CA Bordeaux, 2e ch., 17 janvier 2007, n° 06-01246
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Marc & Lucile (SCI), Emanuel
Défendeur :
AZ Export (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Saint-Arroman
Conseillers :
MM. Ors, Legras
Avoué :
SCP Gautier & Fonrouge
Avocat :
Me Bonnin
Par acte du 21 octobre 2003, la SARL AZ Export faisait assigner en référé et au fond devant le Tribunal de commerce de Libourne la SCI Marc et Lucile et Monsieur Jacques Emanuel aux fins, visant une concurrence déloyale, de voir ordonner la fermeture immédiate de l'activité exercée par Monsieur Jacques Emanuel, ordonner une expertise et condamner les défendeurs à lui payer tels dommages et intérêts à établir au vu du rapport d'expertise.
Par ordonnance de référé du 17 novembre 2003, le Président de la juridiction ordonnait une expertise confiée à Madame Jeanson-Leclercq avec mission de vérifier l'authenticité du bail entre la SARL AZ Export et la SCI Marc et Lucile et de son avenant, d'analyser la situation dans laquelle les deux activités sont exercées et de fournir tous éléments de nature à permettre l'évaluation d'éventuels préjudices.
Le rapport d'expertise ayant été déposé le 14 février 2005, la demanderesse sollicitait son homologation et, constatant la concurrence déloyale de ceux-ci à son égard, la condamnation conjointe des défendeurs à lui payer une somme de 18 900 euro en réparation de son préjudice.
La SCI Marc et Lucile et Monsieur Jacques Emanuel contestaient la compétence du tribunal de commerce au profit du Tribunal de grande instance de Libourne et, subsidiairement, concluaient au débouté faute de l'établissement d'une quelconque concurrence anti-contractuelle.
Par jugement du 7 février 2006, le tribunal a:
- constaté l'action en concurrence déloyale dont Monsieur Jacques Emanuel et la SCI Marc et Lucile se sont rendus coupables;
- condamné conjointement et solidairement ceux-ci à payer à la SARL AZ Export la somme de 6 500 euro en réparation du préjudice occasionné et celle de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SCI Marc et Lucile et Monsieur Jacques Emanuel ont interjeté appel le 7 mars 2006 de ce jugement dont, par uniques écritures du 5 juillet 2006, ils concluent à la réformation avec le débouté de toutes les demandes de l'intimée qui a régulièrement renoncé au bénéfice de la clause anticoncurrentielle du bail. Subsidiairement, ils contestent l'existence d'une quelconque concurrence anti-contractuelle et d'un quelconque préjudice pour la période où la clause aurait eu vocation à s'appliquer. Ils demandent la condamnation de l'intimée à leur payer 7 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et malicieuse et 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL AZ Export, intimée, a fait l'objet le 10 juillet 2006 d'une assignation avec dénonciation de conclusions à l'Etude d'Huissiers.
Motifs et décision
Attendu que les appelants ont renoncé à contester la compétence du tribunal de commerce au profit du Tribunal de grande instance de Libourne, cette contestation ne présentant aucun intérêt devant la cour.
Attendu que la SCI Marc et Lucile, propriétaire rue Paul Quibel à Coutras d'un ensemble immobilier comportant plusieurs locaux commerciaux occupés par des commerçants exerçant tous une activité d'antiquités, brocante ou vente de meubles, donnait à bail le 4 mai 2001 à la SARL AZ export, exerçant l'activité de négoce de meubles anciens et d'occasion et de brocante, un de ces locaux à compter du 1er mai 2001;
Qu'aux termes de ce bail, le bailleur s'obligeait à tenir les lieux clos et couverts selon l'usage, s'interdisait de louer ou d'exploiter directement ou indirectement dans l'immeuble dont faisaient partie les lieux loués un commerce similaire à celui du preneur et s'exonérait de toute responsabilité en cas d'interruption par force majeure de fourniture de gaz, etc...;
Qu'un avenant à ce bail était établi à la date du même jour aux termes duquel le preneur renonçait à la fois à demander au bailleur d'exécuter les travaux nécessités par l'état de vétusté des locaux et expressément à la clause obligation du bailleur;
Qu'il y était précisé que, du fait de cette renonciation, le bailleur pouvait louer à qui que ce soit ou exploiter directement dans l'immeuble un commerce similaire à celui du preneur.
Attendu qu'en octobre 2003, Monsieur Jacques Emanuel, gérant de la SCI Marc et Lucile, décidait d'exploiter personnellement un commerce d'antiquités-brocante dans un des locaux de l'immeuble appartenant à la SCI, mitoyen de celui occupé par la SARL AZ Export;
Que la SARL AZ Export lui faisait sommation ainsi qu'à la SCI Marc et Lucile d'avoir à cesser cette activité concurrente;
Qu'en première instance, visant la concurrence déloyale par détournement d'une partie de sa clientèle, la SARL AZ Export faisait état d'un préjudice qu'elle évaluait à 18 900 euro.
Attendu qu'il est ressorti de l'expertise contradictoire effectuée par Madame Jeanson-Leclercq, en dehors de considérations étrangères à sa mission portant sur les motivations supposées des parties et leurs conséquences ou sur la notion de libre concurrence, que Monsieur Bernard Emanuel, gérant de la SARL AZ Export, reconnaissait sa signature sur l'avenant au bail tout en expliquant avoir signé un papier en blanc censé devoir concerner un achat de mobilier sans en avoir ensuite vérifié le texte;
Que, pour le reste, l'expert n'a émis que des hypothèses dont celle de la falsification de l'avenant, retenue par les premiers juges, en notant que Monsieur Bernard Emanuel déclarait ne pas savoir lire et écrire et avoir l'habitude de signer des documents en blanc pour son frère pour, notamment, l'achat de mobilier.
Attendu qu'un examen comparatif d'écriture non contradictoire effectué en novembre 2003 à la demande de l'appelante par Madame Darrieutort Labory, expert inscrit sur la liste de la cour, et portant sur l'original de l'avenant au bail a conclu à l'absence de toute anomalie (espaces, interlignes) pouvant évoquer un abus de blanc-seing ainsi qu'à l'absence de marque de décalque ou d'imitation et a par ailleurs confirmé l'authenticité de l'écriture et de la signature de Monsieur Bernard Emanuel;
Qu'à défaut de l'établissement d'un faux en écritures, d'une erreur ou d'un dol susceptibles d'entraîner la nullité de l'avenant, ce qui en toute hypothèse n'est pas soutenu devant la cour dès lors que l'intimée ne s'est pas constituée et n'a pas conclu, celui-ci doit être considéré comme valable;
Qu'il porte explicitement renonciation par le preneur, en l'espèce la SARL AZ Export, à se prévaloir de la clause du bail par laquelle le bailleur s'interdit d'exercer un commerce similaire au sien dans un des locaux de l'immeuble dont il est propriétaire;
Qu'en dehors de la base contractuelle qui lui était donnée et qui ne peut être retenue, l'action en concurrence déloyale ne repose sur aucun élément et, en particulier, le détournement de clientèle n'est pas établi du seul fait d'une installation d'un commerce similaire dans des locaux mitoyens;
Que la mise hors de cause de Monsieur Jacques Emanuel ne s'impose pas alors qu'il ne ressort pas des éléments de la procédure de première instance que l'intimée n'entendait donner à son action qu'un fondement contractuel.
Attendu, en revanche, que le jugement sera infirmé, la SARL AZ Export étant déboutée de toutes les demandes formulées en première instance.
Attendu que, sur la base de cette infirmation, le principe d'un abus de procédure ne peut être admis, les appelants étant déboutés de leurs demandes en dommages et intérêts à ce titre;
Qu'il sera fait droit à leur demande sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à hauteur de 1 500 euro pour chacun.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par défaut, - infirme le jugement et, statuant à nouveau, * dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause Monsieur Jacques Emanuel; * déboute la SARL AZ Export de toutes ses demandes. - Déboute la SCI Marc et Lucile et Monsieur Jacques Emanuel de leur demande en dommages et intérêts. - Condamne la SARL AZ Export à payer et porter à la SCI Marc et Lucile et à Monsieur Jacques Emanuel la somme de 1 500 euro chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. - Condamne la SARL AZ Export aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP d'avoués Gautier et Fonrouge.