle International, soit 24,8 millions d'euro pour l'exercice 2003, en tout cas inférieur à 40 millions d'euro, et à la part totale de cette entreprise sur le marché communautaire, inférieure à 5 %, a exactement jugé que le grief retenu contre cette société n'était pas susceptible de l'être au titre de l'article 81 du traité CE ;
Considérant, sur la sanction pécuniaire de 63 600 euro infligée à la société Look Cycle International, que le Conseil a apprécié la gravité des faits reprochés à cette société en indiquant que l'insertion, dans des contrats de distribution, de clauses prohibant les ventes entre distributeurs revêtait " un caractère certain de gravité " ; qu'il a constaté, au terme d'une recherche du dommage causé à l'économie par l'ensemble des pratiques en cause, " que le dommage créé par la mise en œuvre de ces pratiques a été limité et n'a pas fortement pénalisé le consommateur, ni en terme de prix, ni en terme de qualité et de variété des produits offerts " ; que la société Look Cycle International n'est donc pas fondée à prétendre que le Conseil n'aurait pas appliqué le principe de proportionnalité énoncé par l'article L. 462-4, 1, alinéa 3, du Code de commerce ;
Considérant que le Conseil a déterminé la sanction prononcée contre cette société en prenant en compte, outre les paramètres précédemment indiqués, son chiffre d'affaires mondial au cours de l'exercice clos au 30 juin 2005, soit 25 444 745 euro et l'ensemble des éléments généraux et individuels constatés précédemment ; que la seule circonstance que le Conseil ait retenu, pour calculer le montant de la sanction prononcée, un pourcentage du chiffre d'affaires égal à celui pris comme référence dans l'appréciation des sanctions prononcées contre d'autres parties dans la même cause ne suffit pas à caractériser le reproche de manquement à l'obligation d'individualiser la sanction prescrite par le même article du Code de commerce, la commune unité de mesure ne faisant pas l'unité de l'objet mesuré ;
Par ces motifs : Rejette les recours formés par la société de droit espagnol Bicicletas de Alava, la SAS José Alvarez, la SA Nethub, M. Christian Caviglioli, ès qualités d'administrateur judiciaire des sociétés José Alvarez et Nethub, la SARL Revaxion, la SARL Sofretin et la SARL Cycles et Sport Telly, la SA Time Sport International, SA Look Cycle International, contre la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-37 du 7 décembre 2006 ; Réformant cette décision par voie de rectification d'une erreur purement matérielle. Dit que l'article 3 de la décision déférée doit se lire abstraction faite de toute mention à l'article 81-1 du traité CE, Condamne les requérantes aux dépens.