CA Lyon, 3e ch. civ., 10 février 2005, n° 03-02404
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Torelli (ès qual.), Plastiques JP (SARL)
Défendeur :
Neyriat (SARL), Albatica (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martin
Conseillers :
M. Santelli, Mme Miret
Avoués :
SCP Dutrievoz, SCP Baufume-Sourbe
Avocats :
Mes Adjedj, Stouls, Gardette
Faits, procédure et prétentions des parties
La société Plastiques JP est titulaire d'un modèle déposé de flotteur d'hivernage et d'un moule destiné à le fabriquer. Monsieur Baudry, gérant, en est associé égalitaire avec Monsieur Carmine Scalese, tous deux également associés égalitaires de la société Jefer, dans laquelle Monsieur Baudry était directeur technique. Le 9 février 2001, la société Plastiques JP, représentée par Monsieur Baudry, a signé une convention avec la SARL Jefer, représentée par Monsieur Carmine Scalese. Aux termes de cette convention, la société Plastiques JP se chargeait d'acquérir une machine capable de fabriquer ces flotteurs, de financer sa mise en état et son adaptation, de fournir tous les produits nécessaires à l'emballage et de financer les frais de transport et d'assignation de ses clients. La société Jefer, quant à elle, s'engageait à fabriquer les flotteurs d'hivernage avec la machine mise à disposition, à financer les achats de matière plastique, à procéder aux opérations de lestage, de conditionnement de pièces...
La société Plastiques Neyriat a été créée le 10 avril 2001. L'un des associés en est Monsieur Joseph Scalese, frère de Monsieur Carmine Scalese, dont il n'est pas contesté qu'il serait le gérant de fait.
Pour fabriquer le flotteur litigieux, en plastique, il faut donc une machine spécifique et un moule. Le présent litige porte à la fois sur la contrefaçon du modèle déposé par la société Plastiques JP, sur la propriété du moule destiné à le fabriquer, et sur la concurrence déloyale à laquelle se serait livrée la société Plastiques Neyriat.
La société Jefer affirmant en octobre 2001 que la machine destinée à la fabrication des flotteurs dans le cadre de la convention susvisée était en panne, la société Plastiques JP a fait établir, le 12 novembre 2001 dans les locaux de la société Jefer, un constat d'huissier qui a relevé qu'un moule métallique deux empreintes de flotteurs d'hivernage était monté sur une souffleuse et se trouvait en cours d'exploitation. Monsieur Carmine Scalese, gérant de la société Jefer et présent sur les lieux, a confirmé à l'huissier "que l'ensemble de ce matériel est la propriété de la société Plastiques JP et autorise son enlèvement dès cet après-midi." La société Jefer, qui n'est pas partie à l'instance, a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 22 mars 2002. La société Plastiques JP a alors déclaré sa créance et déposé une requête en revendication du moule destiné à la fabrication de ces flotteurs, le 26 mars 2002.
Un procès-verbal de constat était dressé le 23 avril 2002 dans les locaux de la société Plastiques Neyriat, en présence du gérant de droit, de Monsieur Joseph Scalese et de Monsieur Carmine Scalese. Le gérant, Monsieur Soares, déclare utiliser le moule de flotteurs susvisé (appartenant à la société Plastiques JP), monté sur une souffleuse depuis une quinzaine de jours. La machine est, à ce moment précis, arrêtée, mais des flotteurs sont à l'intérieur du moule. Monsieur Scalese (sans précision du prénom) déclare que le moule revendiqué n'est pas la propriété de la société Plastiques JP mais appartient à la société SSM Limited, selon courrier joint du 18 janvier 2002 du gérant de cette société, Monsieur Thomas Steinmann. Outre les 1 200 flotteurs fabriqués répartis sur des palettes à l'intérieur des locaux, 10 000 flotteurs sont stockés.
Le 25 juillet 2002, le Président du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, saisi par la société Plastiques JP, constate qu'il existe une contestation sérieuse et la renvoie au fond, il convient de souligner que les défenderesses étaient la société Plastiques Neyriat et la société SSM Limited, défaillante.
Sur ordonnances du Président du Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse des 13 et 20 septembre 2002, la société Plastiques JP fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Plastiques Neyriat et de la société Albatica. Cette dernière société est titulaire d'un contrat de distribution exclusive avec la société Plastiques Neyriat et commercialise des flotteurs d'hivernage en plastique. Monsieur Soares, gérant de la société Plastiques Neyriat, indique à l'huissier que la fabrication actuelle des flotteurs est faite à partir d'un moule deux empreintes réalisé par Monsieur Jean Jacquenod demeurant à Oyonnax début mai 2002. Le moule utilisé précédemment, lors du constat du 23 avril 2002, a été restitué à la société SSM son propriétaire. 1 200 flotteurs sont identifiés comme ayant été fabriqués à l'aide du premier moule, 7 350 sont stockés à l'intérieur de l'atelier et 4 032 à l'extérieur du bâtiment, le tout devant être commercialisé par la société Albatica, seule destinataire de ces fabrications. Monsieur Houze, Président directeur général de la SA Albatica, lors des opérations de saisie contrefaçon, a indiqué qu'il ne commercialisait pas les flotteurs correspondant aux modèles figurant sur les photos mais des modèles fabriqués par la société Plastiques Neyriat.
La société Plastiques JP a alors assigné, par exploit du 30 octobre 2002, la société Plastiques Neyriat et la société Albatica devant le Tribunal de commerce de Lyon notamment en interdiction de commercialiser des flotteurs argués de contrefaçon, leur confiscation et leur destruction et sa condamnation à des dommages et intérêts, subsidiairement en désignation d'un expert.
Par jugement du 26 mars 2003, le Tribunal de commerce de Lyon a débouté la société Plastiques JP de toutes ses demandes, condamné la société Plastiques JP à verser à la société Plastiques Neyriat la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 100 000 euro pour le préjudice économique causé, condamné la société Plastiques JP à verser à la société Albatica la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts toutes demandes confondues, et a condamné la société Plastiques JP à verser à la société Plastiques Neyriat et à la société Albatica la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ordonné la publication du jugement.
Par déclaration remise au greffe de la cour le 14 avril 2003, la société Plastiques JP a interjeté appel de ce jugement.
Par jugement du 20 juin 2003, la société Plastiques JP était mise en liquidation judiciaire.
Par conclusions reçues au greffe de la cour le 13 octobre 2004 et auxquelles il est expressément renvoyé pour un complet exposé des demandes et des moyens, maître Frédéric Torelli, en qualité de mandataire liquidateur de la société Plastiques JP, demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées par la société Plastiques Neyriat et par la société Albatica, sa réformation pour le surplus, que les sociétés Plastiques Neyriat et Albatica soient déboutées de leur demande en nullité de modèle déposé, qu'il soit jugé que ces deux sociétés ont commis des actes de contrefaçon du modèle déposé, qu'il leur soit fait interdiction sous astreinte de 100 euro par infraction constatée de fabriquer, exposer, vendre des modèles de flotteurs reproduisant les caractéristiques du modèle déposé, que soit ordonnée la confiscation et la destruction des objets contrefaisants aux frais des intimées, que soit désigné un expert afin d'évaluer son entier préjudice, dans cette attente que les sociétés Plastiques Neyriat et Albatica soient condamnées à verser une indemnité provisionnelle de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour les faits de contrefaçon; en tout état de cause, qu'il soit constaté que les sociétés Plastiques Neyriat et Albatica se sont livrées à une concurrence déloyale, qu'elles soient condamnées à lui verser 100 000 euro à titre de dommages et intérêts, que la présente décision soit publiée; que la société Plastiques Neyriat soit condamnée à lui restituer le moule de flotteur sous astreinte de 100 euro par jour de retard; subsidiairement, qu'un expert soit désigné pour déterminer si le moule apparaissant sur le procès-verbal de saisie contrefaçon est le moule lui appartenant et s'il a été modifié; la condamnation des sociétés Plastiques Neyriat et Albatica à lui verser 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir notamment au fond que le modèle déposé était parfaitement protégeable au titre de la propriété industrielle; que les éléments protégés à l'exception des incrustations sont reproduits sur le modèle présumé contrefaisant; que la société Plastiques Neyriat a récupéré son moule auprès de la société Jefer que Monsieur Joseph Scalese, frère de Monsieur Carmine Scalese, était présent dans les locaux de la société Plastiques Neyriat lorsque l'huissier s'est présenté; que la société Albatica s'est également livré à la contrefaçon des flotteurs en procédant à leur vente; que son préjudice correspond au nombre de flotteurs contrefaisants trouvés dans les locaux de la société Plastiques Neyriat et de la société Albatica, outre le nombre de flotteurs devant être vendus conformément au contrat; que la réparation du préjudice permettrait à la société Plastiques JP de régler ses créanciers; que les intimées se sont livrées à un véritable parasitisme commercial.
Par conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 9 décembre 2004 et auxquelles il est expressément renvoyé pour un complet exposé des demandes et des moyens, la société Plastiques Neyriat demande la nullité du modèle et le débouté de maître Torelli, ès qualités, de toutes ses prétentions; subsidiairement, qu'il soit dit n'y a voir lieu à contrefaçon; que le jugement soit confirmé pour le surplus; que sa créance soit fixée à la somme de 102 000 euro en réparation du préjudice économique subi; que maître Torelli, ès qualités, soit condamné à lui verser 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir notamment que Monsieur Carmine Scalese est associé égalitaire de la société Plastiques JP; qu'ils sont également tous deux associés égalitaires de la société Jefer, actuellement en liquidation judiciaire; que les faits ont été déformés par le gérant de la société Plastiques JP; que depuis août 2001, la machine et le moule sont installés dans la société Jefer avec l'accord du gérant de la société Plastiques JP; que le modèle est nul, une forme ne pouvant bénéficier de la protection des modèles si elle est dictée par la fonction qu'elle exerce; qu'il ne présente pas non plus de caractère nouveau ou/et original; subsidiairement, qu'il n'y a pas contrefaçon, le flotteur ne reprenant que des caractéristiques provenant du domaine public, imposées par des nécessités fonctionnelles et dénuées d'originalité et/ou de nouveauté; que la copie servile n'est pas établie; que la parasitisme n'est pas démontré; que la société Plastiques JP ne justifie pas d'un préjudice; que le moule appartient à la société SSM et lui a été restitué par Monsieur Carmine Scalese; que le moule en sa possession a été réalisé par Monsieur Jean Jacquenard; que le préjudice économique résulte des commandes suspendues ou annulées.
Par conclusions reçues au greffe de la cour le 20 avril 2004 et auxquelles il est expressément renvoyé pour un complet exposé des demandes et des moyens, la société Albatica demande la confirmation du jugement en toutes ses dispositions lui étant favorables, que le modèle soit déclaré nul et que toutes les demandes fondées sur ce modèle soient rejetées; subsidiairement, qu'il soit jugé n'y avoir contrefaçon et que la société Plastiques JP soit déboutée de toutes ses demandes à ce titre; qu'elle soit déboutée de son action en concurrence déloyale; à titre incident, que soit fixée au passif de le la société Plastiques JP la créance de dommages et intérêts à hauteur de 100 000 euro; que soit ordonnée la publication de la décision; que maître Torelli, ès qualités, soit condamné à lui verser 15 000 euro à titre de dommages et intérêts et 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir notamment qu'elle vend des flotteurs d'hivernage depuis 20 ans; qu'elle s'est trouvée mêlée à un conflit entre deux anciens associés; qu'elle s'associe aux moyens développés par la société Plastiques Neyriat pour la nullité du modèle et, subsidiairement, pour l'absence de contrefaçon; qu'à supposer avérés les actes de concurrence déloyale, elle y est totalement étrangère; qu'elle a été contrainte de cesser toute commercialisation et par la suite gravement perturbée dans son activité; que l'appel est abusif.
La clôture, primitivement prévue le 12 octobre 2004, a été révoquée et reportée au 17 décembre 2004.
Motifs de la décision
A titre liminaire, il convient de souligner que la complexité des relations entre différentes personnes morales et physiques non parties à l'action, comme Monsieur Carmine Scalese, la société Jefer ou la société suisse SSM, succursale (sic) de la société SSM Limited, dont le siège social est à Hong Kong, entraîne une déformation des faits dont les deux principales parties relèvent l'existence mais à laquelle chacune participe. Le lien entre ces sociétés et la société Plastiques Neyriat, intimée, est Monsieur Carmine Scalese, qui revendique la création du modèle de flotteur antérieurement à son dépôt par la société Plastiques JP, mais qui est aussi un des principaux collaborateurs de la société suisse SSM, prétendu propriétaire du moule d'origine destiné à la fabrication des flotteurs. Monsieur Carmine Scalese n'est pas partie à l'action. De nombreuses allégations ne sont pas étayées par des preuves mais ne sont pas non plus véritablement contestées par la partie adverse. Ainsi en est-il de la fonction de gérant de Monsieur Baudry dans une SARL Socom, filiale de la société SSM, chargée de la commercialisation du flotteur, mais également de la situation de collaborateur de Monsieur Carmine Scalese de la société SSM. Il est à noter que les formalités de publicité auxquelles sont soumises les sociétés, au moins en France, ne sont quasiment jamais utilisées à titre de preuve, les parties s'évertuant là aussi à émettre des prétentions sans les justifier.
Afin de simplifier la présentation de l'analyse, c'est la société Plastiques JP qui sera nommément désignée dans le corps de l'arrêt, étant entendu qu'elle est représentée dans la présente procédure par maître Torelli, ès qualités.
Sur les exceptions de nullité
Devant le Tribunal de commerce de Lyon, la société Plastiques Neyriat et la société Albatica ont soulevé l'exception de nullité des notifications d'ordonnance et de procès-verbal de saisie contrefaçon. Ni l'une ni l'autre ne la soulèvent plus en appel, seule l'appelante en faisant état dans ses écritures. Dès lors, il n'y a pas lieu de statuer sur ce point, d'autant que la société Albatica, qui avait déclaré devant les premiers juges avoir engagé une action en référé de ce chef, n'allègue pas l'avoir fait.
Sur la validité du modèle déposé
Le modèle de flotteur déposé par la société Plastiques JP l'a été le 18 août 2000, soit avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 transposant en droit français la directive européenne n° 98-71-CE du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins et modèles. Il a même été déposé avant la date de transposition. Il est constant que l'appréciation des titres de propriété industrielle se fait au jour où le titre a été délivré. Elle reste donc soumise, en l'espèce, à la loi ancienne, malgré l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 25 juillet 2001.
Aux termes de l'ancien article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, sont protégeables tout dessin nouveau, toute forme plastique nouvelle, tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle. Mais si le même objet peut être considéré à la fois comme un dessin ou modèle nouveau et comme une invention brevetable et si les éléments constitutifs de la nouveauté du dessin ou modèle sont inséparables de ceux de l'invention, ledit objet ne peut être protégé qu'au titre des brevets d'invention. Bien qu'elle invoque l'alinéa 2, la société Plastiques Neyriat ne va pas jusqu'au bout de son raisonnement, puisqu'elle considère, en tout état de cause, que les caractères de nouveauté et d'originalité n'existent pas.
Le dépôt de la société Plastiques TP comporte une simple reproduction du flotteur, avec la nature de l'objet, la description, facultative, n'ayant pas été faite. Si l'on se reporte à l'avis émis par l'expert commis par la société Plastiques JP, les éléments protégés par le dépôt sont:
2-1 la forme générale du corps, notamment ses proportions définies par sa hauteur et son épaisseur;
2-2-1 la section du module de lestage, à savoir un carré dont les coins sont arrondis;
2-2-2 les incrustations figurant sur les grandes surfaces verticales du module de lestage;
2-3-1 les proportions du module d'absorption;
2-3-2 les incrustations figurant sur les grandes surfaces verticales du module d'absorption;
2-4 les proportions de l'élément de liaison;
2-5 la disposition des moyens d'assemblage qui ne débouchent pas sur la face supérieure du module d'absorption, ces moyens figurant en effet à mi-hauteur du module.
Ces éléments peuvent permettre d'apprécier la nouveauté et l'originalité, la nouveauté étant l'élément déterminant, puisque sans nouveauté il n'y a pas création. Les caractères esthétiques ou ornementaux ne sauraient entrer en ligne de compte dès lors qu'il y a nouveauté et qu'est seule revendiquée la protection à titre de modèle. Tout au plus, les éléments relatifs à la forme générale du corps (2-1), aux proportions (2-3-1 et 2-4) et à la section du module de lestage (2-2-1), ne sont pas nouveaux comme apparaissant sur la plupart des flotteurs figurant dans les catalogues antérieurement au dépôt. Les incrustations destinées à la publicité (2-2-2 et 2-3-2) n'apparaissent pas déterminantes quant au caractère de nouveauté. La nature-même du support, le plastique, permet de coller n'importe quelle publicité sans qu'aucun espace ne lui soit réservé à l'avance. D'autre part et surtout, s'agissant de flotteurs d'hivernage, ils sont en général recouverts par une bâche protectrice, ainsi que le montrent les extraits de catalogues et de revues versés aux débats, ce qui enlève tout intérêt à la possibilité d'y apposer une publicité. Le seul élément caractéristique mais suffisant est donc la disposition des moyens d'assemblage qui ne débouchent pas sur la face supérieure du module d'absorption, ces moyens figurant en effet à mi-hauteur du module (2-5), élément important car très visible, étant rappelé que l'appréciation de la nouveauté nécessite la prise en considération de l'ensemble du modèle et non chacun de ses éléments pris isolément. Le flotteur protégé doit donc se distinguer de ses similaires, et sa nouveauté sera reconnue tant qu'une antériorité de toutes pièces n'a pas été produite. Le seul flotteur qui ressemble à s'y méprendre au modèle déposé, est le modèle SSM 1999, qui renvoie pour preuve de sa date à des factures non identifiées et qui, si l'on compare à d'autres factures produites dans le dossier, ne comportent aucun descriptif ni aucune référence permettant d'une manière quelconque d'affirmer qu'il s'agit du flotteur SSM 1999. La société Plastiques Neyriat produit, par ailleurs, un dessin figurant en pièce 43 (avec le tampon de la société Plast Euro Concept) non daté, dont Monsieur Carmine Scalese s'attribue la création au vu de mentions manuscrites émanant de lui, alors-même que seule la page précédente (avec le tampon de la SA Aqualux) comporte une date antérieure au dépôt de la société Plastiques JP, très difficile à lire mais antérieure à 2000. Si l'on se reporte au "business plan" de la société SSM, il apparaît que Monsieur Carmine Scalese est un spécialiste du bois, depuis 1975. En 1991 il a créé Scalese SARL, société de fabrication de palettes et il va d'ailleurs déposer deux brevets d'invention de plots en bois en 1993 et en 1996. Il apparaît également que la société SSM, dans le cadre de son projet NWA (New Wood Application), qui comme son nom l'indique est lié au bois, s'intéresse avant tout au marché du plot en bois, de façon étonnante et très subsidiairement aux flotteurs de piscine en plastique... Le sous-titre du projet NWA est d'ailleurs : Plots et palettes "Les piliers de demain". La lecture attentive des pièces du dossier permet de constater que c'est le produit de lestage du flotteur qui est en cause, produit composite mis au point par la société Jefer et/ou Monsieur Carmine Scalese et/ou la société SSM.
A défaut de date certaine d'une création antérieure de Monsieur Carmine Scalese, ces éléments militent en faveur de la création du flotteur par la société Plastiques JP par l'intermédiaire de Monsieur Baudry, qui, contrairement à Monsieur Carmine Scalese, a des connaissances techniques particulières dans le domaine des plastiques, puisqu'il a été directeur technique et chargé du suivi de la fabrication des flotteurs par la société Plast Euro Concept, sous-traitant. En tout état de cause, on peut s'étonner que Monsieur Carmins Scalese, omniprésent dans la procédure et donc parfaitement informé de son évolution, s'il estimait avoir un droit sur le modèle, n'ait pas exercé une action en revendication, qui se prescrit par trois ans à compter de la publication de l'enregistrement. Or, il ne l'a pas fait et il a, par contre, déposé une demande de modèle à son tour le 31 mai 2002, modèle cette fois quasiment identique à celui de la société Plastiques JP, ce qui tend à prouver qu'il estimait cette création protégeable.
Le dépôt donne date certaine au déposant, soit le 18 août 2000, alors que la société Plastiques Neyriat invoque la mise en vente en 1999, sans précision de la date, d'un flotteur similaire si ce n'est identique. Faute de preuve de date certaine pour la création revendiquée par la société Plastiques Neyriat, le dépôt de modèle effectué par la société Plastiques JP doit être considéré comme valable. La décision entreprise sera réformée en conséquence.
Sur la contrefaçon
En ce qui concerne les actes de contrefaçon eux-mêmes, ce sont désormais les articles du Code de la propriété intellectuelle tels que modifiés par l'ordonnance du 25 juillet 2001 qui s'appliquent. Aux termes de l'article L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle, la protection conférée par l'enregistrement d'un dessin ou modèle s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente.
Les modèles présentés à la cour, et dont les photographies figurent dans le dossier, se ressemblent d'une façon étonnante, par les dimensions, par les proportions, par l'emplacement des attaches au niveau de la ligne de flottaison, et bien évidemment par la matière et par la couleur. Parmi tous les flotteurs présentés dans les pièces, que ce soit des catalogues ou des revues, ce sont les deux seuls qui se ressemblent autant. Ces ressemblances ne sont pas la conséquence d'une destination ou d'une fonction commune, puisqu'il suffit de se reporter à ces pièces pour constater, par exemple et de façon déterminante, que les proportions ne sont pas les mêmes pour tous les flotteurs et que le système d'attache n'est jamais situé à cet endroit. Il ne s'agit donc pas de la reprise du genre. La contrefaçon s'appréciant selon les ressemblances et non selon les différences, l'infraction doit dès lors être retenue à l'encontre des deux sociétés intimées. Il n'est pas contesté que des modèles de flotteurs dont la validité vient d'être confirmée ont été fabriqués et mis en vente par la société Plastiques Neyriat et par la société Albatica. Aux termes de deux saisies-contrefaçon effectuées entre leurs mains par le titulaire du modèle, les produits fabriqués et stockés ont été bloqués. Ils sont donc déjà confisqués, mais ils devront être détruits.
Conformément à l'article L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle, il sera fait interdiction aux deux intimées à compter de la signification du présent arrêt de fabriquer, exposer, vendre des modèles de flotteurs d'hivernage reproduisant les caractéristiques du modèle déposé par la société Plastiques JP. L'astreinte sera fixée à 50 euro par infraction constatée.
Sur le préjudice
La désignation d'un expert ne doit pas pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve. Dès lors, il ne peut être fait droit à la demande formée par la société Plastiques JP. A défaut d'autres justifications, l'indemnisation du préjudice au titre de la contrefaçon se fera sur la base du nombre de flotteurs saisis, soit 12 582 dans les locaux de la société Plastiques Neyriat et 4 000 dans les locaux de la société Albatica (soit 16 palettes de 250 flotteurs environ). Si l'on tient compte à la fois du prix de revient de 0,98 euro, du prix fixé par les deux sociétés intimées entre elles, soit 1,04 euro et du prix de revente de 2,13 euro, on peut retenir une indemnisation de 1 euro par flotteur pour chacun des contrefacteurs.
Sur la propriété du moule
Différente de la question de contrefaçon du modèle est celle de la propriété du moule qui a servi à fabriquer les flotteurs. Il est versé aux débats deux lettres de Monsieur Thomas Steinmann, gérant de la société SSM, l'une du 14 novembre 2001, l'autre du 18 janvier 2002, qui affirme être propriétaire des moules utilisés. Ces lettres sont arguées de faux par la société Plastiques JP. Il s'agit de copies de lettres simples, dont l'une n'est pas signée, dont l'authenticité et l'origine restent incertaines. La confusion la plus extrême recouvre ce moule qui se serait d'abord trouvé dans les locaux de la société Jefer, qui en aurait été retiré le 18 février 2002 par la société Plastiques Neyriat (peu de temps avant la liquidation judiciaire de la société Jefer) et qui aurait été rendu par Monsieur Carmine Scalese le 30 avril 2002 à la société SSM, selon une attestation de celui-ci datée du 6 décembre 2003. Il convient de se rappeler que le juge des référés, saisi par la société Plastiques JP de la restitution du moule, s'était déclaré insuffisamment informé et confronté à une difficulté sérieuse. Force est de constater que les données ne sont guère plus claires aujourd'hui. La société Plastiques JP fournit une facture provenant d'une société espagnole, concernant un moule qui a dû effectivement servir à fabriquer les flotteurs litigieux. Le prix, le financement, la fabrication correspondent à la période de conception du flotteur avant le dépôt du modèle. La convention signée le 9 février 2001 entre la société Plastiques JP et la société Jefer mentionne la machine et les moules comme étant la propriété de la société Plastiques JP, c'est ce qu'avait d'ailleurs retenu le Tribunal de commerce de Nîmes saisi du litige opposant alors la société Plastiques JP et la société Jefer. Mais la société Plastiques JP ne démontre pas que le moule utilisé par la société Plastiques Neyriat est le moule qu'elle a fait fabriquer à l'origine. Il existe, au contraire, une présomption de restitution, compte tenu de la production de documents concordants provenant de la SSM et du transporteur ayant assuré la livraison du moule. D'ailleurs, la société Plastiques JP demande subsidiairement la désignation d'un expert qui serait chargé de vérifier la modification éventuelle du moule détenu. Cette demande, destinée à pallier la carence de la preuve, ne saurait lui être accordée, d'autant que l'expertise se heurterait elle aussi à l'impossibilité de comparer avec le modèle d'origine.
Compte tenu de ces nombreuses incertitudes, il ne peut être fait droit à la demande de restitution formée par la société Plastiques JP
Sur la concurrence déloyale
L'action en contrefaçon et l'action en concurrence déloyale procèdent de causes distinctes. Des demandes peuvent donc être formées en parallèle aux deux titres, il est constant que constitue un acte de concurrence déloyale la copie servile qui crée une confusion dans l'esprit des clients, il est démontré en outre en l'espèce, que le flotteur contrefaisant est vendu à un prix bien inférieur au prix pratiqué par le déposant. La vente des flotteurs s'est effectuée dans le cadre d'un contrat de distribution exclusive, alors que la société Albatica avait été mise en garde par la société Plastiques JP elle-même sur la contrefaçon avant qu'elle ne pratique une saisie. Il s'agit donc de professionnels avertis qui avaient conscience de l'existence d'un problème et qui ont maintenu leurs pratiques. Le litige est accentué du fait de la détention d'un moule dont la propriété est contestée, et qui a permis de fabriquer des flotteurs identiques à quelques détails près.
Les faits de concurrence déloyale sont donc avérés de la part des deux sociétés intimées. La décision entreprise sera complétée en conséquence.
Sur le préjudice
Le préjudice résultant de la concurrence déloyale doit être réparé de façon distincte. La société Plastiques JP évalue son préjudice à la somme de 100 000 euro pour chacune des sociétés. Pour le justifier, elle verse aux débats des extraits de comptes sociaux de l'exercice 2000-2001 et de l'exercice 2001-2002, étant rappelé qu'elle a été mise en liquidation judiciaire le 20 juin 2003, la date de cessation de paiements ayant été fixée au 17 juin 2003. Au vu de ces documents, le résultat de l'exercice a diminué de 29 741 euro, le résultat de l'exercice 2000-2001 n'ayant été que de 6 038 euro. Même en admettant que la marge brute est de 45 % environ, il ne saurait être prétendu à une telle indemnisation, il résulte des faits de la cause qu'il sera fait une juste appréciation du montant de la réparation du préjudice en allouant à la société Plastiques JP une somme de 10 000 euro à la charge de chacune des sociétés. La décision entreprise sera complétée en ce sens.
Sur les frais et les dépens
L'équité commande que la totalité des frais irrépétibles ne soit pas laissée à la charge de la société Plastiques JP. Il lui sera alloué 2 000 euro à ce titre de la part de chacune des sociétés intimées.
Les sociétés Plastiques Neyriat et Albatica, qui succombent en leurs demandes, seront condamnées aux dépens qui seront tirés en frais privilégiés de procédure.
Par ces motifs, LA COUR, Réforme la décision entreprise en toutes ses dispositions; Et statuant à nouveau, Dit que les sociétés Plastiques Neyriat et Albatica se sont livrées à des actes de contrefaçon du modèle déposé par la société Plastiques JP sous le n° 004820; Condamne la société Plastiques Neyriat à verser 12 582 euro à maître Torelli ès qualités de liquidateur de la société Plastiques JP à ce titre; Condamne la société Albatica à verser 4 000 euro à maître Torelli ès qualités de liquidateur de la société Plastiques JP à ce titre; Dit que les sociétés Plastiques Neyriat et Albatica se sont livrées à des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Plastiques JP; Condamne la société Plastiques Neyriat et la société Albatica à verser chacune la somme de 10 000 euro à maître Torelli ès qualités de liquidateur de la société Plastiques JP à ce titre; Rejette la demande de la société Plastiques JP en restitution du moule; Rejette la demande de la société Plastiques JP en désignation d'un expert; Ordonne la destruction des flotteurs saisis auprès des sociétés Plastiques Neyriat et Albatica dans le cadre des procédures de saisie-contrefaçon; Fait interdiction à la société Plastiques Neyriat et à la société Albatica à compter de la signification du présent arrêt de fabriquer, exposer, vendre des modèles de flotteurs d'hivernage reproduisant les caractéristiques du modèle déposé par la société Plastiques JP sous astreinte provisoire de 50 euro par infraction constatée ; Condamne la société Plastiques Neyriat et la société Albatica à verser chacune la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à Me Torelli, ès qualités; Condamne la société Plastiques Neyriat et la société Albatica aux dépens, qui seront recouvrés, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile par la SCP Dutrievoz, avoués.