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Décisions

CA Lyon, 3e ch. civ. B, 22 mars 2007, n° 05-03333

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CMJP (SARL)

Défendeur :

Formaholt (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flisse

Conseillers :

Mmes Devalette, M. Maunier

Avoués :

Me Barriquand, SCP Junillon-Wicky

Avocats :

Mes Akkal, Baroukh, SCP Lamy Ribeyre, Associés

T. com. Bourg-en-Bresse, du 8 avr. 2005

8 avril 2005

La société Formaholt a conçu, sous l'enseigne "Jack Holt" un type de salon de coiffure qu'elle a ensuite concédé en franchise dans le monde entier.

La société CMJP a signé le 28 juin 1996, par l'intermédiaire de sa gérante Madame Chetail, un contrat de franchise avec la société Formaholt, d'une durée initiale de 3 ans à compter du 1er juillet 1996, renouvelable ensuite par tacite reconduction par périodes d'un an.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 mars 2002, la société CMJP a mis fin au contrat, avec effet au 30 juin 2002 et a cessé le règlement des redevances à compter de février 2002.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 avril 2002, la société Formaholt a accusé réception de cette résiliation en rappelant que le contrat n'expirait que le 30 juin 2003, compte tenu du préavis contractuel de 6 mois.

Par courrier du 15 octobre 2002, la société CMJP a justifié sa décision de résilier le contrat à son terme puis le 23 octobre 2003, a mis un terme définitif à celui-ci, compte tenu des mesures de rétorsion qui auraient été prises contre l'époux de la gérante.

Sur assignation en référé délivrée par la société Formaholt en poursuite du contrat jusqu'au terme et en paiement d'une indemnité provisionnelle, la cour, par arrêt du 12 octobre 2004, a confirmé l'ordonnance d'incompétence sur la demande de poursuite d'activité du 18 février 2003 et a infirmé l'ordonnance du 17 janvier 2003 rejetant la demande de provision, fixant celle-ci à 6 573,78 euro à la charge de la société CMJP.

Parallèlement, et par exploit en date du 4 février 2003, la société CMJP a assigné la société Formaholt devant le tribunal de commerce en nullité du contrat de franchise, en remboursement des redevances de franchise et de publicité, et en dommages-intérêts.

A titre subsidiaire, la société CMJP demandait que la rupture anticipée soit déclarée fondée et formulait les mêmes demandes à ce titre.

De son côté, la société Formaholt concluait, à titre reconventionnel, à une rupture abusive imputable à la société CMJP et au paiement par celle-ci, des redevances dues jusqu'au terme du contrat, des pénalités de retard sur les redevances impayées et de dommages-intérêts pour atteinte à l'image de marque et violation de la clause de non-concurrence.

Par jugement du 8 avril 2005, le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse :

- a débouté la société CMJP de l'intégralité de ses demandes,

- a constaté le défaut de paiement des redevances depuis février 2002,

- a constaté la rupture brutale et abusive du contrat de franchise,

- a condamné la société CMJP à payer:

* 15 167, 80 euro outre intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2002, sur la somme de 6 573, 78 euro et du 30 juin pour le solde,

* la somme de 1 euro au titre des pénalités de retard,

* la somme de 2 000 euro au titre de l'atteinte à l'image de marque et détournement de clientèle,

- a rejeté toutes les autres demandes,

- a condamné la société CMJP à payer une somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par déclaration du 13 mai 2005, la société CMJP a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières écritures, déposées le 16 janvier 2007 et qui sont expressément visées par la cour, la société CMJP demande l'infirmation du jugement et:

- à titre principal, de prononcer la nullité du contrat de franchise, pour non-respect de l'obligation d'information qui lui est imposée par l'article L. 330 du Code de commerce et le décret du 4 avril 1991 et vice de consentement, et pour pratique de prix imposés contraire à l'ordonnance du 1er décembre 1986.

La société appelante demande en conséquence la condamnation de la société Formaholt à lui verser:

• 66 389 euro HT au titre des redevances de franchise perçues,

• 36 543 euro HT au titre des redevances de publicité perçues,

• 15 000 euro de dommages-intérêts.

- à titre subsidiaire, de dire que la rupture anticipée du contrat de franchise était justifiée par les nombreux manquements de la société Formaholt à ses obligations, sollicitant la condamnation au paiement des mêmes sommes.

Encore plus subsidiairement, la société appelante demande une réduction des sommes mises à sa charge et, en tout état de cause, la condamnation de la société Formaholt à lui verser la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur la nullité du contrat de franchise, la société appelante fait valoir qu'elle n'a pas eu communication, 20 jours avant la signature du contrat, de quelconques documents d'information, malgré la clause de style qui figure au contrat ou la référence à des documents qui n'ont jamais été annexés au contrat.

Elle considère qu'en ne lui fournissant pas les informations sur ses comptes annuels et sur le taux de rotation des franchisés notamment, la société Formaholt a commis une réticence dolosive qui a vicié son consentement, dans la mesure où ce taux de rotation de 15 à 20 % par an aurait pu l'alerter sur la mauvaise gestion du réseau et la dépréciation de son image de marque.

Elle observe en second lieu que l'article 7-1 du contrat est contraire à l'ordonnance du 1er décembre 1986 en ce qu'il impose un tarif aux franchisés.

Sur les fautes commises par la société Formaholt, légitimant une rupture anticipée, la société appelante soutient:

- que les budgets publicitaires ont été systématiquement majorés, que les plans média n'ont jamais été respectés et que les redevances publicité n'ont pas été affectées en totalité à ce poste ni réclamées à l'ensemble des franchisés (régime de faveur aux membres de la famille)

- que Monsieur Jack Holt a toujours menti sur le nombre de franchisés de façon à faire croire à un réseau dynamique alors que celui-ci perdait régulièrement 20 % de ses membres, ce qui a un impact évident sur la clientèle,

- que le franchiseur n'a pas fait évoluer sa communication, son concept ou son savoir-faire depuis 1980 ayant laissé son réseau à l'abandon, en opérant par ailleurs des choix désastreux notamment lors d'un séminaire de coiffure à Vittel en 2002 (défilé de mannequins en perruques)

- que sa gérante a été victime d'un véritable harcèlement et le mari de celle-ci, employé de la société Schwarzkopf, de mesures de rétorsion.

Elle indique enfin que les agissements de la société Formaholt lui ont causé un grave préjudice financier en redevances inutiles et pertes subies.

Concernant les demandes reconventionnelles de la société Formaholt, la société appelante considère que celle-ci n'apporte pas la preuve du préjudice allégué consécutif à la rupture, ni d'une violation des signes distinctifs de la marque qu'il n'y a plus lieu de rétablir puisque le contrat de franchise est arrivé, de toute façon, à son terme depuis le 30 juin 2003.

Aux termes de ses dernières écritures, déposées le 28 mars 2006 et qui sont expressément visées par la cour, la société Formaholt demande la confirmation du jugement uniquement sur la constatation du non-paiement des redevances et la condamnation au paiement de celles-ci et sur l'imputabilité de la rupture.

Elle demande la réformation du jugement pour le surplus et la condamnation de l'appelante en paiement des sommes suivantes:

- 39 436 euro de pénalités de retard,

- 30 000 euro pour détournement de clientèle,

- 50 000 euro de dommages-intérêts pour trouble commercial

- 15 000 euro de violation de la clause de non-concurrence,

- 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur la validité du contrat de franchise, la société Formaholt fait valoir que Madame Chetail, gérante ou contrôlant les sept salons en litige, s'est engagée en connaissance de cause, ayant reconnu dans le contrat de franchise des documents d'information nécessaires, et ayant exploité elle-même, depuis plusieurs années, d'autres salons sous enseigne "Jack Holt".

Elle indique par ailleurs qu'il ne peut lui être reproché par la fixation de tarifs conseillés ou indicatifs dans le cadre du réseau ou de campagnes promotionnelles sur certaines prestations, une pratique illicite de prix portant atteinte à la concurrence.

Sur la rupture anticipée du contrat de franchise qui, en l'absence de clause résolutoire, ne pouvait qu'être judiciaire, la société Formaholt soutient que la cessation sans préavis, par les 7 sociétés franchisées en février 2002, du paiement des redevances sans formulation d'aucun grief ou faute grave contre le franchiseur, rend cette rupture uniquement imputable au franchisé.

La société Formaholt constate que la société franchisée n'est pas en mesure de justifier d'une faute grave qui lui serait imputable mais invoque des griefs d'ordre général ou des faits qui ne sont pas établis. Elle réfute notamment le grief d'abandon du réseau en faisant état de sa place de leader sur Rhône Alpes, son école de formation, le chiffre d'affaires moyen réalisé par un salon à l'enseigne Jack Holt.

Elle indique que le taux de rotation moyen de ses franchisés est normal et même meilleur que le taux national, que l'argumentation sur les redevances publicitaires est sans portée, la redevance étant calculée sur la base du chiffre d'affaires.

Au titre de son préjudice, la société Formaholt indique qu'elle réclame:

- les redevances impayées jusqu'à l'expiration du contrat,

- les redevances apparaissant déjà au débit sur la période antérieure à octobre 2002,

- la pénalité de retard que le tribunal ne pouvait réduire sans constater qu'elle était manifestement excessive,

- le trouble commercial occasionné par le départ simultané de 7 salons qui a porté atteinte à la réputation du réseau et au maillage territorial.

La société Formaholt considère enfin qu'en continuant à utiliser les signes distinctifs de la marque, et la ligne téléphonique associée à l'enseigne, la société qui a continué ensuite à fonctionner dans les même locaux sous enseigne "Où sont les femmes" a détourné sa clientèle et a violé la clause de non-concurrence régulière prévue au contrat.

Motifs de la décision

Sur la validité du contrat de franchise

Aux termes des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.

Le décret du 4 avril 1991 a précisé le contenu du document d'information précontractuelle qui a pour finalité de permettre au candidat à la franchise de s'engager en toute connaissance de cause.

En l'espèce, l'impossibilité dans laquelle se trouve la société Formaholt de justifier, pour cette franchise, de l'effectivité de la communication du document d'information précontractuelle à la société CMJP, pourtant visée dans le contrat de franchise établi en 1996, ne justifie pas cependant que soit prononcée la nullité de ce contrat, la gérante de la société, Madame Chetail, ayant déjà exploité plusieurs salons sous enseigne Jack Holt, ayant souscrit ou renouvelé, comme dans le cas présent, plusieurs autres contrats de franchise pour d'autres salons de coiffure, et s'étant ainsi engagée en pleine connaissance de cause sur l'état, le fonctionnement et les perspectives de développement du réseau.

La société franchisée n'établit d'ailleurs pas en quoi la communication des comptes annuels de la société Formaholt ou du taux de rotation des franchisés, l'aurait dissuadée de contracter avec celle-ci, la situation financière de la société Formaholt n'étant pas en cause en l'espèce, et le taux de rotation n'apparaissant pas particulièrement anormal dans ce secteur d'activité.

Par ailleurs, l'indication, à l'article 7-1 du contrat, de l'engagement du franchisé " d'appliquer de manière stricte les éléments de la stratégie du franchiseur, notamment en ce qui concerne les tarifs conseillés " ne constitue pas une clause contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 sanctionnant les ententes anticoncurrentielles, dans la mesure où la suite de cette clause précise " ces tarifs sont purement indicatifs et le franchisé pourra les déterminer librement (en veillant) à ne pas porter atteinte à l'image de marque du réseau. "

De la même façon, l'indication d'un tarif unique lors de campagnes promotionnelles de la marque sur certaines prestations de coiffure, ne constitue pas une fixation illicite de prix, dans la mesure où les franchisés n'ont pas l'obligation de participer à ces campagnes promotionnelles, ni une pratique anticoncurrentielle, dès lors qu'il n'est pas établi que des franchisés du réseau Formaholt se trouveraient situés sur une même zone de chalandise.

Dans ces conditions, le jugement qui a débouté la société CMJP de sa demande de nullité du contrat de franchise, doit être confirmé.

Sur l'imputabilité de la rupture anticipée du contrat de franchise

La société franchisée qui a rompu le contrat avant le terme normal fixé, doit justifier que cette rupture était justifiée par des manquements du franchiseur d'une gravité telle qu'ils rendaient impossible le maintien de la relation contractuelle.

Or, en l'espèce, les griefs formulés par la société appelante relatifs aux budgets publicitaires, au non-respect des plans médias, au traitement de faveur de certains franchisés pour le règlement des redevances, à la pertinence et à la qualité, enfin, des campagnes entreprises, ne sont étayés par aucune pièce probante ou sont d'ordre général ou subjectif, de sorte qu'en l'absence, de surcroît, de preuve de la moindre observation formulée en cours de fonctionnement du contrat qui s'est poursuivi sur plusieurs années, ils ne peuvent être de nature à justifier la rupture de ce contrat avant son terme.

De la même façon, la société appelante qui reproche à son franchiseur, un abandon du réseau par absence d'entretien et d'évolution du concept depuis sa création en 1980, ne fournit aucune preuve concrète de ses allégations sinon par l'appréciation négative qu'elle fait du contenu et des retombées de la participation de la marque Jack Holt au séminaire de Vittel, qui s'est tenu d'ailleurs après la notification du préavis de résiliation du 26 mars 2002 et sur lequel sont produites des appréciations favorables, mais tout aussi subjectives, par la société Formaholt.

Enfin, la société appelante n'établit pas les manœuvres et pressions qui auraient été exercées sur la personne de sa gérante ou du mari de celle-ci.

Le jugement qui a débouté la société appelante de sa demande de résiliation du contrat aux torts du franchiseur et de ses demandes de remboursement de redevances et de dommages-intérêts, doit être confirmé, ayant exactement constaté que cette résiliation brutale du contrat était imputable à la société franchisée qui a cessé le paiement de ses redevances à compter de février 2002.

Sur les demandes de la société Formaholt

Le jugement entrepris a exactement condamné la société CMJP à indemniser la société Formaholt de son préjudice résultant du non-paiement des redevances à compter de février 2002 jusqu'au terme normal du contrat soit la somme totale de 15 167,80 euro outre intérêts au taux légal en fonction de la date du paiement provisionnel qui doit venir en déduction.

Sur le fondement de l'article 1152 du Code civil, ce même jugement a exactement réduit la somme réclamée au titre de pénalités de retard sur le paiement des redevances, cette pénalité contractuelle de 5 % par semaine de retard étant manifestement excessive par rapport au préjudice subi par la société Formaholt du fait de ce retard mais devant être ramenée seulement à 1 500 euro.

Par ailleurs, le départ anticipé et brutal de la société franchisée en même temps que les six autres franchisés gérés par Madame Chetail a nécessairement causé un trouble commercial à la société Formaholt dont le réseau, qui compte moins de 100 salons, a été ainsi affaibli.

En outre et jusqu'au 25 octobre 2002, date du dépôt par Madame Chetail de la marque "Où sont les femmes", la société franchisée ne justifie pas avoir cessé d'utiliser, dans son salon, les signes distinctifs de la franchise Formaholt et le numéro de téléphone figurant à l'enseigne Jack Holt, et a, dans ces conditions, détourné la clientèle et violé la clause de non-concurrence régulièrement prévue au contrat, comme non soumise aux dispositions communautaires et nécessaire à la protection du réseau.

Eu égard toutefois à la durée de ces manquements, dont il n'est pas établi qu'ils aient perduré au-delà du terme normal du contrat, et à la taille du réseau, le préjudice global occasionné par ces manquements doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euro.

Le jugement doit donc être infirmé sur la somme retenue au titre des pénalités de retard et sur le sort et le montant des dommages-intérêts complémentaires.

La société CMJP doit être condamnée à verser une indemnité complémentaire au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile de 2 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf sur la somme allouée au titre des pénalités de retard et sur le sort et le montant des dommages-intérêts complémentaires; Et statuant à nouveau sur ces chefs de demande : Condamne la société CMJP à payer à la société Formaholt : - la somme de 1 500 euro au titre des pénalités de retard, - la somme de 10 000 euro de dommages-intérêts pour le préjudice complémentaire; Y ajoutant : Condamne la société CMJP à payer à la société Formaholt la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société CJMP aux dépens d'appel qui seront distraits au profit de la SCP Junillon & Wicky, avoué.