CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 19 avril 2007, n° 05-03077
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Loury, Legrand, Vikima France (SAS)
Défendeur :
Frasem (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Selmes
Conseillers :
MM. Belières, Videau
Avoués :
SCP Château-Passera, SCP Boyer-Lescat-Merle
Avocats :
SELARL Bright Jones, Mes Givry, Lavisse
Exposé des faits et procédure
La SA Frasem a pour activité la multiplication, le triage, le conditionnement de graines, semences et plants ainsi que la fabrication des matériels s'y rattachant.
Suivant protocole d'accord du 12 juillet 1999 Jean-Pierre Legrand agissant tant pour son compte personnel que celui de la communauté de biens avec son épouse, qu'au nom de la SA Frasem dont il est le Président du conseil d'administration et se portant fort pour l'ensemble des actionnaires s'est engagé à vendre à Frédéric Peters et son épouse Laurence Mommele agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de toute personne physique ou morale qu'ils souhaiteraient se substituer pour tout ou partie de la transaction, l'intégralité des 1744 actions composant le capital social de cette société, les terres et bâtiments lui appartenant situés à Lutz en Dunois (Eure et Loir) et divers éléments mobiliers de son exploitation agricole.
Le chapitre consacré à la cession des actions contenait une clause de garantie d'actif et de passif et une clause de non-concurrence ainsi libellée:
"le cédant ès qualités s'interdit à compter du jour de la signature des ordres de mouvement des actions et pendant une durée de cinq années de créer, s'intéresser directement ou indirectement par l'intermédiaire de toutes sociétés (autres que Frasem) groupement, entreprises, ou membres de son groupe familial à une activité de production et de vente de graines, semences, et plantes telle que celle exercée par Frasem de contracter directement ou indirectement par l'intermédiaire de toute société (autres que Frasem) groupement, entreprises, ou membres de son groupe familial avec un ou plusieurs exploitants agricoles faisant pousser des semences.
Ces interdictions sont limitées aux régions Centre, Bretagne, et Pays de Loire".
Par acte sous-seing privé du 1er décembre 1999 les époux Legrand et Bruno Loury ont conclu avec les époux Peters et les personnes qu'ils se sont partiellement substitués une convention de garantie de passif et d'actif; parallèlement les ordres de mouvements d'actions ont été signés.
Bruno Loury, ancien actionnaire, a démissionné de ses fonctions de directeur salarié de station de semences de la SA Frasem avec effet au 30 juin 2000 et a occupé à compter de cette date des fonctions salariées dans la société de droit danois Vikima Seed A/S puis à partir du 20 novembre 2001, a dirigé sa filiale française, la SAS Vikima France qui exerce une activité similaire.
Par acte du 13 avril 2004 la SA Frasem a fait assigner Bruno Loury, Jean-Pierre Legrand et la SAS Vikima France devant le Tribunal de commerce de Montauban en cessation de tout acte de concurrence au mépris de la clause insérée au contrat de cession d'entreprise et de tout acte de concurrence déloyale et en indemnisation à ces deux titres.
Par jugement du 15 décembre 2004 cette juridiction s'est déclarée compétente et a :
- reconnu le bien fondé de la clause de non-concurrence contenue dans le protocole d'accord du 12 juillet 1999
- dit que cette clause s'adresse à tous les anciens actionnaires de la SAS Frasem et en particulier à Bernard Loury
- dit que Bernard Loury n'a pas respecté cette clause
- dit que Jean-Pierre Legrand, en se portant fort pour Bernard Loury, est aussi responsable des agissements de ce dernier
- dit que la société Vikima France n'est pas responsable des agissements de M. Loury ni de M. Legrand
- condamné in solidum Bruno Loury et Jean-Pierre Legrand à régler à la SA Frasem :
* la somme forfaitaire de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts
* une indemnité de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
- condamné Bruno Loury et Jean-Pierre Legrand aux dépens
- débouté la SA Frasem du surplus de ses demandes
- débouté les autres parties de l'ensemble de leurs demandes.
Par acte du 30 mai 2005 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Bruno Loury et Jean-Pierre Legrand ont formé appel général de cette décision et par conclusions du 12 janvier 2006 la SA Frasem a formé appel incident.
Par acte d'huissier du 20 janvier 2006 la SA Frasem a dénoncé l'appel principal, signifié ses conclusions et intimé la SAS Vikima France dans le cadre d'un appel provoqué.
Moyens des parties
La SAS Vikima France demande de déclarer irrecevable l'appel provoqué formé par la SA Frasem à son encontre et à lui régler une indemnité de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient qu'un tel appel ne peut être formé que par une initiative de procédure de l'appelant principal qui révèle à l'intimé un intérêt nouveau à user d'une voie de recours à l'encontre d'une partie en première instance non intimée devant la cour, que rien de tel n'existe en l'espèce, les liens d'instance entre la SA Frasem et Loury/Legrand d'une part et entre Frasem et Vikima France d'autre part étant distincts.
Bruno Loury conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande de :
Au principal,
- lui déclarer inopposable la clause de non-concurrence insérée dans le protocole d'accord du 12 juillet 1999
- constater l'absence de faits constitutifs de concurrence déloyale qui lui soient imputables
- constater l'absence d'engagement contractuel de non-concurrence de sa part
- dire qu'il n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité
- débouter la SA Frasem de l'ensemble de ses demandes
- dire que la SA Frasem n'est que l'instrument de l'acharnement procédural de M. Peters envers M. Loury
- condamner la SA Frasem à lui payer les sommes de :
* 5 000 euro à titre de dommages et intérêts
* 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Subsidiairement,
si un manquement à une obligation contractuelle de non-concurrence était retenue contre lui
- déclarer Jean-Pierre Legrand responsable de cette inexécution en qualité de porte fort et tenu de le relever et garantir des condamnations
- dire que la SA Frasem n'apporte pas la preuve de son prétendu préjudice.
- condamner la SA Frasem à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Il soutient que le protocole d'accord du 12 juillet 1999 constitue une promesse synallagmatique de vente et non une vente, au regard de la teneur de plusieurs de ses dispositions, ce qui explique que des actes réitératifs étaient prévus lors des transferts effectifs d'actions comprenant non seulement la garantie de passif mais aussi les autres engagements y figurant relatifs à la cession des biens mobiliers et immobiliers et à la clause de non-concurrence.
Il précise que seules ont fait l'objet d'une réitération, les cessions de biens immobiliers devant notaire, la convention sous seing privé de garantie de passif du 1er décembre 1999, date à laquelle les parties ont cédé effectivement les actions par la signature des ordres de mouvements.
Il estime que la promesse de porte-fort figurant dans une promesse de vente s'analyse comme une porte-fort d'exécution, le porte-fort promettant sous sa propre responsabilité qu'un tiers acceptera de tenir un engagement déterminé.
Il affirme qu'elle visait en l'espèce à titre principal la cession des actions et une garantie de passif et d'actif mais souligne qu'aucune mention ne prévoit la souscription par les autres actionnaires d'une obligation de non-concurrence envers les acquéreurs.
Il considère, en toute hypothèse, qu'une telle clause figurant dans un acte dont il n'a pas eu formellement connaissance ne peut lui être opposable d'autant qu'il ne l'a ratifié ni expressément ni tacitement puisqu'il n'a pas participé à l'assemblée générale extraordinaire du 30/11/1999 et que l'information donnée aux actionnaires vise exclusivement les engagements souscrits au nom de la société et non les engagements personnels de ses dirigeants.
Il conteste tout acte de sa part constitutif de concurrence déloyale.
Il nie tout détournement de fournisseur, indique que ceux de la société Vikima France (au nombre de 12) n'ont jamais été en relation contractuelle avec la SA Frasem, que les agriculteurs-producteurs communs entre eux (au nombre de 10) n'ont aucunement fourni les mêmes produits et n'étaient tenus d'aucun engagement d'exclusivité.
Il affirme l'absence de tout préjudice, la SA Frasem ayant depuis son arrivée à la direction de la SAS Vikima France conservé l'ensemble de sa clientèle et augmenté de façon constante son chiffre d'affaires.
Il explique que la diminution de chiffres d'affaires dont elle se plaint concerne la perte d'un seul client, la société Vikima Seed, depuis 2005 en raison de son acharnement judiciaire à rencontre de sa filiale française.
Jean-Pierre Legrand sollicite la réformation partielle du jugement déféré et demande de :
- constater que la clause de non-concurrence insérée dans le protocole du 12 juillet 1999 est nulle car
* disproportionnée par rapport aux intérêts de la société créancière
* pour défaut de contrepartie financière
- dire que l'engagement de porte fort souscrit portant sur une obligation de non-concurrence est nul
A titre subsidiaire,
- débouter la SA Frasem de toutes ses demandes
- dire que la SA Frasem a renoncé à se prévaloir de la clause de non-concurrence
A titre très subsidiaire,
- statuer ce que de droit concernant une prétendue ratification tacite de la clause de non-concurrence par Bruno Loury et en déduire toutes les conséquences juridiques
En tout état de cause,
- constater que la SA Frasem n'apporte pas la preuve du préjudice prétendument subi
- débouter la SA Frasem de ses demande
- condamner la SA Frasem à lui payer les sommes de :
* 5 000 euro en réparation du préjudice moral subi
* 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il soulève la nullité de la clause de non-concurrence au motif que l'atteinte portée à la liberté du débiteur n'est pas proportionnée aux intérêts nécessaires du créancier, réactivité étant exercée par quelques entreprises spécialisées et peu de régions s'y prêtant ce qui contraint à distribuer les contrats de production entre les différentes zones géographiques afin de répartir les risques associés aux conditions climatiques propres à chacune d'elles et souligne qu'il n'existe aucun contrat d'exclusivité entre le donneur d'ordre et l'agriculteur, ce dernier étant libre de travailler avec autant de personnes qu'il le souhaite.
Il ajoute que la clause est également entachée de nullité pour ne pas être assortie d'une contrepartie financière, que le statut de salarié de Bruno Loury doit primer sur son statut d'actionnaire cédant, que les conditions mises par la jurisprudence à la validité d'une clause de non-concurrence dans un contrat de travail s'appliquent à tout contrat de dépendance économique, laquelle caractérise le rapport entre l'ancien actionnaire et le cessionnaire puisqu'il a continué à travailler pour lui au-delà de la perte de son statut d'associé.
Subsidiairement, il soutient que le protocole d'accord du 12 juillet 1999 devait être réitéré par un acte définitif établi par notaires et qu'en n'exigeant pas un tel acte qui aurait permis sa ratification par l'associé minoritaire, la SA Frasem a renoncé au bénéfice de la clause de non-concurrence et s'est contentée d'accuser réception des ordres de mouvement d'actions, lesquels ne comportent aucun engagement autre que celui de transférer la propriété des titres.
Encore plus subsidiairement, il fait remarquer qu'en cas de ratification tacite par le tiers des engagements contenus dans le protocole, la responsabilité du porte fort est dégagée, même si le ratifiant refuse ultérieurement d'exécuter l'acte ratifié.
Il affirme que la SA Frasem ne rapporte pas la preuve d'avoir subi un préjudice du fait de la création de la SAS Vikima France puisque son chiffre d'affaires a augmenté, qu'elle ne peut en toute hypothèse être indemnisé au-delà de la récolte 2004.
La SA Frasem conclut à la confirmation du jugement déféré hormis en ses dispositions relatives au montant de l'indemnisation, au refus d'expertise et à la mise hors de cause de la SAS Vikima France.
Elle demande de :
- déclarer recevable l'appel provoqué à l'encontre de la SAS Vikima France
A titre principal, sur la clause de non-concurrence,
- constater la violation de la clause de non-concurrence insérée au contrat de cession d'entreprise
- condamner solidairement Bruno Loury et la SAS Vikima France sous astreinte de 5 000 euro par jour de retard à cesser tout acte y contrevenant à compter de l'arrêt à intervenir
- condamner solidairement Bruno Loury et la SAS Vikima France à payer à la SA Frasem à titre de provision une somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice survenu en 2003 et 100 000 euro pour l'année 2004 au titre des opérations persil, aneth, radis, et carottes, sous toutes réserves pour le préjudice 2005 et 2006 qui seront examinés en cours d'expertise
- condamner Jean-Pierre Legrand in solidum avec Bruno Loury à cesser immédiatement tout acte de concurrence sous astreinte de 5 000 euro par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir
- condamner Jean-Pierre Legrand in solidum avec Bruno Loury à lui payer à titre de provision sur le préjudice la somme de 150 000 euro
- s'il s'avérait que Jean-Pierre Legrand ne justifie pas de ses diligences accomplies sur le fondement de l'article 1120 du Code civil, le condamner, le cas échéant par substitution, seul au paiement de la somme de 150 000 euro à titre de provision sur indemnisation
A titre subsidiaire, sur les actes de concurrence déloyale,
- condamner solidairement Bruno Loury, la SAS Vikima France et Jean-Pierre Legrand à cesser tout acte de concurrence déloyale à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 5 000 euro par jour de retard
- condamner solidairement Bruno Loury, Jean-Pierre Legrand et la SAS Vikima France à lui payer une somme provisionnelle de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice survenu en 2003 et 100 000 euro pour l'année 2004 au titre des opérations persil, aneth, radis, et carottes
En tout état de cause,
- désigner tel expert avant dire droit avec pour mission de chiffrer le dommage tant au titre de la clause de non-concurrence que de la concurrence déloyale
A titre subsidiaire,
- chiffrer son dommage de ce chef à la somme de 300 000 euro et condamner in solidum Bruno Loury, Jean-Pierre Legrand et la SAS Vikima France à lui payer cette somme
- condamner Bruno Loury, Jean-Pierre Legrand et la SAS Vikima France à lui payer, chacun, en cause d'appel la somme complémentaire de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'appel provoqué permet à la partie intimée qui le forme de sauvegarder ses droits mais surtout de reconstituer l'unité du litige devant la cour, qu'un lien de connexité avec l'appel principal suffit à le rendre recevable, que les agissements reprochés à Bruno Loury et Jean-Pierre Legrand ne sont étrangers ni dans leur objet ni dans leurs incidences au demandes formées à l'encontre de la SAS Vikima France puisqu'une condamnation solidaire est sollicitée entre ces trois parties.
Elle se prévaut de la clause de non-concurrence insérée au protocole d'accord de cession d'action, parfaitement valable dès lors qu'elle est claire et précise, limitée dans le temps et dans l'espace et donc proportionnée à ses intérêts et estime qu'elle est parfaitement opposable à Jean-Pierre Legrand puisqu'il a signé cet acte à titre personnel mais aussi à Bruno Loury puisqu'il s'est porté fort pour ce tiers conformément à l'article 1120 du Code civil.
Elle souligne que les trois opérations prévues au protocole ont été effectivement réalisées, que la cession d'action a été agréée par l'assemblée générale ordinaire du 30 novembre 1999 à laquelle Bruno Loury a participé et voté, qu'il a signé les ordres de transfert et la convention de garantie de passif, tous éléments qui montrent qu'il a eu connaissance des termes du protocole et de la clause de non-concurrence et a ratifié tacitement l'engagement pris pour son compte.
Elle soutient que le protocole d'accord du 19 juillet 1999 était un acte définitif qui engageait les parties, la réitération par acte notarié n'ayant vocation à s'appliquer qu'au transfert de propriété des immeubles.
Elle prétend que la SAS Vikima France s'est rendue complice de la violation de la clause de non-concurrence en engageant Bruno Loury et en laissant orienter sa politique de production sur la région Centre, qui lui est parfaitement connue du fait de son activité pendant de nombreuses années sur ce territoire pour le compte d'elle-même.
Elle estime avoir subi un préjudice qui résulte du manque à gagner dans sa production et de la perte de contrat avec certains de ses producteurs (Rigk Zwann, Legutko, Vikima Danemark) et agriculteurs habituels et d'une diminution de chiffre d'affaires évidente, avec détournement du savoir-faire de ses fournisseurs et des procédés de fabrication, source de dommage moral indéniable alors que son concurrent a pu faire l'économie de recherches, de formations de suivi et de contrôle nécessaires pour obtenir une production de qualité.
Elle considère que la responsabilité de Jean-Pierre Legrand est double, au titre du manquement à sa promesse de porte-fort et au titre de sa faute personnelle puisqu'il a également démarché ses agriculteurs pour le compte de la société Rivale dans le Loir-et-Cher et l'Eure.
Subsidiairement, elle agît sur le fondement juridique de la concurrence déloyale les appelants démarchant les clients ou les producteurs grâce à la connaissance qu'ils ont du fichier client, du fichier fournisseur (agriculteurs) des tarifs pratiqués et des techniques très pointues de production de semences potagères acquises lors de l'exercice de leurs fonctions antérieures auprès d'elle, dont la SA Vikima France se fait le complice en pillant son savoir-faire.
Motifs de la décision
Sur la recevabilité de l'appel provoqué
L'appel provoqué formulé par la SA Frasem à l'encontre de la SAS Vikima France est parfaitement recevable au regard des articles 546 à 550 du nouveau Code de procédure civile dès lors qu'il n'est soumis à aucun délai, que son auteur est intimé sur l'appel principal de Bruno Loury et Jean-Pierre Legrand, qu'il justifie d'un intérêt à agir puisqu'il a lui-même formé un appel incident, avait émis une prétention contre l'intéressée en première instance, laquelle a été rejetée et persiste à conclure contre elle pour obtenir la réformation de cette disposition.
Sur l'action exercée sur le fondement de la clause de non-concurrence
Seule est visée la clause de non-concurrence insérée au protocole d'accord du 19 juillet 1999.
Sur la validité de la clause
La lecture de cette clause révèle qu'elle est parfaitement valable pour être limitée dans le temps (5 ans) et dans l'espace (3 régions françaises), être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise dès lors que le cessionnaire pouvait redouter l'activité concurrentielle des cédants s'agissant d'une prise de contrôle de la société par achat de toutes les parts sociales, être proportionnée à l'objet du contrat car n'empêchant pas toute activité professionnelle au débiteur de l'obligation, étant souligné que l'exigence d'une contrepartie financière ne concerne que les clauses insérées dans un contrat de travail.
Sur l'opposabilité de la clause
Le protocole d'accord du 12 juillet 1999 s'analyse en une promesse synallagmatique de vente de la totalité des actions de la SA Frasem conclue entre les époux Peters, cessionnaire et Jean-Pierre Legrand, cédant; celui-ci a signé cet acte en plusieurs qualités, d'une part à titre personnel et pour le compte de la communauté légale de biens réduite aux acquêts comme titulaire d'une partie des actions cédées, d'autre part au nom de la SA Frasem dont il est le président directeur général, et enfin s'est porté fort pour l'ensemble des actionnaires de la SA Frasem ainsi que précisé en tête de cette convention.
A ce dernier titre, et à la lecture du contenu de l'acte Jean-Pierre Legrand s'est engagé vis-à-vis du cessionnaire à obtenir de tous les autres associés qu'ils vendent eux-mêmes leurs parts, consentent une garantie d'actif et de passif et respectent une clause de non-concurrence ; il a fait la promesse au bénéficiaire qu'un tiers acceptera de tenir un engagement déterminé.
L'article A du chapitre IV du protocole qui constitue sa page 24 mentionne d'ailleurs "le cédant de première part se porte fort que l'ensemble des actionnaires ratifiera et exécutera les engagements prévus au présent acte".
Et aux termes de l'article 1120 du Code civil " on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci sauf l'indemnité contre celui qui s'est porté fort ou qui a promis de faire ratifier, si le tiers refuse de tenir l'engagement. "
Bruno Loury, actionnaire de la SA Frasem à hauteur de 175 parts, a effectivement accepté de céder ses actions en signant l'ordre de mouvements de ses titres et, également, de donner la garantie promise en signant le 1er décembre 1999 l'acte sous-seing privé correspondant.
En revanche, aucun élément ne permet de retenir qu'il a adhéré à la clause de non-concurrence.
Il ne l'a pas expressément approuvée, contrairement aux autres obligations ; il n'y a pas davantage tacitement consenti alors qu'un engagement conventionnel de non-concurrence doit avoir été accepté sans équivoque car il revêt une nature personnelle.
Il n'avait pas la qualité d'administrateur; sa simple participation à la délibération de l'assemblée générale du 30 novembre 1999 qui a pris acte de la démission des administrateurs et désigné les nouveaux administrateurs ne peut suffire à caractériser sa connaissance de cette obligation spécifique qui n'est pas nécessairement et intrinsèquement insérée dans un acte de cession ni sa volonté de s'y soumettre.
Le tiers conserve, en effet, toute liberté pour accepter ou refuser de tenir l'engagement promis par le porte-fort.
Cette clause lui est, dès lors, inopposable.
La SA Frasem est, ainsi, mal fondée à agir à l'encontre de Bruno Loury sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil pour manquement à une obligation contractuelle de non-concurrence et contre la SAS Vikima France sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil pour complicité de violation de cette obligation contractuelle
Ses demandes indemnitaires et d'injonction sous astreinte présentées à leur encontre dans ce cadre juridique doivent, dés lors, être rejetées.
Le résultat promis par le porte-forte n'ayant pas été atteint, celui ci engage sa responsabilité contractuelle envers le cessionnaire puisqu'il n'a pas exécuté l'obligation personnellement souscrite.
Le refus de Bruno Loury d'exécuter l'engagement promis par Jean- Pierre Legrand entraine donc l'obligation pour ce dernier de réparer le préjudice subi par son co-contractant. la SA Frasem, sans même avoir à établir sa faute puisqu'il était tenu à une obligation de résultat.
Il ne peut prétendre s'en exonérer en invoquant la renonciation du bénéficiaire à cette clause dès lors qu'elle ne se présume pas, doit être expresse et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer, ce qui n'est nullement démontré.
Le dommage est réel puisque la SA Frasem a perdu à l'encontre d'un ancien associé qui exerçait depuis une dizaine d'années des fonctions techniques importantes dans la société, le bénéfice d'une protection conventionnellement définie, adaptée, efficace et aisée à mettre en œuvre dès lors que, dans ce cadre là, l'activité concurrentielle elle-même est prohibée, indépendamment des moyens employés.
Et ce risque de concurrence s'est réalisé puisque depuis le mois de novembre 2001 Bruno Loury est dirigeant de la SAS Vikima France qui exerce une activité similaire à celle de la SA Frasem; si elle a son siège social dans le département du Tarn et Garonne, non visé par la clause, elle intervient également en Beauce qui, suivant divers documents émanant du Groupement National Interprofessionnel des Semences, fait partie de la région Centre et donc d'une zone territoriale interdite.
Le préjudice est, cependant, limité dès lorsque l'interdiction ne couvre que la période de décembre 1999 à décembre 2004, que l'exercice d'une activité concurrentielle prohibée est démontrée à partir de l'année 2003 de sorte que deux années de récolte seulement sont concernées et que l'essentiel de l'activité de la SAS Vikima France reste concentré dans la région du Sud Ouest.
En effet, au cours de l'année 2003, cette société n'a contracté en Beauce que pour 9 parcelles d'aneth et 4 de radis et en 2004 pour 6 parcelles d'aneth et 1 de persil.
Pour les mêmes années elle disposait dans la région Sud-Ouest (Mirande et Condom) d'une parcelle d'aneth, 16 de carottes, 6 de choux, 5 de persil soit au total 28 parcelles et pour 2004 d'au moins 2 parcelles de betterave, 12 de carotte et 5 de persil (tous les relevés GNIS n'ayant pas été fournis).
Par ailleurs, suivant attestation de l'expert comptable du 6 janvier 2005, le chiffre d'affaires net de la SAS Frasem pour la période du 1/10/2001 au 30/09/2004 a toujours été en augmentation passant de 3 151 187 euro à 3 877 618 euro.
Au vu de l'ensemble de ces données, le préjudice causé né de la perte subie et du gain manqué par suite d'une atteinte à la clientèle et d'un trouble commercial et lié à l'impossibilité de mettre en œuvre la clause convenue sera intégralement réparé par l'octroi d'une indemnité de 15 000 euro, (quinze mille euro) sans qu'il soit nécessaire de recourir à une mesure d'expertise.
Aucune violation par Jean-Pierre Legrand de ladite clause de non-concurrence qu'il avait, également, à titre personnel accepté dans le protocole d'accord du 12 juillet 1999 signé par ses soins n'est caractérisée au vu des éléments versés aux débats.
En effet, la SA Frasem produit un courrier électronique portant "compte rendu de visite des champs de cultures de pois dans les départements du Loir-et-Cher, Eure-et-Loir, Seine-et-Marne le 17 juin 2003 émanant de la société Rivale adressé en copie à Jean-Pierre Legrand dont la SA GSN Semences présente à cette visite indique dans un courrier du 13 janvier 2004 "qu'il s'est présenté comme expert de la société Rivale."
Dans une attestation du 28 janvier 2004 M. Coudy, chef de culture de l'EARL Fresne certifie la présence de M. Legrand à l'assemblée générale du syndicat des agriculteurs multiplicateurs de semences d'Eure-et-Loir.
Mais ces seuls documents ne permettent pas de déterminer à quel titre exactement il a participé à ces deux réunions, s'il s'agissait de missions ponctuelles et isolées ou s'il est réellement entré au service d'une entreprise concurrente, et donc de caractériser une transgression de l'obligation dont la charge de la preuve pèse sur le créancier.
La demande présentée à ce titre par la SA Frasem doit, dès lors, être rejetée.
Sur l'action exercée sur le fondement de la concurrence déloyale
L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les articles 1382 et 1383 du Code civil qui impliquent l'existence d'une faute prouvée en relation de causalité avec un préjudice subi ; elle suppose que le comportement litigieux intervienne directement ou indirectement dans l'exercice d'une activité économique développée dans un secteur concurrentiel et use de procédés qui créent une rupture d'égalité dans les moyens de cette concurrence.
Aucun élément de la cause ne permet de caractériser une telle attitude de la part de Bruno Loury, la SAS Vikima France ou Jean-Pierre Legrand.
Le démarchage de la clientèle d'un concurrent même par un ancien salarié n'est pas en lui-même constitutif de concurrence déloyale, s'il n'est pas systématique ou ne s'accompagne pas de manœuvre.
Aucun procédé n'est spécifiquement décrit et stigmatisé par la SA Frasem pour illustrer et étayer ses simples dires sur la déloyauté alléguée; aucun témoignage n'est produit.
Les relations nouées par Bruno Loury à la tête de la SAS Vikima France avec certains agriculteurs en relation contractuelle avec la SA Frasem ou opérant sur le même secteur géographique ne l'ont été que près de trois ans après son départ de l'entreprise.
Aucun détournement de documents, listes et fichiers n'est établi.
De même, la simple embauche dans des conditions régulières d'un ancien salarié ne revêt en lui-même aucun caractère fautif.
La perte par la SA Frasem des contrats avec la société danoise Vikima Seed au profit de sa filiale la SAS Vikima France est postérieure d'un an à l'engagement de la présente action judiciaire à l'encontre de cette dernière.
Aucun agissement tendant à désorganiser l'activité de la société qu'il dirigeait précédemment n'est davantage démontré à l'encontre de Jean-Pierre Legrand.
Les demandes présentées par la SA Frasem de ce chef doivent, dès lors, être rejetées.
Sur les demandes annexes
L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages et intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi ou avec légèreté blâmable, tous faits insuffisamment caractérisés en l'espèce; il semble plutôt que la SA Frasem se soit méprise sur l'étendue de ses droits à l'égard de Bernard Loury la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par ce dernier doit, dès lors, être rejetée.
Jean-Pierre Legrand qui succombe doit, également, être débouté de sa demande indemnitaire à ce même titre; il supportera la charge des dépens et ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Eu égard aux circonstances de la cause et à la position des parties, il est inéquitable de laisser à la charge de la SA Frasem la totalité des frais exposés pour agir, se défendre et assurer sa représentation en justice tant en première instance qu'en cause d'appel et non compris dans les dépens, ce qui commande l'octroi de la somme globale de 3 500 euro de ce chef à la charge de Jean-Pierre Legrand.
La demande de Bruno Loury et de la SAS Vikima France en remboursement de leurs propres frais irrépétibles doit, également et toujours en équité, être admise à hauteur de la somme globale de 2 000 euro, ces deux parties ayant fait choix d'un avocat commun.
Par ces motifs, LA COUR, - Déclare recevable l'appel provoqué formé par la SA Frasem à l'encontre de la SAS Vikima France - Infirme le jugement déféré. Statuant à nouveau et y ajoutant, - Déclare inopposable à Bruno Loury la clause de non-concurrence insérée dans le protocole d'accord du 12 juillet 1999 - Déboute la SA Frasem de son action indemnitaire et en cessation du trouble sous astreinte présentée sur le fondement de la violation de ladite clause. * Dit que Jean-Pierre Legrand a engagée sa responsabilité contractuelle envers la SA Frasem au titre de son engagement de porte-fort. - Condamne Jean-Pierre Legrand à payer à la SA Frasem la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts. - Dit n'y avoir lieu de retenir la responsabilité contractuelle de Jean-Pierre Legrand pour violation de la clause de non-concurrence personnellement souscrite. - Déboute la SA Frasem de son action en concurrence déloyale à l'encontre de Bruno Loury, de la SAS Vikima France et de Jean-Pierre Legrand. - Déboute Bruno Loury et Jean-Pierre Legrand de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive. - Condamne Jean-Pierre Legrand à payer à la SA Frasem la somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - Condamne la SA Frasem à payer à Bruno Loury et à la SAS Vikima France la somme globale de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile - Condamne Jean-Pierre Legrand aux entiers dépens de première instance et d'appel - Dit qu'ils seront recouvrés pour ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile au profit de la SCP Boyer Lescat Merle, la SCP Chateau-Passera (du chef de B. Loury et Vikima France).