CA Paris, 5e ch. B, 16 novembre 2006, n° 04-05186
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sens Location (SARL)
Défendeur :
Rent A Car (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Le Bail
Avoués :
SCP Goirand, SCP Baufume-Galland-Vignes
Avocats :
Mes Front, Rabary Njaka
Messieurs Christophe et Patrick Blanchard, qui exploitaient une société de location de véhicules sous l'enseigne Cargo, ont approché la société Rent A Car au cours de l'été 2000 dans le but d'intégrer son réseau de franchise.
Des relations contractuelles ont été nouées entre la société Rent A Car et la société Sens Location, constituée par les consorts Blanchard ; un stage de formation a eu lieu chez un autre franchisé, les 14 et 15 décembre 2000 ; à compter du début de l'année 2001, la société Sens Location a bénéficié de l'enseigne Rent A Car, en a fait usage sur son Kbis, et a pu utiliser la flotte de véhicules mis à sa disposition par la société Rent A Car ; toutefois, aucun contrat de franchise n'a été signé entre les parties, et les factures adressées à la société Sens Location n'ont pas été payées.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 4/02/2002, la société Rent A Car a mis fin au contrat et demandé la restitution des véhicules ainsi que le règlement des arriérés.
La situation n'ayant pu être réglée amiablement, la société Rent A Car a obtenu en référé, le 31 décembre 2002, une ordonnance enjoignant à la société Sens Location de procéder à la suppression, sous astreinte, de la mention "Rent A Car" sur son enseigne.
Par assignation du 13 février 2003, la société Rent A Car a attrait la société Sens Location devant le Tribunal de commerce de Sens, pour avoir paiement de la somme de 30 256,66 euro en principal et 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Devant le tribunal de commerce, la société Sens Location a conclu au débouté de la société Rent A Car et demandé reconventionnellement que soit prononcée la nullité du contrat litigieux, et la condamnation de Rent A Car à lui payer 80 000 euro à titre de dommages et intérêts et 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le Tribunal de commerce de Sens, par jugement rendu le 6 janvier 2004 et déféré à la cour, a fait droit à la demande de paiement présentée par Rent A Car, débouté Sens Location de sa demande reconventionnelle et condamné cette société à payer à Rent A Car la somme de 1 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté par la société Sens Location;
Vu les dernières écritures signifiées par la société Sens Location le 20 juillet 2004;
Vu les dernières écritures signifiées par la société Rent A Car le 15 septembre 2004;
Sur ce:
Considérant que le conseil de la société Rent A Car a fait parvenir à la cour le 4 octobre 2006, après clôture des débats, deux pièces numérotées 12 (accusé de réception de documents précontractuels) et 13 (compte Sens Location au 17/08/2002) ; que par courrier adressé à la cour le 30 octobre 2006 la SCP Goirand, avoué de la société Sens Location, indique que la société Sens Location a reçu la communication susvisée, soutient n'avoir pas reçu le DIP, ni davantage signé le reçu produit, qui ne porte ni tampon ni signature du candidat, qu'elle s'oppose à cette communication dont elle demande le rejet et refuse toute réouverture des débats ; que ces pièces seront en conséquence écartées des débats;
Considérant que si la remise à M. Blanchard, gérant de la société Sens Location, de la documentation d'information précontractuelle prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce n'est pas démontrée, et si le projet de contrat remis par la société Rent A Car également à M. Blanchard, n'a jamais été retourné signé au franchiseur, il est néanmoins constant que :
- un représentant de Rent A Car a rencontré M. Patrick Blanchard dans les locaux de la société de location de véhicules qu'il exploitait sous l'enseigne Cargo, 4 rue de la République à Sens, le 13 novembre 2000, et que postérieurement à cette réunion, mais le même jour, Rent A Car a adressé à M. Patrick Blanchard une télécopie lui rappelant le montant du droit d'entrée, la durée minimum du contrat, et le montant des rémunérations revenant à la société Rent A Car;
- Messieurs Patrick et Christophe Blanchard ont suivi un stage de formation chez un autre franchisé de l'enseigne, à Orléans, les 14 et 15 décembre 2000;
- la société Sens Location a bénéficié de l'enseigne Rent A Car et en a fait usage sur son Kbis;
- des auto-collants, des tracts et des panneaux publicitaires ont été fournis par Rent A Car à cette société;
- une flotte de véhicules a été mise à la disposition de Sens Location pour démarrer son activité, et cette société les a utilisés, sinon serait incompréhensible la lettre adressée par Sens Location à Rent A Car le 27 mars 2002 et qui indique:
"Nous vous confirmons avoir remis à M. Melo " Rent A Car " à Auxerre le samedi 16 mars 2002 les véhicules Kangoo et le Trafic.
Nous pensons que la régularisation est intervenue entre temps car nous n'avions pas reçu d'ordre de votre part.
Mercredi 20 mars, nous a rendu visite M. Buedo qui a constaté que l'ensemble de la signalétique était déposé, que l'accueil téléphonique transmettait à votre n° vert, et que ce même jour nous transformions notre message pour retransmettre à M. Melo au 03.86.48.36.48.
Le problème financier a été abordé et pour la fin de ce mois nous procéderons à notre proposition de régularisation.
Vous souhaitant bonne réception de la présente, (...)"
- des prélèvements bancaires avaient été autorisés par Sens Location au bénéfice de Rent A Car, mais ils ont été rejetés, pour défaut de provision;
Que c'est donc à bon droit que le tribunal de commerce a constaté qu'une convention avait été établie entre les parties, même si les obligations liées au contrat n'avaient pas été correctement respectées;
Considérant en effet que, contrairement à ce que soutient la société Sens Location, le contrat de franchise se prouve par tout moyen, et peut trouver application même en l'absence de signature d'un contrat écrit entre les parties;
Considérant que la méconnaissance des dispositions de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1989, (devenu article L. 330-3 du nouveau Code de commerce), par le franchiseur ne peut entraîner la nullité de la convention qu'autant qu'elle a eu pour effet de vicier le consentement du cocontractant;
Considérant qu'en l'espèce, la société Sens Location, qui exerçait l'activité de loueur de voitures depuis plusieurs années à la même adresse, avait nécessairement acquis dans ce secteur une expérience et une connaissance du marché, spécialement du marché local, suffisante ; que préalablement à la mise en œuvre du contrat de franchise par la mise en place de l'enseigne et la mise à disposition de la flotte de véhicules au début de l'année 2001, M. Patrick Blanchard a reçu, le 13 novembre 2000, dans les locaux de la société de location de voitures qu'il exploitait alors, un représentant de Rent A Car; que postérieurement à cette réunion, mais le même jour, Rent A Car a envoyé à M. Blanchard une télécopie rappelant les principales conditions du contrat ; que les 14 et 15 décembre suivant, les consorts Blanchard ont suivi un stage de formation chez un autre franchisé de l'enseigne Rent A Car;
Considérant que la société Sens Location, qui se borne à ressasser que l'obligation d'information précontractuelle mise à la charge du franchiseur n'a pas été respectée, s'abstient d'expliquer en quoi son consentement en aurait été vicié;
Qu'au contraire, l'ensemble des circonstances rappelées plus haut montre que la société Rent A Car n'a pu se méprendre sur aucun des éléments prévus par l'article L. 330-3 du Code de Commerce et l'article 1er du décret du 4 avril 1991 entrant dans l'information précontractuelle obligatoire; qu'il en résulte que l'absence de remise des documents prévus n'a pu avoir pour conséquence, en l'espèce, de vicier le consentement de Sens Location et ne saurait entraîner l'annulation du contrat;
Considérant que la nullité du contrat ne peut non plus être obtenue au motif qu'il n'y aurait eu, en tout état de cause, transmission d'aucun savoir-faire; que le stage suivi par les consorts Blanchard les 14 et 15 décembre 2000, la "Bible Rent A Car" versée aux débats, et les correspondances échangées par les parties démontrent que ce grief n'est pas fondé;
Considérant que la demande de dommages et intérêts formée par Sens Location au motif que l'attitude irresponsable de Rent A Car l'aurait poussée à faire des investissements colossaux, qu'il lui a été impossible de rentabiliser, n'est pas non plus fondée, les éléments versés aux débats démontrant surtout, de la part de Sens Location une volonté de bénéficier des ressources de l'enseigne sans en acquitter le prix, et l'achat d'un local dans la Zone des Vauguillettes résultant non des exigences de Rent A Car, mais d'un projet antérieur puisque, ainsi que l'a relevé le premier juge, il a été versé aux débats une promesse de vente datée du 30 juin 2000 et concernant ce bien;
Considérant qu'en conséquence la société Sens Location sera déboutée de sa demande d'annulation du contrat et de dommages et intérêts, et le jugement déféré confirmé en ce qu'il a condamné cette société au paiement de la somme principale de 30 256,66 euro, non critiquée, avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2002;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Rent A Car l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer, qu'il lui sera en conséquence alloué une somme de 3 000 euro en complément de la somme allouée en première instance au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que la société Sens Location qui succombe en toutes ses prétentions supportera les entiers dépens;
Par ces motifs, Rejette des débats les deux pièces communiquées par la société Rent A Car le 4 octobre 2006, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute la société Sens Location de toutes ses demandes, Condamne la société Sens Location à payer à La société Rent A Car la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Sens Location aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.