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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 7 juin 2006, n° 04-18008

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Astarté (Sté)

Défendeur :

Daufouy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Menard-Scelle-Millet, Me Pamart

Avocats :

Mes Bourdou, Avakian, Pages

T. com. Paris, du 22 juin 2004

22 juin 2004

Par acte sous-seing privé en date du 4 janvier 1999, la société Astarté, laquelle avait développé depuis 1996 une chaîne de magasins franchisés dans le domaine de la bijouterie fantaisie, a conclu avec M. Daufouy un contrat de franchise permettant à ce dernier d'exploiter, sous l'enseigne et suivant le concept Astarté, un fond de commerce de vente de bijoux fantaisie et d'accessoires de mode sis Centre Commercial René Coty au Havre.

Aux termes du contrat, les parties étaient engagées pour une durée ferme de 7 ans à compter du 4 janvier 1999, soit jusqu'au 4 janvier 2006.

Toutefois, par lettre du 20 janvier 2003, M. Daufouy informait la société Astarté de sa décision de dénonciation du contrat ainsi souscrit.

Selon ce courrier, l'intéressé considérait que depuis 1999 la situation s'était dégradée, que l'ouverture d'un magasin de vente de bijouterie fantaisie Claire's avait provoqué une baisse de 40 % de son chiffre d'affaires et que désormais il ne pouvait plus poursuivre l'exploitation de sa boutique. En outre, il déclarait refuser de payer les factures des produits qui lui seraient livrés par la société Astarté.

Cette dernière décidait, alors, de saisir le Tribunal de commerce de Paris par voie d'assignation en date du 27 février 2003 aux fins de voir déclarer abusive la rupture anticipée et unilatérale du contrat de franchise et de condamner M. Daufouy à réparer le préjudice subi de ce chef.

M. Daufouy demandait, pour sa part et à titre principal, au tribunal de voir déclarer nul pour vice du consentement et défaut de cause le contrat de franchise conclu le 4 janvier 1999 avec la société Astarté.

C'est dans ces conditions que, par jugement du 22 juin 2004, lequel était assorti de l'exécution provisoire, le tribunal saisi a:

- prononcé la nullité du contrat de franchise du 4 janvier 1999,

- condamné la société Astarté à payer à M. Daufouy exploitant sous l'enseigne Astarté la somme de 7 622,45 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter du 4 janvier 1999,

- condamné la société Astarté aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Régulièrement appelante, la société Astarté a, par conclusions enregistrées le 15 novembre 2004, prié la cour de:

- infirmer le jugernent déféré en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

- constater la validité du contrat de franchise signé le 4 janvier 1999,

- déclarer abusive la rupture anticipée et unilatérale du contrat du seul fait de M. Daufouy,

- condamner ce dernier à lui payer 14 517 euro HT au titre des royalties pour les 3 années du contrat restant à courir, 1 005,95 euro au titre des royalties non versées pour les mois d'août à septembre 2002, ainsi que 929 euro au titre de celles non versées pour les mois de novembre et décembre 2002, outre 32 944 euro HT représentant la marge brute qu'aurait réalisé la société Astarté jusqu'au mois de janvier 2006,

- condamner enfin M. Daufouy aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euro conformément aux dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions enregistrées le 21 mars 2005, M. Daufouy a demandé, pour sa part, à la cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris prononcé le 22 juin 2004 en ce qu'il a prononcé l'annulation du contrat de franchise,

- condamner la société Astarté à lui restituer la somme de 7 622,45 euro majorée des intérêts légaux à compter du 4 janvier 1999,

- ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'un an conformément à l'article 1154 du Code civil.

- infirmer le jugement du 22 juin 2004 en ce qu'il l'a débouté de sa demande de restitution de la somme de 14 283,97 euro HT, soit 17 083,63 euro TTC correspondant aux redevances payées entre 1999 et 2002,

- condamner la société Astarté à lui payer ladite somme de 17 083,63 euro

- constater qu'en vertu de l'article 3 du bail commercial le liant à la société Le Havre Lafayette, il ne peut être procédé à la dépose de l'enseigne Astarté avant le 1er octobre 2005,

- débouter cette dernière de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Astarté aux dépens ainsi qu'au paiement de 5 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce

Sur la validité du contrat de franchise

Considérant qu'aux termes de l'article L. 330-3 du Code de commerce : "Toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités..."

Considérant, néanmoins, que, pour prononcer la nullité de tout contrat conclu en violation de l'article précité, il appartient au juge de rechercher si le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement du cocontractant ; qu'en effet, le non-respect par le franchiseur de son obligation d'information ne peut entraîner l'annulation du contrat pour dol, sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, que si le comportement du franchiseur a conduit le franchisé à être abusé sur les conditions dans lesquelles il était amené à contracter;

Considérant en l'espèce, que si la société appelante énumère, pour justifier de son respect de l'obligation d'information préalable qui était la sienne en sa qualité de franchiseur et que définit le décret d'application n° 97-337 du 4 avril 1991, les différents documents transmis à l'intimé relatifs au descriptif de l'activité exercée, à l'ancienneté de celle-ci, à l'état du marché et du secteur ainsi qu'à la composition de son réseau, elle ne conteste pas pour autant ne pas avoir fourni les comptes annuels de ses deux derniers exercices ni les dates de conclusion et de renouvellement des contrats de ses franchises actuelles ni même le nom de ceux qui ont quitté son réseau, ainsi que les motifs de ces départs; que, cependant, il ressort des pièces du dossier que, dès le mois d'octobre 1998, M. Daufouy prenait contact avec la société AC Développement, dont le directeur, M. Samper, est membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise, aux fins d'organiser sa reconversion après avoir lui-même été restaurateur pendant plus de 16 ans; que, par ailleurs, plusieurs entretiens ont été organisés entre l'intimé et M. Couepor, gérant de la société Astarté ; qu'ainsi l'engagement de M. Daufouy, professionnel du commerce, a été mûrement réfléchi; que, par suite, les insuffisances susmentionnées dans la documentation fournie ne peuvent être regardées comme un élément essentiel dont la révélation eût été susceptible de conduire ce dernier à ne pas conclure le contrat litigieux ; que, de même, M. Daufouy ne saurait utilement reprocher à la société Astarté tant l'implantation d'un magasin Claire's au sein du centre commercial René Coty que l'existence d'un magasin Eurodif dès lors que le document d'information précontractuel remis à l'intimé en décembre 1998 précisait expressément que celui-ci "avait pris connaissance des enseignes présentes sur le centre commercial René Coty au jour de la signature (une évolution pouvant avoir lieu après le 8 décembre 1998)" ; qu'il appartient, en tout état de cause, au futur franchisé de procéder, lui-même, à une analyse d'implantation précise lui permettant d'apprécier le potentiel et, par là-même, la viabilité du fonds de commerce qu'il envisage de gérer;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'intimé ne justifie, par les pièces et documents produits, d'aucune violation par le franchiseur de ses obligations précontractuelles d'information suffisamment caractérisée pour permettre l'annulation du contrat à raison d'un dol ou d'une erreur qui aurait pu vicier le consentement du candidat à la franchise, lequel avait déjà exercé une activité commerciale indépendante pendant de nombreuses années ainsi qu'il a été ci-dessus rappelé;

Considérant, en second lieu, que, si M. Daufouy fonde, également, sa demande tendant au prononcé de la nullité du contrat de franchise sur l'absence de cause de celui-ci au sens de l'article 1131 du Code civil et s'il soutient à cet effet que le savoir-faire transmis par le franchiseur serait dépourvu de toute originalité et ne présenterait " aucune spécificité propre à caractériser le contrat de franchise ", il ressort, néanmoins, de l'instruction que la société Astarté a développé une chaîne de magasins sous l'enseigne " Astarté ", laquelle a été enregistrée à l'INPI le 25 juin 1995, et a également déposé, le 19 novembre 1995, un manuscrit intitulé " Architecture et concept Astarté " auprès de la Société des Gens de Lettres; que ce concept repose sur des techniques de vente empiriques fondées sur le ciblage des produits et leur adaptation à différents types de clientèle au regard de l'évolution de la mode et des saisons ainsi que sur la " détection du signal d'achat "; que la circonstance que lesdites techniques soient transférées oralement aux franchisés au cours de stages de formation est sans influence sur la réalité du savoir-faire considéré ; que, de même, la simplicité de celui-ci, également critiquée par l'intimé, n'est nullement incompatible avec son efficacité commerciale, elle-même reconnue par les professionnels de la franchise comme en témoigne le courrier adressé par M. Samper à M. Couedor le 1er juillet 2004; que, par suite, aucune absence de cause ne saurait être retenue de ce chef à l'encontre du contrat de franchise dont s'agit ; qu'également, si M. Daufouy reproche à son franchiseur sa carence dans l'assistance technique et commerciale qu'il lui devait, il ne justifie pas du bien-fondé de ses affirmations sur ce point dès lors qu'il ressort de différents courriers régulièrement versés aux débats que c'est la société Astarté qui a effectué toutes les demandes nécessaires auprès des organismes gestionnaires du centre commercial afin de permettre l'installation de l'intéressé; que, par la suite et par courrier du mois de février 1999, M. Daufouy soumettait à l'avis du gérant de l'appelante l'état prévisionnel qu'il avait élaboré, lequel devait être soumis à l'organisme prêteur de fonds; que, plus généralement, l'intimé ne rapporte pas la preuve d'un quelconque refus d'assistance qui lui aurait été opposé pendant la durée de son contrat ou d'une mise en demeure restée sans effet qui aurait été adressée à son franchiseur à ce sujet; qu'enfin, si M. Daufouy impute aussi à l'appelante une violation de ses engagements en matière d'approvisionnement, il ne démontre, cependant, aucune méconnaissance directe d'une quelconque stipulation précise du contrat souscrit, étant notamment observé qu'il n'était pas conventionnellement prévu que la société Astarté se doive d'acheter les produits distribués à ses franchisés auprès d'un seul fournisseur ou exclusivement dans un pays déterminé;

Considérant qu'au regard de l'ensemble des éléments sus-analysés, il y a lieu, par infirmation du jugement déféré, de rejeter la demande de l'intimé tendant au prononcé de la nullité du contrat déféré, de dire celui-ci valide et de constater l'absence de toute autre faute démontrée de la part du franchiseur dans l'exercice de ses obligations;

Sur la résiliation du contrat de franchise

Considérant qu'il sera, tout d'abord, relevé que le contrat litigieux stipulait lui-même qu'il était "conclu pour une durée de 7 ans à compter de la signature des présentes, à l'expiration des 7 ans, il est renouvelable par tacite reconduction d'année en année" ; que, par ailleurs et contrairement aux dires de l'intimé ainsi qu'aux mentions de celui-ci dans son courrier de dénonciation susvisé du 20 janvier 2003, la modification manuscrite portant la durée du contrat de 5 à 7 ans fut paraphée par ses soins le jour même de la signature du contrat et revêt ainsi un caractère conventionnel, lequel ne saurait présentement être remis en cause ; que, par suite, eu égard tant à la validité ci-dessus démontrée du contrat qu'à l'absence de preuve de toute faute imputable au franchiseur, M. Daufouy ne pouvait, sauf à méconnaître directement les dispositions de l'article 1134 du Code civil aux termes desquelles les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, décider de rompre unilatéralement et sans motif établi un contrat conclu pour une première période prédéterminée de 7 années s'achevant le 4 janvier 2006; que cette rupture, brutale et non justifiée, est de nature à engager la responsabilité de l'intimé et ouvre à la société Astarté droit à réparation de son entier préjudice sur le fondement de l'article 1147 du même Code;

Considérant, en l'espèce, que l'article B/4 du contrat de franchise stipulait que "chaque début de mois, le franchisé verse une redevance pour utilisation de la marque " Astarté " et du merchandising fixée à 3 % du chiffre d'affaires hors taxe du mois précédent, payable à réception de la facture"; qu'au regard de la moyenne du chiffre d'affaires annuel du magasin exploité par M. Daufouy et s'élevant à 161 304 euro HT, le montant des redevances non perçues par l'appelante pendant les 3 années durant lesquelles M. Daufouy aurait dû être son franchisé doit être arrêté à la somme de (161 304 x 3 x 3 %) 14 517 euro HT, à laquelle doivent s'ajouter les redevances non réglées afférentes aux mois d'août à novembre 2002 et s'élevant aux sommes de 1 005,95 et 929 euro; que si l'appelante sollicite également le règlement de la marge brute réalisée sur la vente de ses produits à son franchisé, lequel est conventionnellement tenu à une obligation d'approvisionnement exclusif auprès d'elle, et si elle se fonde, pour justifier sa demande de ce chef, sur une projection effectuée à partir du montant des marchandises livrées jusqu'alors à M. Daufouy, le préjudice subi à ce titre ne peut s'analyser qu'en la perte de la chance de percevoir une telle marge bénéficiaire pendant la durée du contrat restant à courir et doit nécessairement prendre en compte l'aléa économique inhérent à toute activité commerciale; qu'au regard de l'ensemble des éléments versés aux débats, il sera fait une juste appréciation de la somme devant être allouée à ce titre en l'évaluant à 10 000 euro;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de constater la validité du contrat de franchise conclu le 4 janvier 1999, de dire fautive la résiliation décidée par M. Daufouy et de condamner ce dernier à payer à l'appelante les sommes susmentionnées de 14 517, 1 005,95, 929 et 10 000 euro, les parties étant déboutées du surplus de leurs conclusions respectives;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. Daufouy à payer à la société Astarté la somme de 1 000 euro au titre des frais hors dépens;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels principal et incident jugés réguliers en la fonte, Au fond, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Constate la validité du contrat de franchise conclu le 4 janvier 1999, Dit fautive la résiliation de celui-ci par M. Daufouy, Condamne ce dernier à payer à la société Astarté les sommes de 14 517 euro, 1 005,95 euro, 929 euro et 10 000 euro, Déboute les parties du surplus de leurs conclusions respectives, Invite les parties à en tirer toutes les conséquences en cas d'exécution provisoire de la décision des premiers juges, Condamne M. Daufouy aux dépens de l'instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Menard-Scelle-Millet, avoué, Le condamne aussi à verser à la société Astarté la somme de 1 000 euro au titre des frais hors dépens.