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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 30 janvier 2006, n° 03-04399

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Falletti-Haenel

Conseillers :

Mme Kueny, M. Vignal

Avoués :

SELARL Dauphin & Mihajlovic, SCP Jean Calas

Avocats :

Mes Brasseur, Locatelli

TI Grenoble, du 18 nov. 2003

18 novembre 2003

Faits, procédure et moyens des parties :

L'association U, a relevé appel, le 18 décembre 2003 à l'encontre d'un jugement du Tribunal d'instance de Grenoble, en date du 18 novembre 2003 qui :

- l'a déboutée de l'ensemble des demandes qu'elle avait formées à l'encontre de la société et qui tendaient à voir déclarées illicites ou abusives quatre clauses figurant dans les contrats de mandat semi exclusif, à voir interdire ces clauses et à obtenir l'indemnisation de son dommage.

L'association U demande à la cour :

* de dire recevable et fondé son appel et son intervention volontaire au visa de l'article 329 du nouveau Code de procédure civile et des articles L. 132-1 et L. 421-1 et suivants du Code de la consommation,

* de dire illicites ou subsidiairement abusives les clauses suivantes :

1) la clause concernant les frais administratifs (article B 4),

2) la clause relative à l'expiration du mandat (articles 46 et 5),

3) la clause sur le non respect de ses obligations par le mandant (article 4 in fine),

4) la clause "Partner's & III" (mandat de vente semi exclusif),

* d'ordonner la suppression de ces clauses dans le mois de la décision à intervenir et ce, sous astreinte de 770 euro par jour de retard à l'expiration du délai ordonné,

* d'ordonner la publication de la décision dans les journaux Dauphiné Libéré, Les Petites Affiches de Grenoble, le 38, et ce, à concurrence de 1 600 euro par publication à la charge de la société I.

* et de condamner cette société à lui payer :

- pour le préjudice collectif : 6 200 euro,

- pour le préjudice associatif : 1 600 euro

* et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile 4 000 euro.

L'appelante rappelle que la société I fait signer par les propriétaires vendeurs de biens, notamment un mandat dit semi exclusif prévoyant des obligations respectives, que le 6 mars 1999 les époux P ont confié à cette agence la vente d'un bien situé à La Motte d'Aveillans et ont signé un mandat de ce type, que l'agence ayant failli à ses obligations, ils ont engagé une procédure, qu'elle-même est intervenue volontairement aux débats, et que le tribunal a rejeté à tort ses demandes.

La SARL I demande à la cour :

* de déclarer irrecevable la demande de l'association U dès lors que le mandat semi exclusif de vente a pris fin le 18 avril 2000, date à laquelle le bien immobilier des époux P a été vendu par son intermédiaire,

* de confirmer le jugement déféré,

* de débouter l'association U de ses demandes,

* et de la condamner à lui payer 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur P et Madame G n'ont pas constitué avoué.

Moyens des parties, motifs et décision :

Sur la recevabilité de l'appel :

L'action de l'association U est recevable en application des articles L. 421-1 et suivants et R. 411-2 du Code de la consommation, étant rappelé que l'article L. 421-6 modifié par l'ordonnance du 23 août 2001 dispose :

" Les associations mentionnées à l'article L. 421-1 ... peuvent agir devant la juridiction civile pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite au regard des dispositions transposant les directives mentionnées à l'article 1er...

Le juge peut, à ce titre ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d'une clause illicite ou abusive dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné au consommateur. "

La recevabilité de l'action de l'association U est indépendante de la durée du mandat signé par les époux P et la société I sera déboutée de ce chef de demande.

Sur la clause relative à l'indemnité compensatrice :

L'appelante expose que l'article 4 prévoit in fine "en cas de non respect des obligations énoncées ci avant au paragraphe a, b ou c, le mandant s'engage empressement à verser au mandataire en vertu des articles 1142 et 1152 du Code civil, une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue...", que les non respects visés concernent le refus de signer avec un acquéreur présenté par le mandataire, l'interdiction de traiter pendant 24 mois avec un acquéreur présenté par le mandataire et l'obligation de diriger sur le mandataire tous les acquéreurs reçus directement, que l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970 d'ordre public n'autorise un agent immobilier à obtenir une rémunération que si c'est par son entremise que l'acquéreur a été trouvé et si l'acte d'achat a été définitivement conclu, qu'à défaut, la clause est illicite car elle détourne l'interdiction légale, qu'au surplus elle est déséquilibrée au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, qu'en effet, une pénalité est prévue en cas d'inexécution contractuelle du consommateur alors qu'aucune pénalité n'est prévue en cas d'inexécution du mandat par le professionnel et que la commission des clauses abusives recommande la suppression de telles clauses.

La société I soutient que s'agissant d'une clause pénale, cette clause n'est pas illicite, que l'indemnité est rémunératrice des diligences accomplies par le mandataire qui ayant mené à bien sa mission acquiert ainsi son droit à rémunération, qu'il n'existe aucun déséquilibre puisque le mandataire qui n'exécute pas ses obligations ne peut prétendre à aucune rémunération, que la fin de l'article 6 a été tronquée par l'appelant, qu'il est prévu "toutefois lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle une commission sera due par le mandant même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause recevra application dans des conditions qui seront fixées par décret...., que cette clause n'est pas abusive puisque l'indemnité correspond à la juste rémunération.

Sur ce :

L'indemnité compensatrice prévue ne peut être assimilée à une rémunération déguisée dès lors qu'il est fait référence à l'article 1152 du Code civil, ce qui implique qu'elle peut être modérée.

Elle n'est prévue qu'en cas de faute caractérisée et spécifiée du mandant de sorte qu'elle ne crée pas un déséquilibre et le tribunal a décidé à bon droit qu'elle n'était ni illicite, ni abusive.

Sur la clause Partner's 1 III :

L'appelante relève qu'il est prévu " le mandant conserve la faculté de rechercher par lui-même un acquéreur, s'engageant à diriger sur le mandataire les demandes qui lui seront adressées personnellement. Dans le cas où la vente se réaliserait avec un acquéreur présenté par le mandant, la rémunération du mandataire serait automatiquement réduite dans les proportions indiquées au recto", que l'article 6 de la loi de 1970 exclut toute rémunération dans ce cas, que si l'acquéreur a été trouvé sans l'intervention du mandataire, celui-ci ne peut s'octroyer une rémunération, qu'il y a déséquilibre puisque la clause met à la charge du consommateur des obligations sans contrepartie et sans intérêt pour lui et que cette clause rend le consommateur captif.

La société I relève que cette possibilité est prévue par l'article 6 du la loi de 1970 et l'article 78 du décret du 20 juillet 1972 à la condition qu'une clause stipule expressément l'existence d'une rémunération, que la jurisprudence exige une mention très apparente, que cette rémunération diminuée est la contrepartie d'un travail réel et qu'il n'y a pas déséquilibre.

Sur ce :

Contrairement aux affirmations de l'appelante la loi de 1970 prévoit la possibilité d'une rémunération en l'absence d'intervention du mandataire. Dès lors que la clause qui prévoit cette rémunération réduite est claire, très lisible, sans ambiguïté et qu'il existe une contrepartie parfaitement définie, la clause dont s'agit n'est ni illicite, ni abusive et la demande de l'association U a été rejetée à bon droit par le premier juge.

Sur la clause relative aux frais administratifs :

La clause B & 4 prévoit parmi les pouvoirs donnés par le mandant au mandataire :

"Réclamer toutes pièces, actes et certificats nécessaires au dossier auprès de toutes personnes privées ou publiques et effectuer, le cas échéant, toutes démarches administratives (division, urbanisme, déclaration d'intention d'aliéner exigées par la loi foncière etc...) Soit par lui même, soit par le notaire du mandant, les frais administratifs exposés restant à la charge du mandant".

L'association U estime que ni le caractère nécessaire, ni le coût déterminable des démarches ne sont avérés, qu'il existe une ambiguïté sur les pouvoirs donnés et qu'il conviendrait que les frais irrépétibles soient inventoriés et qu'une estimation soit proposée.

La société I réplique que le mandant devra de toute façon régler ces frais, qu'il ne s'agit que de formalités strictement nécessaires en vue de la réalisation de l'opération de vente de l'immeuble, qu'il ne peut y avoir aucune surprise puisqu'elle est tenue à une obligation de conseil, que les frais sont déterminables et qu'il n'existe aucun déséquilibre.

Sur ce :

La clause litigieuse mentionne comme démarches administratives (division, urbanisme, déclaration d'intention d'aliéner exigée par la loi foncière etc...).

La décision de division, n'est pas une démarche administrative nécessaire car seul le propriétaire d'un immeuble peut la prendre et même si une possibilité de division existe sans qu'il le sache et que cette décision est favorable à ses intérêts, il ne peut autoriser à priori le mandataire à engager des frais en ce sens, étant observé qu'une division peut entraîner des frais importants notamment de géomètre et que le mandant n'en est pas informé.

La notion de "nécessité ou d'utilité" est extrêmement contingente et variable et cette référence rend la clause ambigüe, ce qui lui confère un caractère abusif.

Il convient, en conséquence, de déclarer cette clause non écrite.

Sur l'expiration du mandat :

Aux termes de l'article 4 b le mandant s'interdit pendant la durée du mandat et dans les 24 mois suivant son expiration de traiter directement ou indirectement avec un acquéreur ayant été présenté par le mandataire ou ayant visité les locaux avec lui et aux termes de l'article 5 après expiration du mandat, et pour le cas où les biens seraient toujours disponibles à la vente, le mandant s'oblige pendant une durée de 24 mois suivant l'expiration du mandat à informer immédiatement le mandataire de toute transaction conclue en lui notifiant par lettre recommandée, les nom et adresse de l'acquéreur et du notaire chargé d'authentifier la vente.

L'appelante estime que ces clauses sont abusives car elles limitent les droits du propriétaire dans des conditions excessives, notamment quant à la durée et alors que le contrat est expiré.

Elle souligne que prévoir une rémunération pour le professionnel jusqu'à 4 ans et demi après la signature du mandat est contraire à la disposition de la loi de 1970 qui ne permet une rémunération que si en exécution du mandat, le professionnel a rempli son obligation d'entremise et fait signer l'acte.

La société I fait valoir que ces clauses ont pour fonction de prémunir le mandataire contre la mauvaise foi du mandant et qu'elles ne revêtent aucun caractère abusif.

Sur ce :

Les droits des propriétaires ne sont limités qu'à l'égard des personnes qui ont été présentées par le mandataire, de sorte qu'il n'y a aucun déséquilibre dans les droits et obligations des parties, le risque de fraude très important justifiant cette restriction.

Au vu de ce qui précède seule la clause relative aux pouvoirs du mandataire B 7° sera déclarée abusive.

Elle devra être supprimée dans le délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt, à peine passé ce délai d'une astreinte provisoire de 100 euro par jour de retard.

Il convient d'allouer à l'association U la somme de 1 000 euro au titre du préjudice collectif, celle de 500 euro au titre du préjudice associatif et une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les circonstances de la cause ne justifient pas la publication de l'arrêt.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare recevables l'action et l'appel de l'association U, Confirme le jugement déféré excepté en ce qu'il a débouté l'association U de sa demande relative aux pouvoirs du mandataire B 4°, L'infirme de ce chef, Statuant à nouveau : Dit que cette clause est abusive et qu'elle devra être supprimée dans le délai de 3 mois à compter de la signification du présent arrêt, à peine passé ce délai d'une astreinte de 100 euro par jour de retard, Condamne la société I à payer à l'association U, * la somme de 1 000 euro (mille euro) en réparation de son préjudice collectif, * celle de 500 euro (cinq cent euro) en réparation de son préjudice associatif ; * et celle de 1 500 euro (mille cinq cent euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déclare l'association U du surplus de ses demandes, Dit que les dépens de première instance et d'appel seront partagés à hauteur des 3/4 pour l'appelante et de 1/4 pour l'intimée, avec application au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.