CA Paris, 1re ch. A, 6 novembre 2007, n° 06-10396
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ralot Limited (Sté)
Défendeur :
Rappaport, Rappaport Andreu Hocquet (SCP)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grellier
Conseillers :
M. Debû, Mme Horbette
Avoués :
SCP Bernabe-Chardin-Chevillier, SCP Bommart-Forster-Fromantin
Avocats :
Mes Bartok, Cordelier
La société Ralot Ltd, société de droit irlandais ayant son siège à Dublin, qui exerce le métier de représentant dans les pays de l'ancienne Union Soviétique, avait conclu en 1994 un accord avec une société Sidel dans le but de la représenter et lui faire vendre ses produits dans cette zone géographique.
A la suite de divers désaccords commerciaux ce contrat avait été résilié et la société Ralot avait chargé, en 1997, la SCP Rappaport Andreu Hocquet de la défense de ses intérêts avant de conclure une transaction avec Sidel en 2000. Elle fait reproche à son avocat de ne pas lui avoir signalé qu'elle pouvait prétendre au versement d'une indemnité en tant qu'agent commercial en vertu de la loi du 25 juin 1991, de sorte qu'elle ne l'a découvert que trop tardivement, après écoulement du délai de prescription d'un an instauré par l'article 12 de la loi (devenu l'article L. 134-12 du Code de commerce).
Le Tribunal de grande instance de Paris l'a déboutée de sa demande et condamnée à payer à la SCP Rappaport Andreu Hocquet la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, par jugement du 9 juin 2004.
Ceci étant exposé, LA COUR,
Vu l'appel de la société Ralot Ltd à l'encontre de ce jugement en date du 9 juin 2004,
Vu ses conclusions déposées le 9 octobre 2006 selon lesquelles, poursuivant l'infirmation du jugement, elle demande la condamnation de la SCP Rappaport Andreu Hocquet et de M. Rappaport à lui payer 2 043 901,99 euro avec "intérêts de droit" à compter de l'assignation et 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu les conclusions déposées le 29 août 2007 par lesquelles la SCP Rappaport Andreu Hocquet et M. Rappaport, ci-après " les avocats ", sollicitent la confirmation du jugement et la condamnation de la société Ralot à leur payer 5 000 euro chacun en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Sur quoi,
Considérant qu'au soutien de son appel, la société Ralot Ltd fait valoir que le statut d'agent commercial n'impose pas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, de conclure de manière permanente des contrats au nom et pour le compte du mandant, la loi n'en faisant qu'une éventualité, pour en déduire que l'exclusion expresse de cette éventualité par le contrat n'interdit pas qu'elle se voie appliquer le dit statut puisqu'elle était bien chargée de manière permanente de négocier les contrats;
Considérant que la clause du contrat, intitulé "contrat d'agence" (traduit de sa version anglaise "contract of agency") du 4 novembre 1994 dont l'interprétation est en litige, constitue un article 4 ainsi rédigé:
" 4a) Le rôle de Ralot qui ne sera en aucune façon subordonné à Sidel sera de:
- prospecter régulièrement les clients du territoire et informer Sidel des différentes affaires à saisir sur le territoire.
- transmettre les offres et la documentation de Sidel aux clients par une lettre d'accompagnement.
- obtenir et transmettre à Sidel les commandes passées accompagnées de toutes les informations techniques, commerciales et financières requises pour le contrat.
- avertir rapidement Sidel des plaintes des clients concernant le produit livré et agir au mieux des intérêts de Sidel.
- faire parvenir tous les trois mois un rapport détaillé sur son activité, la situation du marché, la concurrence ainsi que toute information ou événement susceptible d'influencer les ventes de Sidel sur le territoire.
- entretenir une équipe permanente d'agents de vente ayant des capacités adéquates contrôlées à la suite d'un cours de formation professionnelle dispensée dans les locaux de Sidel.
4b) Ralot n'est pas autorisé à conclure des contrats au nom et pour le compte de Sidel et n'a aucun pouvoir d'engager ce dernier. En particulier, les commandes ne deviendront définitives qu'après que Sidel aura donné son accord écrit.
4c) ... "
Que le contrat comporte également un article 1er "Objet du contrat" par lequel la SARL Sidel "confie à" la société Ralot Ltd "la représentation exclusive ("the sole agency") des équipements produits par Sidel", dont la liste est fournie à l'article 2, et un article 10 "rétribution de Ralot" qui mentionne quatre catégories de commissions selon les types de ventes conclues par Sidel et envisage des dispositions spécifiques "au cas par cas" dans l'hypothèse, qualifiée "d'exceptionnel(le)" où Ralot Ltd agirait en tant qu'acquéreur pour le compte de clients;
Qu'aucune clause n'envisage d'indemnité en cas de rupture du contrat, l'article 12, relatif à sa durée, indiquant même que : "b) La résiliation ou le non-renouvellement du contrat ne comportera pas de frais d'indemnités pour l'une ou l'autre des parties, à moins que le contrat ne prenne fin en raison de la faute de l'une des parties", les conséquences de cette faute ne portant que, selon le c), sur le droit de demander des dommages et intérêts;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions contractuelles que Ralot Ltd n'avait aucun pouvoir pour conclure des contrats au nom et pour le compte de Sidel, non seulement de façon permanente mais même de manière éventuelle; que sa mission était au contraire cantonnée, de manière permanente, à la recherche de clients potentiels, à la présentation et à l'information sur les produits de Sidel et à la transmission à cette dernière des commandes des clients intéressés, sans jamais de pouvoir ni de transaction ni de négociation;
Que cette restriction est corroborée par les termes d'un échange postérieur, ayant eu lieu en juin et juillet 1997, dans lequel la société Ralot Ltd indique, en réponse à une nouvelle proposition de Sidel relative à l'exclusion de certains clients de leurs accords, "Ralot est bien entendu entièrement prêt à coopérer pleinement avec vous et à participer physiquement aux réunions de négociation jusqu'à la phase finale" (lettre du 4 juillet 1997), ce qui implique nécessairement que tel n'était pas le cas auparavant; que cette lettre est d'ailleurs restée sans réponse, ce dont l'appelante s'est inquiétée;
Considérant que l'article L. 134-1 du Code de commerce (anciennement article 1er de la loi du 25 juin 1991) définit l'agent commercial comme suit : "L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ..."
Considérant que si ce texte n'impose pas, en effet, que la possibilité de conclure des contrats soit permanente pour trouver application, encore faut-il que les relations contractuelles en laissent subsister l'éventualité ou que les faits la démontrent;
Que les termes explicites du contrat unissant les sociétés Ralot Ltd et Sidel rappelés ci-avant ont toutefois exclu, de façon permanente, cette éventualité;
Qu'en l'espèce la société Ralot Ltd n'avait reçu qu'une mission d'information et non de négociation des conditions des contrats de vente ; que l'appelante ne justifie d'ailleurs d'aucune situation où il en aurait été autrement, ne démontrant par aucun fait matériel une seule activité qui la ferait entrer dans le champ d'application du statut d'agent commercial invoqué;
Qu'au surplus, le fait même d'avoir exclu, par l'article 12b du contrat, le versement d'une indemnité de rupture, contrairement aux dispositions impératives de l'article L. 134-12 du Code de commerce, manifeste que les parties n'entendaient pas conclure un contrat d'agent commercial;
Considérant que les premiers juges en ont donc exactement déduit que les relations contractuelles unissant les sociétés Ralot Ltd et Sidel ne relevaient pas du statut d'ordre public prévu aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce pour en conclure que M. Rappaport, qui avait justement indiqué à sa cliente cette analyse, n'avait pas commis de faute ; que leur décision sera confirmée;
Considérant que la demande d'indemnité procédurale des avocats sera satisfaite dans les termes du dispositif;
Par ces motifs, Confirme le jugement dans toutes ses dispositions, Condamne la société Ralot Limited aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, La condamne à payer à la SCP Rappaport Andreu Hocquet et à M. Rappaport la somme de 3 000 euro (trois mille euro) chacun au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.